—
fc'|g*r--y.
Pl
-S-fles*
rf#.
"1 • ?vl
U (JVof OTTAUA
39003010253'12'1
<^\"
^ it ^ ^
LEÇONS
DE
PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE
TRAVAUX DU MEME AUTEUR
Cours de médecine du Collège de France.
Lpçoiim tic ithyHiologic c.\|icriiiicntnle appliquée à la médecine. Pari^,
185i-l855, 2 vol. in-S" avec figures 14 fr.
I.pçonN fxiir ICN olfetMclPs HubMtnnccN toxique» Pt ■iicflicaniPiKeiiNPN.
Paris, 1857, i vol. iii-8" avec figures 7 fr.
■iCçons Hur la iihyMiologic et la pathologie du «yt^tènie nerveux.
Paris, 1858, 2 vol. in-8'^ avec figures Oi fr.
l.eçonM Hur le»* propriétés pliyniologiques et le» altérations patho-
logiqucM des liquides de l'organisme. Paris, 1859, 2 vol. in-S" avec
22 figures 14 fr,
reçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-S" de
600 pages 7 fr.
Ijeçons sur les anesthésies et sur l'asphyxie. Paris, 1875, 1 vol.
111-8° lie 600 pages avec figures 7 fr.
Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et de la
fièvre. Pari-, 1876, 1 vol. in-8'' de 472 pages avec figures. ... 7 fr.
I^eçons sur le diabète et la glycogenèse animale. Paris, 1877,
1 vol. iu-S", VIII, 576 pages avec figures 7 fr.
Cours de physiologie générale du Muséum d'Histoire naturelle.
Leçons sur les phénoiuènes de la vie, communs aux animaux et
aux végétaux. Paris, 1878, 1 vol. iu-S" de 450 pages avec 1 pi. colo-
riée et 44 figures 7 fr.
Tome 11, 1 vol. in-8 de 500 pages avec 3 pi. gravées et 25 ligures,
SOUS presse.
Introduction h l'étude de la médecine expérimentale. Paris, 1855,
1 vol. in-S" de 400 pages 7 fr.
La Hcicnee expérimentale, Paris, 1878, in-18 de 450 pages. 4 fr.
Table des matières. — Itiscour? de M. J, k. Dumas. — Notice par M. P. Bert. — Du progrès
do» i'cionce» physiologique?. — Problv'tiies de physiologie générale. — DélinitioD de la vie.
les théories nnciciioes et la science moderne. — I.a chaleur aaimale, — La seDsibilitû. —
Le curare. — Le cuMir. — Le cerveau. — Difcours de réception à l'Académie française. —
Discours d'ooverlurc de la séance publique annuelle des cinq Académies.
Précis iconographique de médecine opératoire et d'anatoiuie chi-
rurgirnic. par Claude Berxard et Hiettf. Paris, 1873, 1 vol. in-18
Jésus de 495 pages, avec 113 pi. fig. noires. Cartonné 24 fr.
Le même, fig. coloriées 48 IV.
Fr. Magendie. Paris, 1856, iu-8' 1 fr.
\^^
COURS DE iMEDECINE
nu COLLÈGE DE FRANCE
LEÇONS
DE
PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE
CLAUDE BERNARD
Membre do l'Institut (Académie des sciences et Acadc'raie française),
Professeur au Collège de France et au Musc'um d'histoire naturelle.
AVEC 116 FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE
PARIS
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÉRE et FILS
Rue nantefeuille, 19, près le boulevard Saint-Germain.
l.ondres I Madrid
Baillière, Tindall and Cox. I C. Bailly-Baillière.
1879
Tous droits réservéï.
^o:iii A*;}
21
PRÉFACI^
Depuis près de vingt années (i) Claude Bernard avait
conçu le plan d'un ouvrasse dogmatique de Physiologie
opératoire.
Voici ce qu'il en dit dans les notes retrouvées par
son préparateur, M. d'Arsonval.
« Cet ouvrage sera disposé en trois parties :
» La première partie renfermera les procédés opéra-
toires pour arriver à la localisation des divers phéno-
mènes fonctionnels de l'organisme. Ici le cadre du
sujet sera essentiellement anatomique : ce sera de la
physiologie descriptive. Je donnerai des types d'expé-
riences dans lesquels seront exposés les principes du
déterminisme expérimental.
» La deuxième partie contiendra les moyens d'étude
propres à rechercher X explication des phénomènes. Ici
(I; Environ depuis 1858 fvoy. la préface aux Leçons de pathologie expé-
rimentale, p. VI).
VI PRÉFACE.
le cadre ne 5era plus anatomiqueà proprement parler;
il s'agira des propriétés des éléments et des liquides
organiques, des phénomènes physico-chimiques de
l'organisme, dans lesquels l'anatoniie ne dit ordinai-
rement rien.
» La troisième partie comprendra les études relatives
à Xexppnmentatiori patliolorjk/uf et thh'apeuùcpic ou
toncolofjique . »
Ce vaste projet avait depuis longtemps reçu un
commencement d'exécution, par ce fait qu'une partie
-iles leçons professées chaque année au Collège de
France étaient consacrées à des études de techmcpœ
expérimenlale.
Mais ce n'est qu'en 1878 que Claude Bernard s'at-
tacha à réaliser son projet sous une forme définitive,
c'est-à-dire à publier cet enseignement technique; il
voulut bien nous confier à cet effet la rédaction de
ses leçons, ainsi que la direction des artistes chargés
d'exécuter les dessins représentant soit des appareils,
soit des préparations anatomiques , soit même des
installations complètes d'expériences.
C'est ainsi que furent rédigées, sous les yeux du
maître, revues et corrigées par lui les vingt pre-
mières leçons que renferme ce volume, et qui ont trait
aux généralités sur la physiologie opératoire, à la
PRÉFACE. MI
préheusiou et k la contention des animaux, aux opé-
rations d'un usage général dans les vivisections, et
enfin aux vivisections qui portent en particulier sur
l'appareil circulatoire. — Le manuscrit de cette série
de leçons nous reste comme un précieux modèle, car
chaque page porte les marques du soin avec lequel
l'illustre physiologiste avait voulu veiller aux plus
petits détails, aux moindres indications pratiques,
modifiant lui-même la place et l'explication des
ligures, retouchant la description d'un appareil,
précisant le maniement d'un instrument.
Bien souvent la rédaction de tel chapitre fut inter-
rompue, parce qu'il fallait revoir les expériences,
chercher à les simplifier, à les condenser, pour ainsi
dire, dans une forme définitive, plus pratique et plus
apte à devenir pour telle ou telle question de physio-
logie un type classique de démonstration. Ainsi, notam-
ment, furent reprises dans ces dernières années les
expériences sur la température du sang, à l'aide des
sondes thermo-électriques du docteur d'Arsonval, et
l'étude de ces derniers perfectionnements était à peine
achevée lorsque Claude Bernard fut si brusquement
enlevé à la science. C'est grâce aux notes qu'a bien
voulu nous communiquer M. d'Arsonval à ce sujet
que nous avons pu donner à cette importante question
VIII PRÉFACE.
lie la topographie calorifique les développements
qu'elle devait comporter.
Dans la pensée de Claude Bernard, après l'étude de
l'appareil circulatoire devait venir celle de l'appareil
de la digestion, et les leçons de l'année 1877-1878
devaient être consacrées à ce sujet : on sait que cette
série de leçons fut à peine commencée, et qu'après
avoir donné dans quelques séances les considérations
générales et historiques du sujet, notre regretté maître
dut interrompre son Cours pour ne plus le reprendre.
Mais dans une série de leçons précédentes, recueillies
et publiées en anglais dans le Médical Times and Gazette
par M. le professeur Benjamin Bail, Claude Bernard
avait déjà traité de la technique opératoire spéciale
aux recherches sur la physiologie du tube digestif; ces
cours, publiés d'abord à l'étranger, se composaient en
effet de deux ordres de leçons alternatives et distinctes :
les unes, de pathologie expérimentale^ ont depuis été
publiées en français sous ce titre; les autres, consa-
crées à la physiologie opératoire des glandes salivaires,
de l'œsophage, de l'estomac et du pancréas, n'étaient
connues que des lecteurs du journal anglais. M. Gaston
Decaisne, interne distingué des hôpitaux de Paris, en
a fait la traduction avec un soin qui sera apprécié.
En les reproduisant aujourd'hui, nous complétons heu-
PKÉFACE. IX
reusement ce volume, dans l'ordre et avec les maté-
riaux dont Claude Bernard se proposai! de le
remplir.
Quelque différent que soit ce volume de ce qu"il
devait être s'il nous eût été donné de l'achever sous la
dictée du maître, nous nous sommes fait un devoir
de le publier, composé des éléments que nous venons
d'indiquer. En effet, ce {ralté ùe P/ii/siolôf/w opératoire
était l'une des œuvres projetées sur lescjuelles C'aude
Bernard reportait le plus constamment sa pensée : il en
avait, à notre connaissance, refait quatre ou cinq fois
le plan; il avait écrit pour lui un nombre égal d'intro-
ductions et de préfaces, laissées incomplètes, jetées
par fragments épars; l'une de ces introductions nous
a cependant paru assez complète pour être conservée
et servir d'introduction à ces leçons; sans doute les
considérations générales, qui sont indiquées sous forme
de notes concises bien plutôt que développées dans ces
pages rapides, ces considérations, par la hauteur de
vue à laquelle elles s'élèvent, paraîtront singulièrement
en disproportion avec les sujets techniques traités dans
ce volume ; mais n'oublions pas qu'en réalité celte
introduction était destinée à un ouvrage en trois par-
ties, dont les deux dernières devaient entrer dans les
questions les plus délicates de l'analyse de la vie.
X PRÉFACli;.
Sans ajouter à la gloire de Claude Bernard, ce
volume contribuera à propager les principes de cri-
tique et de discipline expérimentale dont depuis long-
temps il se préoccupait dans son enseignement; aussi
le sentiment d'avoir coniribué à la vulgarisation des
idées de l'illustre physiologiste sera-t-il toujours le plus
glorieux et le plus cher souvenir de son élève.
iMris, It^ 15 décembre 1878.
Mathias DUVâI..
INTRODUCTION
L'expérimentation est indispensable ponr connaître
les phénomènes de la vie; l'observation ne saurait suf-
fire. L'observation et l'expérimenlation ne se distinguent
pas en réalité; elles se succèdent : l'observation com-
mence et l'expérimentation pousse plus loin l'étude du
phénomène jusqu'à la connaissance de ses causes immé-
diates ou de son déterminisme.
L'observation comme l'expérimentation a un double
but :
i° Localiser les phénomènes de la vie (géographie
des fonctions) ;
2" Les expliquer.
C'est comme dans l'histoire : il faut décrire la scène,
le théâtre des événements (géographie), puis exposer les
événemenls et le rôle des acteurs qui s'y meuvent.
A. — Les anciens physiologistes semblaient croire
que la localisation des fonctions était tout. Quand on
avait localisé anatomiquement une fonction ou une
maladie, on croyait avoir atteint le i)ut suprême. La
fonction s'expliquait ensuite par une enlité, force vitale,
propriété vitale, etc..
B. — La science moderne a montré qu'il n'en est
XII INTRODUCTION,
point ainsi. Quand on a localisé la fonction, il tant
descendre dans son explication qui est d'ordre physico-
cliimique spécial. C'est là, pour ainsi dire, que la
physiologie commence réellement et que la physiologie
générale a son domaine. Ici l'histologie est une science
nécess;iire, car il s'agit de la pliysiologie des éléments,
de leurs phénomènes de nutrition, etc.
L'expérimentation appliquée aux sciences biologiques
présente à considérer plusieurs principes fondamentaux.
i' Le déterminisme existe dans tous les phénomènes
de la vie comme dans ceux dont les corps bruts sont le
théâtre.
Par conséquent, la méthode expérimentale qui sert
à l'investigation physiologique repose sur les mêmes
principes que celle qui sert à l'investigation des phéno-
mènes physico-chimiques.
2" Le but de l'expérimentation biologique est de loca-
liser, décrire et expliquer les phénomènes de l'orga-
nisme vivant.
Les localisations sont des nécessités des mécanismes
organiques : mais elles ne sauraient être absolves. En
effet, dans les organismes inférieurs, où il n'y a pas de
mécanismes organiques, rien n'est localisé, tout se ré-
duit aux propriétés nutritives générales. Dans les orga-
nismes supérieurs, il n'en est plus de même; mais
encore là il y a des vicariats. Ainsi le rein expulse
l'urine, mais l'intestin pourrait le suppléer; d'autre
part, les organes se régénèrent, c'est-à-dire que l'orga-
nisme tend toujours à reconstituer son unité. Dans les
INTRODUCTION. XIII
systèmes vasculaire, nerveux, les localisalions sonl par-
fois très-difficiles. C'est là une question importante en
médecine et en physiologie. Les localisalions sont le but
poursuivi, parce qu'on croit à la relation entre la forme
et la fonction, ce qui n'est pas absolu.
\J explication des phénomènes vivants doit toujours
être ramenée à des lois, à des propriétés, à des condi-
tions, à (\q^ phénomèiws physico-chimiques. Seulement
ces phénomènes physico-chimiques sont de nature spé-
ciale. Ils ont des organes spéciaux, quoiqu'ils rentrent
dans les lois physico-chimiques générales. Ce sont des
ferments, des noyaux de cellules, etc., en un mot des
instruments chimiques qui n'existent que dans les êtres
vivants.
Pour les phénomènes organiques ou histologiques, il
il n'y a pas nécessairement relation entre la morphologie
et laphénoménalité. De même que la vie reste identique
dans toutes les formes d'organismes, de même les pro-
priétés de la vie sont identiques dans des éléments orga-
niques de forme différente, ce qui prouverait que ce
n'est pas à la morphologie, mais à la fonction chimique
que la propriété se trouve liée. La forme, en effet, ne
saurait rien dire pour caractériser les ferments, les
agents les plus importants de l'économie vivante. Le
protoplasma, qui paraît être la substance vitale par
excellence, n'a aucune forme déterminée. Je i)ense
même que les liquides organiques sont vivants, à moins
qu'il n'y ait des granulations moléculaires dune ténuité
extrême.
XIV lîNTilODUGTlON.
Il Y a dans les organismes deux côtés essentiels à con-
sidérer, au point de vue des phénomènes dont ils sont le
siège.
1" Il y a une force atavique^ vitale^ comme on voudra
l'appeler, en vertu de laquelle les organismes se suc-
cèdent, se répètent, vivent sans que nous puissions
saisir l'origine de cette force première. Le Darwinisme,
en admettant que les mécanismes vitaux peuvent avoir
une évolution qui les fasse tous procéder les uns des
autres, n'explique rien et ne dit rien relativement à
cette force première, qui reste tout aussi incompréhen-
sible pour nous. Le Darwinisme^ c'est la théorie cellu-
laire appliquée aux organismes. Tous les tissus pro-
viennent d'une cellule ; on voudrait que tous les
organismes procédassent d'un proto-type. Il ne s'agit
que de le prouver.
On ne peut échapper a l'idée que cette force ata-
vique, vitale inconnue est la cause cachée de tous les
phénomènes de la vie. Mais c'est là une cause à'ordre
métaphysique qui n'a aucune action par elle-même.
Elle pourrait à la rigueur être regardée comme une
résultante; mais elle ne possède aucun effet rétroactif
sur l'organisme qui l'aurait engendrée.
2" Toutes les causes ou toutes les conditions actives
sur l'organisme sont (Vovàx'Q physico-chimique. Sans ces
conditions matérielles, la condition atavique d'ordre
métaphysique reste inerte, cachée et comme si elle
n'existait pas : c'est une force dormante. Dans la méde-
cine, il y a une foule d'entités métaphysiques, fièvre,
génie morbide, etc. ; on ne peut pas agir sur ces entités,
INTRODUCTION. XV
on ne peut agir que sur le physique et par le phy-
sique.
On peut dire, en un mot, qu'il y a dans les orga-
nismes deux forces : La force législative ^ métaphysique:
la force executive^ physico-chimique.
Or, nous ne pouvons saisir dans nos études que les
forces executives physiques, les autres étant purement
subjectives, en dehors de notre portée et sans efTet
rétroactif.
On peut dire comme conséquence de la proposition
précédente : La physique agit sur la métaphysique,
??iais Jamais la f?iétaphysique nagit sur la physicfue.
Critique expérimentale. — C'est en vertu des prin-
cipes indiqués ci-dessus qu'on peut essayer de fonder
aujourd'hui la critique expérimentale qui repose :
1" sur le déterminisme, comme principe scientifique
absolu, tandis que les théories sont relatives. 2" La
critique repose également sur un autre principe fonda-
mental : la spécialité des agents physico-chimiques
dans l'organisme. C'est le principe que j'appellerai :
principe du vitalisme physico-chimique. 3" Un troisième
principe est celui de la mobilité excessive des phéno-
mènesvitaux, qu'il faut distinguer en phénomènes ^,y;«-
thétiquesQi en phénomènes analytiques ou fonctionnels.
Celte mobilité des phénomènes exige l'instantanéité et
la simultanéité dans les expériences comparatives, qui
sont toujours le critérium le plus sûr. 4° Il faut savoir
aussi que, lorsque lorganisme est disloqué, troublé par
une maladie ou autrement, les phénomènes synthétiques
XVI INTRODUCTION.
s'anôteiit, tandis que les phénomènes anali/tiqiies ou
de décomposition continuent et môme s'accélèrent. Il
en est de même après la mort : les phénomènes syn-
thétiques s'arrêtent, mais les phénomènes de désassi-
milation continuent. Ex. : foie, ferments digestifs, etc. ;
c'est là un principe important. 5" 11 y a autonomie des
tissus et des élémenls, mais//< situ^ ce qui prouve qu'il
y a des territoires spéciaux dans l'organisme. Là-dessus
sont fondées des méthodes expérimentales : circulations
artificielles, empoisonnements partiels, etc.
Conclusion. — Aujourd'hui il faut fonder la critique
expérimentale pour débarrasser la physiologie des expé-
riences qui l'encombrent et qui retardent sa marche.
Magendie a été l'initiateur de l'expérimentation sur les
êtres vivants; aujourd'hui il faut créer la discipline, la
méthode. Elle repose sur les principes que nous avons
exposés et qu'on pourrait développer beaucoup plus. Ce
livre ne sera que le développement des idées contenues
dans celte Introduction.
Claude BERNARD.
LEÇONS
DE
PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE
PREMIÈRE PARTIE
LA PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET LES VIVISECTIONS EN GÉNÉRAL
PREMIÈRE LEÇON
Sommaire : Nécessité d'établir une technique opératoire en physiologie. —
Plan de ces Leçons. — De la phijaiologie et de ses rapports avec la méde-
cine.— De l'expérimentation en physiologie. — Difficultés des expériences.
— De l'empirisme. — Des sciences pures et des sciences appliquées.
La médecine est une science appliquée. — Des progrès de la physiologie.
— De son caractère scientifique.
Messieurs,
Les leçons dont nous reprenons et poursuivons
aujourd'hui la série doivent avoir un caractère essen-
tiellement pratique. Nous avons, en effet, l'intention de
répéter devant vous, dans un ordre déterminé, toutes
les expériences physiologiques acquises définitivement
à la science, afin de vous expliquer les principes de la
méthode expérimentale. Les motifs qui m'ont engagé
à suivre cette voie dans mon enseignement dérivent de
la nature même de la science expérimentale. Il est
CL. BERNARD. — PHYS. OPÉR. 1
2 PIIYSIOLOGIK OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
impossible, en effet, d'enseigner convenablement cette
science sans avoir recours aux expériences. Or, c'est
là une condition qui ne peut jamais être complètement
réalisée dans un ensemble de leçons ordinaires. Et ce
n'est qu'en consacrant des leçons spéciales à cet objet
qu'on est à même d'initier l'étudiant aux principes de
l'investigation expérimentale. Pour devenir un physio-
logiste, comme pour devenir un chimiste ou un phy-
sicien, il faut vivre dans le laboratoire. Malheureu-
sement nous sommes trop peu pourvus en France de ce
genre d'établissements, si communs en Allemagne, où
l'on forme réellement de jeunes observateurs. Notre
intention est actuellement de suppléer à ce desideratum.
La liberté absolue dont nous jouissons au Collège de
France nous a permis d'entreprendre cette tâche.
En biologie, l'expérimentation rencontre des diffi-
cultés beaucoup plus grandes que celles qui peuvent
entraver le physicien ou le chimiste. Il suffit pour ces
derniers de se placer dans des conditions déterminées à
l'avance, toujours identiques, pour obtenir les mêmes
résultats. Le physiologiste, au contraire , obligé de
lutter contre les embarras créés par les expériences
elles-mêmes, ne réussit pas toujours à surmonter toutes
les difficultés qui entourent une opération pratiquée
dans un milieu vivant.
Le seul moyen d'obvier à ces difficultés consiste à
donner une définition exacte du modus faciendi. Sans
cette précaution, on n'arriverait jamais à des résultats
propres à établir des comparaisons et des rapproche-
ments. C'est pourquoi nous pouvons donner aux études
DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 3
qui vont suivre le titre de Leçons de phi/siologie opératoire.
Après les quelques indications qui précèdent, l'intro-
duction à rétude de la physiologie opératoire ne com-
porte pas des généralités très-étendues : il est cependant
indispensable de préciser encore plus nettement l'impor-
tance du sujet et les raisons qui nous l'ont fait choisir.
h^i physiologie est la science de la vie : elle doit servir
de base à toutes les autres sciences biologiques, et en
particulier à la médecine. Mais la physiologie est-elle
en efTet arrivée à un point de développement, à un état
de fixité, qui lui permette de servir de point de départ
aux sciences qui doivent en dériver? C'est ce que nous
allons examiner.
Toutes les sciences ont commencé par {'observation.
Pour ce qui est de l'étude des êtres vivants, ou a
cherché d'abord à se faire sur la nature des phéno-
mènes de la vie des idées entièrement h/pothétiques^
qui ont successivement disparu devant l'observation
directe, à laquelle on est revenu de plus en plus tous
les jours. Ou s'est d'abord demandé si les êtres vivants
sont de même nature que les corps bruts : on croyait
volontiers à l'existence d'un principe qui se trouverait
en eux et nulle part ailleurs; c'était la vie. On retrouve
encore dans \di Physiologie de Burdach (1; le reflet de ces
tendances. Après avoir étudié les fonctions des organes,
Burdach se demande si les données acquises nous
mettent en état de résoudre le problème de la vie. —
BufTon lui-même était porté à croire que dans la com-
i{) Burdach, Traité de phijsiologie considérée comme science d'observation ,
trad. par A. J. L. Jourdan. Paris, 1837-1841.
4 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
position des corps vivants entre un principe chimique,
qui leur serait particulier et qu'on ne trouverait pas
dans lescorps bruts. Mais la chimie moderne a démontré,
par la balance, qu'en dehors des principes minéraux on
ne trouve rien de particulier comme élément consti-
tuant des organismes vivants.
Reconnaître ce fait, c'est reconnaître que la7??^'Mof/<?
expérimentale s'applique aussi bien aux corps vivants
qu'aux corps bruts ; c'est reconnaître que les phéno-
mènes de la vie sont soumis à des lois comme les phé-
nomènes de la physique et de la chimie; c'est recon-
naître que la physiologie constitue réellement une
science^ une science rigoureuse.
Nous nous occuperons donc cette année de technique
expérimentale. En même temps, les études différentes
que nous entreprendrons successivement à ce point
de vue nous amèneront, par la diversité des faits passés
en revue, à des notions plus précises de physiologie
générale; nous verrons que les phénomènes de la vie
se prêtent à la méthode expérimentale tout aussi bien
que les phénomènes qui font l'objet des autres sciences,
telles que la physique, la chimie, etc.; nous verrons,
en un mot, et c'est là une notion générale qui domine
toutes les autres, nous verrons que, par cette méthode,
il nous est possible de pénétrer dans l'analyse de \?ivie,
et qu'il n'est pas vrai de considérer l'expérimentation,
ainsi que le disait Cuvier, comme troublant les phéno-
mènes vitaux, au point d'en dénaturer les manifestations
et d'égarer celui qui cherche à en saisir l'essence. Du
reste, nous devons le déclarer dès maintenant, l'expéri-
DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 5
mentation ne nous révélera nullement l'essence de ces
phénomènes : elle nous permettra de préciser les condi-
tions dans lesquelles ils se produisent, de déterminer
leurs causes médiates; mais quant aux causes immé-
diates, quant à leur nature intime même, nous ne
saurions espérer de nous en rendre couipte, pas plus
que la chimie ou la physique ne pénètrent la nature
intime des phénomènes, dont elles savent cependant
définir les causes et les conditions déterminantes.
Cette importance de la méthode expérimentale dans
l'étude des phénomènes de la vie est aujourd'hui géné-
ralement reconnue; en voyant combien cette méthode
est maintenant l'objet d'applications constantes, on a
même peine à se rendre compte des obstacles qu'elle a
rencontrés dès le début. Mais ces efforts généraux, dans
la voie expérimentale, portent en eux-mêmes leur dan-
ger : si tout le monde est aujourd'hui d'accord sur le
principe, il s'en faut de beaucoup que les applications
particulières soient aussi bien comprises. On fait des
expériences : on en fait beaucoup, sur toutes les ques-
tions et dans tous les sens. Mais ces expériences sont-
elles conduites d'après des règles rationnelles? Les
résultats obtenus sont-ils rigoureusement interprétés
d'après une détermination exacte des conditions expé-
rimentales réalisées? Nous croyons que trop souvent il
n'en est pas ainsi. C'est pourquoi, après avoir longtemps
lutté pour l'introduction de la méthode expérimentale
dans l'étude des phénomènes vitaux, et après avoir vu
le succès couronner nos efforts dans ce sens, nous
croyons qu'il nous reste encore plus à faire : après avoir
6 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRIÏ KT VIVISECTIONS.
contribué à établir le principe, nous devons chercher à
en régler les applications par des préceptes propres à
établir la critique des diverses expériences et à fixer les
procédés à suivre dans un certain nombre de recherches
prises comme types. — Tel sera l'objet de ce cours.
Ce qu'il faut aujourd'hui, ce n'est plus établir la
nécessité des expériences, c'est constituer une disci-
pline expérimentale qui précise et les circonstances et
les conditions de toute bonne recherche.
L'étude de ces moyens est plus importante qu'on ne
le croirait à priori. Ils sont une des conditions indispen-
sables pour arriver à cette physiologie expérimentale
scientifique qui est l'objet de tous nos efforts. Les incer-
titudes actuelles de la physiologie ont découragé bien des
expérimentateurs. Eschricht, qui s'était d'abord livré
à la physiologie expérimentale avec succès, Ta abandon-
née pour se livrer à l'analomie comparée, qui, par sa
méthode rigoureuse et ses résultats positifs, lui semblait
plus propre à satisfaire son esprit. Jean Muller était
arrivé au môme résultat vers la fin de sa carrière scien-
tifique : frappé de l'incohérence des résultats fournis
par les expériences, il finit par s'adonner uniquement à
la dissection des animaux inférieurs. Nous pourrions
encore citer l'exemple de Tiedemann.
Hâtons-nous de dire que nous ne sommes pas de ceux
qui se laisseraient encore décourager par les incertitudes
actuelles de la science. S'il y a eu, s'il y a encore tant
de fluctuations, elles tiennent au défaut de méthode, à
l'absence complète de disciphne dans l'expérimentation.
Il faut donc poser les règles qui serviront à faire de
DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 7
bonnes expériences, et, dans ce but, aucun détail pra-
tique ne doit nous paraître insignifiant ou d'une trop
mince importance. Nous ne craignons pas de le dire,
rien n'est plus difficile que les expériences de physiolo-
gie ; aussi, par manque de méthode et d'études prépa-
ratoires, nous voyons des expérimentateurs improvisés
arriver à des résultats en apparence contradictoires. Il
faut bien le dire aussi, ce défaut de méthode remonte,
jusqu'à un certain point, à Magendie. Ce grand expéri-
mentateur était essentiellement empirique ; il ne voulait
même pas qu'une idée mère dirigeât les expériences ;
celles-ci devaient venir s'entasser, sans vues précon-
çues, et, une fois accumulées, elles devaient pour ainsi
dire parler d'elles-mêmes. C'est ainsi que toute une
école médicale entassait les observations cliniques, sans
idée à priori, sans but entrevu d'avance, avec l'espoir
que la vérité sortirait d'elle-même de ces richesses
scientifiques laborieusement et patiemment acquises.
Magendie a été lui-même victime de cette méthode, ou
plutôt de ce manque de méthode ; il est arrivé parfois
à des résultats en apparence contradictoires.
Ce n'est pas à dire qu'il faille s'abandonner à la véri-
fication obstinée d'une idée préconçue ; entre ces deux
extrêmes se trouve un milieu légitime, c'est le domaine
de V expérimentation rationnelle.
Peut-être se deniandera-t-on comment cette étude
de technique et de critique expérimentale se rattache
au titre de l'enseignement de cette chaire ? Car, vous
le savez, le programme de notre enseignement com-
porte un cours de niédecine, et, quoique la nature
8 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
môme de riuslitution du Collège de France donne au
professeur la latitude la plus large dans le choix de son
sujet, il nous faut faire ici delà médecine, puisque c'est
là le litre de notre chaire. Eh bien! messieurs, j'espère
vous faire facilement comprendre que ces études de
technique et de critique expérimentale se rapportent
directement à la médecine, et qu'elles représentent
même la seule forme sous laquelle, dans l'état actuel de
nos connaissances, la médecine puisse être professée au
Collège de France.
Qu'est-ce donc que la médecine? Cette question vous
étonne par sa simplicité; mais en consultant les diverses
définitions qui ont été données de la médecine, vous
verrez qu'il n'est pas inutile de chercher tout d'abord à
bien s'entendre sur ce sujet : en effet, les uns en font
une science^ d'autres un «/Y, d'autres la regardent
comme une demi-science^ tenant à la fois de la science
pure et de l'art (Trousseau) ; d'autres en font une science
conjecturale (Cabanis), associant ainsi deux mots qui
sont incompatibles l'un avec l'autre. Si ceux qui ont
cherché à définir la médecine par une formule ne par-
viennent pas à s'accorder, tâchons du moins de nous
entendre, et, renonçant pour le moment à toute défini-
tion, examinons simplement l'état des choses.
Nous dirons d'abord que la médecine n'est, à nos
yeux, ni une science, ni un art.
Ce n'est pas un art, car l'art suppose une œuvre.
Où est l'œuvre du médecin? Est-ce le malade? Sans
doute, le médecin le réclamera comme son œuvre
quand il guérit, mais que sera-ce quand le malade
DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 9
meurt? Du reste, même quand le malade guérit, le plus
habile praticien n'avoue-t-il pas qu'il n'a été le plus
souvent que le collaborateur de la nature? Aussi beau-
coup d'auteurs ont-ils défini la médecine en disant non
pas que c'est Yart de guérir, mais simplement que c'est
la curadon des maladies, laissant ainsi indéterminée la
part qui revient au médecin et la part qui revient à la
nature. Le mot d'Ambroise Paré est bien connu :
«Je le pansai. Dieu le guarit. » — D'autre part, si
nous nous en rapportons à ce qu'en général on désigne
sous le nom (Yart, nous voyons que l'art consiste en
des créations de l'esprit dont les procédés peuvent
arriver très-primitivement à un degré de perfection
qui défie tout progrès, et que l'art diffère ainsi de la
science, laquelle a pour nature même un progrès inces-
sant. Ainsi les sciences modernes ont laissé bien loin
derrière elles la science grecque ; mais l'art grec, de
l'aveu de tous, n'a pas été dépassé par l'art moderne.
A ce point de vue, la médecine ne saurait être un art,
car elle a fait bien des progrès depuis le Grec qui a
reçu le nom de père de la médecine, et il est permis
d'affirmer que ces progrès ne sont encore rien, à côté
de ceux qu'elle est appelée à faire.
Ce n'est pas non plus une science, du moins à son
état actuel d'évolution et dans le sens qu'on donne
généralement au mot science. La médecine est une
application de diverses sciences : c'est une profession
qui met en pratique des données théoriques réellement
scientifiques. Mais il ne faut pas confondre la pratique
et la théorie. Sous ce rapport, l'École où est enseignée
10 rnYSiOLOGiii: opératoire et vivisections.
la médecine diffère complètement des autres Facultés,
et, en précisant cette différence, il sera facile de com-
prendre la distinction sus-indiquée. A la Faculté de droit,
par exemple, on enseigne le droit, c'esl-à-dire la théorie ;
mais on n'enseigne pas l'art de plaider, c'est-à-dire la
pratique ; à la Faculté dessciences il est des cours de chi-
mie, de physique, mais aucun enseignement n'est consa-
cré aux diverses applications industrielles de ces sciences
pures. — Au contraire, l'École de médecine donne un
enseignement qui comprend à la fois les notions pure-
ment scientifiques, en même temps qu'il prépare aux né-
cessités de la pratique, aux applications de ces notions;
c'est même par ce côté pratique qu'on définit le plus
généralement la médecine en l'intitulant Fart ou la
science de guérir. Or, définir une science par ses appli-
cations, c'est méconnaître absolument le caractère des
sciences et la règle absolument générale qui tait qu'on
les caractérise précisément par leur côté théorique pur;
on définit la géométrie^ la science qui nous apprend à
connaître l'étendue considérée comme ligne, surface et
corps, et on ne la définit pas comme l'art de mesurer les
surfaces et les lignes; ceci est l'arpentage, qui n'est
qu'une application de la géométrie. On définit \di physique
et la chimie, la science qui nous apprend k connaître les
propriétés des corps, et non la science de construire tel
appareil thermométrique ou de produire tel composé
chimique industriel. En un mot, je le répèle, on ne
définit jamais les sciences par leurs applications pra-
tiques, mais par leurs données théoriques.
Mais la médecine a eu une origine éminemment pra-
DE LA MÉTHODE EXPÉRlMliMALE 11
tique : s'il n'y avait jamais eu de malades, il n'y aurait
jamais eu de médecin ; celui-ci n'a existé tout d'abord
que pour lépondre à la nécessité pratique, et par suite
la médecine n'a été jusqu'à présent définie que par
cette pratique même. Mais ce n'est pas à dire que ce
côté pratique doive toujours exister seul ; nous le disons
hardiment, et les explications dans lesquelles nous
allons entrer vous le feront comprendre, la médecine
théorique devra prendre à son tour son existence,
existence indépendante et réelle ; ce sera la médecine
scientifique, la médecine sans malades, c'est-à-dire au-
dessus de toutes les considérations pratiques.
Pour le moment la médecine, telle qu'elle existe, est
une profession qui applique les données théoriques d'une
série de sciences diverses; c'est ainsi que l'agriculture
consiste dans l'application des données théoriques de la
botanique, de la physiologie végétale, de la chimie, de
la géologie, mais il n'y a pas une science qui soit l'agri-
culture. De même, si vous parcourez le programme des
cours de la Faculté de médecine, vous verrez qu'il n'est
pas une chaire dont l'enseignement soit consacré à une
entité scientifique répondant au mot abstrait de méde-
cine: ici on enseigne l'anatomie, ailleurs la physiologie,
ailleurs la chimie, la physique, l'anatomie pathologique,
la pathologie, etc. , etc., et c'est seulement l'application
des notions puisées à ces diverses sources scientifiques
qui constituent la médecine tout entière.
Ou s'étonnait, dans un rapport officiel, que les diffé-
rentes parties que contient l'enseignement de la méde-
cine fussent distribuées à l'École de médecine en plus
15 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
de trente cours différents, et que le Collège de France,
dans sa seule chaire, intitulée simplement Cours de
médecine, semblât appelé à donner par un seul homme
l'enseignement que se partageaient ailleurs tant de pro-
fesseurs spéciaux. C'est au contraire que le titre de
Cours de médecine indique ici que le professeur est
appelé cà choisir parmi les nombreuses sciences qui
toutes contribuent à l'enseignement médical ; et, en
effet, la chaire de médecine, l'une des premières créées
lors de la fondation du Collège de France, a été suc-
cessivement consacrée à l'étude de toutes les branches
qui constituent le faisceau des connaissances médicales:
elle a été occupée par des anatomistes, comme Ferreiii;
par des hygiénistes, comme Halle ; par des botanistes,
comme Tournefort; par des anatomo-pathologistes,
comme Laennec ; par des physiologistes , comme
Magendie. On a donc trouvé ici toutes ces branches,
anatomie, physiologie, histoire naturelle, etc., repré-
sentées successivement, comme elles le sont simultané-
ment à l'École de médecine. Seulement ces choix suc-
cessifs de telle ou telle branche n'ont pas été faits au
hasard ; ils ont porté à chaque époque sur les sciences
dont les progrès étaient dans le rapport le plus intime
avec ceux des connaissances médicales. C'est ainsi
qu'aux purs anatomistes ont succédé les anatomo-
pathologistes, qui, comme Laennec, ont fait faire un pas
immense à la connaissance des maladies et aux procédés
de diagnostic.
Si depuis Magendie nous choisissons la physiologie
comme objet de notre enseignement, c'est que cette
DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 13
science est aujourd'hui celle qui porte les plus vives
lumières dans les connaissances médicales ; c'est elle
qui est appelée à faire sortir la médecine de l'empirisme
pur et à en faire une véritable science. Voyons donc ce
qu'a été la médecine depuis ses débuts et ce qu'on peut
espérer qu'elle sera un jour.
La médecine a été et devait fatalement être, à ses
débuts, purement empirique; tels ont, du reste, été les
débuts de toutes les sciences les plus nettement consti-
tuées aujourd'hui. L'art de faire du verre existait avant
qu'on connût ce que c'est que les silicates, avant que
la chimie scientifique eût pris naissance ; de même pour
la métallurgie, qui constituait une des industries les plus
avancées bien des siècles avant que la chimie des métaux
fût constituée ; on avait construit des instruments
d'optique grossissant et des télescopes, avant de con-
naître les plus simples lois de la réfraction de la lumière,
avant que la science physique fût constituée. De même
il a fallu que l'homme, en présence des maladies, aiguil-
lonné par le danger, cherchât des moyens d'éviter ces
maladies, et des agents plus ou moins heureux pour les
combattre, avant de se rendre compte soit de la nature
de ces agents, soit de la nature des phénomènes contre
lesquels ils étaient employés. iMais cet état empirique,
commun à toutes les sciences à leur début, s'est pro-
longé pour la médecine plus longtemps que pour toutes
les autres sciences ; cet état est encore en grande partie
aujourd'hui celui de la médecine, tant sont complexes
les connaissances diverses appelées à la constituer.
Cependant, il est bien reconnu aujourd'hui que la
14 PHVSIOLOGIli: OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
médecine, outre son côté pratique, a aussi son côté
théorique; que cette théorie est en voie de formation,
c'est-à-dire que la médecine tend à devenir une véri-
table science. La médecine pratique ayant pris naissance
par la nécessité de secourir le malade, on a été natu-
rellement porté à faire du malade et de la maladie des
choses tout à fait spéciales, dont l'étude appartenait au
médecin seul; quant à l'étude de l'homme sain, de ses
fonctions, des propriétés de ses tissus et de ses organes,
quant à la physiologie, en un mot, c'était une chose
tout à fait à part, dont les médecins consentaient bien
à acquérir quelques notions; c'était une étude consi-
dérée plutôt comme agréable que comme réellement
utile : la physiologie était le roman de la médecine. Il
faut, du reste, reconnaîtrequ'en effet, pendantlongtemps,
la médecine, ayant, si nous pouvons ainsi dire, à pour-
voir au plus pressé, agissait sagement en se cantonnant
dans l'empirisme, et que la physiologie n'était nulle-
ment en mesure de lui fournir des connaissances suffi-
santes pour que la pratique se déduisît de la théorie.
Mais l'étude de l'organisme sain, Tanatomie et la
physiologie ont marché, et le résultat le plus général de
ces progrès a été de faire tomber cette barrière élevée
entre les phénomènes de l'organisme sain et les phéno-
mènes de l'organisme malade. 11 y a peu d'années, on
admettait que certains tissus malades n'avaient pas
leurs analogues dans les tissus normaux ; on croyait à
des produits hétérologues ; on a reconnu aujourd'hui que
les formes anatomiques (histologiques) des tissus patho-
logiques ne diffèrent réellement pas de celles des tissus
DE LA. MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 15
sains. On reconnaît aussi qu'il n'y a pas non plus de
phénomènes hétérologues ; les processus morbides,
regardés comme des entités, ne sont que des formes
exagérées ou diversement modiflées des processus nor-
maux, physiologiques. L'étude de la fièvre devient un
chapitre de l'étude des phénomènes de calorification,
considérés à l'état normal et à l'état morbide. La physio-
logie pathologique du diabète a pour base la physiologie
de la fonction glycogénique et de la nutrition. Ces deux
exemples suffisent pour montrer que l'étude des trou-
bles morbides a pour base celle des fonctions normales,
et il est en effet facile de comprendre qu'il doit en être
de la machine animale comme de toute machine, dont
il serait difficile d'apprécier les dérangements et d'y
porter remède, sans la connaissance théorique de la
disposition de ses rouages et de leur fonctionnement.
Trop souvent, les médecins se plaisent à constater
que la physiologie n'explique pas tel phénomène mor-
bide; mais la physiologie expérimentale date d'une
époque si récente, qu'il n'est pas étonnant de ne la voir
donner l'explication que d'un nombre très-restreint de
phénomènes. Il n'est pas permis de dire, en parlant de
n'importe quel symptôme morbide, que la physiologie
est impuissante à l'expliquer ; on peut seulement dire
qu'elle ne l'explique pas encore aujourd'hui.
Lorsque la physiologie aura donné tout ce qu'on lui
demande, tout ce qu'on est en droit d'attendre d'elle,
il n'y aura plus deux sciences, comprenant l'une la con-
naissance de l'organisme sain, l'autre la connaissance
de l'organisme malade: il n'y aura plus une médecine
16 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
et une physiologie. La physiologie, devenue la science
complète de la vie, embrassera aussi bien les phéno-
mènes normaux que les phénomènes anormaux, ces der-
niers dérivant des premiers. La physiologie sera la
médecine devenue science théorique, et de cette théorie
se déduira, comme pour toutes les autres sciences, les
applications nécessaires, c'est-à-dire la pratique médi-
cale.
Déjà dans quelques pays nous voyons se réaliser cette
tendance à établir une médecine théorique, c'est-à-dire
scientifique, bien distincte de la médecine profession-
nelle. Nous faisons allusion à certains usasfes établis
d'une manière plus ou moins nette dans quelques écoles
allemandes : après leurs études à l'université, les jeunes
gens qui ont étudié l'anatomie et la physiologie normales
et pathologiques, reçoivent le titre de docteurs en méde-
cifie ; mais ce titre, purement scientifique, ne leur donne
aucun droit à la pratique ; s'ils veulent exercer la méde-
cine, il leur faut s'attacher à des praticiens, les suivre
dans leurs visites cliniques, et enfin subir ce qu'on
appelle Y examen d'état, destiné à constater qu'après les
connaissances théoriques le candidat a su acquérir
l'habitude pratique, le manuel opératoire, le tact cli-
nique nécessaires à une bonne application de ces con-
naissances. Chez nous, vous le savez, quoique certains
examens aient un caractère plus spécialement théo-
rique ou pratique, l'ensemble des épreuves réunit
ces deux caractères, et le titre de docteur en méde-
cine est le couronnement commun des connaissances
théoriques et des aptitudes pratiques confondues en
DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 17
un tout, comme elles sont confondues dans l'enseigne-
ment.
Ici, dans la chaire de médecine du Collège de France,
c'est la médecine théorique seule, c'est-à-dire la mé-
decine scientifique, qui doit trouver place : cette
science que nous devons étudier, c'est la physiologie,
laquelle est unique. L'expression de physiologie nor-
male et de physiologie pathologique n'a qu'une valeur
provisoire : l'organisme malade ne saurait obéir à
d'autres lois que l'organisme sain ; il n'y a pas une
mécanique normale et une mécanique anormale,
pour expliquer d'une part la marche régulière et
d'autre part les dérangements d'une machine ; les
masses d'une construction qui s'élève, comme celles
d'un monument qui s'écroule, obéissent aux mêmes lois
de pesanteur et d'équilibre : les conditions seules sont
changées, mais non la nature des phénomènes. De même
pourles organismes vivants, l'anatomie normale et patho-
logique, la physiologie normale et pathologique, obéis-
sent aux mômes lois, dont l'étude représente la partie
scientiBque, théorique, de la médecine : la clinique en
est l'application.
Mais il ne faudrait pas même conclure de cette divi-
sion qu'il y a dans la médecine deux sciences : l'une
théorique, l'autre pratique, et croire qu'en général il y
â, à côté des sciences théoriques, de véritables sciences
«/?/)//^Me>5. Ya-t-ildeuxchimies, l'une théorique, l'autre
pratique? Y a-t-il deux physiques ? Non, sans doute. Il
en est de môme pour la médecine : il n'y a qu'une
science, la science des phénomènes des êtres vivants, la
CL. BERNARD. — PHYS. OPER.
18 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
physiologie, et ici, comme pour les exem[)les précédents,
le praticien, le clinicien, ne fait qu'appliquer ce que lui
apprend la science pure.
Cependant, direz-vous, le praticien interprète, il est
vrai, les phénomènes anormaux d'après les lois de la
physiologie qui les rattache aux phénomènes normaux ;
mais, d'autre part, il agit sur ces phénomènes, il
cherche à s'en rendre maître ; il s'occupe de théra-
peutique^ et n'est-ce pas là une science pratique dis-
tincte? Non, certainement. La thérapeutique, ou
étude de Taction des médicaments, est de la physio-
logie au premier titre ; elle relève directement de la
théorie et n'en est qu'une application. Sans les don-
nées de la physiologie, la thérapeutique est réduite
à cet empirisme grossier qui était seul possible dans les
premiers temps, mais dans lequel il serait honteux de
vouloir cantonner aujourd'hui la pratique médicale.
Sans doute la thérapeutique, comme application à des
cas particuliers des lois de l'action physiologique des
substances actives, la thérapeutique, à cause de la
complexité de ces cas divers, demande un tact par-
ticulier, un art tout spécial, pour saisir, comme par
intuition, les mille indications et contre-indications qu'il
est encore impossible de fixer par des lois. C'est ce sen-
timent des nuances qui donne à la pratique médicale
(juclque chose du caractère d'un art, et en fait une
œuvre marquée dun cachet personnel. Mais ce besoin
d'un certain génie particulier, d'un tact individuel, ce
besoin résulte précisément de ce que la science théo-
rique est loin d'être faite, toutes les lois qui régissent
DE LA MÉTHODE EXPÉRI3IENTALE. 19
l'organisme n'étant pas encore fixées. En suppléant k
l'ignorance par une certaine intuition qu'on peut appeler
artistique, le praticien ne tait pas une science : il
applique la science courante avec plus ou moins d'habi-
tude et de bonheur.
Nous dirons donc que la physiologie est la science des
phénomènes de la vie, c'est-à-dire de ces phénomènes
dans leurs différentes manifestations normales et patho-
logiques, et selon les modifications qu'elles subissent par
l'intervention de divers agents. La physiologie comprend
donc la médecine scientifique, puisqu'elle comprend
toute la science de la vie, puisque, en étudiant la vie et
ses conditions, elle analyse les rapports de l'organisme
vivant avec les milieux ambiants et l'influence de ces mi-
lieux selon leurs modifications physiques, chimiques, etc.
Or, les modifications physiques de ces milieux nous
donnent la clef de certains phénomènes morbides, tels
que ceux que produit l'excès de chaleur, et nous étu-
dions par exemple la mort par excès de chaleur. Ou bien
ce milieu met l'organisme en contact avec des substances
nuisibles qui n'entrent pas d'ordinaire dans sa com-
position, et nous sommes ainsi amenés à l'étude des
miasmes, des poisons, etc., et des troubles morbides
qu'ils produisent. Mais en étudiant ces troubles et les
substances qui les occasionnent, nous trouvons que l'ac-
tion de telle substance se fait dans un sens tel, qu'en
employant cette substance à une certaine dose nous
pouvons nous en faire un moyen d'arrêter ou même de
supprimer tel phénomène fâcheux, tel trouble morbide,
dont celte substance devient alors le remède, et nous
20 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
sommes ainsi amenés à poser les bases de la thérapeu-
tique.
On voit donc que tout se tient dans cette étude de la
vie, et que la physiologie, ou médecine scientifique, com-
prend à la fois ce qu'on a artificiellement séparé sous
les noms de physiologie normale, de physiologie patho-
logique et de thérapeutique. Au point de vue pratique,
c'est certainement la thérapeutique qui intéresse au plus
haut degré le médecin ; or, c'est précisément la théra-
peutique qui doit le plus de progrès à la physiologie
expérimentale. Au lieu de composer des remèdes qui,
comme la classique thériaque, renfermaient une infinité
de composés d'origines les plus diverses et que la vieille
pharmacopée semble n'avoir si bizarrement assortis
qu'afin que chaque maladie y trouve son antidote spécial,
mais inconnu, nous employons aujourd'hui des princi-
pes purs, exactement dosables et à action parfaitement
connue ; nous savons non-seulement quelle est cette
action, mais nous avons pu encore préciser sur quels
éléments anatomiques elle porte, et tout cela, grâce à
la physiologie expérimentale, qui, même dans l'opium,
nous a permis de reconnaître des alcaloïdes à actions
diverses ou opposées. Ainsi , au lieu d'administrer
l'opium, qui renferme des alcaloïdes hypnotisants et des
alcaloïdes convulsivants, et qui, par suite, selon les sus-
ceptibilités individuelles, produit de l'excitation chez
l'un et de l'anesthésie chez l'autre, nous employons les
alcaloïdes de l'opium, c'est-à-dire les principes actifs
isolés et purifiés, nous permettant de produire exacte-
ment à un degré voulu le résultat cherché. En faisant
DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 2i
ces recherches expérimentales sur l'action des alcaloïdes
de l'opium, ne faisions-nous pas réellement de la belle et
bonne médecine, puisque les fciits ainsi établis sont
aujourd'hui d'une application journalière dans la pra-
tique ? Mais nous faisions de la médecine en dehors du
malade, sans idée des applications qui devaient fatale-
ment en être déduites ; nous faisions de la médecine
théorique, c'est-à-dire scientifique, c'est-à-dire de la
physiologie.
Du reste, permettez-moi cette remarque générale,
c'est toujours ainsi que procèdent les sciences. Ce n'est
pas en cherchant une application que se font les décou-
vertes; c'est en cherchant les faits, les lois scientifiques,
la science pure, en un mot ; la théorie une fois faite, la
pratique en dérive nécessairement, fatalement. Chevreul
cherchait-il une application industrielle en étudiant la
composition des corps gras? Préoccupé de problèmes de
chimie pure, il dédouble les graisses en glycérine et
acides gras, et cette découverte, qui fait faire un pas
immense à la théorie de la constitution de toute une
classe de corps, a aussitôt, comme conséquence impré-
vue, une des plus grandes applications industrielles de
nos jours, la fabrication des bougies stéariques. Quand
Arago, étudiant pour la première fois les phénomènes
singuliers de l'aimantation d'une barre de fer doux par
le passage d'un courant électrique, se livrait à des
recherches présentant au plus haut degré le caractère
spéculatif de la science pure et théorique, le fciit de
physique dont il étabhssait les lois devait avoir pour
application l'invention du télégraphe.
52 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
Je ne multiplierai pas ces exemples : lascience moderne
en offre mille semblables et qui vous sont familiers.
C'est pourquoi nous nous attacherons, Messieurs,
à l'étude de la physiologie pure, dégagés de toute
idée de pratique, mais sachant par avance que nous
faisons ainsi de la médecine scientifique, car de chaque
découverte en physiologie résultera nécessairement une
application médicale pratique.
Nous ferons donc de la physiologie expérimentale. Le
principe de l'application de l'expérimentation à l'étude
des phénomènes de la vie étant aujourd'hui universelle-
ment admis, nous entrerons dans le détail de la mise en
œuvre de ce irrincipe ; nous le développerons en pré-
ceptes applicables à chaque ordre de recherches; quant
à ces divers ordres de recherches, je crois vous les
avoir suffisamment indiqués dans les considérations
précédentes; nous étudierons les phénomènes de l'orga-
nisme normal et les modiûcations qu'ils présentent pour
constituer ce que l'on nomme létat pathologique ; nous
étudierons l'action des substances toxiques, et nous
verrons de même comment elles peuvent modifier les
phénomènes vitaux aussi bien dans leurs formes nor-
males que dans leurs formes pathologiques. Ceci sera
conforme à la définition de la médecine telle (|ue nous
l'avonsdonnée précédemment : La médecine est la science
qui nous apprend à connaître les phénomènes de la vie,
aussi bien dans leurs formes normales et anormales,
ainsi que les modifications que ces phénomènes su-
bissent de la part de divers agents.
DEUXIÈME LEÇON
Sommaire : De la méthode expérimentale. — Observation et expérience. —
L'expérience est une observation provoquée. — Il n'y a pas de distinction
absolue entre l'observation et l'expérience. — Induction et déduction. —
Complexité des phénomènes à étudier chez les êtres vivants. — De l'usage
des hypothèses en physiologie expérimentale. — État d'esprit nécessaire
à l'institution de bonnes expériences.
Messieurs ,
Dans toutes les sciences expérimentales, on a établi
et fixé les procédés expérimentaux reconnus les meilleurs
pour arriver à constater tel fait ou à instituer des
recherches dans tel ordre de choses : pour telle analyse
chimique destinée à nous éclairer sur l'existence de tel
corps simple dans un composé quelconque, il est des
règles à suivre et dont l'investigateur ne saurait s'écarter
sous peine de voir infirmer ses résultats par défaut de
rigueur dans l'institution de son expérience. Il n'en est
malheureusement pas ainsi en physiologie expérimen-
tale. L'enthousiasme pour la méthode expérimentale
s'est ici répandu si subitement, si universellement, et
on s'est si peu rendu compte de la complexité des
phénomènes à étudier, que chacun a cru pouvoir
aborder l'expérimentation sans s'être livré au moindre
apprentissage ; aussi les résultats obtenus et annoncés
ne doivent-ils être acceptés qu'avec une extrême réserve,
24 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
après examen sérieux des procédés employés, après une
critique exacte de l'expérience. Il serait donc on ne
peut, plus utile de fixer ces procédés ; et c'est, vous le
savez, à l'établissement d'expériences typiques que
nous devons consacrer ces leçons ; nous ferons donc de
la technique et de la critique expérimentales.
Qu'est-ce donc que l'expérimentation ? Telle est la
question que nous devons ici nous poser tout d'abord.
Il est d'autant plus nécessaire d'y répondre, que beau-
coup de médecins discutent encore sur les avantages
comparés de l'expérience et de l'observation : les uns
préfèrent l'observation, qui, disent-ils, est le véritable
procédé des sciences médicales, cliniques; les autres,
tout en accordant à l'expérience la valeur qu'on ne
saurait lui refuser, distinguent deux méthodes : la mé-
thode expérimentale et la méthode d'observation ; de
là à admettre deux médecines, la médecine d'observa-
tion et la médecine d'expérimentation, il n'y a qu'un
pas, que plusieurs, même parmi nos contemporains
des plus éminents, n'hésitent point à franchir. Vous
voyez donc que la question est d'une importance pri-
miordiale.
Or, j'espère vous démontrer que ces préférences sont
injustes, que ces distinctions sont mal fondées, que ni
les unes ni les autres n'ont de raison d'être ; qu'expé-
rience et observation ne sont essentiellement qu'une
seule et même chose.
Cette manière de voir n'est pas nouvelle. Déjà Bacon
ne distinguait pas l'observation de l'expérience : c'était
pour lui deux moyens égaux d'amasser, au môme litre,
OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 25
les faits que l'esprit élabore ensuite pour en tirer les
conclusions générales. Mais Zimmerman, qui a écrit
trois volumes sur l'expérience, pose en principe la dis-
tinction sus-indiquée : pour lui, l'observation diffère de
l'expérimentation en ce que, dans la première, le phé-
nomène se présente naturellement à l'observateur,
tandis que, dans la seconde, il y a intervention de la part
de l'investigateur, qui fait effort pour obtenir un résultat
dans un sens donné. Cuvier, qui admettait une sem-
blable distinction, l'exprimait très-nettement en ces
termes : « L'observateur écoute la nature, l'expérimen-
tateur l'interroge. »
Chevreul donne à l'expérience le nom de méthode
expérimentale à 'posteriori \ c'est que, dit-il, l'observation
nous montre un phénomène, puis, pour reproduire ce
phénomène qui s'est spontanément présenté, pour
vérifier l'idée que nous nous en faisons, nous instituons
une expérience. C'est à ce travail de vérification qu'il
donne le nom d'expérience.
Si nous quittons les définitions pour nous en rappor-
ter aux faits , si nous considérons ce que font l'expéri-
mentateur et l'observateur, nous allons voir que toutes
ces distinctions s'évanouissent.
L'observateur, dit-on, est passif et l'expérimentateur
actif au contraire. Mais prenons un exemple. Nous
nous trouvons en face d'un homme ou d'un animal pris
de vomissements : nous constatons létat des matières
rejetées, nous observons le mécanisme visible de ce
vomissement ; c'est là pour tout le monde de l'obser-
vation. D'un autre côté, nous prenons un animal
26 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
intact, et, en lui pratiquant une fistule gastrique, nous
allons directement étudier ce qui se passe dans l'esto-
mac pendant la digestion ou au moment du vomisse-
ment; celte fois, c'est bien de l'expérience. Mais voici
que le médecin américain Beauniont se trouve en pré-
sence d'un chasseur canadien auquel un coup de feu a
accidentellement ouvert l'estomac , avec production
consécutive d'une fistule gastrique, telle que nous en
faisons sur les animaux; par celte fistule, il étudie ce
que nous étudions sur les animaux en expérience , et il
l'étudié exactement comme nous le faisons chez les
animaux. Est-ce de l'observation pure et simple ? n'est-
ce pas plutôt de l'expérimentation, et refusera-t-on ce
caractère à cette série de recherches, parce que la fis-
tule qui les a permises a été le résultat d'un accident et
non le fait d'une intervention volontaire de la part de
l'expérimentateur?
Ainsi l'état passif ou actif de l'investigateur ne saurait
nous servira établir une véritable distinction entre ce
qu'on veut appeler observation pure, et ce qu'on veut
désigner sous le nom d'expérience. On ne peut pas non
plus établir ce caractère distinctif en disant que l'expé-
rience est destinée à contrôler les résultats de l'observa-
tion. En effet, d'une part, l'observation peut être con-
trôlée purement et simplement par une nouvelle obser-
vation; c'est ce qui a lieu tous les jours : lorsque, par
exemple, une épidémie se produisant dans un certain
milieu, l'observation tend à en attribuer la cause à l'un
des éléments particuliers de ce milieu, si, dans une autre
contrée, avec la même condition de milieu, on observe
OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 27
la même épidémie, cette nouvelle observation est le con-
trôle de l'hypothèse émise, lors de la première, sur les
rapports de cause à effet relativement à l'épidémie.
D'autre part, on fait souvent des expériences sans idée
de contrôle, parce qu'il n'y a rien à contrôler : lorsque,
par exemple, on se trouve en présence d'une substance
nouvelle, sur les propriétés physiologiques de laquelle
on n'a aucune donnée, on fait alors, comme disait Ma-
gendie, des expériences pour voir; puis les résultats
obtenus par les premières expériences sont alors con-
tri»lés par de nouvelles expériences.
Dira-t-on, avecMagendieet Laplace, que l'observateur
étudie des phénomènes naturels, et que l'expérimen-
tateur étudie des phénomènes troublés par son interven-
tion ? Mais alors les vivisections les plus considérables,
celles, par exemple, dans lesquelles on ouvre un animal
pour observer les mouvements du cœur et de la circu-
lation, ces vivisections ne seront que des observations
tant qu'on ne troublera pas le jeu des appareils circula-
toires; et faudra-t-il admettre que du moment où
on lie une artère, du moment où on coupe un vais-
seau, faudra-t-il admettre, en un mot, que du mo-
ment où on entrave d'une manière quelconque la
circulation, l'observation se change aussitôt en expé-
rience? Du reste, l'observation porte souvent sur des
phénomènes troublés d'une manière plus ou moins
directe par l'observateur : un accident, un oubli, ont
souvent été l'occasion d'une découverte en présentant
à l'observateur des phénomènes nouveaux et inatten-
dus, dont la manifestation n'était ni spontanée, ni
28 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
volontairement provoquée. Qui nous dira si clans ce cas
l'investigateur a dû ses résultats à une expérience ou à
une observation?
Nous concluons en disant qu'à nos yeux il n'y a pas
de distinction réelle à établir entre l'observation et l'ex-
périence ; ce sont, à titres égaux, des moyens de re-
cueillir des matériaux, c'est-à-dire des faits. D'ordinaire
on commence par observer simplement les tàits qui se
présentent. iMais cette ressource est bientôt épuisée; on
s'aperçoit qu'elle ne nous montre qu'un côté des choses,
qu'elle ne nous révèle que l'extérieur des phénomènes.
Alors on cherche à aller plus profondément. Les diffé-
rentes périodes de l'histoire de la médecine nous mon-
trent bien ces phases successives. On a commencé par
observer des malades ; mais l'analyse exacte des mani-
festations extérieures symptomatiques a été plus tard
trouvée insuffisante : alors on a voulu regarder dans
l'intérieur des cadavres de ceux qui avaient succombé
aux affections dont les symptômes avaient été soigneu-
sement notés, et enfin on a voulu encore pénétrer dans
l'intérieur de l'organisme vivant lui-même, et, ne se
contentant plus de l'anatomie pathologique, on a fait de
la physiologie pathologique. Or, cette recherche ne peut
se faire sur l'organisme humain : on a donc recours aux
animaux; on provoque artificiellement chez eux des
maladies; on fait en un mot de l'expérimentation au
premier chef.
Nous voyons donc qu'on a recours à l'expérience
lorsque l'observation est épuisée ; mais alors, aux phé-
nomènes qu'on provoque, on applique purement et
OBSERVATION ET EXPl-RIENCE. 29
simplement l'observation. Ce que fait l'expérimentateur,
c'est élargir le champ de l'observation : l'expérience est
une observation provoquée, dont on détermine d'avance
les circonstances. L'observation pure et simple ayant
donné les caractères extérieurs des phénomènes, l'in-
vestigateur pénètre plus profondément et va au-devant
de phénomènes cachés quil force à se produire en plein
jour.
Ainsi, en passant de ce qu'on appelle l'observation à
ce qu'on appelle l'expérience, nous ne faisons qu'é-
tendre et creuser le terrain de nos recherches, et c'est
toujours l'observation, dans des conditions nouvelles,
qui nous sert à recueillir les faits. Il n'y a donc pas à
distinguer entre l'obseryalion et l'expérimentation, si
ce n'est que cette dernière, par son caractère d'obser-
vation provoquée, est infiniment plus délicate et plus
dilficile que l'observation simple, car, en créant de
nouvelles conditions à la manifestation des phénomènes,
elle nous place dans un milieu infiniment plus com-
plexe; mais il serait même inexact de faire de ces dif-
ficultés un caractère de l'expérimentation, car pour
bien des cas l'observation pure et simple n'est pas moins
délicate, et l'on se trompe aussi bien en recueillant des
observations qu'en instituant des expériences.
Qu'ils soient le résultat de l'observation ou de l'expé-
rience, les faits, une fois amassés n'importe par quelle
méthode, doivent être interprétés^ comme disait Bacon:
ils doive[it subir, de la part de notre esprit, une élabo-
ration qui nous conduit aux formules générales, but
ultérieur de nos recherches.
30 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
Celte élaboration se fait, dit-on, par induction ou par
âikluclion. Or voilà deux expressions sur lesquelles, au
point de vue de nos recherches spéciales, nous sommes
encore tenu de nous expliquer : il nous faut chercher
quelle différence il y a entre l'induction et la déduction,
quelles sont les sciences inductives et déductives, et à
laquelle de ces sciences appartient la physiologie.
Par la déduction, dit-on, nous allons du général au
particulier : partant d'un principe, on en fait des ap-
plications à des cas particuliers. Telle est la méthode
des sciences mathématiques, qui, dans tous leurs déve-
loppements, se réduisent toujours à partir d'un prin-
cipe pour en déduire toutes les conséquences possibles.
Au contraire, dans Xindnction, nous partons des faits
eux-mêmes, c'est-à-dire des cas particuliers, et de
l'étude de ces cas nous recherchons à remonter vers
une loi générale, vers un principe. C'est une marche
absolument inverse de la précédente.
Dans la déduction, l'esprit part donc d'un principe,
et ce qui est caractéristique de cette méthode, c'est que
ce principe n'est pas discuté; il est posé comme abso-
lument exact : le mathématicien part ainsi de formules
qu'il pose lui-même comme évidentes par elles-mêmes ;
ce qu'il en déduit est obtenu par les procédés rigoureux
du raisonnement, et du moment que le principe est in-
discuté, les conséquences le sont également : elles n'ont
pas besoin de vérification matérielle.
Ce caractère n'appartient qu'aux mathématiques
pures dans lesquelles, nous le répétons, on pose, on fait
soi-même le principe qui sert de point de départ. Mais
OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 31
dès qu'eu u'a pas fait soi-même les choses, on a beau
procéder par des méthodes empruntées aux mathéma-
tiques, on n'arrive pas à des résultats indiscutables et
qui puissent se passer absolument de vérification. Voyez,
par exemple, ce qu'il en est de l'astronomie. Quand,
par le calcul, l'astronome a découvert l'existence d'un
corps céleste, il n'est pas aussi sûr de son résultat que
le mathématicien qui, en partant de l'axiome que la ligne
droiteest le plus court chemin d'un pointa unautre, arrive
à démontrer une propriété d'un triangle : le mathéma-
ticien n'a pas besoin d'aller, par des mensurations sur
un triangle réel, vérifier la conclusion de son théorème.
L'astronome, au contraire, a recours à sa lunette, et
cherche à constater si l'astre découvert par le calcul
existe bien à la place indiquée par ce calcul; il est
obligé d'en venir à l'observation directe et de vérifier
ainsi le résultat de son raisonnement.
Donc, dans ce cas, la déduction n'est pas suffisante :
ce contrôle, emprunté à l'observation, enlève à la déduc-
tion le caractère spécial et absolu qu'elle présente dans
les sciences mathématiques pures. Du moment que la
vérification est nécessaire, nous sommes aussi bien en
présence d'une induction que d'une déduction.
Nous pensons donc que toutes les fois qu'on peut
procéder en disant : « tel principe général étant vrai,
telle conséquence particulière en résulte, d'une ma-
nière absolue, incontestable, en dehors de toute véri-
fication », dans ces cas on procède par déduction. Mais
que du moment qu'on peut seulement dire : « si tel
principe est vrai, telle chose se produira très-vraiseni-
82 PHYSIOLOGIE OPÉKATOIRE ET VIVISECTIONS.
blablement )>, du moment qu'on admet que l'observa-
tion, prise comme moyen de contrôle, pourra donner
une confirmation ou un démenti à cette prétendue dé-
duction, on procède réellement non plus par déduction,
mais par induction. Du moment qu'on est obligé d'ac-
cepter l'observation ou l'expérience comme moyen de
vérillcation, on fait de l'induction : car toute déduction
dubitative ne mérite plus le nom de déduction, elle
reprend, par le fait du contrôle auquel elle est soumise,
le véritable caractère de l'induction.
Il est, par suite, bien évident qu'en médecine la phy-
siologie est une science inductive. Mais il faut être bien
prévenu que, de toutes les sciences inductives, la méde-
cine est la plus délicate, la plus difficile, en raison de
notre ignorance actuelle des lois des phénomènes des
organismes vivants.
Les astronomes, grâce aux caractères de précision
que les mathématiques donnent à leurs recherches, font
presque toujours des hypothèses vraies et que l'obser-
vation vient confirmer ; cependant l'expérience pure
est quelquefois appelée à entrer ici en jeu, car nous
pouvons donner le nom d'expérience aux analyses spec-
trales par lesquelles l'aslronomie cherche à confirmer
ses hypothèses sur la constitution des corps célestes et
du soleil en particulier.
En chimie, en physique, des lois générales ont enfin
été trouvées, et l'on a assez de principes et de véritables
axiomes pour pouvoir fiicilement étabhr des hypothèses
vraies.
Mais il n'enj est plus de même dans l'étude des corps
OBSERVATION ET EXPERIENCE. 33
vivants : ici, les circonstances particulières sont si com-
plexes, les lois générales sont encore si rares, qu'il est
difficile de tenter des hypothèses heureuses.
Il faut donc, avant tout, que l'investigateur soit bien
pénétré de celte complexité des phénomènes qu'il étudie:
il faut qu'il se metle bien en garde contre la tentation
d'établir trop rapidement des principes trop simples; il
faut qu'il s'attende à recevoir de l'expérience les dé-
mentis les plus complets. Alors même qu'un principe
est vrai au point de vue physico-chimique, alors que
son application à l'organisme vivant paraît chose natu-
rellement indiquée, et que les conclusions qu'on en
déduit concordent avec les fait réels, il ne faudra pas se
contenter d'une concordance dont tous les détails ne
sont pas vérifiés. Il faudra chercher s'il ne s'agirait pas
d'une simple coïncidence ; si, le principe et les faits ul-
times étant exacts, il n'y a pas toute une série de faits
mtermédiaires qui en réalité ne sont nullement d'ac-
cord avec ceux qu'établit le raisonnement. Combien
d'exemples de ce genre nous sont offerts par l'histoire
de la physiologie ! Galien constate , contrairement à
Érasistrate, que les artères contiennent non de l'air,
mais du sang comme les veines; ce sang a dû passer des
veines dans les artères; donc, dit Galien, la cloison
iuterventriculaire du cœur est perforée. Partant d'un
fait vrai, la présence du sang dans les deux ordres de
vaisseaux, Galien arrive à un fait vrai, le passage du
sang des veines dans les artères; mais ce passage il l'ex-
plique par une hypothèse qui, si bien encadrée d'élé-
ments de vérité, lui paraît inutile à vérifier; et pendant
CL. BERNARD. — PHVS. OPÉR.
34 PHYSIOLOGIE OPÉRVTOIRE ET VIVISECTIONS.
des siècles l'hypotlièse est acceptée, jusqu'au jour où
Yésale démontre qu'elle ne repose sur aucun fait ana-
tomique; et dès lors, en cherchant le véritable méca-
nisme de ce passage du sang, Michel Servet, puis
Harvey, arrivent à l'immortelle découverte de la circu-
lation.
Plus tard, nous voyons Lavoisier, après avoir décou-
vert la chimie des phénomènes de combusiion, appli-
(juer sa théorie à l'étude des organismes vivants et ra-
mener, par une hypothèse hardie, la vie à une série
continue d'actes de combustion. Comme conception
générale, cette théorie est vraie, elle rend bien compte
de l'ensemble et du résultat définitif des actes chimi-
ques de Têtre vivant; mais combien les choses sont
moins simples en réalité quand on pénètre dans l'inti-
mité des actes complexes du corps vivant. Cependant
Dulong etDesprelz, séduits par la conception de Lavoi-
sier, mesurent la chaleur que produit un être vivant
dans un temps donné, ainsi que les quantités de car-
bone et d'hydrogène que cet être rend sous la forme
d'eau et d'acide carbonique pendant le même temps. Il
se trouve que leurs chiffres donnent une équation par-
faite, montrant que la chaleur produite correspond
exactement à celle qui peut prendre naissance par la
combustion directe de l'hydrogène et du carbone exha-
lés sous forme de produits excrémentitiels. Pouvait-on,
avec la confiance qu'on avait alorsdans l'application des
lois les plus simples de la chimie à l'organisme vivant,
pouvait-on désirer une plus rigoureuse démonstration
de l'hypothèse qui assimile l'être vivant à un fourneau
OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 35
à combustion simple? Et cependant les chiffres obtenus
parDulonget Despretz n'étaient siconûrmatifs que par le
fait d'une simple coïncidence. Ces recherches reprises
par Regnault ont montré que dans l'organisme il n'y a
pas seulement des combustions, mais qu'il se produit
une inflnité d'autres phénomènes qui, en dehors des
oxydations, sont des sources de calorique ou bien s'ac-
compagnent d'absorption de chaleur : il y a les substan-
ces liquides qui passent à l'état gazeux, il y a par contre
des vapeurs qui se condensent; il y a des phénomènes
d'hydratation ; enfin il y a, comme nous l'avons démon-
tré à propos de la formation de la substance glycogène,
il y a des actes véritables de réduction. De ces phéno-
mènes complexes et incomplètement connus, les uns
dégagent du calorique, les autres en absorbent, et il
peut se faire que dégagement et absorption arrivent à
s'équilibrer, et qu'en définilive la quantité de chaleur
dégagée par l'animal pendant un temps donné se trouve
égale à la quantité déterminée par le calcul, en prenant
pour base le poids d'oxygène absorbé pendant ce temps,
et en supposant que les oxydations sont les seules sour-
ces de chaleur de l'organisme. Mais ce ne sera là qu'une
simple coïncidence, qu'il serait fâcheux de regarder
comme démonstrative d'une loi aussi simple que celle
posée par Dulong et Despretz ; des coïncidences bien
plus frappantes se produisent parfois, et si, par la nature
même des faits, nous n'étions mis en garde contre la
tendance de notre esprit à généraliser, elles nous amè-
neraient à de bien singulières conclusions.
Il en est de même des calculs qui ont fait croire
80 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRl- ET VIVISECTIONS.
((u'avec la simple équation de l'oxygène absorbé et de
l'acide carbonique exhalé, on pouvait se rendre compte
de la chaleur produite par un animal dans un temps
donné. Non-seulement, je vous l'ai dit, les phénomènes
sont bien plus complexes que ceux d'une combustion
directe, mais même, pour ce qui est des combustions
elles-mêmes, elles peuvent se produire par le moyen
d'une provision d'oxygèneemmagasinée par l'organisme,
de sorte que la chaleur produite ne correspond plus du
tout à la quantité doxygène absorbé pendant la période
même de cette production. C'est ce qu'on observe quand
on réveille un animal hibernant, un loir par exemple:
sa température monte aussi très-rapidement, et cepen-
dant si l'on a disposé l'expérience de manière à appré-
cier la quantité d'oxygène absorbé, on constate que
l'absorption de ce gaz n'a pas été en proportion de ce
rapide réchauffement. Mais nous savons que les animaux
sujets au sommeil hivernal absorbent dans cet état plus
doxygène qu'ils n'en utilisent, c'est-à-dire qu'ils em-
magasinent de ce gaz dans leurs tissus.
Nous dirons donc que, s'il est vrai que les phéno-
mènes de la vie puissent, selon la belle conception de
Lavoisier, être ramenés à des actes physico-chimiques,
c'est par une exacte analyse expérimentale qu'il faut
arriver à préciser les détails intimes et les mille formes
de ces actes, et ne pas se laisser séduire par la simplicité
de quelques formules chimiques qui, pour être souvent
exactes quant aux résultats généraux qu'elles indiquent,
s'écartent, par leur simplicité même, des processus
complexes et si peu connus de l'organisme vivant.
OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 37
Comme conclusion générale, nous dirons que le méde-
cin, le physiologiste, est à la fois observateur et expéri-
mentateur, ou qu'en tout cas du moins, en faisant de
l'expérience, il fait nécessairementde l'observation. L'ex-
périence étant instituée en vue d'une idée, il faut en
effet, une fois l'expérience en train, oublier celte idée et
redevenir simplement observateur. C'est leseul moyen de
ne pas se laisser entraîner à forcer l'interprétation des
phénomènes, en voulant quand même trouver la véri-
fication de l'idée directrice. 11 faut, en un mol, que l'ex-
périmentateur interroge la nature, mais il faut qu'aus-
sitôt il la laisse parler en redevenant observateur. La
plupart des erreurs viennent de la tendance à considé-
rer une hypothèse une fois émise comme une thèse en
faveur de laquelle il faut chercher des arguments,
comme une cause qu'il faut plaider et gagner. Tel in-
vestigateur se sent humilié si l'expérience lui démontre
brutalement que son hypothèse est fausse. L'expéri-
mentateur doit avoir des dispositions contraires. Il ne
doit pas s'attacher aux hypothèses qu'il a été amené à
faire; en ne considérant ces hypothèses que comme un
moyen et non un but, l'esprit sera dans les dispositions
les plus heureuses pour arriver à la vérité, car il sera
accessible aussi bien aux phénomènes contraires à l'idée
préconçue et à ceux qui lui sont favorables. En négli-
geant ce précepte, en oubliant cette sorte de résigna-
tion avec laquelle il faut écouler les réponses de l'expé-
rience, l'investigateur perd les plus belles occasions de
faire des découvertes, car il se rend volontairement
aveugle pour les phénomènes nouveaux, imprévus.
38 PHYSIOLOGIE opératoire: et vivisections.
C'est en effet le plus souvent par le fait des démentis
donnés par l'expérience à une hypothèse, point de départ
de cette expérience, c'est par un hasard heureux que les
voies les plus nouvelles ont été ouvertes àl'investigation,
quand l'observateur, renonçant aussitôt à son idée pré-
conçue, s'est décidé à chercher dans le sens des phéno-
mènes inattendus, au lieu de chercher à forcer l'inter-
prétation de ces phénomènes pour les plier à sa théorie.
Si vous me permettez de prendre un exemple per-
sonnel, je vous rappellerai comment j'ai été amené à la
découverte des nerfs vaso-moteurs. Partant de cette
observation clinique, relativement ancienne, que^ dans
les membres paralysés, on constate tantôt un refroidis-
sement et tantôt un échauffement, je pensais pouvoir
expliquer ces observations contradictoires en supposant
que, à côté du système nerveux de relation, le grand
sympathique devait avoir pour fonction de présider
à la production de chaleur, c'est-à-dire que, dans le
cas où le membre paralysé était refroidi, je supposais
qu'à la paralysie des nerfs du mouvement se joignait
celle du sympathique, tandis que ce dernier nerf au-
rait conservé ses fonctions dans les membres paralysés
non refroidis, le système nerveux moteur étant ici seul
atteint.
C'était une hypothèse, c'est-à-dire une idée propre à
amener l'institution d'expériences dans lesquelles il
s'agissait de trouver un filet sympathique volumineux,
se rendant à un organe facile à observer, et de couper
ce filet pour voir ce qui se produirait dans la calorifica-
tion de cet organe. Vous savez que l'oreille du lapin et le
OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 89
filet sympathique cervical de cet animal nous présen-
taient ces conditions requises. Je coupai donc ce filet et
aussitôt l'expérience donna à mon hypothèse le plus
éclatant démenti: j'avais pensé que la section du nerf,
en supprimant la fonction de nutrition, de calorification,
à laquelle était supposé présider activement le sympa-
thique, amènerait le refroidissement du pavillon de
l'oreille, et je me trouvai au contraire en présence d'une
oreille très-chaude, avec des vaisseaux très-dilatés.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler avec quel empres-
sement, abandonnant ma première hypothèse, je me
livrai à l'étude du nouveau phénomène, et vous savez
que tel fut le point de départ de toutes mes recherches
sur le système vaso-moteur et thermique, dont l'étude
est devenue l'un des sujets les plus riches do la physiolo-
gie expérimentale. Cet exemple vous montre que l'hy-
pothèse est toujours utile, en ce que, si elle n'est pas
confirmée par l'expérience, les faits mêmes qui la dé-
mentent deviennent aussitôt le point de départ d'une
nouvelle ère de recherches.
Je pourrais multiplier les exemples de ce genre. 11
me suffira de vous faire remarquer que tous nous con-
duisent à la môme conclusion générale, à savoir, qu'il
n'y a pas à distinguer l'observation de l'expérience, en
ce sens que l'expérience ne deviendra fructueuse que si
l'investigateur y apporte le même état d'esprit et, si
l'on peut ainsi dire, le même désintéressement que dans
l'observation pure et simple.
TROISIÈME LEÇON
Sommaire: Qu'est-ce qu'un fait? — Distinction du fait et du jugement
auquel il donne lieu. — Exemples empruntés à l'histoire de la physiologie
pour montrer la différence du fait et de son interprétation. — Nécessité
d'instituer une critique expérimentale. — Du déterminisme. — De la mé-
thode numérique. — Perfectionnements des procédés d'observation. —
Méthode graphique. — Des conditions ou causes des phénomènes.
Messieurs,
Nous sommes arrivés à cette conclusion générale (|ue
l'observation et l'expérimentation ne constituaient pas
deux méthodes di.stinctes et séparables, mais un en-
semble de moyens propres à nous permettre de recueillir
les fails que l'esprit doit ensuite élaborer ; je tiens à
bien marquer cet ordre de succession dans les opéra-
tions de nos sens et de notre esprit : recueillir les faits et
.s'astreindre à ne les interpréter qu'ensuite est la condi-
tion indispensable pour arrivera la vérité; si l'on se
laisse aller à interpréter les faits au fur et à mesure
qu'on les observe, on s'expose trop souvent à mal obser-
ver, à forcer la nature, à prendre pour un fait ce qui
est une élaboration de notre esprit.
Il s'agit donc de nous demander dès maintenant ce
que c'est qu'un fait, question que peu de personnes se
poseni, tant ce mot paraît répondre à une notion sur
laquelle personne n'hésite. Cependant des esprits philo-
sophiques éminents ont donné une importance toute
LE FAIT ET SON INTERPRÉTATION. 41
particulière à la définition du moi fait, et nous devons
citer en première li^ne M. Chevreul, qui, autrefois dans
ses Lettres à Yillemain (sur la définition du fait) et ré-
cemment encore dans une série de communications à
l'Académie des sciences, s'est attaché à établir ce qu'on
doit entendre par le moi fait.
D'après M. Chevreul, nous ne connaissons les choses
que par leurs qualités : cette qualité connue, ne fût-ce
que \ étendue limitée et Y impénétrabilité, suffit pour nous
donner la conscience de l'existence des substantifs
propres auxquels elle se rapporte ; c'est pourquoi le
substantif propre ne dit rien à l'esprit, ne rappelle rien
aux sens, si on le dégage de toutes les qualités, de tous
les attributs par lesquels il nous a été rendu sensible et
par lesquels il s'est fixé dans l'esprit. C'est pourquoi,
dit M. Chevreul, ce sont ces qualités qui constituent le
fait. Et, en effet, lorsque pour une cause ou pour une
autre on perd le souvenir des choses, lorsque la mé-
moire s'en va, ce sont d'abord les noms des choses ou
des personnes qui nous échappent, tandis que nous con-
servons encore celui de leurs qualités, de leurs proprié-
tés, de leurs attributs.
Mais cette définition du fait nous amène, en y réflé-
chissant bien, à considérer, avec M. Chevreul, le fait
comme une pure abstraction. Ainsi, lorsque nous disons
d'une personne qu'elle est bonne, nous résumons une
idée générale résultant des actes que nous avons vu
accomplir à cette personne : tout ce que nous connais-
sons de ses actions, de ses projets, nous la montre bonne,
et, lorsque nous lui donnons cet attribut, nous le faisons
42 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
par une abslraction, une conCeplion générale de sou
caractère. Les actions de la personne sont des /«?V5 maté-
riels^ des faits physigues; la qualité que, d'après ces
actes matériels, nous attribuons à la personne, est une
sorlede conception métaph/jsiqne. Si l'on veut ajjpeler cela
un fait, il faut reconnaître que ce prétendu fait existe
plutôt dans notre esprit et n'est pas une chose tangible,
accessible aux sens en dehors des actes particuliers,
points de départ de notre jugement. Aussi iM. Chevreul
n'hésite-t-il pas à dire que le fait est une abstraction:
f( Les attributs comprenant propriétés^ qualités, défauts^
sont des faits, et ces faits deviennent des abstractions
lorsque l'esprit considère chacun d'eux en particulier. »
Nous ne pouvions chercher à fixer la signification du
mol fait sans rappeler la manière de voir de M. Che-
vreul. Mais nous ne la discuterons pas ici. Ce serait là
une étude de philosophie dans laquelle nous n'avons pas
à entrer. 11 nous suffira de rappeler que nous cherchons
à définir le mot fait au point de vue spécial de nos
recherches physiologiques, et que dès lors il nous est
impossible de le définir une abstraction. Pour nous, c'est
au contraire Y acte matériel, sans aucune élaboration de
notre esprit, qui est le fait ; c'est l'acte qui frappe nos
sens. Nous avons cité tantôt l'exemple d'une personne
dont on dit qu'elle est bonne. Cette qualité de bonté
ne saurait être pour nous un fait : elle exprime un
jugement que nous portons sur cette personne d'après
ses actes; ces actes, qui la font juger bonne, constituent
seuls, nous l'avons dit, les faits proprement dits.
Nous devons donc bien distinguer \q fait et le j^ige-
LE FAIT ET SON INTERPRÉTATION. 43
me?itque nous portons d'après ce ou ces faits : c'est que
rien n'est plus facile à confondre, et que les esprits
même les plus éminents prennent souvent pour un fait
un jugement basé sur ce fait, mais en dépassant singu-
lièrement la portée. Ainsi Map^endie, qui posait en prin-
cipe qu'il ne faut jamais sortir du fait, en était sorti une
fois cependant dans une petite discussion que nous
eûmes au sujet du liquide pancréatique : il avait dit
que ce liquide est albumineux ; j'avais avancé le con-
traire, et pour prouver à mon illustre maître qu'il s'était,
non pas trompé sur un fait, mais seulement sur le juge-
ment porté avec ce fait pour point de départ, je n'eus
qu'à lui faire remarquer que le fait observé par lui se
réduisait à ceci : le suc pancréatique est coafiulé par la
chaleur. Comme l'albumine est coagulée par la chaleur,
il en avait conclu que le suc pancréatique est albumi-
neux. Maisl'albumine est encore caractérisée pard'autres
réactions que je n'avais pas trouvées dans le liquide
pancréatique. Magendie serait resté dans le fait vrai en
disant que le suc pancréatique est coagulé par la cha-
leur; il était sorti du fait et avait porté un jugement
inexact en en inférant que ce suc est albumineux.
En physiologie, nous appellerons donc fait le phéno-
mène matériel, acte mécanique, physique, réaction
chimique, etc., et nous aurons toujours soin de distin-
guer le fait du jugement que nous en inférons. Lorsque
je dis que le sang renferme du sucre, vous pensez
peut-être encore que j'énonce un fait; il n'en est rien :
le fait, c'est que le sang extrait des vaisseaux a donné,
par des traitements successifs, un liquide incolore qui a
44 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
précipité la liqueur cupro-potassique; le/«zV, c'est que
cet extrait du sang a fermenté en présence de la levure
de bière, c'est qu'il a dévié la lumière polarisée d'un
certain nombre de degrés. Voilà les faits, et d'après eux
je forme ce /^/^^>??^/'^ que le sang contient du sucre;
mais les foits étant vrais, le jugement ne sera exact que
si pendant les opérations expérimentales je n'ai pas
introduit dans nos produits des substances capables de
donner des réactions semblables à celles du sucre. Si
donc vous vouliez faire la critique du jugement que
j'énonce en disant qu'il y a du sucre dans le sang, il
faudrait chercher les éléments de cette critique dans
chacune des séries d'opérations qui nous ont amenés à
la constatation des faits.
Autrefois on discutait en s'opposant des arguments ;
on paraît aujourd'hui discuter le plus souvent en s'op-
posant des faits ; et cependant, si vous y regardez de
bien près, vous verrez que ce sont réellement des juge-
ments et non des faits que s'opposent les adversaires.
L'un dit, par exemple, qu'il a trouvé du sucre dans le
sang, l'autre qu'il n'en a pas trouvé; mais trouver du
sucre dans le sang n'est pas un fait, je le répète, du
moment qu'on n'isole pas ce sucre en nature : c'est un
jugement basé sur des réactions chimiques; ces réac-
tions chimiques ont pu donner des résultats opposés à
deux expérimentateurs et se contredire ainsi en ap-
parence ; c'est que tous deux n'auront pas opéré exac-
tement dans les mêmes circonstances, avec des réac-
tifs également purs, etc. Opposer à ce prétendu fait que
l'un a lrouv('; du sucre, cet autre prétendu fait que le
LE FAIT ET SON INTERPRÉTATION. 45
second n'en a pas trouvé , c'est , en se réduisant ;ï
cet énoncé, combattre en l'air avec des arguments
abstraits. Ce qu'il faut dire, dans une discussion de
ce genre, c'est que le premier observateur ayant traité
le sang de telle ou telle manière, a ensuite obtenu
une réduction du liquide cupro-potassique, et que le
second, après avoir opéré dans telles et telles circon-
stances, après avoir soumis le sang à telle série de
réactions, n'a obtenu aucune action sur le liquide
cupro-potassique.
Pour montrer la différence qu'il y a entre le fait et
son interprétation, je vous citerai encore la discussion
qui s'éleva à propos des mouvements de rotation pro-
duits par la piqûre des pédoncules du cervelet : Ma-
gendie avait observé une rotation se faisant du côté
opposé au côté lésé ; Longet répète l'expérience et ob-
serve que la rotation a lieu du côté de la lésion. Evi-
demment ni l'un ni l'autre des expérimentateurs ne
pouvait avoir pris le côté gauche pour le côté droit ;
c'était cependant à cela que se réduisait la discussion
si l'on s'en tenait au résultat brut de l'expérience, sans
s'inquiéter des conditions différentes dans lesquelles
elle pouvait avoir été faite. Et en effet, comme Schitf
et moi l'avons démontré en même temps, le pédoncule
en question étant large, aucun des deux expérimen-
tateurs n'avait fait porter la lésion sur sa totalité : Ma-
gendie en lésait les parties antérieures contenant des
fibres déjà entre-croisées; Longet faisait porter ses
sections sur la moitié postérieure où les fibres n'ont
encore subi aucune décussation : de là, mouvements
46 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
vers le côté opposé dans un cas, vers le côté même de
la lésion dans l'autre cas.
Il faut donc, non-seulement bien déterminer les con-
ditions de l'expérience, mais se tixer d'avance sur ces
conditions. Il faut, en un mot, que les expériences soient
telles que l'on n'ait à discuter que sur leur interpré-
tation ; mais il faut que le fait reste toujours immua-
ble. En effet, les expériences ne sont pas faites pour
servir à étayer telle ou telle théorie conçue de toute
pièce ; elles sont faites pour constituer la base solide et
indiscutable de la théorie, qui est elle-même discutable
et perfectible à l'infini; elles doivent en être le point
de départ, et non un secours que l'on appelle à un mo-
ment donné à son aide. C'est ce que M. Chevreul ex-
primait d'une façon en apparence paradoxale, en disant
qu'il faut faire des expériences à posteriori. C'est ainsi
qu'ont procédé les sciences physiques et chimiques.
La critique expérimentale ne sera possible qu'à par-
tir du moment où l'on cessera de confondre les faits et
leur théorie. Les faits doivent rester fixes et indiscuta-
bles en eux-mêmes; leurs interprétations ou leurs ex-
plications seront discutables et susceptibles de changer
tant qu'il y aura des progrès à faire en science.
Ce que nous voulons arrêter ici, ce sont les condi-
tions des faits, mais non leurs explications.
Le fait est donc, si nous pouvons ainsi nous expri-
mer, ce pour quoi l'investigateur n'a besoin que de ses
yeux, ou, d'une manière plus générale, de ses sens :
les conditions dans lesquelles il a opéré, les phénomè-
nes qui se sont présentés à lui, tels sont l«s faits ; mais
LE FAIT ET SON DÉTERMINISME. 47
dès qu'il sort de la relation désintéressée de ces phéno-
mènes, dès qu'il cesse de dire, par exemple, « tel liquide
a été coagulé par la chaleur », pour dire « ce liquide
est albumineux », il n'exprime plus le fait pur et sim-
ple, il exprime un jugement.
Or, on entend souvent, et notamment en médecine,
employer les expressions de fait ordinaire^ fait singu-
lier, fait exceptionnel, rare, commun, etc. Ces expres-
sions n'ont pas de raison d'être. Un fait n'est pas excep-
tionnel , car, étant données les circonstances de sa
production, il doit toujours se produire. Un fait ne
prend le caractère étonnant, extraordinaire, que parce
que nous ne connaissons pas les causes déterminantes
de ce fait et que ces causes se trouvent réunies à notre
insu. Un fait est toujours un fait pur et simple ; c'est à
nous d'en connaître et d'en apprécier les causes, et alors
sa manifestation nous apparaîtra toujours comme une
chose naturelle, ordinaire et régulière; et, quand nous
aurons déterminé ces conditions, si nous pouvons les
réunir dans une expérience, nous verrons le fait se re-
produire d'une manière constante, nécessaire, et nous
aurons peine alors à comprendre ce qu'on pourrait
vouloir encore désigner sous le nom de fait singulier,
extraordinaire, etc. : un fait n'est extraordinaire que
parce qu'Aesi indéterminé; ces deux expressions sont
synonymes, en ce sens qu'elles expriment également
notre is^norance relativement à la nature et aux condi-
lions des faits auxquels on les applique.
Le tout est donc d'établir ce que j'ai appelé le déter-
minisme des faits, c'est-à-dire l'ensemble des conditions
48 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
de ces faits. Malheureusement ce déterminisme est sou-
vent très- difficile à établir, surtout lorsque, se bornant
à la simple observation, on est, volontairement ou par
la nature môme des choses, mis dans l'impossibilité de
changer les conditions du phénomène, afin de recher-
cher quelles conditions sont étrangères et quelles con-
ditions sont intimement liées à sa manifestation. Dans
ces circonstances on a eu recours à une méthode indi-
recte; on a noté combien de fois tel fait coïncide avec
telles conditions plus ou moins complexes; on a fait de
la statistique. Or ce n'est pas là de la science, c'est de
l'empirisme pur : du moment qu'on n'a pas ramené le
fait à ses conditions simples, il est impossible d'établir
des lois; en n'arrive qu'à des probabilités, on peut dire
que telle chose arrive quatre fois sur cinq, qu'il y a,
dans tel cas, tant de chances pour que tel phénomène
se produise; mais ce ne sont pas là des bases sur les-
quelles puisse se bâtir une science. La chimie en serait-
elle arrivée où elle est aujourd'hui, si les chimistes n'a-
vaient pu parvenir à des généralités plus précises que
celle qui consisterait à dire que neuf fois sur dis
la combinaison de l'oxygène et de l'hydrogène donne
naissance à de l'eau.
En médecine on fait souvent de la statistique ; mais
on n'en fait ou du moins on ne devrait absolument en
faire que quand on ne peut ])as faire autre chose. Et
en tout cas il est inadmissible de considérer cette
manière de procéder comme une véritable méthode,
intitulée méthode numérique. Sans doute des esprits
éminenls, comme par exemple le médecin Louis, ont
DU DÉTERMINISME. 49
prétendu que cette sorte de méthode était celle que
devaient essentiellement employer les recherches médi-
cales ; sans doute celte manière de faire permet à la
pratique d'arriver à quelques indications prognostiques
probables. Mais qui parle de sciences expérimentales ne
parle pas de probabilités.
Quand un fait est bien déterminé dans toutes ses cir-
constances, il devient, si ces circonstances sont réunies,
non pas probable, mais certain, c'est-à-dire qu'il ne se
produit pas huit ou neuf fois sur dix, mais exactement
autant de fois que se produisent ces circonstances déter-
minantes elles-mêmes, et cela aussi bien dans la série
des faits médicaux et thérapeutiques que dans celle des
faits physiques ou chimiques. Prenez par exemple l'his-
toire de la gale : avant que la nature parasitaire de cette
affection fût connue, on soumettait les malades à divers
traitements internes et externes, et l'on reconnaissait que
tel traitement était plus ou moins couronné de succès:
sur trente malades, vingt-cinq étaient guéris dans un
cas; par un autre procédé, on n'obtenait que vingt gué-
risons sur trente sujets. On sait aujourd'hui que la gale
est due à la présence d'un parasite que l'histoire natu-
relle étudie, dont elle nous trace les mœurs, nous ex-
pliquant ainsi plusieurs particularités des symptômes et
du mode de contagion; nous savons de même par quels
agents on peut détruire ce parasite. Toutes les condi-
tions de la maladie et de sa curation étant connues, ce
n'est plus par une proportion de cinq sur dix ou de
vingt sur trente qu'on énonce les succès du traitement
parasiticide : sur cent galeux qui entrent à l'hôpital
CL. BERNARD. — PHYS. OPKR.
50 PHYSIOLOGIE OPËRATOIRI-: LT VIVISECTIONS.
Saint-Louis, cent sortent guéris après avoir subi le trai-
tement.
La médecine peut donc, comme le montre cet exem-
ple, devenir une véritable science, à la condition de dé-
terminer exactement tout ce qui a rapport aux faits
qui lui sont soumis. Mais ces faits sont d'ordinaire très-
complexes : il faudra donc les analyser, les décomposer
et les ramener à une série de faits simples, dont le dé-
terminisme pourra être rigoureusement établi. Dès lors
il n'y aura plus lieu de faire de la statistique, laquelle
n'a de raison d'être que par la nature indéterminée des
faits auxquels on l'applique.
Dansées circonstances nous ne saurions, cela va sans
dire, admettre âes faits contradictoires. C'est là une ex-
pression souvent employée et qui doit disparaître, du
moins si l'on voulait lui donner toute sa rigueur, car un
fait ne peut pas être contradictoire d'un autre fait ; cha-
cun d'eux existe dans ses conditions déterminées, et
l'affirmation de l'un ne saurait être la négation de l'au-
tre. La nature ne se contredit pas; c'est l'observateur
qui se trompe, soit qu'il ne détermine pas exactement
les conditions du fait, soit qu'il substitue au fait un juge-
ment qui alors pourra être en contradiction avec un
autre jugement. Admettre des faits contradictoires, ce
serait par cela même nier absolument toute science.
Pour l'étude des phénomènes delà vie, on a longtemps
pensé, et des esprits éminents partageaient cette opinion
il n'y a pas plus d'une vingtaine d'années, on a longtemps
pensé que les phénomènes vitaux n'obéissaient pas à des
lois absolument rigoureuses; que le principe de la vie
DU DÉTERMINISME. 51
était pour ainsi dire capricieux dans ses manifestations,
lesquelles auraient pu être absolument différentes dans
des circonstances identiques : en un mot, on faisait de
l'absence de loi rigoureuse la règle générale de la vie ;
telle était la manière de voir des vilalisles en général.
11 n'en est pas ainsi : les phénomènes des corps organi-
sés sont soumis à des lois aussi bien que les phénomènes
physiques et chimiques. Mais ces lois sont très-com-
plexes; nous ne pouvons arriver à les saisir qu'en cher-
chant à déterminer exactement toutes les conditions des
phénomènes; c'est à cette recherche, vous le savez, que
j'ai donné le nom de déterminisme.
Grâce au déterminisme., qui doit être la base de la
physiologie et de toute science expérimentale , nous
pourrons dire que tel phénomène, dans telle circon-
stance, se produira toujours, et non pas trois fois sur
cinq ou neuf fois sur dix. Un phénomène dont le dé-
terminisme est entièrement établi devient une chose
immuable, dont on peut prédire rigoureusement l'ap-
parition dans tous les cas où se trouveront réalisées les
circonstances de sa production : il comporte une certi-
tude absolue.
Nous ne nous arrêterons pas à l'objection d'après la-
quelle on pourrait nous répondre qu'il n'y a pas de cer-
titude absolue; que, par exemple, parce que le soleil
s'est levé hier et aujourd'hui, nous ne pouvons pas assu-
rer qu'il se lèvera demain. Même dans ce cas, dira-t-on,
cette certitude dépend de causes déterminées, et nous
pouvons seulement dire que, si rien n'est changé dans
l'ordre de l'univers, le soleil continuera à se lever demain
52 PHVSIOLOGIli: OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
comme il s'est levé la veille. Mais cette certitude, tenant
à des causes déterminées, est précisément celle que nous
attribuons aux phénomènes des êtres vivants, et nous ne
saurions aspirer à quelque chose de plus : nous nous
contentons de pouvoir dire que, si rien n'est changé
dans l'économie de l'univers, tel phénomène qui s'est
produit dans telles circonstances déterminées se repro-
duira si ces circonstances se trouvent de nouveau réali-
sées : telle est la certitude que nous donne le détermi-
nisme.
Si donc nous récapitulons l'ordre de mise en jeu de
nos facultés pour l'acquisition de la science, nous pou-
vons dire qu'à l'aide des sens nous recueillons et amas-
sons des faits, qu'avec les sens encore nous reconnais-
sons les conditions de ces faits, mais qu'ensuite, par le
jugement, nous rattachons ces faits à ces conditions
dites déterminantes et nous en tirons une notion géné-
rale.Ce sontdonc les constatations faites par nos sens qui
sont la source première de nos connaissances, et l'obser-
vation simple ou expérimentale est d'autant plus rigou-
reuse, que nous avons simplement recueilli les impres-
sions faites sur nos sens, et non cherché à voir ce que
des jugements antérieurs, des hypothèses préconçues,
nous présentaient comme plus ou moins vraisem-
blable.
Pour réaliser celte observation désintéressée et ce-
pendant précise, que nous considérons comme la con-
dition essentielle de toute étude vraiment scientifique,
l'idéal consisterait à substituer à nos sens eux-mêmes des
modes de constatation pour ainsi dire automatiques,
DU DÉTERMINISMIi. 53
grâce auxquels les phénomènes traduiraient d'eux-
mênies leurs manifestations.
Quelques procédés d'investigation réalisent déjà ce
desideratum; nous avons la méthode graphique, mise en
usage aussi bien pour les recherches de physiologie que
pour celles de physique ; nous avons de même la photo-
graphie.
Pour vous montrer combien ces procédés de consta-
tation suppléent avec avantage à la simple observation
à l'aide des sens, il me suffira de vous citer l'exemple
suivant qui s''est produit lors d'une discussion à l'Aca-
démie des sciences sur la constitution des comètes.
On avait pris des photographies de comètes, lorsque,
quelque temps après, la discussion sur ces astres étant
revenue à l'ordre du jour, on fut amené à émettre sur
leur constitution des vues nouvelles, lesquelles deman-
daient, comme vérification, des constatations que l'on
n'avait pas songé à faire antérieurement. Mais si
l'observateur, dont l'attention n'était pas éveillée sur
ces points nouveaux, n'avait pas songé à faire cette
constatation, la photographie, qui reproduit indifférem-
ment ce qui est recherché et ce qui n'attire que médio-
crement l'attention, la photographie devait avoir repro-
duit les détails demandés s'ils existaient réellement; on
pensa donc à recourir aux photographies prises précé-
demment, et l'on y constata en effet les aspects dont la
nouvelle hypothèse rendait la recherche nécessaire : la
photographie, substituée ici à l'observation simple, avait
donné à la fois plus et mieux que cette observation.
Aujourd'hui, des procédés semblables ou analogues
54 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
ont pris largement place dans la méthode expéiimen-
tale. En rectifiant, en fixant ainsi les impressions de
nos sens, nous parvenons plus rigoureusement à éviter
les nombreuses causes d'erreur dans des observations
aussi complexes que celles qui s'adressent aux phéno-
mènes de la vie. Il nous est ainsi possible de constater
les faits et leurs conditions et de rattacher les uns aux
autres.
Conditions ou causes des phénomènes sont pour nous
des expressions à peu près synonymes ; nous savons
bien que, comme le disent les philosophes, nous n'arri-
vons pas réellement à reconnaître les causes premières,
absolues, des phénomènes, c'est-à-dire leur essence in-
time ; nous ne pouvons remonter si haut, et il doit nous
suffire d'arriver aux causes immédiates, c'est-à-dire aux
conditions matérielles de l'existence des phénomènes :
c'est pourquoi nous ne parlons jamais que de ces
causes secondes que nous désignons généralement sous
le nom de conditions déterminantes .
Même dans la détermination de ces conditions, il
s'en faut de beaucoup que la science des organismes
vivants soit arrivée aujourd'hui à des acquisitions qui
lui permettent de se considérer comme constituée ; mais
les progrès qu'elle a accomplis sur quelques points par-
ticuliers permettent de préjuger ce qu'elle deviendra
dans l'avenir. Gomme science, surtout comme science
active appelée à connaître les phénomènes, à les arrêter
ou à les reproduire volontairement, la physiologie, si
elle sait se défendre des vaines spéculations sur les
causes premières et concentrer ses efforts sur un déter-
UU DÉTERMINISME. 55
minisme précis et fécond, la physiologie, tout en se
reconnaissant loin encore du but k atteindre, est dès
maintenant en droit d'afficher hautement sa confiance
dans les conquêtes de l'avenir : par la méthode expéri-
mentale elle établira la matérialité des phénomènes;
elle analysera les éléments de cette matérialité, et de-
viendra ainsi maîtresse des phénomènes eux-mêmes,
car, libre de favoriser ou d'empêcher la réunion des
causes déterminantes matérielles, elle sera par cela
même en état de provoquer ou d'arrêter la manifesta-
tion de ces phénomènes ou actes matériels.
QUATRIÈME LEÇON
Sommaire : La nosologie aux temps anciens. — Union actuelle de la médecine
et de la physiologie expérinieiilale. — Cette union intime est déjà indi-
quée dans le frontispice du livre de Régnier de Graaf. — Des emprunts
que la physiologie doit faire à la physique et à la chimie. — Des labora-
toires de physiologie expérimentale. — Histoire des laboratoires. — Des
vivisections. — Histoire des vivisections. — Choix des animaux sur les-
quels portent L^s vivisections. — Los résultats des vivisections pratiquées
sur les animaux sont applicables à la piiysiologie de l'homme. — Dans
quelles limites peuvent se faire ces applications. — Réfutation des attaques
dont les vivisections ont été l'objet.
Messieurs,
La médecine, au temps d'Hippocrate et bien long-
temps après hii^ se réduisait à la recherche d'un pro-
nostic plus ou moins net : tel symptôme, dans telle
affection, est le présage d'une fin prochaine ou l'augure
d'une amélioration probable ; telle était la formule
générale qui semblait comme le but suprême de la mé-
decine. On comprend que, dans ces conditions, les
médecins avaient cru pouvoir .se borner à l'observation
pure et simple, par laquelle ils pouvaient acquérir cette
habitude et ce tact particulier nécessaires pour poser un
pronostic. On comprend aussi que cette manière de
voir a fait prendre aux études médicales une tournure
spéciale, bien différente des tendances actuelles, c'est-
à-dire qu'on en était arrivé, en définitive, à étudier les
maladies comme des objets d'histoire naturelle, que
l'on classe et dont on établit la nomenclature; la tioso-
logie n'était autre chose que cette mise en série des types
DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE. 57
morbides considérés comme des entités, et naguère
Pinel déflnissait ainsi la médecine : une maladie étant
donnée, trouver sa place dans le cadre nosologique.
Ces études nosologiques sont, pensons-nous, desti-
nées à disparaître,, parce que, ainsi que je vous l'ai dit,
elles sont basées sur cette croyance erronée d'une dis-
tinction absolue entre les phénomènes de l'homme sain
et ceux de l'homme malade. Or, du moment que nous
arrivons à établir que les états morbides ne sont qu'une
forme dérivée, qu'un état troublé des fonctions nor-
males, la classification nosologique doit disparaître et
être remplacée par la nomenclature physiologique des
fonctions étudiées à leur état normal et dans leurs formes
pathologiques. C'est ainsi que le diabète ne saurait
représenter une entité nosologique, pas plus qu'il ne
saurait figurer dans les affections de l'appareil urinaire.
La physiologie nous révèle l'existence d'une fonction
glycogénique normale, formant l'une des phases des
actes complexes de la nutrition ; le diabète est un
trouble de cette fonction; c'est, dans sa forme la plus
simple, une exagération de la glycogénèse normale ;
mais comme les actes de nutrition sont encore impar-
faitement connus, ce trouble morbide ne saurait être
encore parfaitement expliqué dans toutes ses formes :
la théorie pathologique va aussi loin et s'arrête là oii
s'arrête la théorie physiologique.
Si l'on nous objecte qu'il est bien des maladies qu'on
ne peut ramener à des phénomènes physiologiques,
comme la rougeole, la variole, etc., nous répondrons
que cette objection est une erreur de fait, en ce qu'elle
58 PHYSIOLOGll:; OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
ne tient pas compte de l'état actuel de la physiologie;
on raisonne comme si la physiologie était une science
faile, achevée, tandis qu'elle n'est encore qu'à ses
débuts. De ce qu'un grand nombre de maladies parais-
sent aujourd'hui ne présenter aucun lien avec les phé-
nomènes que nous a révélés l'analyse physiologique
expérimentale, et semblent par cela même constituer ce
qu'on a appelé des entités nosologiques, ce n'est pas à
dire que ces prétendues entités ne viendront pas se
fondre un jour avec les phénomènes physiologiques ;
mais il faut pour cela que ces derniers soient plus com-
plètement connus et interprétés. Certes, nous ne sommes
pas encore assez avancés dans cette étude pour espérer
d'en faire dès maintenant jaillir une lumière propre à
convaincre les nosologistes les plus ardents ; bien des
médecins se succéderont encore avec l'idée de l'entité
nosologique, comme Priestley est mort croyant encore
Si\\phlof/is tique, alors queLavoisier avait démontré que
la combustion se fait simplement par l'oxygène de l'air.
Quoi qu'il en soit, l'union intime de la physiologie
expérimentale et delà médecine, aujourd'hui générale-
ment reconnue, avait déjà été très-nettement entrevue
par quelques esprits éminents des siècles passés. Galien
n'avail-il pas fait des vivisections sur le singe et sur di-
vers animaux ? Régnier de Graaf, dans le frontispice de
son Traité sur le suc pancréatique (1), n'a-t-il pas eu soin
de marquer, d'une manière pour ainsi dire symbolique,
les rapports de l'anatomie, de la physiologie expérimen-
tale et de la médecine? On voit en effet, dans cette
(1) Régnier de Graaf, De succipancreaticinatura et usu. Lugduni-Balavoruni,
1671,in-12.
DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 59
première page de son livre (fig. 1), une salle où sont
PiG. 1. — Frontispice du livre de Régnier de Graaf.
réunis des sujets en expérience pour les vivisections, un
60 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
chien avec une fistule, des oiseaux, des poissons, et au
milieu de laquelle est une table où se pratiquent des dissec-
tions, en même temps que au fond on aperçoit une salle de
malades. Régnier de Graafindiquaitainsique, des recher-
ches expérimentales entreprises dans le laboratoire de
vivisection, résultent les notions scientifiques, lesquelles
trouvent ensuite leurs applications dans la pratique cli-
nique. Mais, il faut le reconnaître, ces tentatives pour
adjoindre l'expérimentation à la pratique médicale, ces
tentatives sont raresà cette époque et sont comme le fait
d'esprits en avance sur leur siècle. Dans les intervalles
de ces tentatives isolées, la grande masse des médecins
trouvait plus]simple de recourir à des théories, à des sys-
tèmes construits de toute pièce, et il se prodnisait alors
une éclipse totale de toute tentative expérimentale.
C'est seulement depuis le commencement de ce siècle
que l'expérimentation a été introduite en médecine
d'une manière définitive, telle qu'il n'y aura plus, on
peut l'affirmer, d'interruption dans la marche de ces
études expérimentales, telle, en un mot, qu'il ne se pro-
duira plus de systèmes comme ceux qui ont passionné
un certain temps nos pères, pour se perdre ensuite dans
un rapide oubli. L'honneur d'avoir définitivement intro-
duit la méthode expérimentale en médecine revient à
Magendie. Mais il faut dire que cet illustre maître reçut
l'impulsion de Laplace et de Lavoisier, et qu'il a trouvé
le terrain heureusement préparé, en ce sens que les
sciences physiques et chimiques étaient parvenues,
lorsqu'il est lui-même apparu, au degré de développe-
ment qui rendait la physiologie expérimentale possible.
DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE. 61
Il est eu effet évident qu'alors que les lois physiques et
chimiques étaient encore perdues dans un chaos de faits
indéterminés, il était impossible d'entreprendre avec
succès l'analyse des phénomènes de la vie, d'une part
parce que ces phénomènes relèvent des lois de la chi-
mie et de la physique, et d'autre part parce que leur
étude ne peut être faite sans les appareils, les instru-
ments et, en un mot, tous les moyens d'analyse dont
nous sommes redevables aux laboratoires des chimistes
et des physiciens.
Nous devons en effet, permettez-moi d'insister en
passant sur ce point, nous devons beaucoup emprunter
à la physique et à la chimie, et le physiologiste doit, pour
ainsi dire, combiner en lui-même toutes les sciences
nécessaires pour lui permettre d'apprécier complète-
ment la valeur des faits qu'il observe. Mais, dira-t-on,
il y aurait bien peu de physiologistes si, pour mériter
ce titre, il fallait posséder toutes les branches de la
science humaine. Cela est incontestablement vrai ! Mais
nous avons, dans chaque cas particulier, la ressource
de recourir à l'aide d'un spécialiste. C'est de cette manière
que nous arrivons à constituer un jury complet pour
l'appréciation des faits. Seulement il ne faut jamais
oublier que, lorsque deux observateurs appartenant à
deux déparlements différents de la science se réunissent
pour pratiquer une expérience, souvent les rôles res-
pectifs sont renversés, ce qui ftiit dévier leurs travaux
de leur objet primitif. Il est, par suite, nécessaire que,
dans toute expérience exécutée sur les animaux vivants,
le physiologiste se constitue le maître absolu. C'est à lui
6^ PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
seul qu'il appartient de déterniiner les conditions de
l'expérience.
Nous disions donc qu'aujourd'hui la physique et la
chimie, ces sciences auxquelles nous devons tant em-
prunter, sont en état de nous fournir des moyens
d'étude : il n'est donc plus permis à la médecine de s'en
tenir, comme autrefois, à la clinique seule ; les expé-
riences au laboratoire doivent occuper autant de place
que les observations au lit du malade.
Cette nécessité est si bien sentie, que chaque clinique
s'adjoint aujourd'hui, dans nos grands hôpitaux, un
laboratoire, où non-seulement on procède aux analyses
chimiques et autres compléments nécessaires de l'obser-
vation du malade, mais où l'on étend encore cette
observation en provoquant des troubles morbides sur
(les animaux en expérience. Ces laboratoires, adjoints
aux cliniques, ne sauraient être l'expression entière des
tendances actuelles ; le laboratoire d'expérience, source
de nos connaissances théoriques, doit avoir par cela
même son existence propre, son indépendance; et c'est
ainsi que vous voyez, comme ici, au Collège de France,
le laboratoire de médecine expérimentale fonctionner
isolément, c'est-à-dire en dehors de toute attache
clinique, prenant pour point de départ à ses recherches
médicales non les faits observés sur le malade, mais
bien l'étude des phénomènes physiologiques dont les
faits pathologiques sont des formes dérivées.
Que doit donc être un laboratoire de physiologie?
quel est son but? quels sont ses moyens?
Certes, en regardant vers le passé, quelques personnes
DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE. 63
ont pu dire qu'en général les laboratoires ne sont pas
indispensables, que Lavoisier a fait ses immortelles
découvertes sans avoir de laboratoire, que le labora-
toire ne donne pas le génie des découvertes, et que
celui qui sait chercher trouvera sans disposer d'une
installation spéciale; sans doute, mais avec quelles
difficultés, avec quelles pertes de temps ! Or, il faut
que la science marche le plus vite possible; il faut
que, une expérience étant conçue, nous puissions
la réaliser rapidement. C'est à cela que sert le labora-
toire, en nous mettant sous la main et les sujets et les
conditions expérimentales nécessaires; il facilite aux
jeunes l'entrée dans la voie expérimentale : il permet
aux maîtres de marcher plus rapidement et plus vite
dans cette voie ; il ne donne pas le génie, mais il en
facilite singulièrement les manifestations.
Autrefois, et je parle seulement d'une trentaine
d'années, lorsque l'idée d'une expérience était conçue,
il fallait en attendre parfois bien longtemps la réali-
sation ; nous n'avions ni locaux, niappareils, ni animaux
à notre disposition ; il fallait un heureux hasard et une
grande ténacité pour arriver à réunir les conditions
nécessaires à une tentative expérimentale. On expéri-
mentait dans sa chambre, sur un animal conquis par
surprise, sans aide et presque sans instruments. Quand,
en 1830, Magendie fut nommé au Collège de France, il
n'obtint pour faire ses vivisections qu'une toute petite
salle, ou plutôt une sorte de petit cabinet, où nous
pouvions à peine nous tenir à deux ; c'est là cependant,
et aux prix des plus patients efforts, que se sont faites
64 PHYSIOLOGIE OPIiRATOiRE ET VIVISECTIONS.
ses plus immortelles recherches, car c'est seulement
dix ans plus tard, en 1840, qu'il obtint un véritable
laboratoire, celui où nous sommes aujourd'hui.
En comparaison de la première installation de
Magendie, notre laboratoire d'aujourd'hui est une chose
splendide, et cependant les étrangers qui viennent nous
y visiter ne peuvent cacher leur étonnement à la vue
de son exiguïté, de sa pauvreté, de ses faibles ressources.
C'est que le signal donné par Magendie fut bientôt suivi
de tous côtés. Le laboratoire du Collège de France fut,
dans le monde entier, le premier laboratoire de physio-
logie et de médecine expérimentales; mais, depuis lors,
on a fondé de nombreux laboratoires à l'étranger, et
ces installations ont grandement dépassé, par leur
munificence, surtout en Allemagne, la nôtre demeurée
en partie à son état de simplicité primitive. Quoi qu'il
en soit de ces installations plus ou moins parfaites, elles
nous montrent toutes qu'on reconnaît aujourd'hui la
nécessité de lire directement dans le grand livre de la
nature, et de ne plus se contenter, comme on l'a fait
pendant tant de siècles, de commenter les anciens
écrits. Pour pénétrer dans les phénomènes de la nature,
on a dû s'outiller autrement qu'autrefois, on a dû s'en-
tourer de tous les moyens qui viennent à l'aide de nos
sens et qui économisent le temps; ce besoin d'établir,
si je puis ainsi dire, la bonne administration scientifique
de l'emploi de nos facultés, a présidé à la création et à
l'installation des laboratoires.
Cela étant donné, quelles dispositions doit présenter
un laboratoire? Je vous l'ai dit, c'est celui du Collège
DES LABORATOIRES. 65
de France qui a été le premier créé ; c'est lui qui a
d'abord servi, sinon de modèle, au moins d'exemple
pour les créations faites à l'étranger ; mais aujourd'hui
notre laboratoire, vu son exiguïté, ne saurait plus être
présenté comme type. Ces modèles, il faut aller les
chercher dans les pays où des installations de ce genre
ont été faites sur le pied le plus large et avec une véri-
table munificence ; il faut les chercher en Allemagne,
et notamment à Leipzig (laboratoire de Ludwig), à
Pesth en Hongrie , à Leyde en Hollande , en
Suisse, etc., etc. Là tout est disposé pour que l'expé-
rimentateur trouve sous sa main tout ce qui est néces-
saire, animaux, appareils physiques et chimiques, forces
motrices, etc., etc. A l'époque oii nous faisions des
recherches sur le sang, et qu'il nous fallait absolument
mettre à profit certaines propriétés du sang du cheval,
nous étions forcés de nous transporter à du grandes
distances pour aller chez les équarrisseurs, dans les
abattoirs, nous procurer les matériaux nécessaires aux
recherches.
Je ne cite là qu'un exemple; il en est mille
autres propres à vous montrer comment on peut
être réduit, pour courir pour ainsi dire après les
sujets d'expérience, à perdre des journées entières,
heureux encore si ces longues dépenses de temps
donnent un véritable résultat. Ce sont ces perles inutiles
qu'un laboratoire doit éviter; aussi le laboratoire de
Pesth, que je vous citais comme exemple, possède-t-il
comme annexe des écuries, des basses-cours, de véri-
tables parcs, où Ton nourrit, entrelient et même élève
CI.. CER.NAKD. — l'HYS. OPKR. 5
C)6 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
les différents animaux sur lesquels doivent porter les
vivisections.
Mais si nos ressources ne nous permettent pas pour le
moment de songer k des installations semblables, nous
devons du moins nous efforcer, même avec un étroit
local, de satisfaire aux bonnes conditions instrumen-
tales de nos recherches. Pour cela, il faut que chaque
ordre de recherches ait sa place consacrée à cet effet,
avec disposition toujours toute prête des appareils à ce
destinés : ici les microscopes; là les appareils de phy-
sique, polarimètre, densimètre, etc., etc. ; ici les piles
et tout ce qui se rapporte à l'électricité, etc., etc.
Il faut qu'en un mot Texpérimentateur, en entrant
dans le laboratoire avec l'idée dune expérience, trouve
aussitôt sous la main tout ce qu'il faut pour la réa-
liser et pour en analyser tous les éléments avec les
appareils physiques aussi bien qu'avec les procédés
chimiques.
Je n'insisterai pas davantage sur cette question, qui
recevra un complément de développement lorsque je
vous exposerai la méthode à suivre pour faire les autop-
sies des animaux mis en expérience. Parlons maintenant
de ces animaux eux-mêmes.
Notre but spécial, ainsi que l'indique du reste le
titre de ce cours, c'est l'étude des vivisections, étude qui
nous présentera un champ très-étendu pour établir les
règles de l'expérimentation rationnelle, car, outre
l'exactitude et la méthode qu'il faut apporter aux expé-
riences en général, il y a encore des conditions particu-
lières dexactitude k remplir quand on opère sur les
LABORATOIRES ET VIVISECTIONS. 67
corps vivants, qui, vu leurs métamorphoses, leurs chan-
gements incessants, nous forcent à redoubler de mé-
thode; il faut que nous cherchions à fixer momenta-
nément l'instabilité des phénomènes qu'ils présentent,
afin de les étudier toujours dans les mêmes circonstances.
Tel est le but des vivisections entreprises d'une
manière rationnelle. Galien faisait déjà des dissections
sur des animaux vivants^ et des expériences plus ou
moins systématiques pour démontrer devant le public
les propositions qu'il avait avancées. C'est ainsi qu'il
a expérimenté sur la moelle épinière, sur les nerfs
laryngés ; il avait même observé les phénomènes qui se
rapportent à la blessure du fameux nœud imitai de
Flourens ; il savait que c'est ainsi que le taureau est
foudroyé, mais il attribuait cette mort subite à la lésion
de la dure-mère, à laquelle il accordait un rôle immense
dans les fonctions de l'organisme.
Déjà du temps de Galien on s'inquiétait des meilleures
conditions pour faire de bonnes expériences. La grande
question était alors et a été longtemps encore de savoirs'il
faut opérer sur les animaux les plus voisins de l'homme;
c'est ce que pensait Galien , et c'était là à ses yeux la con-
dition nécessaire pour rendre applicable à la médecine
le résultat de ses vivisections. Aussi quelques expérimen-
tateurs ont-ils, du temps des Plolémées, porté leurs
vivisections jusque sur des condamnés. Galien se con-
tentait d'agir sur des singes, et même, par la suite,
révolté par la ressemblance douloureuse des gestes du
singe et de l'homme qui se débat, il se contenta d'agir
sur des animaux qui, sans présenter aucune ressem-
()8 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
blance extérieure avec riioinine, offrent cependant la
plus grande conforniilé d'organisation intérieure; il agit
sur des porcs, et particulièrement sur de jeunes porcs.
Comme l'homme estomnivore,Vésale. de son côté, avait
cru devoir choisir un animal également omnivore, et c'est
pourquoi il expérimentait sur le porc. Dans les temps
modernes. Ch. Bell a pratiqué de nombreuses vivisec-
tions sur les singes.
Beaucoup de médecins penseraient encore volontiers
qu'il faut, pour obtenir des résultats utilisables, agir sur
des animaux très-voisins de l'homme. C'est là une
erreur. Sans doute cette reclierche serait nécessaire s'il
s'agissait d'expériences ayant pour objet des applications
chirurgicales ou médicales directes ; mais il s'agit de
lois générales, de phénomènes largement compris, et
dans ce cas, non-seulement la recherche d'animaux
voisins de l'homme n'est pas utile, mais on peut dire
que l'homme lui-même serait moins avantageux la
plupart du temps que des animaux qui en sont très-
éloignés. L'oreille du lapin est mille fois plus avanta-
geuse que ne le serait l'oreille de l'homme pour étudier
les phénomènes de l'imiervation vaso-motrice. Sous le
rapport des lois générales de la physiologie, la grenouille
a rendu bien plus de services que n'aurait pu jamais le
faire l'homme lui-même.
Ce n'est pas à dire que la recherche du singe soit
entièrement inutile pour certains cas particuliers; nous
avons déjà rappelé l'exemple de Ch. Bell qui s'en servit
pour étudier l'innervation de la face, mais ces cas sont
rares ; lanimal lui-même n'est pas facile à se procurer ;
DES VIVISECTIONS. 69
ses mains, ses gestes, ses regards douloureux inspirent
toujours une certaine répugnance à le torturer.
Nous nous servons donc en général des animaux
domestiques les plus communs qui nous entourent : à ce
point de vue, la grenouille est le plus précieux de nos
sujets d'expérimentation.
Mais, dira-t-on, il existe certaines différences que
l'expérimentation directe a fait découvrir entre les phé-
nomènes présentés par certains animaux et ceux que
l'on observe chez l'homme. Chez la grenouille, par
exentple, on a remarqué que lacontractilité musculaire
persistait plus de vingt-quatre heures après la mort ;
chez les mammifères, cette contractilité disparaît beau-
coup plus tôt; chez les oiseaux, elle dure moins encore.
On a dit de même que les courants électriques observés
dans les nerfs et les muscles de la grenouille ne se ren-
contrent plus chez les animaux d'un type plus élevé. Je
soutiens, au contraire, qu'il faut admettre l'exis-
tence de toutes ces propriétés dans les espèces animales
supérieures : il n'y a là qu'une simple question d'inten-
sité; en changeant les conditions ordinaires de la vie,
nous pouvons modifier à volonté les propriétés physio-
logiques. Chez les animaux à sang froid, les phénomènes
ont un caractère de lenteur qui permet de les observer
facilement ; au contraire, chez les animaux à sang chaud,
nous les voyons se succéder avec une telle rapidité, qu'il
devient impossible de les saisir dans leur ordre d'appa-
rition.
Lorsque, par la section de la moelle épinière, ainsi
que nous vous le montrerons plus tard, nous transfor-
70 PHYSIOLOGIE OPKRATOIHE ET VIVISECTIONS.
mons un mammifère en nn animal à sang froid, nous
découvrons chez lui les mêmes phénomènes électriques
que chez la grenouille; par contre, nous voyons ces
phénomènes disparaître chez les batraciens plongés dans
un milieu dont la température est plus élevée que leur
température propre. Dans ces circonstances, les batra-
ciens se comporlent comme les animaux à sang chaud.
Nous avons donc le droit, dans nos expériences, de
comparer les résultats obtenus chez un animal avec ceux
que nous observons chez un autre, en dépit des diffé-
rences d'organisation qu'ils présentent, quelque frap-
pantes qu'elles soient. Cela ne doit pas cependant nous
empêcher de donner la préférence, dans nos études, aux
animaux dont l'organisation se rapproche le plus près
possible de la nôtre.
Il n'est plus que peu de personnes qui répètent les
objections auxquelles je viens de faire allusion. On est
revenu maintenant de ces idées étroites : dès que la vie
existe, on peut étudier ses phénomènes sur n'importe quel
organisme, et la physiologie générale emprunte ses objets
d'étude à tous les échelons de la série des êtres vivants,
depuis le champignon et l'infnsoire jusqu'à l'homme.
D'une manière générale, les résultats obtenus avec des
sujets si divers peuvent légitimement être généralisés et
appliqués, c'est-à-dire qu'à notre point de vue parti-
culier il nous est permis de conclure des animaux à
l'homme. Cependant il faut distinguer.
I" Les phénomènes vitaux proprement dits, qui sont
les manifestations des propriétés des tissus; ceux-là
peuvent être étudiés sur n'importe quels animaux, et ils
I)i:S VIVISECTIONS. 71
doivent l'être de préférence sur les animaux à sang froid,
dont les tissus conservent leurs propriétés longtemps
après la mort générale de l'animal; c'est ainsi, je le
répète, que les expériences sur les muscles et les nerfs
de la grenouille ont été le point de départ de nos prin-
cipales connaissances en physiologie générale : la nutri-
tion des éléments anatomiques, leur reproduction, leur
respiration, d'une manière générale leurs échanges avec
les milieux ambiants, et enfin leur mort, tous ces phé-
nomènes élémentaires s'observent dans les tissus de la
grenouille aussi bien que dans ceux des animaux à sang
chaud les plus supérieurs et dans ceux de l'homme; ils
s'y observent seulement avec plus de facilité, parce
qu'ils sont plus lents et par cela même plus saisissables;
aussi pourrait-on faire un livre rien qu'en relatant les
découvertes que la physiologie a faites sur la grenouille,
cet animal qu'on a appelé le Job de la physiologie; du
reste, ce livre, cette histoire de l'emploi de la grenouille
dans les expériences. C. Duméril l'a esquissée déjà en
1840 (i).
"2" Mais quant a. l'étude de la manière dont sont coor-
données en un ensemble les fonctions élémentaires des
tissus, c'est-à-dire les mécanismes divers par lesquels
ces fonctions s'enchaînent les unes aux autres, cette
étude n'est valable que pour l'animai sur lequel elle a
été faite, parce que, si les tissus ont chez tous les mêmes
propriétés, ils sont associés chez les divers animaux d'une
(1^ c. Duiiicril, yotice historique sur les découvertes faites dans les sciences
d'observation par l'étude de l'organisation des grenouilles. ' Bulletin de l'Aca-
démie de médecine. Paris, 18KJ, t. IV).
75 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
manière dilTérente el constituent des organes et des appa-
reils très-divers. Ainsi les tissus des poissons, des oiseaux,
des mammifères, respirent de même, mais il s'en faut
de beaucoup que le mécanisme respiratoire soil le même
chez tous ; de même qu'une série de machines peuvent
avoir le môme agent moteur, la vapeur, et cependant se
composer de mécanismes tout à fait différents, comme
ceux d'un moulin ou ceux d'une locomotive.
Chez les mammifères même les plus voisins, on s'ex-
poserait, à ce point de vue, à de singulières erreurs si l'on
voulait conclure d'un animal à l'autre. Ainsi la section
bilatérale du nerf facial amène l'asphyxie chez le cheval :
en concluerons-nous que ce nerf est essentiel à la respi-
ration? Mais cette même paralysie faciale ne produit
aucun accident de ce genre chez le chien, le chat, ni chez
l'homme, etc.; c'est que le cheval ne peut respirer que
par les narines, el que la paralysie des muscles nasaux,
détruisant la dilatation active des narines, met obstacle
à l'entrée de l'air. Il n'y a donc eiître le facial du cheval
et celui des animaux voisins qu'une différence dans le
mécanisme selon lequel sont associés à la respiration
certains muscles qu'il anime ; chez tous, comme chez
l'homme, ce nerf est moteur: chez tous, il se distribue
aux muscles de la face; mais ces muscles ne jouent pas
chez tous un rôle également important dans le méca-
nisme de Tinspiration.
Nous emprunterons donc à l'expérience sur n'importe
quels aniu)aux les notions de physiologie générale; celles
de physiologie spéciale devront, pour devenir applica-
bles à la pratique médicale, être le résultat de recherches
DES VIVISECTIONS. 73
faites sur les mammifères supérieurs et surl'liomme lui-
même.
En interrogeant l'histoire de la médecine, on trouve
quelques exemples fameux d'expériences faites sur
l'homme lui-même. Il me suffira devons rappeler l'his-
toire bien connue de lopération de la taille, faite pour
la première fois sur un condamné qui y gagna à la fois
la vie et la guérison de son infirmité. De nos jours,
l'évolution des tœnias a été étudiée soit par des expé-
riences faites sur des condamnés, soit par des expé-
riences dont lexpérimentateur s'est fait lui-même l'ob-
jet.Enfin les médicaments nouveaux, après une première
épreuve sur les animaux, sont le plus souvent soumis à
des épreuves déûnitives que leur auteur n'hésite pas à
faire sur lui-même.
Mais, en somme, à part ces quelques cas exception-
nels ou spéciaux, toutes nos idées morales se refusent à
admettre l'expérimentation sur Ihonime; c'est aux ver-
tébrés supérieurs, aux mammifères, et principalement
aux animaux domestiques, que nous avons recours.
Il nous reste à dire quelques mots sur une considéra-
tion générale qui ne mérite pas de nous arrêter long-
temps. On peut se demander si nos vivisections, si les
supplices et la mort imposés à ces divers animaux sont
légitimes.
De nombreuses protestations se sont élevées à ce sujet,
moins en France que dans les pays voisins, et toujours,
il faut le dire, de la part de personnes étrangères k la
science. 11 ne sera donc pas déplacé de vous dire ici en
quelques mots notre opinion à ce sujet.
74 PHYSIOLOGIE OPKRATOIKE KT VIVISECTIONS.
Certes, ceux ((ui s'apitoient sur le sort des animaux
soumis aux expériences obéissent à un sentiment naturel,
légitime, et que nous éprouvons aussi bien qu'eux ; seu-
lement ils ne voient que les souffrances imposées aux
animaux, tandis que nous, nous voyons avant tout le but
à atteindre. Si, obéissant à l'idée de chercher à diminuer
partout la souffrance, on voulait être logique, il faudrait
renoncer aux pratiques les plus usuelles, il faudrait renon-
cer à notre mode d'alimentation, et, comme le quaker
qui venait reprochera Magendieses vivisections, repous-
ser à tout jamais la viande de boucherie, le gibier, et
en revenir à une nourriture exclusivement herbivore et
frugivore. Mais, dira-t-on, l'abattoir se borne à donner
aux animaux qui font notre nourriture une mort brusque,
violente, sans prolonger leur supplice. Sans doute; mais,
si nous voulioiTs plaider ici une cause en faveur de
laquelle nous nous contenterons d'invoquer le simple bon
sens, nous pourrions répoudre que, pour obtenir cette
dégénérescence particulière que le gourmet savoure sous
le nom de foie gras, on soumet des milliers d'animaux à
un supplice infiniment plus long et plus pénible que
ceux dont sont témoins nos laboratoires; nous pourrions
répondre que, pour satisfaire à des goûts de mode,
on mutile les animaux, on coupe capricieusement aux
chiens la queue et les oreilles, etc. ; enfin nous dirions
qu'aujourd'hui les animaux sur lesquels nous opérons
sont le plus souvent anesthésiés, et que par ce fait même
nous supprimons la douleur.
Mais la véritable, la seule raison que nous ayons à
donner, c'est que les vivisections font marcher la science,
DES VIVISECTIONS. 75
que la science a des applications, et que par ces applica-
tions, les unes déjà réalisées, les autres encore incon-
nues, mais non moins certaines, la médecine pratique
arrive à soulager des milliers d'êtres humains, pour
quelques animaux auxquels nous avons imposé un in-
stant de souffrance.
Ces vues, qui résultent de tout ce que je vous ai pré-
cédemment exposé sur la méthode des sciences expéri-
mentales, et sur les applications qui s'en déduisent
nécessairement et souvent de la manière la moins
attendue, ces vues ne sont malheureusement pas fami-
lières aux gens du monde, à ceux qui se sont, dans ces
derniers temps, si violemment insurgés contre les vivi-
sections. Tout en maintenant bien haut notre droit,
ou, pour mieux dire, notre devoir d'expérimenter, nous
devons cependant éviter de blesser la sensibilité des per-
sonnes qui s'émeuvent des vivisections. Pour cela, il
faut sinq)lement nous garder de pratiquer les expé-
riences ailleurs que dans les lieux consacrés à ce genre
de recherches, c'est-à-dire ailleurs que dans les labora-
toires. On conçoit que les cris d'animaux soumis à des
vivisections dans les appartements d'une maison habitée,
puissent émouvoir les voisins; mais nous n'en sommes
plus au temps où nul abri spécial n'était offert à l'expéri-
mentateur; nos laboratoires sont modestes, sans doute,
mais enfin ils existent, et c'est là que la vivisection doit
savoir se cantonner. Ceux qui viennent assister à nos
expériences en connaissent la portée, et, partageant notre
foi dans la science, ils partageront notre apparente indif-
férence à la souffrance des animaux ; ceux qui ne voient
76 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRK I.T VIVISECTIONS.
que cette souffrance, Siiiis penser aux recherches qui
motivent et justifient nos tentatives, n'ont qu'à se retirer
si leurs sens sont trop vivement affectés.
Pour vous montrer combien est fausse, du moins
quant à ses conséquences, cette exagération de sensibi-
lité, dont trop de personnes croient devoir se parer,
je vous citerai ce qui se pratique dans les écoles vétéri -
naires, et notamment k Alfort. Tandis que, pour se fa-
miliariser avec la pratique chirurgicale, les étudiants
en médecine répètent des opérations sur le cadavre hu-
main, les étudiants vétérinaires sont exercés sur des
chevaux vivants, destinés, du reste, à l'équarrisseur.
Cette image de tortures infligées à des animaux mou-
rants révolte lespril de bien des gens. En réfléchissant
cependant, ils verraientbientôt qu'au point de vue même
de l'humanité, cette pratique est légitime, et qu'au prix
de quelques souffrances infligées aux animaux, elle a
pour but d'éviter de plus grands malheurs. Dans l'exer-
cice de son art, le vétérinaire est exposé à de grands
dangers : il ftiut qu'il sache se défendre contre les
violentes réactions des sujets sur lesquels il opère; il
faut donc que, pendant ses éludes, il s'exerce non-seu-
lement à la pratique des opérations, comme le fait sur
le cadavre l'étudiant en médecine, mais qu'il s'habitue
encore à se mettre en garde contre les mouvements de
défense de l'animal qu'il opère; il faut qu'il s'exerce à
opérer sur le vivant; la vivisection est ici la condition
de sa sécurité ultérieure, et celui qui s'apitoie avec exa-
gération sur les soutfiances de l'animal opéré, oublie
évidemment que, si ces exercices n'avaient pas lieu, il
DES VIVISECTIONS. 77
aurait malheureusement à s'aftliger à bien plus juste
titre des accidents terribles dont seraient victimes les
vétérinaires pendant leurs opérations.
Toutes ces considérations nous ramènent à l'objet
principal de cette leçon, c'est-à-dire à l'importance des
laboratoires. Je vous ai montré que ces installations sont
indispensables afin de permettre ce que nous avons ap-
pelé une bonne administration de nos moyens de recher-
ches; vous voyez que les laboratoires sont non moins
précieux pour nous mettre à l'abri des personnes trop
impressionnables, de même que pour éviter à celles-ci
des spectacles qui leur sont fatalement odieux, du mo-
ment que l'esprit, insensible aux résultats scientifiques
et pratiques ultérieurs, ne voit que les détails présents,
ne s'arrête que sur l'opération de vivisection elle-même,
et la laisse apprécier par le sentiment seul.
CINQUIÈME LEÇON
Sommaire. — Nécessité des expériences de contrôle. — Détermination du
rôle des vivisections en physiologie cxpr-rimentalo. — Des inductions
anatomiques. — Comment on localise les phénomènes de la vie. — Com-
ment on les explique. — Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des actes
physico-cliimiques. — Impulsion donnée à la physiologie générale par
les découvertes de Lavoisier. — De l'emploi des poisons pour porter
l'analyse expérimentale jusque sur les éléments anatomiques.— De la vie.
— Théories anciennes sur la vie. — La vie réside dans les éléments
anatomiques. — La vie totale de l'individu est la somme des vies partielles
des éléments de tissus. — Objet de la physiologie expérimentale.
Messieurs,
Nous venons de voir que la vivisection est, par excel-
lence, le procédé d'investigation physiologique, et nous
avons défendu les vivisections contre les attaques di-
verses dont elles ont été l'objet, en même temps que
nous avons montré à ce sujet la nécessité des labora-
toires.
Pour en revenir aux principes généraux que nous
cherchons à établir, insistons sur ce point qu'il est in-
dispensable, dans toute vivisection, d'avoir recours aux
contre-épreuves. La grande méthode adoptée en phy-
siologie consiste à supprimer un organe et à comparer
ce qui se passe alors avec la marche naturelle et ordi-
naire des phénomènes de la vie; mais nous devons faire
abstraction, dans ce cas, de toutes les conséquences
immédiates de la vivisection, en un mot des accidents
chirurgicaux.
DES EXPÉRIENCES DE CONTROLE. 79
Si, par exemple, nous sectionnons un nerf chez un
animal, nous devons faire en même temps une contre-
épreuve sur un autre; pour cela, nous mettons chez
celui-ci le nerf à découvert, sans le diviser, et nous
sommes alors à même de distinguer les troubles qui
résultent de la section du cordon nerveux des acci-
dents qui ne sont que la conséquence de l'opération
préliminaire. On ne saurait s'imaginer le nombre de
services inespérés que cette méthode a rendus à la
science. C'est par elle que j'ai réussi moi-même à décou-
vrir la fonction glycogénique. Avant cette découverte,
adoptant les opinions courantes du jour, je croyais que
le sucre ne se formait jamais au sein de l'économie,
mais que les animaux détruisaient, d'une manière ou
d'une autre, la glycose qu'ils absorbaient par l'inter-
médiaire de leurs ahments. Pour démontrer ce fait, je
me mis à rechercher le sucre dans tous les organes d'un
chien nourri d'aliments renfermant cette substance ;
mais, en examinant en même temps les organes d'un
autre chien soumis exclusivement au régime animal,
je m'aperçus, non sans étonnement, que le résultat de
l'analyse était le même dans les deux cas. Ce résultat
inattendu me conduisit à une nouvelle série d'expé-
riences qui m'amenèrent à la découverte de la fonction
glycogénique.
Nous devons donc toujours étudier la marche des
phénomènes chez un sujet sain, parallèlement à ce que
nous observons chez l'animal en expérience. Mais il est
quelquefois impossible d'obtenir, chez des animaux dif-
férents, des résultats susceptibles d'être comparés : c'est
80 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
ainsi que, voulant in'assurer par moi-même de la na-
ture des aliments ca|)ables de produire la plus grande
quantité de matière glycogène dans le foie, j'examinai
en môme temps deux animaux soumis antérieurement
à des modes d'alimentation difTérents; or, les résultats
obtenus ont varié avec l'âge et l'état de santé des deux
animaux. J'eus ensuite recours à la manière de procé-
der suivante : j'enlevai un petit morceau du l'oie d'un
animal qui avait été pendant longtemps privé de nour-
riture, après quoi j'injeclai dans son estomac un ali-
ment d'une composition particulière, puis je le sacrifiai,
afin de pouvoir comparer les résultats de l'analyse avant
et après l'ingestion de l'aliment.
Mais la vivisection, dans le sens classique du mot,
n'est qu'un moyen assez grossier de recherches; nous
connaissons aujourd'hui quelleest la complexité des phé-
nomènes vitaux, et nous ne saurions nous contenter,
pour en faire l'analyse, des antiques procédés de vivi-
section, tels que les pratiquaient Galien et Yésale; jus-
qu'à la fin du siècle dernier, si l'on avait eu à installer un
laboratoire de physiologie expérimentale, il eût suffi de
le pourvoir des instruments de vivisection, c'est-à-dire
de dissecùon, tels que Vésale lui-môme les a représen-
tés à la fin de son Anatomie. Une pareille installation
serait aujourd'hui dérisoire : les divers instruments
tranchants propres aux vivisections nous permettent seu-
lement d'aller pénétrer dans l'organisme vivant, mais
alors, c'est-à-dire une fois que nous sommes arrivés sur
le lieu même où se produisent les phénomènes les plus
intimes, nous empruntons à la physique et à la chimie
DES VIVISECTIONS. 81
tous leurs appareils les plus délicats pour analyser ces
phénomènes.
Nous allons donc essayer de définir avec précision le
rôle des vivisections en physiologie expérimentale, de
montrer jusqu'à quel point elles nous laissent pénétrer
dans l'étude de l'organisme, et à quel moment elles
doivent être supplées et remplacées par l'emploi des
moyens d'analyse physico-chimique.
L'anatomie descriptive, étudiée sur le cadavre, nous
permet de reconnaître des parties distinctes, des orga-
nes : la vivisection, c'est-à-dire l'anatomie faite sur
l'être vivant, nous permet de constater les usages de ces
parties, et complète des notions que l'anatomie cadavé-
rique serait toujours restée impuissante à nous donner.
Un exemple, entre mille, suffira pour rendre la chose
évidente : sur le cadavre on trouve toujours les artères
vides ou remplies de gaz, et celui qui, comme Erasis-
trale, s'en serait toujours tenu à l'inspection des artères
sur le cadavre, n'aurait jamais soupçonné le rôle de ces
vaisseaux dans la circulation du sang ; aussi Erasistrate
regardait-il les artères comme des canaux aériens, en
communication avec le conduit aérien du poumon, avec
la trachée-artère . Mais Galien dissèque des animaux
vivants; il voit les artères pleines de sang; et ainsi la
vivisection lui montre l'usage réel de ces canaux, dont
l'anatomie avait seulement révélé l'existence, et amené
les premiers analomistes à des idées fausses sur leur
rôle.
On peut donc dire que la vivisection anime l'anato-
mie : la physiologie établie à l'aide des vivisections est
CL. BERNARD. — PHVS. OPER.
82 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
une anafomia animata, ainsi que la définissait Haller
lui-môme.
Pour arriver à cette analomia animata^ la vivisection,
dans sa forme la plus primitive, se contente d'observer
les faits sur le sujet ouvert, comme lorsque Galien
constate la présence du sang dans les artères , ou bien
elle a recours à des procédés plus complexes : on en-
lève l'organe dont on veut étudier les usages, et, des
troubles produits par son absence, on conclut à ses fonc-
tions et à leur importance. Cette manière de faire a
souvent été la source de grosses erreurs, les expérimen-
tateurs n'ayant pas toujours parfaitement établi le dé-
terminisme des phénomènes observés, c'est-à-dire
n'ayant pas tenu compte des lésions qui accompagnent
l'ablation de l'organe, et des troubles consécutifs à ces
lésions indépendamment de l'absence des fonctions de
l'organe enlevé. Nous reviendrons ultérieurement sur
cette question de critique expérimentale.
C'est à la vivisection, pratiquée sous les deux foruies
sus-indiquées, que nous devons en définitive les plus
importantes découvertes sur les fonctions des parties,
sur les mécanismes des fonctions ; c'est ainsi qu'Harvey
a découvert le mécanisme de la circulation. Ce sont en-
core les vivisections de ce genre qui ont permis à Haller
de faire ses belles études sur les parties sensibles et les
parties insensibles^ sur \qs parties immobiles et sur les
parties mobiles ou irritables. C'est-à-dire que, pour
rendre ces expressions par leurs équivalents modernes,
Haller, à l'aide de la vivisection, a distingué les nerfs
d'avec les muscles, en montrant que les nerfs sont sen-
DES VIVISECTIONS. 83
sibles et les muscles irritables (contractiles); et cette
distinction, qui nous paraît aujourd'hui chose évidente,
était à cette époque un progrès considérable, progrès
que Haller a poussé très-loin, car il a démontré l'auto-
nomie du nerf et du muscle, c'est-à-dire montré que le
muscle, par exemple, possède ses propriétés contrac-
tiles indépendamment du nerf: le nom d'irritabilité
hallérienne, donné à l'irritabilité du muscle, a consacré
cette importante découverte.
Les vivisections, comme moyen de localiser chaque
fonction dans chaque organe, les vivisections ont donné
encore des résultats plus importants, car, siHallera dis-
tingué les nerfs des muscles, Magendie a distingué, par
la même méthode, deux espèces de nerfs à fonctions
distinctes, les nerfs sensilifs et les nerfs moteurs, et
vous savez que les seules sections, portées successive-
ment sur les deux ordres de racines des nerfs rachi-
diens, ont établi cette distinction capitale, point de
départ de toute la physiologie du système nerveux.
Tous ces résultais des vivisections, quelque considé-
rables qu'ils soient, ne nous donnent de renseigne-
ments que sur le mécanisme des fonctions, sur l'usage
des organes, sur les propriétés des vaisseaux, des nerfs,
des muscles, etc.; mais la vivisection ne va pas au delà;
la nature de ces propriétés qu'elle révèle, les condi-
tions intimes de ces phénomènes qu'elle localise, la
lorce qui meut ces instruments qu'elle nous fait con-
naître, tout cela échappe à son investigation. Elle s'ar-
rête, de même que s'arrêterait un mécanicien qui nous
expliquerait le rôle de chacune des pièces d'une loco-
84 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
motive, d'une machine quelconque, mais resterait muet
sur la vapeur, sur la force motrice qui met en jeu
toutes ces pièces.
A l'époque où j'ai commencé mes études, on croyait
être arrivé à tout ce que peut donner la physiologie
expérimentale quand ou avait localisé tel phénomène
dans tel organe ; on ne croyait pas devoir chercher
rien au delà de celte localisation, de cette anatomia
animata. On avait reconnu que le muscle est l'agent
mécanique des mouvements , qu'il déplace les leviers
osseux en se contractant, c'est-à-dire en se raccourcis-
sant, et l'on ne pensait pas à rechercher le mécanisme
intime de cette contraction, à étudier les conditions qui
la modifient. On se hornait, en un mot, à établir l'usage
des parties.
Aujourd'hui on est allé et on va tous les jours plus
loin dans l'analyse des phénomènes des êtres vivants :
après avoir localisé, on exphque. Pour répondre aux
besoins de ce nouvel ordre de recherches, ce n'est plus
la vivisection pure et simple qui est mi«e en pratique,
ce sont les procédés de l'analyse physique et chimique.
Sans doute l'anatomie vient encore à notre aide; grâce
aux instruments grossissants nous parvenons à aperce-
voir les éléments anatomiques qui sont le sujet des pro-
priétés des tissus ; les éludes histologiques, si largement
et si fructueusement cultivées aujourd'hui, donnent
aux recherches de physiologie générale une base ana-
tomique ; mais l'anatomie microscopique ne peut nous
servir qu'à localiser les phénomènes, les propriétés élé-
mentaires : c'est l'expérimentation, c'est la physiolo-
DES VIVISECTIONS. 85
gie générale qui les explique, c'est-à-dire qui en ana-
lyse la nature physico-chimique.
Les grands promoteurs de ces nouvelles études, ceux
qui les premiers ouvrirent la voie à cette analyse phy-
sico-chimique des phénomènes de la vie, furent La-
place et Lavoisier. Nous ne saurions tenir compte ici
des tentatives antérieures faites, par exemple, par Van
Helmont, tentatives prématurées et basées sur de pures
hypothèses, car la chimie n'était pas constituée encore,
et il était par suite impossible d'emprunter des explica-
tions valables à une science qui n'existait pas.
Eu créant la chimie, Lavoisier rendit du même coup
possibles les tentatives durables de physiologie générale,
et ces tentatives, il les réalisa lui-même avec Laplace,
dans le grand travail que ces auteurs publièrent sur la
chaleur animale. En montrant que la chaleur dégagée
par les êtres vivants ne diffère pas de la chaleur pro-
duite par les combustions ou par d'autres phénomènes
chimiques; en établissant qu'il n'y a qu'une seule- et
même physique, qu'une seule et même chimie, de
même qu'une seule mécanique, pour les corps orga-
niques et pour les corps inorganiques, Lavoisier et
Laplace jetèrent les premières bases de la physiologie
générale; la physiologie des fonctions, l'étude de l'usage
des parties, établie d'après les vivisections, allait donc
être complétée par des recherches plus intimes, par
l'analyse physico-chimique des phénomènes élémen-
taires.
(Vest Magendie qui donna pour la première fois à
un livre de physiologie le titre de Leçons sur les phéno-
SQ PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVLSliCTlONS.
77iènes physif/iœs de la vie, marquant bien ainsi le prin-
cipe do la nouvelle méthode dont il a été l'un des plus
actifs initiateurs. Nous verrons longuement et dans
tous leurs détails, au cours de ces leçons, les progrès
accomplis grâce à ces modes d'investigation. Permettez-
moi, pour le moment, de tous signaler quelques-uns
de ses dangers, ou, pour mieux dire, de vous mettre en
garde contre quelques excès qui résultent non pas de la
méthode elle-même, mais de la manière défectueuse,
hâtive et incomplète dont elle est parfois appliquée.
Je veux parler ici des cas où, pour expliquer par la
chimie et la physique des phénomènes dont la nature est
certainement physique et chimique, on se contente de
les concevoir tels qu'ils pourraient être sans rechercher
ce qu'ils sont réellement. Quelques exemples vous fe-
ront mieux comprendre ma pensée.
Ainsi les matières amylacées sont transformées, par
l'action des sucs digestifs, en dextrine, puis en glycose;
le chimiste, iii vitro, produit ces mêmes transforma-
tions soit par l'action des acides, soit par celle de la
chaleur. Cela suffît-il pour nous autoriser à conclure
que les sucs digestifs agissent par acidité, ou qu'il faut
faire jouer un grand rôle à une sorte de cuisson, de
coction digestive? L'hypothèse a été émise ; elle a été
donnée et adoptée comme une explication. Cependant,
l'étude'directe du phénomène organique a montré que
l'économie vivante produisait bien de la glycose et de
la glycose identique à celle que produit le chimiste,
mais qu'elle agissait par un procédé différent, par une
véritable fermentation, et nous isolons aujourd'hui
DES VIVISECTIONS. 87
les ferments, qui sont les agents actifs de ces transfor-
mations.
De même pour la saponification des corps gras : les
chimistes l'obtiennent par l'action des acides, par celle
des alcalis forts, par celle de la vapeur d'eau surchauf-
fée; conclure par analogie à des actions semblables se
produisant dans l'organisme, ce serait tomber volon-
tairement dans une grossière erreur, car l'étude directe
du phénomène même nous montre qu'ici encore l'orga-
nisme agit par le moyen d'un ferment contenu dans le
suc pancréatique.
Ainsi, de l'identité des résultats produits, il n'est pas
légitime de conclure à l'identité des procédés : nous
produisons de l'électricité par des piles, par des électro-
aimants, par des actions capillaires, etc., etc.; dans
tous ces cas, l'électricité produite est toujours de même
nature, mais les moyens de production sont totalement
différents. Les êtres vivants produisent aussi de l'élec-
Iricité, et certains poissons possèdentdes organes quileur
permettent de fournir des décharges aussi fortes et aussi
dangereuses que celles données par des appareils puis-
sants. De ce qu'on obtient le plus souvent l'électricité
avec une pile composée de cuivre et de zinc, en con-
clurons-nous que l'appareil électrique de ces poissons
renferme une électrode cuivre et une électrode zinc, ou
bien y chercherons-nous un électro-aimant? Ces suppo-
sitions, dans cet exemple particulier, vous frappent par
leur absurdité même : l'appareil organique de ces ani-
maux produit cependant de l'électricité identique à celle
que donnent nos divers appareils physiques et chi-
88 PHYSIOLOGIt: Ol'ÉRVTOIRli ET VIVISECTIONS.
miques, électricité qu'où peut recueillir et condenser dans
une bouteille de Leyde, comme les décharges de la ma-
chine électrique, électricité à laquelle on peut faire
parcourir un circuit métallique, comme on le fait pour
celle de nos piles. Cependant, malgré cette identité des
résultats, vous ne sauriez pensera l'identité des procédés
qui les produisent.
Il en est de même pour une infinité d'autres phéno-
mènes organiques, et ce n'est pas, je le répète, les ex-
pliquer réellement que les identifier à priori à ce que
le chimiste produit in vitro dans son laboratoire. La
chimie et la physique ont mieux k faire que de nous
fournir des hypothèses : elles nous offrent les moyens
d'analyser les actes intimes des phénomènes élémen-
taires, et ce sont seulement les résultats de ces analyses
qui nous permettront d'établir sur des bases sérieuses
les notions essentielles de physiologie générale.
Mais les vivisections d'une part, les analyses physico-
chimiques d'autre part, ne sont pas les seuls moyens
d'investigation que nous ayons à notre disposition. Nous
savons aujourd'hui, grâce aux progrès de l'anatomie
générale, qu'il faut chercher les éléments de la vie dans
les éléments anatomiques eux-mêmes. Comment péné-
trer par l'expérimentation jusqu'à ces éléments anato-
miques, de manière à agir isolément sur chacun d'eux,
ou, pour mieux dire, sur chaque classe particulière?
Eh bien ! nous trouvons dans l'emploi des poisons les
réactifs qui nous permettent ces actions expérimentales
élémentaires par lesquelles nous dissocions les fonctions
des éléments anatomiques eux-mêmes.
DE l'emploi des POISONS. 89
Depuis que nous avons abordé à ce point de vue
l'élude de la physiologie générale, nous pensons être
parvenu à démontrer que tout ce qui agit sur la vie d'un
organisme, pour l'entretenir, la modifier, la détruire,
n'agit pas en réalité sur cette entité abstraite qu'on ap-
pelle la vie, mais porte son action spécialement sur un
des nombreux éléments anatomiques qui, par l'ensemble
de leur vie partielle, constituent la vie générale de l'or-
ganisme total : ainsi, dire que la strychnine agit sur la
vie du chien, de l'oiseau, du poisson, c'est exprimer,
au point où en est aujourd'hui la physiologie, une idée
absolument fausse ; dire que ce poison agit sur la moelle
épinière de ces animaux, c'est déjà se rapprocher de la
vérité, mais sans l'atteindre cependant, car de même
que l'animal se compose d'une réunion d'organes, de
même chaque organe, et la moelle épinière en particu-
lier, se compose d'un ensemble complexe d'éléments
anatomiques, et en réalité l'action du poison se porle
«ur un seul de ces éléments anatomiques.
Si, par exemple, la strychnine agit uniquement sur
les cellules nerveuses excito-motrices de la moelle, c'en
est assez pour que le trouble apporté dans le fonction-
nement de ces cellules interrompe le fonctionnement
de la moelle, car, dans un organe, les propriétés des
éléments anatomiques sont, dans leurs manifestations,
si intimement liées les unes aux autres, que la suppres-
sion de l'une amène l'arrêt de l'autre, comme la sup-
pression d'un rouage arrête le jeu entier d'une machine.
Mais la même solidarité qui existe dans un organe entre
ses éléments anatomiques, existe également dans lêtre
90 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS,
entier entre ses divers organes, et c'est ainsi que le
trouble des fonctions de la moelle épinière amène, dans
l'exemple choisi, la mort de l'organisme total, la mort
du chien, de l'oiseau, du poisson.
Un exemple frappant de cette solidarité des éléments
anatomiqnes, dont les vies partielles constituent la vie
totale, nous est fourni par l'étude de Tempoisonnement
que produit l'oxyde de carbone, ou bien par celui
qu'occasionne le curare. Dans le premier cas, les glo-
bules rouges du sang sont seuls atteints ; dans le second,
ce sont les nerfs moteurs; et cependant la mort n'en
arrive pas moins fatalement dans l'un comme dans
l'autre cas, parce que, d'une part, la fonction des glo-
bules rouges, qui sont chargés du transport de l'oxygène
dans les tissus, étant supprimée, il en résulte une asphyxie
générale; parce que, d'autre part, la cessation de fonc-
tion des nerfs moteurs a pour conséquence l'arrêt de
toutes les contractions musculaires qui président aux
mécanismes les plus importants de l'organisme, à la res-
piration, à la circulation.
Cette action des poisons. nous permet donc de réa-
liser en quelque sorte des vivisections d'une délicatesse
infinie, puisqu'elle nous permet, ce qui est le caractère
de la vivisection proprement dite, de localiser les phé-
nomènes de la vie ; mais ici celte localisation, au lieu
de se faire sur des organes, se fait sur des éléments
anatomiques.
Une fois cette localisation réalisée, c'est encore, pour
les éléments anatomiques comme précédemment pour
les organes, par les procédés d'analyse physico-chimi-
DE l'emploi des POISONS. 91
que que nous parvenons à l'explication des phénomè-
nes élémentaires. Parmi les exemples précédemment
donnés, il en est un où cette analyse est aujourd'hui
parvenue très-loin : je veux parler de l'empoisonnement
par l'oxyde de carbone. Nous savons aujourd'hui que le
globule sanguin renferme une substance particulière,
l'hémoglobine, qui se combine chimiquement avec
l'oxygène, et que c'est grâce k cette combinaison, dite
oxyhémoglobine, que cet élément anatomique se charge
d'oxygène et en devient le véhicule dans l'intimité des
tissus. Nous savons aussi que cette hémoglobine jouit
d'une grande affinité pour l'oxyde de carbone, et que la
combinaison qu'elle forme avec ce gaz est plus stable
que celle qu'elle forme avec l'oxygène. Nous concevons
donc bien comment, en présence d'un milieu renfer-
mant de l'oxyde de carbone, les globules rouges se char-
gent de ce gaz, et, devenant impropres à transporter
l'oxygène, ne le fournissent plus à la respiration des
tissus, d'où résulte la mort de l'organisme total par
asphyxie.
Vous voyez combien ici nous avons pénétré profon-
dément dans la localisation du phénomène et dans son
mécanisme chimique; pour faire plus encore il nous
faudrait parvenir à connaître les réactions à l'aide des-
quelles nous pourrions déplacer l'oxyde de carbone fixé
sur le globule; nous serions alors en complète possession
du phénomène, maître de le provoquer, de l'empêcher
et même de le supprimer, c'est-à-dire de détruire la
combinaison chimique, et vous concevez facilement que
cette connaissance entière du phénomène, cette notion
92 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
scientifique expérinieiitale, est la seule condition d'une
application médicale rationnelle.
Les considérations que je vous ai exposées sur les vi-
visections, sur l'analyse physico-chimique des fonctions
des organes, et enfin sur l'emploi des poisons comme
agents de recherches physiologiques, nous permettant
de localiser les phénomènes vitaux dans les éléments
anatomiques, ces considérations ont dû vous faire voir
que la vie de l'organisme n'est pas une entité telle que la
concevaient les anciens, c'est-à-dire une force unique
ayant un siège unique plus ou moins localisable.
Comme les phénomènes que nous devons étudier sont
les phénomènes de la vie, il importe que nous nous fas-
sions dès maintenant une idée bien nette de la vie, et
que nous sachions ce que nous recherchons en en fai-
.sant l'étude.
Certes je ne me propose pas de vous rappeler ici com-
bien ont été diverses les idées que les philosophes et les
naturalistes se sont faites de la vie. Je vous dirai seule-
ment qu'aujourd'hui nous la définissons l'ensemble des
phénomènes qui existent chez les êtres vivants. Ces phé-
nomènes obéissent à des lois qui ne sont nullement pro-
pres à l'être vivant, qui sont en dehors de lui, puisque
ce sont les lois de la physique, de la chimie, de la méca-
nique; mais les conditions dans lesquelles se manifes-
tent ces lois sont propres à l'organisme; ces conditions
constituent les mécanismes particuliers de ce qu'on ap-
pelle les fonctions.
Au commencement de ce siècle, on cherchait à re-
connaître, dans les parties diverses de ces mécanismes.
DÉFINITION DE LA VIE. 93
des pièces principales, des organes privilégiés, présidant
au jeu des autres parties : telle était la conception con-
nue sous le nom de trépied vital de Bichat, d'après la-
quelle trois organes principaux étaient comme les trois
rouages essentiels de la vie, et amenaient la mort par
l'arrêt de leur fonction : on meurt, disait Bichat, par le
cerveau, par le poumon ou par le cœur. Cette manière
de s'exprimer est exacte quand on parle de Thomme et
des animaux supérieurs, mais il ne faut pas comprendre
par là que le cerveau, le cœur, le poumon soient le
siège d'un principe spécial de la vie. La vie est indépen-
dante, d'une manière absolue, de l'existence d'un cœur,
d'un poumon, d'un cerveau : une infinité d'animaux in-
férieurs vivent sans poumon, sans cerveau, sans cœur ;
mais chez les animaux supérieurs les échanges des di-
vers tissus avec le milieu extérieur se font par le jeu de
l'appareil pulmonaire et cardiaque, ei la suppression de
ces organes amène la mort des éléments de tissu, parce
qu'elle détruit leurs conditions d'existence.
La vie n'est donc pas dans le poumon ni dans le cœur ;
elle est dans les cellules, dans les éléments anatomiques
de l'être vivant. Pas plus que nous n'admettons le tré-
pied de Bichat, nous ne saurions admettre \q point vital
ou nanicl vital de Flourens. Par une blessure d'une ré-
gion bien circonscrite de la moelle allongée, ce physiolo-
giste produisait la mort subite des animaux ; cette expé-
rience était du reste connue depuis Galien et avait été
plus récemment répétée parLegallois. Galien expliquait
la mort subite par la lésion de la dure-mère, hypothèse
en rapport avec la haute importance que les anciens
94 l'HVSIOLOGIE OPËRATOIRE ET VIVISECTIONS.
attachaienl aux prétendues fonctions des méninges, et
dans l'hisloire desLiueiles nous n'avons pas à entrer ici.
Floureus semble vouloir faire de celte région du bulbe
le centre de la vie ; or nous savons aujourd'hui que cette
partiedesubstance grise de la moelle allongée est le centre
d'origine des nerfs de la respiration et de l'innerva-
tion cardiaque: en détruisant ce centre, on supprime les
fonctions du cœur et des poumons; on arrête la vie, non
pas parce qu'on atteint cette entité métaphysique dans
son siège unique et central, mais parce qu'on supprime
deux des fonctions ou, comme nous avons dit, des mé-
canismes qui, chez les animaux supérieurs, sont indispen-
sables aux échanges entre le milieu extérieur et les élé-
ments anatomiques, c'est-à-dire indispensables à la vie
des innombrables éléments anatomiques dont la somme
constitue la vie de l'organisme entier.
La physiologie cherche donc aujourd'hui la vie dans
les cellules mômes des tissus, ou dans les éléments déri-
vés plus ou moins directement de la forme cellulaire
(fibres musculaires, nerveuses, etc.). La pathologie suit
la même direction ; elle ne se contente plus de l'inspec-
tion des organes ; l'examen microscopique est appelé à
fournir de précieux renseignements sur l'état des élé-
ments anatomiques des tissus malades.
Tous les organes, tous les tissus, ne sont en somme
qu'une réunion d'éléments anatomiques, et la vie de
l'organe est la somme des phénomènes vitaux propres à
chaque espèce de ces éléments. Ceux-ci ne vivent pas,
comme l'organisme entier, dans le milieu extérieur; ils
n'ont aucun rapport direct avec ce milieu ; ils vivent dans
DÉFINITION DE LA VIE. 95
un milieu intérieur, qui est le liquide sanguin, par l'in-
termédiaire duquel ils reçoivent des substances néces-
saires à la manifestation de leur propriété et rejettent
les résidus des actes chimiques dont ils sont le siège,
c'est-à-dire les substances devenues impropres à entre-
tenir leur vie.
Ainsi, quand on distingue des animaux terrestres,
aériens ou aquatiques, cette distinction ne s'applique
qu'aux mécanismes des fonctions, c'est-à-dire que, par
exemple, l'appareil destiné à mettre le sang, ou mJlieu
intérieur, en contact d'échanges avec Tair, cet appareil
est disposé différemment chez les animaux qui vivent
plongés dans cet air et chez ceux qui, vivant dans l'eau,
empruntent l'air que celle-ci contient en dissolution ;
mais chez les uns comme chez les autres, la vie générale,
celle des éléments anatomiques , se fait de la même
manière. Ces éléments vivent dans un milieu liquide,
dans le sang qui les baigne ; il n'existe pas d'élément
anatomique vivant dans l'air, et lorsqu'on descend aux
degrés les plus inférieurs de l'échelle des êtres, jusqu'à
ces organismes qui ne sont formés que d'une cellule,
que d'une petite masse de protaplasma, on voit que ces
animaux ou végétaux monocellulaires vivent toujours
dans l'eau ou dans un milieu liquide.
Pour pénétrer dans l'analyse de la vie des éléments
anatomiques, l'étude du sang sera donc de première
importance, car aucune substance ne peut arriver
jusqu'à ces éléments, pour en modifier la vie, sans pas-
ser par l'intermédiaire du sang; c'est par ce milieu in-
térieur que se font toutes les actions nutritives, exci-
96 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
tantes, modératrices, destructives, etc. Il est vrai que
le système nerveux vient agir direclement sur certains
éléments, comme sur la fibre musculaire dont il pro-
voque la contraction ; mais dans bien des cas l'action du
svstème nerveux ne se produit que par l'intermédiaire
du sang, soit qu'il y ail modification dans l'afflux du
sang, soit qu'il y ait même changement dans sa com-
position, car le système nerveux agit tout aussi bien sur
le phénomène mécanique de la circulation que sur la
constitution chimique du milieu intérieur : ce sont là
des questions que nous développerons ultérieurement,
en vous rendant témoins des expériences qui s'y rap-
portent.
Je vous ferai ici seulement remarquer à ce point de
vue que, s'il est des animaux qui s'engourdissent pen-
dant l'hiver, tandis que les autres conservent la même
activité que dans les autres saisons, c'est que le sys-
tème nerveux présente chez ces derniers des propriétés
telles qu'il règle la température du sang et la main-
tient à peu près constante, c'est-à-dire indépendante
des variations extérieures : grâce à ce mécanisme, les
éléments anatomiques vivent alors dans le milieu inté-
rieur comme des plantes en serre chaude, et n'ont pas
à subir l'influence de l'abaissement de température du
milieu où est plongé l'organisme entier. Les animaux
qui sont dépourvus de ce mécanisme régulateur sont
dits animaux à sang froid, et subissent sous ce rapport
l'influence des variations du milieu ambiant.
Mais il faut ajouter que plus les organismes possèdent
des fonctions complexes, plus ils sont exposés h un grand
DÉFINITION DE LA. VIE. 97
nombre de maladies, de même qu'une machine est
d'autant plus exposée à des accidents qu'elle se com-
pose de pièces plus nombreuses et plus compliquées.
De ce que les animaux à sang chaud ont de plus que les
animaux à sang froid un mécanisme régulateur de la
température du milieu intérieur, il s'ensuit qu'ils peu-
vent être frappés dans ce mécanisme même ; et en effet,
l'un des processus morbides les plus fréquents, la fièvre,
n'est autre chose qu'une altération de la fonction de
calorification : les animaux à sang froid étant dépour-
vus de cette fonction, sont en même temps exempts de
la lièvre.
Puisque nous avons parlé de la fièvre, je vous rap-
pelerai que le danger de ce processus morbide vient
précisément de ce que l'augmentation de température
du milieu intérieur place les éléments anatomiques dans
des conditions anormales, l'excès de chaleur auquel ils
sont soumis pouvant alors amener leur mort. Nous
avons étudié précédemment les conditions de la mort
par la chaleur, et les notions que nous avons acquises
à ce sujet sont devenues, d'une manière générale, assez
classiques pour qu'il me suffise de vous rappeler que
les fonctions des éléments musculaires, comme celles
des nerfs, sont arrêtées lorsque la température du mi-
lieu intérieur monte de quatre à cinq degrés au-dessus
de la normale.
En cherchant à faire l'analyse de la vie par l'étude de
la vie partielle des différentes espèces d'éléments ana-
tomiques, il nous faudra éviter de tomber dans une er-
CL. BERNAUD. — Phjrsiol. opér. 7
98 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIHK KT VIVISECTIONS.
reur trop facile, et qui consisterait à conclure de la na-
ture, de la forme et des besoins de la vie totale de l'in-
dividu, à la nature, à la forme et aux iiesoins de la vie
des éléments anatomi(|ues. Ainsi on sait que l'oxygène
est indispensable à la vie des animaux; c'est là une des
notions les premières acquises depuis la découverte de
l'oxygène, notion fondamentale aujourd'hui de toutes
nos connaissances sur la respiration et de toutes nos pra-
tiques d'hygiène. Mais de ce que l'organisme entier doit
vivre au contact de l'oxygène, soit dans l'air, soit dans
l'eau, s'ensuit-il que des conditions semblables soient
nécessaires aux éléments anatomiques? Au premier
abord, par le simple raisonnement, en vertu de fortes
analogies, on n'hésiterait pas à répondre par l'affirma-
tive, mais la réponse devient très-douteuse lorsqu'on
s'en rapporte aux résultats de l'expérimentation, c'est-
à-dire à la réalité des choses.
En effet on voit, d'une part, que les phénomènes orga-
niques, qui se traduisent en définitive par des oxydations,
ne se produisent réellement pas par de simples combus-
tions, mais par des dédoublements infiniment plus
complexes : nous avons, dans la leçon précédente, in-
sisté sur cette question. D'autre part, nous voyons que
les élénients anatomiques vivent non pas directement
au contact du sang chargé d'oxygène, mais au contact
du liquide interstitiel, delà lymphe, c'est-à-dire qu'ils
sont plongés non dans le sang rouge, mais dans le sang
blanc, et de même pour les invertébrés elles vertébrés.
Or, dans cette lymphe, les éléments de tissus sont dans
un milieu chargé d'acide carbonique et pauvre en oxy-
FONCTIONS DES ÉLÉMENTS A.VATOMIQUES. 99
gène, comme le démontrent tous les travaux récents
sur les gaz de la lymphe.
Bien plus, il semble que lorsqu'on fait arriver l'oxy-
gène jusqu'au niveau des cellules des tissus, en satu-
rant l'organisme de ce gaz, on provoque dans ces cellu-
les des troubles qui sont incompatibles avec la vie : tels
sont les résultats des expériences de P. Bert sur la res-
piration de l'oxygène pur et de l'air comprimés à de
hautes tensions. Toutes ces questions sont encore fort
obscures au point de vue de la physiologie générale ;
en y faisant allusion ici, nous n'avons d'autre but que
de vous montrer, je le répète, combien il faut se garder
de conclure des conditions d'existence de l'organisme
entier aux conditions d'existence de ses éléments ana-
tomiques constituants, et nous devions insister sur ce
fait, en apparence paradoxal, que l'oxygène, indis-
pensable à la vie de l'organisme entier, est peut-être
moins directement utile, et même, dans certaines cir-
constances, devient nuisible à la vie des éléments aua-
tomiques.
Nous dirons donc, pour résumer toutes les vues pré-
cédentes, nous dirons que la physiologie expérimentale
doit porter son investigation jusque dans la profondeur
intime, microscopique, de l'organisme, jusqu'aux élé-
ments analomiques ; que dans cette étude de physio-
logie générale il faut procéder comme dans celle des
fonctions des organes, c'est-à-dire localiser d'abord et
expliquer ensuite; etqu'enfln, pour établir ces explica-
tions, il ne faut pas se contenter de conclure par ana-
logie des fonctions et propriétés de l'organisme aux
100 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS.
fonctions et propriétés de ses éléments de tissus, mais
toujours rechercher directement, c'est-à-dire par le
procédé expéiimental, quelle est la réalité des phéno-
mènes, et quels sont les processus qui, tout en obéissant
aux lois de la physique et de la chimie, sont, quant à
leurs formes, spéciaux aux éléments anatomiques
vivants.
Avec un semblable programme tout sentiment d'im-
patience serait absolument fatal. Quand on a bien com-
pris la complexité et l'étendue des phénomènes à ana-
lyser, on est nécessairement pénétré de la nécessité de
marcher lentement, mais sûrement, de se contenter du
peu qu'on trouve, pourvu que ce peu constitue définiti-
vement une pierre, si petite soit-elle, pour l'édifice
scientiflque qu'il s'agit d'élever sur des bases solides.
Tel est le but de la physiologie, de la médecine expé-
rimentale. Malheureusement il est difficile au médecin
de se pénétrer de ce besoin de patience: il lui faut
attendre les lentes conquêtes de la science, et cependant
le malade est là, dans un état dont on veut au plus vite
se rendre compte et auquel plus vite encore on désire
porter remède. Pour répondre à ce double desideratum,
la médecine a eu depuis longtemps recours à l'empirisme,
et sur bien des points c'est encore à l'empirisme qu'elle
devra longtemps encore s'adresser ; mais cet empirisme
aura, même au point de vue scientifique, ses résultats
incontestables : il fait surgir des questions que l'étude
expérimentale aborde et dont elle fournit la solution,
remplaçant alors les notions vagues et indéterminées par
les données d'un déterminisme exact. Et c'est ainsi que,
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE, ICI
la science expliquant l'empirisme, l'empirisme offrant à
la science des points de vue nouveaux, médecine et
physiologie iront simullanéinent s'enlr'aidant et se
fusionnant de plus en plus en une seule et véritable
science, la médecine expérimentale ou physiologie expé-
rimentale, car les phénomènes de 1 organisme malaJe
seront expliqués par les phénomènes de l'organisme
sain, et la })hysiologie, dans le sens le plus large, dans
le sens vrai du mot, comprendra nécessairement, en une
seule et même étude, les fonctions de l'organisme sous
leurs formes diverses dites physiologiques et patholo-
giques.
Si nous avons confiance dans cet avenir de nos
études expérimentales, nous devons, en raison ujcme de
la grandeur du but, donner tous nos soins aux moindres
détails des efforts qui nous permettront de l'atteindre;
nous devons, en un mot, nous préoccuper avant tout
d'une bonne discipline expérimentale, et préciser à cet
effet les conditions rigoureuses d'une technique etd'une
critique expérimentale qui, en fixant les procédés propres
à contrôler les résultats déjà obtenus, nous permettent
de marcher plus loin dans l'analyse des phénomènes de
la vie. Dans une étude de ce genre, aucun détail ne
saurait être insignifiant: c'est pourquoi nous commen-
cerons, dans la prochaine leçon, cet exposé de technique
expérimentale par l'indication rapide des moyens de
préhension, de fixation, d'anesthésie, etc., des animaux
mis en expérience.
DEIXIÈME PARTIE
PRÉHENSION ET CONTENTION DES ANIMAUX.
INSTRUMENTS , APPAREILS ET OPÉRATIONS D'UN USAGE GÉNÉRAL
DANS LES VIVISECTIONS.
SIXIÈME LEÇON
SOMH.URE : Opérations préliminaires à toutes les vivisections. — Choix des
animaux destinés aux vivisections. — Préhension des animaux. — Chiens :
manière de les saisir fpince à collier, nœuds coulants, etc.); manière de
les museler. — Cliats : manière de les saisir (emploi du chloroforme i;
manière de les museler. — Lapins et autres animaux de petite taille. —
Oiseaiuc.
Messieurs,
Nos éludes devant porter sur des animaux vivants,
noire premier soin doit être de nous procurer ces sujets
d'expérience. A cet effet, la meilleure manière défaire
serait d'élever des animaux, ainsi que cela se fait dans
les annexes des somptueux laboratoires établis dans
quelques pays étrangers, car le déterminisme expéri-
mental porte non-seulement sur les conditions mêmes de
Texpérience, mais encore sur les conditions antérieures
des animaux, et souvent, pour faire parallèlement des
recherches de contrôle, des contre-épreuves, nous de-
vons agir, par exemple, sur des chiens d'une même
CHOIX DES ANIMAUX. 103
portée, atin d'avoir des sujets exactement comparables.
D'autre part, il est des animaux^ qu'on perdrait beau-
coup de temps à rechercher, si des installations parti-
culières ne les mettaient constamment à notre disposi-
tion ; tels sont les animaux marins. Aussi avons-nous en
France des laboratoires établis aux bords de la mer, à
Concarneau, à Roscoff par exemple, oi!i les poissons,
les mollusques, leséchiuodermes, etc., etc., sont élevés
dans d'immenses aquariums et peuvent être étudiés aux
diverses époques de leur développement. A Naples, une
institution de ce genre a été fondée sur un pied infini-
ment grandiose et est devenue le rendez-vous d'expéri-
mentateurs qui y accourent de tous les points de l'Eu-
rope.
Mais en somme, pour les besoins de la médecine expé-
rimentale, nous n'avons que très-rarement recours aux
animaux marins; les animaux domestiques, chien,
chat, lapin, cheval, nous suffisent la plupart du temps,
et comme notre installation ne nous permet pas d'élever
ces animaux, nous nous les procurons, on le devine, soit
en achetant ceux qui se trouvent dans le commerce, soit
en nous faisant céder ceux qui, par mesure de police
ou pour toute autre cause, sont destinés à être abattus.
Ainsi les chiens errants sont ramassés pour être mis
en fourrière et détruits par pendaison si leurs pro-
priétaires ne les ont pas réclamés au bout de vingt-
quatre heures. C'est donc à la fourrière que nous
cherchons les chiens nécessaires à nos expériences.
Pour agir sur ces animaux, il faut que le physiolo-
giste, au point de vue de sa propre sécurité, ait recours
104 PRÉHENSION DES ANIMAI X.
à certaines mesures de prudence, absolument comme
le chimiste prend les précautions nécessaires pour éviter
des explosions ou autres accidents dangereux. Quoi-
que, la plupart du temps, les chiens venus de la four-
rière soient Irès-abattus et par suilelrès-doux, il en est
cependant qui résistent, qui ne se laissent pas saisir; en
tout cas, ils se défendent violemment pendant les ex-
périences. Les chats sont, cela va sans dire, plus dif-
ficiles encore à saisir et à maîtriser. >'ous devons donc
vous indiquer en deux mots les moyens de préhension.
et de contention des animaux.
Les préceptes d'expérimentation relatifs au choix et à
la disposition des animaux suivant le but spécial que l'on
se propose d'atteindre se trouveront plus utilement pla-
cés à propos de chaque expérience particulière. Il n'en
est pas de même des préliminaires opératoires qui vont
suivre, et qui se rapportent à la préhension et à la con-
tention des animaux, aux dispositions générales de l'in-
strumentation. Ces moyens, s'étendant à l'ensemble des
vivisections, doivent être exposés ici, une fois pour
toutes, dans leur généralité.
PRÉHENSION DES ANIMAUX.
Les animaux sont toujours plus ou moins indociles
quand ou pratique sur eux des opérations douloureuses.
11 arrive alors que l'opérateur ou ses aides, s'ils n'ont
pas pris les précautions nécessaires, sont exposés à être
blessés par ces animaux qui usent de leurs moyens
naturels de défense. La condition principale de sécurité
([ue je ne cesse de recommander aux élèves qui servent
PRtHENSlO.V DES ANIMAL X. 105
d'aides ou qui expérimentent, c'est le sang-froid, qui
permet de considérer toutes les précautions à prendre
et fait qu'on n'eu néglige aucune. Quand on reste calme
et qu'on a tout calculé pour éviter le danger, on a le
couiage réfléchi fondé sur la confiance, et dans cet état
désprit on peut aborder hardiment les opérations les
plus périlleuses; tandis que je tremble toutes les fois
que je vois des expérimentateurs emportés par ce cou-
rage irréfléchi qui consiste à ne pas avoir peur de
braver le danger, et qui, dans leur imprévoyance,
courent risque d'être blessés même dans les opérations
les plus simples.
Chien. — A raison de leur docilité, les chiens se
laissent généralement prendre sans résistance. Mais,
comme les chiens sur lesquels on expérimente dans les
laboratoires n'ont plus de maîtres, en ce sens que ce sont
souvent des chiens errants pris et amenés dans un labo-
ratoire où ils sont dépaysés, il arrive que ces animaux
sont ou intimidés, comme cela a lieu chez les races de
chiens de chasse, ou bien qu'ils sont irrités, défiants, et
se tiennent toujours sur la défensive, ainsi que cela se
voit chez certaines races de bouledogues. Il faut, dans
ce dernier cas, prendre certaines précautions pour se
rendre maître de ces animaux.
11 n'arrive pas ordinairement que le chien se jette
sur l'homme qui ne lui dit rien; ce n'est qu'au moment
d'être saisi que l'animal cherche à mordre la main qui
veut le prendre. Si l'animal est simplement un peu effa-
rouché, on peut souvent, par des moyens de douceur et
en caressant l'animal de la voix, arriver à l'approcher
I0(i PRÉHEIVSION ])ES AMMAUX.
sulTisamiuent pour le saisir rapidement et solidement
par la peau du cou. 11 ne faut jamais dans ces cas
essayer de saisir le chien par une autre partie du corps,
parce que l'on serait inévitablement mordu. Dans toutes
ces manœuvres, il ne faut pas avoir l'air d'être hésitant,
et il ne faut pas, ce qui effraye le chien et l'irrite encore,
faire de mouvements inutiles.
Enfin, si l'animal, trop féroce, gronde, montre les
dents et ne se laisse pas approcher, on eu vient à l'em-
ploi de moyens qui permettent de saisir l'animal sans
être exposé à être mordu. Un des moyens les plus connus
est une pince à collier, qui sert à se rendre maître des
chiens enragés. Ce n'est autre chose qu'une longue
pince en fer, dont les mors, disposés en croissant, for-
ment par leur rapprochement un collier dans lequel on
étreint le cou de l'animal, sans excès, mais suffisam-
ment pour qu'il ne lui soit pas possible de se dégager.
L'animal ainsi saisi doit être maintenu solidement,
pendant qu'une autre personne s'occupe à le museler,
en ayant soin de ne pas trop approcher les doigts de la
gueule et en se tenant en garde contre les griffes des
pattes antérieures.
Quand on n'a pas de pince à collier, on peut y sup-
pléer par deux longs bâtons portant l'un et l'autre un
nœud coulant. Ces nœuds étant jetés avec habileté et
serrés autour du cou de l'animal, les bâtons servent à le
maintenir à distance, immobile entre deux aides.
Enfin si l'animal, à raison de sa force et de sa fu-
reur, ne peut pas être maîtrisé on en vient à un moyen
extrême qui réussit toujours. Ce moyen consiste à jeter
PRÉHENSION DES ANIMAUX. 407
autour du cou du chien, soit direclement, soit au moyen
d'un long bâton, une corde avec un nœud coulant; alors
on serre le nœud coulant, soit en s'arc-boutant contrôle
pied d'une table, soit en suspendant l'animal contre une
porte. On étrangle ainsi l'animal; et le chien, bientôt
à demi asphyxié , tombe dans une résolution et une
insensibilité complètes. On profite de cet instant pour le
museler rapidement, pour lui lier les pattes de devant,
avec lesquelles il chercherait ensuite à se démuseler, et
aussitôt après on desserre le nœud coulant ; après quel-
ques minutes le chien revient à la vie, muselé et garrotté
de façon qu'on en soit complètement maître.
Musèlement du chien. — On pourrait faire usage de
muselières semblables à celles que l'on mettait jadis aux
Fie. i. — WusélemciU dii cliien à l'aide d'une simple corde rattachée sur la nuque.
chiens pendant les grandes chaleurs de l'été; mais pour
les usages physiologiques ces moyens sont souvent
incommodes et trop compliqués, car il faudrait avoir
des muselières à la taille de tous les chiens — Le pro-
i08 PRÉHENSION DES ANIMAUX.
cédé de niiisèlement physiologique le plus simple con-
siste à faire d'abord sur le museau un ou deux tours avec
un ruban de fil, ou même une petite corde, que l'on
noue solidement sous la mâchoire et dont on vient en-
suite (voy. fig. ^) attacher les deux chefs sur la nuque,
en arrière des oreilles, pour empêcher la ligature anté-
rieure de glisser. Ou bien l'on fait d'abord passer la
corde dans la gueule de l'animal, puis on entoure le
museau et on lie sur celui-ci : les dents canines empê-
chent ainsi laligature de glisser en avant. Ou bien en-
core on place un morceau de bois derrière les dents
canines, et l'on empêche ainsi le glissement de la ficelle
dont on entoure le museau comme précédemment. En
se rapportant à la figure empruntée à Régnier de Graaf
(fig. 5 ci-après), on voit que cet opérateur agissait un
peu différemment : il faisait un tour de ficelle derrière
le cou, puis il en entourait le museau, et venait enfin fixer
la ficelle à un clou fiché dans la table.
Chat. — Les chats sont plus terribles que les chiens,
en ce qu'ils sont armés de griftes et de dents, et que leur
souplesse et leur agilité les rendent difficiles à contenir.
Aussi serait-il à peu près impossible de se rendre maître
d'un chat furieux : il fait des bonds comme un tigre et
déchire ce qui se trouve sous ses griffes. On peut facile-
ment approcher les chats domestiques et on les adoucit
par les caresses; mais aussitôt que l'animal se sent saisi
et qu'il voit qu'on veut s'en rendre maître, sa férocité
se réveille instantanément, et ses griffes et ses dents font
des blessures cruelles qui forcent de le lâcher. Il s'agit
donc de saisir le chat subitement, de manière à être à
rRÉUEXSlON DES ANIMAUX'. 109
l'abri de ses griffes el de ses dents. Autrefois, avant
l'emploi des anesthésiques, je faisais usage de procédés
plus ou moins compliqués et difficiles que je ne décrirai
pas.
Aujourd'hui que les anesthésiques sont connus, le
moyen le plus simple de se rendre maître d'un chat
consiste à prendre l'animal par les caresses et à le jeter
brusquement dans une boîte ordinaire ou dans une
boître vitrée à éthérisatiou (voy. plus loin l'appareil à
éthérisalions) que l'on referme immédiatement. On in-
troduit une éponge imbibée de chloroforme et bientôt
le chat tombe anesthésié. On profite de cet instant pour
s'en rendre maître, c'est-à-dire pour lui attacher les
pattes et le museler.
Musèlement du chat. — Le musèlement du chat est
loin d'être facile, parce que ces animaux ont le nez très-
FiG. 3. — Chat muselé.
Le corps de l'animal est placé dans la gouttière (voy. plus loin fig. 16) dont on n'aperçoit
ici que l'extrémité ; dans la bouche se trouve le mors en fer anne.\é à cctic même gout-
tière dont on trouvera plus loin la description.
court et que la corde tend à glisser, ou bien suffoque le
chat en aplatissant les cartilages nasaux. Aussi Walter
faisait-il une suture aux lèvres, de sorte que la bouche
110 l'RÉnE.vsioN i)i:s animaux.
était cousue. Mais il est plus convenable de museler le
chat en liant la mâchoire inférieure, qui n'échappe pas
si l'on place un bâillon qui sert de mors (voy. fig. 3).
Lapins et autres animaux rongeurs. — Les rongeurs
ne sont pas, comme les carnassiers, féroces de leur
naturel; cependant il est certaines précautions qu'il con-
vient de prendre quand on doit opérer sur eux.
Les lapins sont faciles à saisir par les oreilles, et leur
nature, en général inoffensive, paraît devoir dispenser
de toute précaution. Cependant il arrive souvent que
les lapins mordent ou cherchent à se débarrasser avec
leurs griffes aiguës des mains qui les contiennent. Il
faudra donc en tout cas saisir un lapin de manière à
avoir la main en dehors des atteintes des dents et
des griffes. De plus, il faudra se tenir pour averti que le
lapin fait des mouvements extrêmement subits et vio-
lents qui le font échapper et exposent alors les opéra-
teurs à manquer les expériences et à être blessés.
Les cobayes ou cochons cVlnde se servent quelquefois
aussi de leurs dents ; mais il suffit de les saisir et de les
maintenir par la peau du cou pour être en dehors de
leurs atteintes.
Les marmottes^ hors l'état d'hibernation, si elles ne
sont pas apprivoisées, sont des animaux très-difficiles à
saisir en se mettant à l'abri de leurs griffes. Elles font
des morsures qui sont très- profondes. Le meilleur
moyen consiste à les faire passer dans une boîte ou dans
un sac, et à les éthériser comme les chats.
Les rais blancs apprivoisés sont très-doux ; mais les
surmulots non apprivoisés sont redoutables par leurs
PRÉHENSION DES AXIMAIX. 111
dents; pour les museler, il faut les éthériser ou les sai-
sir par la peau du cou avec de longues pinces ana-
logues aux anciennes pinces des chimistes. On les
musèle avec un mors et on les fixe comme les chiens et
les chais.
Animaux divers. — Le clievrecm^ \ agneau, le mou-
ton, sur lesquels le physiologiste a parfois l'occasion
d'expérimenter, sont des animaux doux et inoffensifs
qui n'offrent en général aucune difficulté dans leur
mode de préhension .
En France, on opère assez rarement sur les sinr/es.
Je n'ai eu qu'une fois l'occasion d'expérimenter sur cet
animal. Quand il est irrité, il est redoutable par ses
dents et par ses mains. Les dents font des morsures
profondes, et les mains, armées d'ongles aigus quand le
singe est grand, saisissent celles de l'opérateur avec
une vigueur telle qu'on a de la peine à s'en débarras-
ser. Cependant, avec les précautions convenables, on
parvient assez facilement à maîtriser cet animal.
Il est certains animaux qui présentent quelques
particularités, tel le hérisson, qui se roule en boule et
ne peut être saisi dans cet état. Il suffit de l'élhériser
pour le faire dérouler. Quant à beaucoup d'autres petits
animaux mammifères, tels que les chauves-souris, sur
lesquels on peut encore opérer, pourvu qu'on connaisse
leurs mœurs il sera facile de s'en rendre maître, d'après
tout ce qui a été dit précédemment.
Oiseaux. — Les oiseaux sur lequels on opère le plus
ordinairement sont les gallinacés de basse-cour, puis le
dindon, le canard, le pigeon, etc. Leur préhension
W'-l l'Rh'HENSION DKS ANIMAUX.
n'offre aucune difficulté. Cependant les oies et les din-
dons font quelquefois des morsures assez profondes, si
l'on n'y prend garde.
Quant aux oiseaux de proie, tels que la chouette,
lelTraie, etc., il faut se garer de leur bec et de leurs
serres. Le meilleur moyen est de se garantir les mains
avec des gants très-épais. Du reste, quand on leur a
couvert ou enveloppé la tête de manière à leur enlever
toute perception lumineuse, il devient assez facile de
les maintenir et de les tîxer de ftiçon k s'en rendre
maître.
SEPTIÈME LEÇON
Sommaire : De la contention des animaux. — Contention mécanique et con-
tention physiologique. — Appareils de contention mécanique employés par
Vésale, par Régnier de Graaf. — Ligature des membres. — Diverses tables
à vivisection. — Gouttières diverses de Schwann, de Pirogoff, de Blondlot.
— Table à vivisection de Cl. Bernard. — Figures montrant la disposition
de divers animaux sur cette table. — Transformation de cette table en
diverses formes de gouttières. — Installations des animaux sur ces gout-
tières (figures). — Nouvelle gouttière brisée de Cl. Bernard. — Dispositions
des animaux sur la gouttière brisée. — Détails sur les mors employés pour
le chien. — Contention du lapin. — Appareil de Czermak. — Préhension
et contention des grands animaux :c/teî;ai (morilles, bricole, entravons, etc.) ;
bœuf (travail).
Messieurs ,
Lorsqu'on s'est rendu maître de l'animal sur lequel
on veut expérimenter, il s'agit de le maintenir plus ou
moins longtemps dans une situation convenable et ap-
propriée au genre d'expérience que l'on veut pratiquer.
On peut arriver à ce résultat au moyen d'un nombre
suffisant d'aides; mais on n'a pas toujours autant d'aides
que l'on veut, et quand les animaux sont petits, cela
devient quelquefois gênant. C'est pourquoi on fixe
l'animal avec des liens, sur des tables ou divers appa- .
reils, qui ont été imaginés depuis longtemps par les expé-
rimentateurs.
Les moyens de contention des animaux sont de deux
ordres : les moyens mécaniques et les moyens anesthé-
cr,. BERNARD. — Phvsiol. opér. s
114 CONTENTION DES ANIMAUX.
signes, qu'on peut appeler d'une manière plus générale
les moyens de contention physiologique.
MOYENS DE CONTENTION MÉCANIQUE : HISTORIQUE.
Les anciens expérimentateurs s'étaient déjà soigneu-
sement pourvus de moyens propres à immobiliser les
animaux. C'est une revue curieuse que celle des appa-
reils plus ou moins primitifs qu'ils avaient mis en usage
dans ce but.
Nous trouvons dans Vésale une figure représentant
l'appareil de contention destiné à l'expérimentation sur
FiG. 4. — Appareil do contention du porc, d'après Vcsale.
bb, table de vivisection ; d, anneaux, et c, trous pour fixer les membres de l'animal ;
e, chaîne qui fixe la lète en passant dans la g'ucule.
le porc (fig. 4). — Voici la légende de celte figure telle
que la donne Vésale :
« Hac figura suem asseri quem vivis sectionibus
administrandis parare solemus.
» b, b, asser vivis seclionibus administrandis idoneus.
» c, c, varia foramina quibus laqueos pro animalis
mole adhibemus, quum femora et biachia vincimus.
CONTENTION MÉCANIQUE. M 5
» d, d, ejus mocli anuli summis manibus pedibusquc
ligandisadaptantur.
» e, huic anulo maxilla superior, libéra inferiori,
catenula alligatur, ut cap ut immotum servatur, ac inté-
rim neque vox neque respiratio vinculorum occasione
prepediantur (i). »
Un des procédés les plus simples pour la contention
du chien se trouve représenté dans l'ouvrage de Régnier
de Graaf sur le pancréas {^) .
FiG. 5. — Contention du rhicn, tl'après Régnier de Graaf.
Dans cette figure, l'animal est fixé sur une table,
couché sur le dos et les quatre membres maintenus par
des liens qui sont attachés à quatre clous plantés à des
distances plus ou moins grandes, suivant la taille du
chien. La tête et le museau sont également maintenus
iV) Aiidreije Vcsalii Bruxellcnsis Suormn de humanl corporis fahrica lihro-
ruin epitome. London, 1545.
(2) Tractalus anatomo-medicus de succi pancreatici natura et ms», authore
Rcgnero de Graaf. 1671, p. 47.
116 CONTENTION DES ANIMAUX.
à l'aide d'un clou auquel est fixée une muselière en
corde qui forme une anse derrière la tête et vient se
nouer sur le museau.
Pour empêcher les cris de l'animal, sans gêner la res-
piration, la trachée-artère a été mise à nu, puis ouverte
.en a et soulevée sur un clou passé en dessous en travers,
afin que les liquides sanguinolents ne coulent pas dans
les voies respiratoires.
Beaucoup d'autres physiologistes ont eu, comme de
Graaf, la pensée d'éteindre les cris des animaux pour
éviter les plaintes des voisins du laboratoire.
Dupuytren faisait la section des nerfs récurrents pour
les rendre aphones. Nous-même avons souvent prati-
qué la même opération dans un but semblable ; seule-
ment nous opérons par la méthode sous-cutanée, suivant
un autre procédé que nous décrirons ailleurs.
Au lieu de fixer les quatre membres de l'animal à
l'aide de clous enfoncés dans la table, selon la méthode
de de Graaf, on peut les attacher à des liens de cordes
préalablement passés et arrêtés dans des trous pratiqués
dans une table. Mageudie se servait pour les vivisections
d'une simple table de chêne solide sur ses bases et
munie de liens nombreux préalablement fixés à des
distances variées et pouvant ainsi s'adapter à des ani-
maux de taille variée.
Un autre procédé, peut-être le plus simple de tous,
consiste à étendre l'animal sur une petite table et à
fixer ses quatre membres aux angles montants de la
table à l'aide d'une corde attachée à chacun d'eux.
Dans ces procédés, où l'animal est ainsi garrotté sur
CONTENTION MÉCANIQUE. 117
une planche, en quelque sorte écartelé, et où le tronc
est posé à plat sur une table, il y a des mouvements du
corps qui peuvent beaucoup gêner l'opérateur et exiger
des aides. C'est pour cela que d'autres expérimentateurs
ont imaginé des tables mieux disposées, ou des espèces
de gouttières dans lesquelles le corps de l'animal peut
se loger et être maintenu latéralement, en même temps
que les membres sont fixés convenablement.
11 existe un grand nombre de ces appareils à vivisec-
tion, nous n'en citerons ici que quelques-uns.
Haller avait imaginé une table à vivisection pou-
vant s'élever et s'incliner dans des sens divers, suivant
les opérations que l'on avait à pratiquer. Il existe encore
des tables de ce genre en Allemagne, mais tous ces
appareils sont plus ou moins compliqués.
M. Schwann (de Liège) a imaginé une gouttière spé-
cialement destinée aux chiens (l'animal y est maintenu
couché sur le dos) , pour les opérations que l'on a à pra-
tiquer sur le ventre.
Je dois la description de celte gouttière à l'obligeance
du professeur Schwann lui-même, qui me la transmit
FiG. 6. — GouUièrc de Schwann.
B, B, gouttiôre ; E, E, pieds ou supports ; D, D, trous pour fixer l'animal; F, boîte
à chloroformer (o, ouverture pour l'entrée de l'air ; r, couvercle qui permet
d'introduire l'ouate imbibée de chloroforme).
en 1860, lorsque je faisais un cours de physiologie opé-
ratoire au Collège de France, et que je m'occupais déjà
118 CONTENTION DES ANIMAUX.
de fixer les procédés d'expérimentalioi). Voici le dessin
de cette gouttière (fig. 6).
L'appareil se compose de deux planches D, D, réunies
sous un angle d'environ 80 degrés. La gouttière qu'elles
forment repose sur deux planches verticales E, E, qui
servent de pied , de manière qu'elle penche en arrière
et que l'urine s'écoule de ce côté. La longueur totale
des planches est de 70 centimètres, leur largeur de
20 centimètres. En avant, cette largeur est diminuée sur
une étendue de 19 centimètres. Les planches sont tra-
versées de trous nombreux (D, D).
Pour fixer les chiens, on leur met dans la gueule,
derrière les dents canines, une tige de fer ou de laiton
qui se termine aux deux bouts par un anneau dans
KiC. 7. — Musclonient du chien avec une forte ficelle phice'c en arrière d'un mors de fe
lequel on passe une corde. On serre les mâchoires par
une corde qui est placée en arrière de la tige de fer,
autour du museau (voy. fig. 7).
CONTENTION MÉCANIQUE. 119
Quand le chien est couché dans la gouttière, le ventre
en haut, on fixe la tête au moyen des cordes qui sont
passées dans les extrémités de la tige de fer. On fixe
ensuite les membres au moyen de cordes qu'on passe
parles trous pratiqués dans les planches.
Cet appareil est de plus muni d'une boîte en cuivre,
F, destinée cà chloroformer l'animal. Cette boîte pris-
matique est longue de 18 centimètres, et s'adapte à
l'appareil en bois au moyen d'une glissière qui permet
de la retirer ou de l'enfoncer, de manière à la mettre à
volonté en rapport avec le museau du chien par son
ouverture postérieure. En ce point, c'est-à-dire en
arrière, la paroi supérieure de la boîte est évasée et
dépasse les autres parois, de fiiçon à recouvrir le mu-
seau (lu chien, afin de l'empêcher de respirer au
dehors. Il aspire donc, de l'intérieur de la boîte en
cuivre, l'air qui sort, par la partie postérieure de la
boîte, chargé de chloroforme, après être entré par une
ouverture 0 pratiquée à la partie antérieure. L'air se
charge de chloroforme à l'intérieur delà boîte en cuivre,
parce qu'il traverse une couche d'ouate arrosée de chlo-
roforme et placée entre deux cylindres métalliques.
On introduit l'ouate imbibée de chloroforme par la
partie supérieure de la boîte en cuivre, qui est munie
d'une porte à coulisse.
M. Pirogoff a imaginé une goultière dont un modèle
réduit m'a été transmis de la part de M. Pirogoff lui-
même. Voici la forme de cette gouttière qui est égale-
ment destinée à pratiquer des opérations sur le ventre et
sur la partie antérieure de l'animal (fig. 8).
i20 CONTENTION DES ANIMAUX.
Elle se compose d'une table A A, sur laquelle est fixée
la gouttière B, élevée sur deux montants triangulaires
E, E. A l'une de ses extrémités, en C, la gouttière pré-
sente une échancrure sur laquelle repose le cou de
l'"lG. 8. — Goutlii'rc de l'iro^oll".
A, A, table ; 15, goullii-Te soutenue par les montants E, E; C, extrémité échancrée pour
recevoir le cou de l'animal ; d, d, trous pour le fixer.
l'animal. Celui-ci est couché sur le dos et ses membres
sont maintenus par des liens fixés aux parois de la gout-
tière, en passant dans divers trous ovales dont celle-ci est
percée.
Blondlot a décrit une gouttière mobile et non
fixée à une table comme la précédente. Il en a fait usage
pour pratiquer les fistules biliaires; mais elle peut aussi
être utilisée pour les diverses opérations que l'on pratique
sur la partie antérieure du corps.
Voici (fig. 9) cette gouttière, que j'ai fait exécuter
d'après la description qu'en donne Blondlot :
B,B, planches d'un mètre et demi delongueur, réunies
à peu près à angle droit et ayant 18 à "20 centimètres de
largeur.
d,(l,d, mortaises et trous pour donner passage à des
CONTENTION MÉCANIQUE. I^i
courroies ou à des cordes destinées à fixer l'animal.
E,E, patins ou chevalets convenablement échancrés
sur lesquels sont clouées les planches qui forment la
gouttière (1).
j? <^
FiG. 9. — Gouttière de Blondlol. (Pour l'explication, voyez le texte.)
Table à vivisection. — Tous les appareils de contention
qui consistent en une gouttière fixe sont très-commodes
quand ils sont construits en vue d'une seule expérience,
c'est-à-dire quand il s'agit d'opérer toujours sur des
animaux à peu près de même taille et placés sur le dos,
de manière à rendre le cou, la poitrine et le ventre par-
ticulièrement accessibles à l'opérateur. Mais quand il
s'agit de pouvoir opérer sur des animaux de taille et
d'espèce très-diverses et placés dans toutes les positions
que peut exiger la physiologie expérimentale, alors une
simple table percée de trous serait préférable. Cependant
celle-ci offre encore beaucoup d'inconvénients; elle ne
maintient pas suffisamment le tronc des animaux, ou
(1) Yoy. Bloiidlot, Essai sur les fonctions du foie et de ses annexes. 1846,
p. 49.
l'2'2 CONTENTION DES AXHIAUX.
bien exige un trop grand nombre d'aides qui souvent
gênent plus qu'ils ne servent. C'est pourquoi j'ai cherché
à rassembler dans un même appareil à contention les
avantages d'une table percée de trous, comme celle de
Magendie, et d'une ou plusieurs gouttières mobiles.
Le principal avantage est qu'alors les animaux peuvent
être disposésd'une manière très-convenable pour opérer
sur le dos et sur la colonne vertébrale. Voici comment
se compose cet appareil, que j'appelle table à vivisection
et dont je me sers depuis plusieurs années au Collège
de France avec beaucoup d'avantages.
1^'appareil représenté figure 10 se compose de deux
parties distinctes :
La première est une table à vivisection (E) qui est
percée de trous (ff^f/) dans toute son étendue, et qui,
comme on le voit dans le dessin, est formée par quatre
panneaux {e, e, e, e) réunis entre eux par des charnières
{f->f^f)-> t'ont trois sont visibles en dessus et les six
autres placées en dessous. Les charnières, ainsi disposées,
permettent aux panneaux de s'étendre comme une table
(fig. 10) ou de se replier en forme de gouttière, comme
nous le verrons plus loin (fig. 15 à 19).
La deuxième partie de l'appareil est une forte table
en chêne montée sur quatre pieds solides (o, o, o). Cette
table est bordée latéralement par un liteau D et munie à
ses deux extrémités de deux rebords mobiles R. Ces
rebords tiennent à la table chacun par deux charnières
visibles en dessus, ce qui permet de pouvoir les relever
ou les abaisser à volonté. Dans la figure 10, les rebords
sont relevés et maintenus dans cette position par des
CONTENTION MÉCANIQUE. 1^3
tasseaux à tiroir C, C. A l'extrémité libre de chacun de
Fie. 10. — Table d vivisection. — Ici la lable à vivisection n'est pas repliée en gout-
tières (voy. ci-après li(f. 15, 16, 17, 18 et 19), mais simplement éUiblie en table plane :
g, y, trous de la table ; e, e, e, ses panneaux ; f, f. charnières de ces panneaux ; o, o, pied?
dé la table proprement dite, avec son liteau D et ses rebords mobiles R, que main-
tiennent los tasseaux C,C.
\^i CONTE>fTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX.
ces rebords se trouve une feuillure ù, à, destinée à
encastrer à ses deux bouts la table à vivisection, qui
est retenue latéralement par la continuation du liteau
latéral de la table (d, d). On peut donc enlever la
table à dissection proprement dite, et alors, en repous-
sant les deux tasseaux à tiroir C, C, les rebords s'a-
baissent et la table de support devient une table ordi-
naire. — Cet appareil, tel qu'il est représenté dans
la figure 10, est dans ce que j'appellerai la. première
posilioit.
Voici les dimensions que j'ai choisies pour chaque
partie de l'appareil, comme étant celles qui conviennent
à peu près dans tous les cas :
La longueur de la table gouttière est de r",30
(fig. 10) ; sa largeur est de 0"\85, qui se divisent ainsi :
0'",'î>l pour chaque panneau extrême et 0"',19 pour
chaque panneau moyen. — Longueur: r",45; hauteur
delà table: 0'", 87.
On peut, avec la table à vivisection disposée comme
dans la figure 10, avoir tous les avantages d'une table
ordinaire ; seulement la multiplicité des trous permet de
fixer des animaux de toute taille inférieure aux dimen-
sions de la table.
Fixation des membres sur la table à vivisection. —
Pour attacher les pattes de l'animal et les fixer à l'appa-
reil, on glisse autour d'elles un nœud coulant et l'on passe
les deux chefs de la corde dans les ouvertures pratiquées
à la table, de manière à attacher le membre dans la posi_
tion la plus convenable, suivant l'opération que l'on veut
pratiquer (voy. fig. il).
i-2r»
FiG. 11. — Nœud coulant pour fixer les membres.
Daus la fissure 12 un chien, dans la figure 13 un
FiG. 12. — Chien fixé sur la table à tnvisection.
FiG. 13. — Lapin fixé sur la table à vtvisecliou.
h2<'> CONTENTION MÉCANIQl i: DES ANIMAUX.
lapin sont fixés par les extrémités des membres au
moyen de cordes qui sont nouées dans les trous de la
labiée
Dans la figure 14, on voit un pigeon fixé de la même
manière par les àeuxjamdes et par les deux ailes.
FiG. 14. — Pigeon fixe sur la table à vivisection.
Mais quand l'expérience que l'on a à exécuter exige
que le tronc de l'animal soit maintenu dans une gout-
l-'ic. 13. — Table à vivisection dont les quatre panneaux sont resserrés de manière
à former une gouttière (par ses deux panneaux médians, A, A).
tière, on peut immédiatement transformer la table à vivi-
section en un appareil à gouttière. Il suffit, comme le
TABLE A VIVISECTION. 1^7
montre la Bgure 15, de resserrer les quatre panneaux en
repliant en bas les deux panneaux externes B,B, qui
servent ainsi de support à la gouttière formée par
les deux paneaux médians A A. L'appareil a pris
alors la forme de la lettre M, dont les deux jambages
externes, représentant les panneaux externes, sont portés
dans la feuillure h des rebords R, maintenus relevés
par les tasseaux à coulisse c qui sont tij'és. On peut
taire promener, attirer à soi ou repousser tout l'appareil
ainsi disposé, sans crainte qu'il tombe, parce qu'il est
retenu latéralement par le fragment de liteau d qui tient
au rebord relevé.
L'animal est donc facilement placé dans cette gout-
tière, aussi commodément que dans tous les autres appa-
i-eils à gouttière fixe. Même s" il est utile que la tête de
l'animal soit élevée, on passe par les trous transversaux
une règle très-épaisse «, sur laquelle on appuie le cou
de l'animal pour lui soulever la tète. L'appareil tel qu'il
est représenté dans la figure 15 est dans ce que j'appelle
la deuxième position.
On peut rétrécir ou élargir à volonté la gouttière eu
Fie 10. — Profil de la lable à vivisection, dans sa deujcUine positio)t (fig. 15), jwur
montrer les ferrures ou tirants (T, T', T'; avec leurs clous à pivot («), leurs articula-
lions (r) et leurs clous à têlo (p) ; B, B, panneaux externes ; A, A, panneaux internes
i formant la gouttière).
écartant plus ou moins les panneaux. Ces panneaux sont
{"It^ CO.MEVnON MÉCANIQUE DES A.M.M MX.
maintenus solidement fixés dans leur position par un
système de ferrure qu'on voit de profil dans la figure 16,
dessinée au dixième de la grandeur naturelle.
Les deux panneaux internes A A sont relevés en forme
de gouttière par un tirant, aplati, en fer (T), fixé sur un
clou à pivot en s, articulé en r, et percé de trous qu'on
peut fixer à distance dans un autre clou à tête en y;. Ces
trous ont une gorge qui entre dans le collet du clou, où
elle est solidement retenue par un ressort q. Celui-ci se
relève pour empêcher le tirant de tomber spontanément,
et il faut appuyer sur lui si l'on veut dégager le
tirant.
Les deux panneaux externes B, B sont reliés chacun
aux panneaux médians correspondants par le même
système de tirant (T, T').
Ce mécanisme en fer est très-solide ; mais il pourrait
peut-être être remplacé par la simple règle en bois
épais a (fig. 15). en en passant une aux deux extrémités
de l'appareil.
Si au lieu d'une gouttière on veut en avoir deux
côte à côte, pour pratiquer quelques expériences qui
réclament deux animaux, comme la transfusion par
exemple, on les obtient immédiatement en retournant
l'appareil et le plaçant tel qu'il est disposé figure 17. Il
prend alors la forme de la lettre M renversée (j\').
Les panneaux internes A, A forment une arête
médiane, intermédiaire, des gouttières, dont les pan-
neaux B B forment les côtés externes. Tout est d'ailleurs
disposé sur la table F comme dans la figure 15.
La position de l'appareil en double gouttière, comme
CONTENTION MÉCANIQUE. 129
il est représenté dans la figure 17, est ce que j'appellerai
en troisième position.
Enfin, si au lieu d'avoir à opérer sur la face inférieure
du corps des chiens, on veut opérer sur lo dos, comme
cela a lieu particulièrement dans les expériences sur la
moelle épinière et sur les racines rachidiennes, on
'AC£ER3AIZSi .
FiG. 17. — Table à vivisection disposiie de manière à donner une double gouttière ; c'est
la gouttière de la figure 15 renversée. (Lettres comme dans les ligures 10 et 15.) —
{Troisième position.)
obtient très-facilement une sorte de gouttière culmi-
nante dans laquelle se loge le thorax de l'animal, tandis
(jue ses membres peuvent être fixés en bas très-solide-
ment, et que la tète peut également être maintenue
solidement au moyen d'un mors ou d'une lige en 1er.
Il suffit, pour obtenir ce résultat, la table à vivisection
étant dans la troisième position (fig. 17j, de rappro-
cher les deux panneaux externes B, B, qui, étant plus
longs que les panneaux internes, dépassent l'arête de
ces derniers. Lorsque le rapprochement est suffisant
tL. BERNARD. — l'iiysiol. Opcf. 9
130 CONTENTION MÉCANIOUE DES AMMAIX.
pour recevoir le thorax du chien suivant sa taille, on
fixe les panneaux externes avec le système de tirant déjà
décrit. On voit dans la figure \S le profil de la dispo-
l'iG. 18. Table à vivisection en quatrième position : les deux i>aiineaiix externes de la
figure 17 sont ici rapproclu's des panneaux internes, et forment ainsi une étroite gout-
tière. (Lettres comme dans les ligures 10, 15 et 10.)
sition du tirant dans ce que j'appelle la quatrième posi-
fioncle l'appareil à vivisection. Le tirant T, qui retient
les deux panneaux moyens A, A, est toujours dans la
même situation. Quant aux deux autres tirants, c'est-
à-dire les externes, il y en a un, le droit, qui ne peut
pas servir et qui doit rester relevé et collé contre
l'extrémité du panneau externe ; au contraire le tirant
gauche T^ qui fixe les panneaux externes B, est accroché
en a. On a|)erçoit à l'autre extrémité de l'appareil le
tirant droit T', qui sert ici à son tour pour maintenir
le panneau externe droit qui ne l'était pas encore.
Dans la figure 19, la table à vivisection est tout entière
représentée dans celte quatrième position. Un chien (H)
est fixé de manière à présenter le dos. A l'aide de la
corde / qui sert de muselière, et au moyen du mors
(voy. ci-dessus fig. 2) , la tète est également fixée
à l'appareil ; les membres sont attachés, sur le plan
incliné formé par les panneaux externes, à l'aide de
COXThNTION .Ml-CWiQUt:. 131
cordes /, ?, passées dans les trous. On voit sur le même
Fie. 19. — Ensemble de la lable |iro|iroiii:nt dite et de la table à viiisection, celle-ci
étant disposée en goiitiièro dans .<a quatrièine position, et servant à maintenir, à
gaucho, un chien (H) placé sur le vonirc , et, à droite, un lapin (K). — /, corde ipii sort
à museler le chien (ratlaclu-c derrière la tèlo) ; i,i, liens fixateurs des membres du
chien; m, m, môme disposilion pour )e lapin K; F, table propreminl dite sur laquelle
sont posés les instruments. (Pour les autres lettres, voy. dg. 10 et 15.)
appc^reil un lapin (K) couché sur le dos et les quatre
132 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX.
membres fixés par des cordes m, m, m. En effet, pour
les petits animaux comme les lapins, si l'on trouve les
gouttières de la deuxième et de la troisième position
trop profondes, on peut se servir de la gouttière culmi-
nante de la quatrième position. On voit les instru-
ments sur la table F de support, qui est ici disposée
comme dans toutes les autres positions de l'appareil,
ce dont on peut facilement se rendre compte, parce
que dans toutes les figures les principales lettres se
correspondent, en ce sens qu'elles désignent toujours
les mêmes objets.
En résumé, cet appareil à vivisection peut èlre em-
ployé dans les positions suivantes :
l^po.'^itiorw Éteadu, les Irois cliarnièros du milieu en liaut(fig. 10. 1-2, 13^.
2^ — Helcvé en M à gouttière médiane: les patiences ou fe/renienls
au cinquième ou sixième trou, à partir de la base. Tra-
verses pour soutenir la tète du chien (fig. 15, ICj.
3« — En it à deux gouttières latérales ; patiences id. : c\'sl la
deuxième renversée (fig. 17).
4» — En W : c'est la troisième dont les deux panneaux externes
sont rabattus en dedans; ils sont fixés ciiacun par uie pa-
tience (au dernii rr tou), Tune des patiences appartenant à
une extrémité, l'autre à Tautre extrémité fig. 18 et 19
Gouttière brisée. — Nous avons dit dans nos leçons
d'introduction qu'un moyen de perfectionner l'expéri-
mentation consistait à chercher toujours à simplifier les
instruments ou les appareils opératoires.
Depuis 1860 nous nous sommes servi des appareils
précédemment décrits; si nous avons reconnu qu'ils ont
de grands avanlages par les indications nombreuses et
variées qu'ils remplissent, nous avons reconnu, d'autre
part, qu'ils sont un peu compliqués, assez coûteux, et
CONTENTION MÉCANIQUE. 133
qu'ils demandent une certaine attention pour qu'on
puisse s'en servir convenablement. C'est pourquoi nous
avons cherché à résumer dans une seule gouttière très-
simple, un grand nombre des avantages de notre table
à vivisection.
Cette gouttière est une gouttière simple, mais dont
les ailes sont divisées en deux parlies de manière à
Fie. 20 (A).
FiG. 20 (B,.
pouvoir se rabattre de côté, c'est-à-dire en dehors, et à
donner ainsi une gouttière plus ou moins profonde.
C'est ce que nous avons appelé la gouttière brisée (1).
(1) Fie. 20 A et 20 B. {GouUière brisée.) — l" FiG. 20 A. — A, B, base de
la gouttière : de cotte base s'élèvent les deux ailes (C, C) de la gouttière;
ces deux ailes sont brisées, c'est-à-dire formées de deux moitiés, dont la
supérieure est mobile sur Tinférieure par les charnières e, e'. Sur les côtés
un support D, composé de plusieurs pièces (a, b, c), est formé de manière
134 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX.
En laissant ouverles et élevées les deux ailes, on a la
gouttière ordinaire pour les vivisections à pratiquer sur
"'fe^^
F.i;. 1\.
un chien couché sur le dos (fig. 51) (l). En rabattant
à pouvoir soutenir les ailes brisées cUins les diverses positions latérales qu'elles
doivent prendre. Ici les ailes sont relevées de fai;on à former une gouttière
profonde, et le support se trouve constitue par les pièces a et 6; nous verrons
qu'il en est autrement pour les autres positions.
A rextrémité A de la gouttière se trouve le mors : il se compose du mors
jiroprenicut dit («il, petite barre dî fer qui se place dans la gueule de
l'animal ; par ses extrémités ce mors glisse dans deux montants verticaux
(n, n'), qui eux-mêmes peuvent glisser ou être fixés en bas dans les trous
d'une forte plaque de fer horizontale (P, P). Cette plaque porte à sa partie
inférieure (en Oj un court cylindre de métal qui glisse dans une forte verge
de fer (S) laquelle relie cet appareil à la gouttière. Grâce à la disposition
figurée eu 0, tout l'ensemble du mors peut s'incliner à gauche ou à droite,
selon les positions latérales que l'on veut donner à la tète du chien.
2° Fig. 20 B. — Coupe de la gouttière. Les lettres comme dans l'explication
précédente.
(1) Fig. 21. — Gouttière disposée exactement comme dans la figure 20 A;
mais elle contient un chien couché sur le dos. Même explication des lettres
de renvoi.
On voit que les pattes du chien sont fixées dans les trous dont sont percées
les ailes de la gouttière.
La tète est fixée par le mors, lequel est maintenu derrière les dents canines
jiar la ligature du museau. A cet effet une forte ficelle a été passée sous 1?
museau, puis, aprè.s avoir entouré la mâchoire inférieure, a été croisée sur
elle-même dans la gueule, derrière les dents canines, et enfin amenée sur
CONTENTION MÉCANIQUE. 135
seulement l'une des ailes, on a un appareil (fig. '■2'-l)
pour coucher l'animal sur le côté, position indispen-
sable aux opérations qui doivent avoir pour siège les
parties latérales du corps (i). Enfin, en rabattant les
deux ailes, on se trouve (fig. 23) en possession d'un
appareil très-commode pour maintenir des animaux
placés sur le ventre, de manière à pouvoir agir sur
leur région dorsale (fig. 23).
la partie supérieure du museau. Alors on a fortement serré la ficelle, puis
on a fait avec elle un ou plusieurs tours sur tout le museau, toujours derrière
le mors, et finalement on Fa liée sous le menton ; on pourrait aussi aller la
lier encore derrière la tète.
(1) Fie. a. — Gouttière brisée de façon à coucher sur le flanc droit l'animal
que Ton veut opérer. (Les lettres comme précédemment ;
On voit que, des deuv ailes de la gouttière, l'aile C est restée tout entière
relevée, tandis que la portion supérieure de Tailc C. a été rabattue, soutenue
par les portions a et c des supports (la partie b étant renversée) ; celte demi-
aile, ainsi rabattue, forme un plan horizontal sur lequel sont fixés les quatre
membres de l'animal, tandis que son corps repose dans le fond de la gout-
tière, le dos appuyé contre Taile entièrement dressée.
On voit de plus que l'appareil qui sert de frein a pu subir autour de raxc S
un mouvement de rotation d'un quart de cercle, do telle sorte que le frein
proprement dit (m) est devenu vertical, et a pu suivre le changement de
position opéré dans la direction de rouverture de la gueule.
Notre gouttière brisée est donc propre à maintenir
l'animal dans toutes les positions possibles, pour toutes les
'136 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX.
opérations que l'on peut avoir à pratiquer. Cet appareil,
simple, peu coûteux, d'un maniement facile, se répan-
dra, nous l'espérons, dans l'usage des laboratoires de
vivisections. Ses dimensions sont les suivantes : lon-
gueur r,30; hauteur des panneaux 0" 17, dont0"',08
pour chaque moitié.
Cette goutti«''re sert aussi bien pour le lapin que pour
le chien ; pour le lapin, on rabat les deux ailes latérales
LEveiLL£.3a.
CftânMCfei
Fie. 23. — (joiitlifTC disposée de fiiron à coiitlier l'niiim:>l sur le veiil.e. (Mêmes
lettres que dans la figure 20 A el h.) Même disposition dn mors; mais on voit que
la moi;ié supérieure des deux ailes est rabattue de côté et en dehors : à cet eflel
les deux pièces 6 et c des supports latéraux sout rabattues, et ces supports ne sont
plus formés que par leur portion fixe a.
et l'on a une gouttière peu profonde, parfaitement apte
à recevoir l'animal.
Nous savons que lorsqu'il s'agit d'opérer sur le cou
d'un animal, il ne suffit pas de le museler, il faut en-
core fixer solidement la tête. A cet effet nous avons
adapté à notre gouttière brisée un mors en fer, formé
d'une branche horizontale {m, fig. 20 A) de 17 cen-
timètres de longueur, soutenue par deux branches
verticales le long desquelles la première peut se mouvoir
de façon à être élevée ou abaissée. On fait pénétrer ce
CONTENTION MÉCANIQUE. 137
mors dans la gueule de l'animal jusque derrière les ca-
nines, puis on entoure le museau d'une ficelle que l'on
arrête sur le mors, comme nous l'avons indiqué précé-
demment. De plus, les branches verticales du mors pas-
FlG. 2i. — Disposilion du mors à tloublo branche transversale (A, A et B.B) permettant
de maintenir ouverte la gueule de l'animal installé sur la gouttière brisée, comme dans
la figure 23.
sent dans une pièce métallique (P, fig. 20 A) qui peut
pivoter à droite ou à gauche sur un axe longitudinal
(S, fig. 20) placé sur le prolongement de l'arête de la
gouttière. On peut ainsi incliner la tête de l'animal à
J8X CONThNTlON MÉCANIQUE DES ANIMAUX.
droite OU à gaucho, selon que Ton veut agir sur les par-
ties latérales du cou ou de la face (voy. fig. ^2 et 23).
Pour les vivisections qui doivent porter dans l'inté-
rieur delà gueule de l'animal (section du nerf lingual,
fistules salivaires, etc.), nous employons un mors qui
diffère du précédent seulement en ce que sa branche
horizontale est double, c'est-'.-dire formée de deux
barres (A et B, fig. 24) qui peuvent être placées à des
écartements variables, maintenant l'une la mâchoire
supérieure, l'autre la mâchoire inférieure, comme le
montre la figure 24.
La fixation des pattes se fait simplement au moyen
d'une ganse ou nœud coulant que l'on vient attacher
ensuite sur les ouvertures que présente la gouttière.
Le chat se fixe sur cet appareil absolument comme
le chien ; seulement on labat la partie supérieure des
Fie. ^5. — Chat muscle cl placé tians la poullicro briscc ; on a soulcmciit représenté la
partie antérieure de l'animal, pour montrer comment la tète peut être lixée par le moyen
ilu mors (m) et d'un lien circulaire qui va passer finalement derrière le cou.
deux ailes de façon à obtenir, comme pour le lapin, une
gouttière peu profonde. Le mors est appliqué comme
CONTENTION MÉCANIQUE. J 89
|30ur le chien. Il va sans dire que Ton musèle aussi
l'animal tandis qu'il est sous l'influence du chloro-
forme ; rien n'est alors plus facile que de placer le mors
(fîg. 25, m) derrière les dents, et d'entourer le museau
d'une ficelle que l'on noue sous la mâchoire infé-
rieure, et que l'on ramène ensuite derrière le cou
pour l'y nouer de nouveau. On évite ainsi que le lien ne
glisse sur le museau, accident qui arriverait facilement
sans cette précaution, vu la brièveté du museau chez
le chat.
ConleiUioii du lapin. — Quand on opère sur le lapin,
on peut souvent se contenter d'un seul aide pour main-
FlG. 20. — Contention simple du lapin par les doux mains d'un seul aide.
tenir cet animal, surtout si la vivisection porte sur la ré-
gion du cou. A cet effet l'aide saisit fortement la tète de
140 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX.
ranimai avec la main droite, le pouce appuyé sur la
mâchoire inférieure (%. 56), tandis que les quaire
doigts s'appliquent sur la voûte crânienne. De la main
gauche il assujettit cà la fois les quatre membres en les
portant en arrière : il suffit pour cela de saisir les pattes
de derrière et l'une des pattes de devant entre le pouce
et les trois derniers doigts, tandis que l'autre patte anté-
rieure est maintenue entre l'index fortement serré
contre le médius. La figure 26 fait bien comprendre
cette disposition et montre que sur un lapin ainsi
maîtrisé il est facile d'agir sur le cou et sur la région
supérieure du thorax.
Mais il est en général plus commode de se servir de
Fie. 27. — Appareil de Czonnak. — La figure iiifih-ieurc représente un lapin dont les
mcndircs soMt liés snr la planche 0, 0, el la tète fixée par lappareil (A, B) de Czermak. —
La figure supérieure donne Ls détails de cet appareil : A, tige verticale ; B, tige hori-
zontale inobi'e, supportant à son extrémité C un mors en fer, eu forme de fourchette,
avec une pièce mobile (sorte de mâchoire E), articulée en D, mue et fixée par la vis H.
Vappareil de Czermali, lequel immobilise d'une façon
CONTENTION MÉCAMOLE. 141
parfaite tout le lapin et maintient surtout très-bien
la tête. Cet appareil se compose d'une planche (0, 0)
garnie de trous pour attacher les membres de l'animal
(6g. 27) ; à une extrémité de celte planche s'élève une
tige verticale de fer (A), sur laquelle glisse, de manière
à pouvoir être arrêtée à différents niveaux, une tige
horizontale dont l'extrémité libre porte l'appareil des-
liné à fixer la tête de l'animal et qui mérite spéciale-
ment le nom d'appareil de Czermak. Ce n'est autre
chose qu'un mors en fer placé entre deux sortes de
mâchoires métalliques : on introduit le mors derrière les
incisives du lapin, puisa l'aide de la vis H on rapproche
les deux mâchoires de fer, qui serrent étroiteinent la
tête et le museau, en s'appliquant l'une sur le crâne,
l'autre (IL', fig. 27) sur le maxillaire inférieur jusque
vers son angle postérieur et au delà; la tète est ainsi
parfaitement fixée, et l'appareil qui la maintient pou-
vant osciller sur son axe transversal, on peut incliner le
cou de l'animal vers la droite ou vers lagauche, selon
les nécessités de l'opération.
Animaux divers de petite taille. — Il y a une foule
d'autres animaux de petite taille sur lesquels ou opère.
Les moyens de contention sont alors si faciles qu'il n'est
pas nécessaire d'en parler: tels sont la grenouille, les
petits oiseaux, les écureuils. On se conduira suivant les
instincts des animaux. Dans tous les cas, ces moyens de
contention ne peuvent donner lieu à aucune géné-
ralité ; ils seront donc indiqués à propos des opéra-
lions spéciales dont nous aurons à traiter ultérieure-
ment.
«t
14:2 l'IlÉUENSION LT CONTE.NTIUN,
PRÉHENSION ET CONTENTION DES GRA>DS ANIMAUX.
A l'aide de l'appareil à viviseclion que j'ai précé-
demment décrit dans toutes ses positions, on peut
maintenir dans toutes les attitudes les animaux sui'
lesquels on veut opérer, eu réduisant considérablement
le besoin d'aides. Mais on conçoit qu'on ne puisse plus
maintenir les animaux dont la taille excède les dimen-
sions de l'appareil.
Ainsi j'ai souvent contenu avec cet appareil des jeu-
nes moutons ou des chevreaux, peut-être mêmedse
porcs, tandis qu'on ne peut plus s'en servir pour les
très-gros moutons. D'ailleurs, quand les animaux sont
grands, la force de leurs membres ne peut plus être
maîtrisée par l'homme, et il faut alors en venir à des
moyens d'une autre nature que nous allons examiner.
Les physiologistes n'ont généralement à leur dispo-
sition, pour expérimenter, que des chevaux épuisés et
usés qui sont livrés à l'équarrisseur pour être abattus.
Dans ces conditions, ces animaux sont ordinairement
plus faciles à maintenir et endurent plus patiemment
les expériences qu'on pratique sur eux. Les vétérinaires,
au contraire, ayant affaire à des chevaux fringants et
vigoureux, sont plus exposés aux blessures causées par
les emportements de l'animal. Le cheval, par exemple,
peut blesser par des morsures ou par la jirojection en
avant des membres antérieurs, soit isolément , soit
simultanément, ([uand ranimai se cabre. Nous emprun-
terons donc aux vétérinaires les appareils nécessaires
CONTENTION MtCANlQUE. 148
à maintenir et à maîtriser les grands animaux. Du reste,
nous n'indiquerons ici que les dispositions les plus
simples, renvoyant pour plus de détails aux ouvrages
spéciaux de chirurgie vétérinaire (1).
Un premier moyen d'assujettir l'animal consiste à
produire ce qu'on appelle une dérivation de la douleur,
c'est-à-dire à produire en un point très- sensible une
douleur vive et qui impressionne l'animal au point de
lui faire oublier la douleur de l'opération qu'il subit.
L'appareil le plus simple employé à cet effet est le tord-
nez (ou improprement torche-nez) : ce n'est autre chose
qu'une anse de corde fixée au bout d'un bâton et dans
laquelle on saisit le bout du nez et la lèvre supérieure
du cheval (voy. fig. 29). En tournant alors le bâton sur
lui-même, on étreint ces parties très-sensibles,
et on les serre jusqu'au degré qu'on juge con-
venable.
On se sert encore de morailles. On désiaine
sous ce nom une sorte de pince en fer, for-
mant un compas dont les deux branches ser-
rées l'une contre l'autre peuvent produire une
compression plus ou moins violente sur une
partie du corps saisie entre elles (fig. '^S). Pour
que cet appareil soit maintenu solidement -^'"■'aiiks.
iserré, l'une des branches est pourvue à son extrémité
d'une crémaillière sur laquelle vient se fixer un anneau
ovale porté par l'extrémité de l'autre branche. Lh
figure 28 fait comprendre cette disposition.
(1) Voyez notamment J. Gourdon, Elémenla de chirurgie véiérinaire
Paris, 1855.
144 PUEHENSIUN bï CONTENTION.
Ces deux exemples suffisent pour nous faire com-
prendre ce que sont les autres appareils du même genre,
désignés, par exemple, sous les noms de serre-oreilles,
serre-côtes, etc., et dont on trouvera la description dans
les ouvrages spéciaux.
Une seconde série de moyens consiste à mettre le
cheval dans l'impossibilité de ruer : à cet effet il suffit
de fixer Tun des pieds levé au-dessus de terre. Un aide
vigoureux, embrassant d'une main le paturon du
cheval, peut soulever le pied en s'attachant de l'autre
FiG. -29. — Cheval auquel ou a applique le lord-ncz (p. Ii3) et la bricole.
main à la crinière ou en prenant point d'appui sur la
hanche de fanimal. Mais il est bien plus simple, et plus
prudent à la fois, d'avoir recours à un système de cor-
dages que les vétérinaires désignent sous les noms de
plate-longe, (['entraves, de bricole. La figure 29 donne
parfaitement Tidée d'un appareil de ce genre, réduit à
COXÏEMION MÉCANIQUE. 145
sa plus simple expression. On voit qu'il se compose sim-
plement d'une corde ((/) portant à son extrémité une
ganse qui saisit le paturon du cheval (au pied posté-
rieur gauche); l'extrémité libre de la corde va d'abord
passer entre les deux avant-bras, puis remonte le
long de la base de l'encolure, du côté opposé au pied
entravé, et, après avoir croisé sur le garrot, descend
le long de l'épaule pour venir croiser sur elle-même.
La main de l'aide tire alors et soulève ainsi le membre
jusqu'à ce qu'il ait perdu toute possibilité d'appui sur
le sol.
Cette même figure représente l'application du tord-
nez (Cl)', elle montre aussi le procédé mis en pratique
par les vétérinaires pour atta-
cher solidement à la racine de
la queue {é) une forte corde
dont l'extrémité libre peut ser-
vir à attacher et à lever un des
pieds postérieurs.
Si ces movens ne suffisent
pas, il faut alors abattre l'ani-
mal pour le fixer et lui faire
prendre la position la plus com-
mode à l'opération. Il n'est pas
facile de renverser un cheval, et
il faut absolument pour cela
avoir recours ta l'un des appareils mis en usage par les
vétérinaires; le plus simple est celui qui porte le nom
à' entravons. Use compose (fig. 30) de fortes courroies de
cuir souple (|ue Ton peut boucler à chaque paturon du
Fig. 30. — Entravons pour
abattre le clieval.
(,t,. liKli.wrtli.
l'hvsi;
1(J
146 pRÉHENsio.x i:t contkxtiox.
cheval. Vers le milieu du bracelet ainsi formé, et à sa
face externe, est fixé un anneau. A l'un de ces anneaux,
et de préférence à celui du bracelet (ou entravoii) d'un
membre antérieur, on fixe une corde, dont le bout est
ensuite passé dans l'anneau du pied postérieur du même
côté, puis dans l'autre pied postérieur, puis enfin dans
le pied antérieur resté libre. I.es quatre pieds se trou-
vent ainsi pris, et en tirant sur la corde on les rapproche
à volonté, de manière à faire tomber l'animal. On pro-
duit cette traction avec certains ménagements de façon
à ne pas dérober trop brusquement les pieds du cheval,
et afin que la chute se fasse sans une trop brusque
secousse.
Ce que nous venons de dire des grands animaux
s'applique en général au cheval ; mais les moyens de
contention applicables aux grands ruminants ne diffè-
rent que peu des précédents. Ainsi le tord-nez du cheval
a ici comme équivalent les boudes et \espmces des bou-
viers italiens, sortes d'anneaux qui passent dans les
narines des taureaux et des vaches. Quant aux moyens
de contention plus solides, on les applique d'ordinaire
sur l'animal resté debout; les vétérinaires eux-mêmes
n'abattent que rarement les animaux de l'espèce bovine.
On a recours de préférence à un appareil auquel on
donne le nom de travail, et dont la figure 31 représente
l'une des formes les plus simples.
On voit que ce travail (fig. 31) a pour parties princi-
pales quatre poteaux («, b, c, d) droits à leurs parties
inférieure et supérieure, mais concaves en dedans à
leur partie moyenne, de manière à comprendre, entre
CONTENTION MÉCANIQUE. 1 \7
les deux poteaux en regard l'un de l'autre, un intervalle
suffisant pour que le corps d'un bœuf puisse s'y placer.
De plus, les poteaux d"uu côté sont immobiles, d'une
seule pièce, tandis que ceux du côté opposé peuvent se
mouvoir autour d'une charnière qui leur permet de se
rabattre sur le sol afin de laisser entrer l'animal et de
FiG. 31. — Travail pour contenir le bœuf.
l'enfermer ensuite étroitement. La tête est maintenue
à un poteau {é) par des cordes qui vont des cornes
aux chevilles de ce poteau. Quant aux autres poteaux,
ils sont maintenus fermés par des cordes, ou mieux
encore par des chevilles, comme le représente la
figure 31 (en à, (/, et «, c).
Comme détail particulier de la contention du cheval,
nous donnons ici une figure d'un appareil qui permet
de maintenir ouverte la bouche de cet animal; cjt appa-
reil (fig. 32) est pour le cheval l'analogue du double
mors que nous avons décrit précédemment pour le
chien (voy. ci-dessus fig. 24).
I 48 i'KlÎHENSlON KT CONTENTION.
Nous n'insisterons pas davantage sur les moyens de
contention des grands animaux; ce que nous avons dit
suffira pour donner une idée des difficultés à surmonter
Fie. 32. — Appai'oil pour écarter les mâchoires du cheval.
et des procédés mis en œuvre pour s'en rendre maître.
Les détails dans lesquels nous sommes entré relative-
ment à la contention des chiens et des animaux d'un
usage expérimental plus journalier, montrent assez l'im-
portance que nous attachons à ce sujet : c'est là, en
effet, un des moyens indispensables pour arriver à con-
stituer la physiologie expérimentale scientifique. Quant
à l'influence, très-minime d'ordinaire, que l'état de
contention exerce sur l'organisme animal, nous l'exa-
minerons et en préciserons la valeur après avoir fait
l'élude d'un nouveau système de moyens de contention,
nous voulons parler de la contention physiologique, ainsi
nommée par opposition à la contention mécanique que
nous venons d'étudier.
HUITIÈME LEÇON
Sommaire : (Contention physiologique des animaux. — Emploi des alcaloïdes
de l'opium. — Comment il faut tenir compte, dans l'interprétation des
expériences, des effets propres aux agents de contention. — Emploi de
l'éther et du chloroforme. — • Du chloral. — Muselières pour l'anesthésie
<lu chien. — Éthérisation du lapin, du chat. — Bocal pour l'éthérisation
des animaux de petite taille. — .\nesthésie par l'eau chaude. — Combi-
naison du chloroforme et de la morphine. — Emploi du curare. — Avantages
••le l'emploi du curare. — .\ncsthésie par compression du cerveau. — Appré-
ciation générale des moyens de contention.
Messieurs,
Nous donnons le nom de moyens contentifs physiolo-
(jiques aux substances anesthésiques ou stupéfiantes que
l'on emploie pour éteindre la sensibilité ou le mouve-
ment chez les animaux que l'on soumet aux vivi-
sections.
Aujourd'hui les moyens de contention physiologique
que nous possédons et que nous allons passer en revue
sont au nombre de trois principaux, C.e sont ; 1" \ opium;
^° Xéther ou le chloroforme^ ou le chloral ; 3 " le curare.
Nous y ajouterons la contention par la compression céré-
brale, laquelle, quoique usitée dans un petit nombre
de cas seulement, peut cependant rendre encore de
réels services.
\° De l'opium. — Nous avons fait ailleurs l'histoire
de l'opium et de ses alcaloïdes (i) ; nous ne devons exa-
(1) Voy. Lpçons sur les nnestliésiques et l'axpliij.rie. Paris, 1875.
]50 CONTENTION DES ANIMAUX.
miner ici ces composés qu'au point de vue de leur em-
ploi comme moyens de contention ; à ce point de vue il
faut renoncera se servir de l'opium brut, car il renferme
six alcaloïdes, dont les effets ne sont pas du même ordre
et amèneraient même en partie des résultats opposés.
Nous avons montré en effet que de ces six alcaloïdes
trois srulemcnt sont hypnotiques ou anestbésiques, et
par suite contentifs : ce sont la morphine, la narci'ine et
la codéine. Les trois autres (narcotine, papavérine, thé-
baïne) ne sont pas narcotiques; ils ont même, et sur-
tout la thébaïne, une action excitante, convulsivante
très-toxique. C'est pour cette raison que l'opium lui-
même, quirenferme cettesubstance, estplus toxique que
la morphine pure, qui cependant est plus active comme
hypnotique.
Nous ferons usage de la morphine pour nos expé-
riences. Cette préférence nous est dictée parce que la
morphine estplus abondante et plus facile à se procurer
que tous les autres alcaloïdes de l'opium ; elle est moins
chère, et on la trouve dans le commerce à l'état de
pureté. La narcéine, qui nous a donné d'excellents ré-
sultats, est au contraire rare et même introuvable au-
jourd'hui, et il nous a été impossible de nous en pro-
curer de bien véritable après celle qui nous avait servi
pour nos premières recherches sur l'opium. La codéine
n'a aucun avantage, en physiologie, sur la morphine;
au contraire, elle agit moins énergiquemeut.
Quand nous emploierons la morphine, c'est toujours
de la morphine à l'état de sel le plus usuel, c'est-à-dire
du chlorhydrale. Nous employons ce sel à l'état de
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. 151
solution dans l'eau distillée; exemple : une solution
renfermant 5 centigrammes de chlorhydrate de mor-
phine pour 1 centimètre cube d'eau. Voici la formule
dont nous faisons usage : nous dissolvons un gramme
de chlorhydrate de morphine dans 20 centimètres cubes
d'eau. On injecte au moins 1 centimètre cube de la
solution : en général de 1 à 5 selon la taille et selon
l'âge du chien; plus l'animal est jeune, plus il est
sensible; les chiennes sont aussi peut-être plus sensibles
que les chiens. Nous sommes dès lors en possession d'un
excellent moyen de contention, dont nous allons étudier
les effets, les indications, ainsi que les moyens de s'en
servir.
3Iais ici se présente une question générale que nous
ne pouvons pas tarder plus longtemps à nous poser. Les
animaux soumis à ces moyens de contention sont-ils dans
un état physiologique? Les résultats que nous obtien-
drons dans ces circonstances sont-ils légitimes et peu-
vent-ils être considérés comme des résultats normaux ?
Sans doute l'action de l'agent, quel qu'il soit, dont nous
avons fait usage, cette action, quelle qu'elle soit, s'est
portée sur certains éléments anatomiques; elle a mo-
difié momentanément leurspropriétés, et l'on peut dire,
à ce point de vue, que l'animal en question n'est pas
dans mi état normal. Mais qu'est-ce que l'état normal?
Où trouver un animal qu'on puisse considérer comme
présentant un état normal typique, idéal? Quand l'ani-
mal n'est soumis à l'action d'aucun agent, peut-on dire
qu'il est à l'état normal? Non, sans doute. Si l'on a
affaire à un animal à jeun ou à un animal en pleine
15:2 Contention di:s animaux.
digeslion, les coiidilions ne sont plus les mêmes et
les résultats seront complètement différents. Si, par
exemple, l'expérience a pour but d'extraire du sang de
cet animal, d'en examiner la composition ou môme
simplement la quantité, lequel de ces deux animaux
(à jeun ou en digeslion) était à l'état normal ? Ni l'un
ni l'autre, ou si l'on veut tous les deux. C'est que ce que
l'on appelle l'état normal est une pure conception de
l'esprit, une forme typique idéale artificiellement déga-
gée des mille divergences entre lesquelles flotte inces-
samment l'organisme au milieu de ses fonctions aller-
natives et intermittentes. Il serait donc absurde de se
perdre dans la recherche d'un état qui nexiste pas, qui
ne saurait exister. Celse avait déjà fait remarquer qu'un
animal sur lequel on opère n'est jamais à l'élat normal.
Si on ne le soumet à aucun agent, mais si seulement
il se débat, s'agite, il n'est pas plus à l'état normal que
s'il est soumis à un agent de contention. Celse se servait
de cet argument pour cherchei- à démontrer que les
vivisections n'ont aucune rigueur, et par suite aucune
valeur scientifique. Cuvier lui-même, pénétré de ce de-
sideratum d'un état normal imaginaire et impossible à
réaliser, Cuvier repoussa les expériences au début de sa
carrière, et voulait qu'on étudiât la physiologie par
l'anatomie comparée, qu'on arrivât à déduire la fonc-
tion de l'organe de l'étude de son développement et de
sa prépondérance dans la série animale.
Nous sommes loin, on le sait, de partager cette opi-
nion. Nous pensons que l'expérimentation, malgré des
difficultés sans nombre, peut èlre ramenée à des condi-
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. \~):\
lions fixes et exemptes de causes d'erreur. Pour nous,
tout animal est atout instant dans des conditions parti-
culières qui l'écarlent, dans un sens ou dans un aulre, du
prétendu état normal; le tout est de déterminer exacte-
ment ces conditions, de tenir compte des circonstances.
A l'époque oij nous étudiions le sang veineux des glandes
et où nous faisions remarquer que le sang veineux qui
revient du rein est rouge comme du sang artériel, nous
entreprîmes de nombreuses analyses pour déterminer
la quantité d'oxygène contenu dans ce sang des veines
rénales Or, nous arrivâmes parfois à ce résultat ab-
surde, que le sang qui sort du rein contiendrait plus
d'oxygène que le sang artériel qui y arrive. Cependant
ce résultat était positif ; il ne pouvait être absurde en
lui-même, il s'agissait d'en saisir les circonstances. Une
analyse attentive de nos expériences nous en rendit
bientôtcompte. Nous prenions d'abord le sang delà veine,
nous l'analysions, et nous laissions par suite écouler un
certain temps avant d'aller puiser du sang dans l'artère.
Or, pendant cet intervalle, et par suite même de la pre-
mière saignée, l'animal s'était épuisé, son sang artériel
était devenu, d'une manière générale, plus pauvre en
oxygène; il ne pouvait plus à ce moment être comparé
à un sang veineux pris antérieurement sur l'animal plein
de vigueur. Il fallait donc faire simplement que les cir-
constances fussent identiques et pour la saignée vei-
neuse et pour la saignée artérielle.
Si nous sommes obligés de tenir compte de circon-
stances aussi délicates sur un animal qui n'a subi l'ac-
tion d'aucun agent, nos expériences seront tout aussi
154 CONTENTION DHS ANIMAUX.
légitimes sur un animal auquel on aura administré un
anesthésiquy, pourvu que nous sachions tenir compte
des circonstances nouvelles créées par l'action de celui-
ci. Par suite de ces circonstances, chacun des moyens de
contention physiologique aura ses indications spéciales
que, disons-le dès maintenant, nous aurons soin de
signaler exactement. Par suite encore, aucun de ces
moyens ne sera à recommander d'une manière générale
et absolue; chacun aura ses inconvénients et ses avan-
tages dans tel ou tel cas et pour telles ou telles raisons
que nous saurons spéciBer. C'est ainsi que l'opium,
arrêtant les sécrétions, ne pourra être mis en usage
lorsqu'il s'agira d'étudier les fonctions des glandes; le
curare, agissant sur le système nerveux, nous voilerait
un trop grand nombre des propriétés de ce système s'il
était mis en usage comme moyen de contention lorsque
nos expériences portent sur les centres ou sur les par-
ties nerveuses périphériques. Nous donnerons donc,
pour chacun des agents en question, ce qu'on appelle
en thérapeutique ses indications et ses contre-indica-
tions.
Emploi de l'opium (morphine). — Le chlorhydrate
de morphine s'administre le plus souvent sous forme
d'injection ; celle-ci peut se fan^e dans le tissu cellulaire
sous-cutané, ou dans la plèvre, ou même dans le pou-
mon. Nous rejetons l'injection dans les veines, parce
que dans ce cas on produit toujours un peu d'agitation,
on amène des évacuations alvines souvent sanguino-
lentes, ce qui prouve qu'on produit dans ce cas une
excitation qui est tout ii fait étrangère à la stupéfaction
CONTENTION rilYSIOLOGIQlK. 155
que l'on cherche à obtenir. D'autre part, lorsque l'in-
jection se fait dans les veines, l'efïetcontentif dure moin^
que lorsque la pénétration a lieu par une autre voie ;
c'est que l'élimination du poison est alors plus rapide.
La plèvre est un excellent lieu d'injection ; c'est là que
Magendie faisait toujours pénétrer de préférence les
agents dont il voulait étudier l'aclion ; on n'a pour cela
qu'à perforer un espace intercostal avec le trocart de la
seringue. L'injection dans le poumon nous a aussi donné
d'excellents résultats; l'agent passe ainsi immédiate-
ment dans ie système artériel et va tout de suite impres-
sionner les éléments anatomiques sur lesquels il porte
spécialement son action.
La dose que nous employons d'ordinaire est de 5 cen-
tigrammes, mais on peut donner au chien, sans aucun
danger, une dose plus forte et même double de morphine,
pourvu que ce sel soit bien pur. L'animal reste encore
sensible : en touchant la cornée on provoque l'occlusion
des paupières ; mais il est très-calme et se prête sans
réaction aux opérations les plus délicates. Placé à terre,
le chien peut encore se mouvoir, marcher, aller se
cachei'; placé dans la gouttière à vivisection, il y de-
meure immobile et stupéfié ; jamais il ne cherche
à mordre, quelque opération qu'on lui fasse subir; il
sent la douleur, mais il a pour ainsi dire perdu l'idée
de la défense. Aussi ce moyen de contention est-il
excellent pour les opérations que l'on doit faire dans la
cavité buccale.
Le chien est l'animal le plus facile à stupéfier par la
morphine, et comme c'est sur lui que le physiologiste
156 CONTENTION DKS ANIMAUX.
expérimente le plus souvent, nous avons donc dans le
principe de l'opium un des plus précieux moyens de
contention.
Après les avantages, il nous faut énumérer les incon-
vénients de l'opium.
Jl faut d'abord savoir que l'animal s'habitue singuliè-
rement à cet agent et arrive à une tolérance très-
grande, et qui, du reste, n'a rien qui nous étonne après
les exemples seujblables et bien connus que nous présente
l'histoire des mangeurs d'opium. Le lendemain du jour
où un chien a été soumis à l'action de la morphine, il
faut presque une dose double pour amener les mêmes
effets que la veille. Cette accoutumance persiste long-
temps, alors même qu'on interrompt quelques jours
l'administration de l'opium ; il faut purger les animaux
pour les soustraire à l'influence de la morphine absorbée
antérieurement et leur rendre leur sensibilité primitive
à cet aoent.
Il faut encore ne pas oublier que la morphine arrête
les sécrétions, que par suite elle arrête la digestion ; ce
moyen de contention nest donc pas à recommander
pour l'étude des fonctions digestives.
Au milieu de la stupeur produite par la morphine,
les animaux sont encore très-excitables par certaines
impressions: ils tressaillent vivement quand on produit
un bruit subit, un choc. C'est une excitabilité particu-
lière qu'on remarque non-seulement chez le chien, mais
encore sur une grenouille : en frappant vivement du
pied le sol du laboratoire, en faisant vibrer par un choc
brusque la planche ou la table sur laquelle repose l'ani-
CONTENTION phvsiologiqll:. 157
mal, on le voit subitement sursauter, pour retomber
aussitôt dans son calme habituel.
La morphine peut être employée à peu près avec
les mêmes avantages sur les différents mammifères;
elle réussit également sur les oiseaux ; mais c'est sur le
chien, nous l'avons dit, qu'elle réussit le mieux, et c'est
pour cet animal qu'elle est surtout indispensable.
De féther et du chloroforme (soit seuls, soit associés
à l'opium). — L'anesthésie par l'élher ou le chloroforme
était inconnue des anciens expérimentateurs comme
des anciens chirurgiens. Nous avons fait ailleurs l'his-
torique de la découverte de ces anesthésiques; rappe-
lons seulement que ce n'est qu'à partir de I8/18 que
l'anesthésie par l'élher est devenue pratique et d'un
usage assez répandu (d'abord en Amérique, Jackson et
le dentiste Morlon) ; puis est venu l'usage du chloro-
forme (Simpson d'Edimbourg), sans que toutefois ce
dernier aneslhésique remplaçât partout le premier : ainsi
les chirurgiens de Lyon sont restés fidèles à l'éther, dont
ils considèrent l'usage comme plus sûr que celui du
chloroforme.
Nous avons commencé nos travaux de physiologie à
une époque où l'on n'employait pas les anesthésiques;
puis est veim l'éther, puis le chloroforme. Nous avons
donc pu comparer successivement, au point de vue des
vivisections, les inconvénients elles avantages qui résul-
tent de ces diverses manières d'expérimenter. Enfin
nous avons combiné le chloroforme avec l'opium, et
nous croyons avoir réalisé ainsi le plus conq3let des
procédés d'aneslhésie physiologique.
J58 ^ CONTENTION Dl'S ANIMAUX.
Le chloroforaHi est un agent plus actif (|ue l'éther,
maison même temps plus dangereux; il aneslhésie plus
vite; mais, chez certains animaux délicats, il amène plus
facilement des accidents et la mort par syncope ou par
asphyxie (1). Les vétérinaires préfèrent généralement
"l'usage de l'éther. En physiologie expérimentale, ces
deux agents doivent être conservés, mais employés l'un
de préférence à l'autre selon la taille des animaux, selon
leur susceptibilité, et selon les conditions particulières
que nous préciserons en temps et lieu. Mais, d'une ma-
nière générale, on peut dire que l'éther convient pour
les oiseaux, pour les lapins et pour les petits animaux,
tels que les souris, les rais. Le chloroforme, au con-
traire, convient pour les chiens, les chats, pour les che-
vaux, etc., etc. En effet, l'éther agit trop lentement sur
ces derniers animaux, et il ne donne que rarement des
effets assez complets. Par contre, le lapin, et en géné-
ral les rongeurs utilisés en physiologie, est très-sensible
au chloroforme, et il est très-facile de dépasser la dose
que supportent ces animaux.
On a beaucoup parlé dans ces derniers temps de
l'emploi du chloral en chirurgie ; on a attribué l'action
de cet anesthésique, pris à l'intérieur, à ce qu'il se dé-
composerait dans l'organisme et donnerait naissance à
du chloroforme. Le chloral agirait donc, en dernière
analyse, par le chloroforme qui se produit grâce au
dédoublement qui a lieu en présence des milieux alca-
lins. S'il en est ainsi, il est probable que le chloral
combiné avec la morphine devrait produire des effets
(1) Lerom sur les onestliésujues. Paris, 1875. — Physiologie générale.
CONTKNTION PHYSIOLOGIQUE. 150
identiques à ceux que nous étudierons bientôt. iNous
avons fait de nombreuses expériences dans ce sens et
jamais nous n'avons obtenu ce résultat : ainsi Texcilabi-
lité particulière au choc, au bruit subit qui caractérise
la stupeur produite par la morphine, cette excitabilité
n'a jamais disparu par l'administration du chloral. Ce
résultat est donc contraire à l'hypothèse que le chloral
a^it en donnant naissance à du chloroforme, car ce der-
nier agent, quand on le combine à la morphine, pro-
duit toujours les effets indiqués, de quelque manière
qu'on l'administre à l'animal, aussi bien quand on l'in-
jecte sous la peau que quand on le fait absorber par la
voie pulmonaire.
Ainsi le chloral ne nous sera d'aucune utilité au point
de vue des vivisections.
Nous ne saurions nous occuper ici de la théorie des
anesthésiques : celte question a été longuement traitée
dans nos leçons sur les anesthésiques. Le point de vue
pratique auquel nous nous plaçons ici demande que
nous examinions plus particulièrement les manœuvres
employées pour produire l'anesthésie, c'est-à-dire pour
administrer les agents anesthésiques.
Pour administrer ces anesthésiques et particulière-
ment le chloroforme, nous nous servons, pour le chien,
d'une muselière en forme de cône tronqué (fig. 33) ;
l'extrémité de cette muselière reçoit une petite boîte
grillée [a), dans laquelle on place une éponge (fig. 33,
n"' i , 2) imbibée de chloroforme. Il est donc très-facile, en
introduisant ou en enlevant cette petite boîte, de com-
mencer et d'interrompre à volonté l'administration de
|()0 COMliiNTlOX DES AMMAUX.
ranesthésique. Au début de l'anesthésie, on voitl'ani-
FIG..33. — Muselici-c pour raiinslliésie du cliicn : n" 1, la musoliorc est appliquée
à l'animal ; n« 2, sou extrôuiité est vue en coupe.
6, corps de la museliôrn ; d, proloiig:!?meut ])ortant le lien qui sert à la fixer; a, boîte
doslinéo à recevoir l'éponge imbibée de chloroforme. (Le détail de celte partie, liguré^
à part, montre que cette boîte so compose de doux parties, l'une {a') qui fait corps
avec la muselière, l'autre (a) mobile et qui peut être enlevée à volonté
mal s'agiter assez vivement, plus vivement et plus long-
Fic. 3i. — Autres formes de muselière pour ranosthésic du cliicu.
1, parties en cuir ou drap épais embrassant exactement la forme du museau ; 2 et 3, parties
métalliques, avec boîte (3) comme ci-dessus.
temps qu'il ne le fait quand il a déjà été soumis à l'ac-
lion de la morphine (voy. plus loin).
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. 161
Il arrive souvent, si Ton douini tout d'abord une trop
grande quantité de chloroforme, que l'animal soit
Fie. 35. — Application de cette muselière, et détails de la construction de la boîtes
à chloroforme.
comme sidéré par la trop grande abondance des vapeurs
qu'il respire. On peut alors, si le cœur bat encore, et
souvent il bat d'une façon imperceptible, rappeler l'ani-
mal à la vie en l'excitant énergiquement, par exemple
en lui injectant, k l'aide d'une seringue, de l'eau dans
le nez avec une certaine violence. On rétablit ainsi les
mouvements respiratoires arrêtés. L'application de l'é-
lectricité peut aussi rendre alors de grands services ;
c'est un moyen auquel les chirurgiens ont recours en
pareil cas et dont les expériences de Jobert de Lamballe
ont démontré l'efficacité.
Pour chloroformer les grands animaux, on se sert
d'appareils analogues à celui que nous venons d'indiquer
pour le chien. Ainsi les vétérinaires appliquent sur le
museau du cheval un sac qui rappelle tout à fait la mu-
selière précédente et dont Gourdon nous, donne le des-
sin dans sa Chirurgie vétérinaire.
CL. BERNARD. — Pliysiol. Opéf. \\
162 CONTENTION DES ANIMAUX.
On peut éthériser des lapins en injectant sous la peau
du dos 4 ou 5 centimètres cubes d'éther. L'animal est
éthérisé pendant plusieurs heures et ne meurt pas ordi-
nairement à la suite de l'opération.
Si l'on injecte seulement ^2 centimètres cubes d'éther,
l'animal n'éprouve pas d'effets sensibles d'éthérisation.
Chez le chien on n'obtient pas l'éthérisation par
le môme procédé, et il y a ensuite une inflammation,
une mortification du tissu cellulaire.
Pour anesthésier le lapin , on place cet animal dans
un grand bocal avec une éponge imbibée de chloro-
forme, ou mieux d'éther (fig. 36). On voit, de même
Fig. 36. — Bocal pour anestliésiser le lapin ou le chat.
A, A, couvercle en bois, perce à son centre d'un orifice que ferme la cheville B, à laquelle
est suspendue une éponge C. (C'est sur cette éponge qu'on verse l'cthcr ou le chloroforme
par l'orifice du couvercle.)
que chez le chien, se produire d'abord une grande agi-
tation. Il y a souvent émission des urines, des matières
fécales, puis l'animal tombe dans le sommeil.
Nous anesthésions les oiseaux en les plaçant sous une
cloche. Ici il faut très-peu de chloroforme : le petit
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. 163
auimal est bien vite pris et une plus grande absorption
de vapeurs deviendrait bientôt mortelle. Mais aussi
l'animal, remis à l'air libre, revient bientôt à lui-même
et il faut le replacer dans la cloche pour maintenir
l'anesthésie.
On peut dire en général que, plus i'animal est de
petite taille, plus vite il est anesthésié, mais aussi plus
vite il revient à lui-même. 11 faut aussi tenir compte de
l'activité des phénomènes de l'organisme et du degré
que l'animal occupe dans l'échelle des êtres; a ce point
de vue l'oiseau présente toutes les conditions d'une ap-
parition et d'une disparition rapide de l'anesthésie.
L'anesthésie chloroformique peut aussi être produite
sur les grenouilles ; à cet effet nous employons deux
moyens :
1° Nous les plaçons sous une cloche ou dans un bocal
au milieu de vapeurs de chloroforme, comme l'oiseau
ou le lapin ;
2° Nous les plaçons dans de l'eau chloroformée, c'est-
à-dire qui contient du chloroforme en dissolution. L'eau
dissout, en effet, une certaine quantité de chloroforme;
quand elle en est saturée, en agitant vivement un mé-
lange des deux liquides, on a môme une solution trop
concentrée pour servir à ce genre d'expériences, et l'on
ne s'en sert qu'en la coupant avec de l'eau ordinaire.
On prépare et on emploie de même de l'eau éthéri-
sée. On plonge alors la grenouille dans ces liquides, et
au bout de peu d'instants on peut l'en retirer complète-
ment insensible.
Nous devons rapprocher de ce procédé celui dont
164 CONTENTION' DES ANIMAUX.
nous avons fait usage maintes fois et qui présente une
grande simplicité ; nous voulons parler de l'anestliésie
des grenouilles au moyen de Veau cJiaude. En été, lors-
qu'on tient longtemps un de ces batraciens dans sa main
pour lui faire subir une opération, on est souvent
étonné de voir l'animal devenu immobile et comme
mort ; il est simplement anesthésié. L'observation de ce
fait nous a amené à rechercher l'action de l'immersion
dans l'eau chaude, et nous avons reconnu qu'en plon-
geant l'animal dans de l'eau à 35 ou 37 degrés (au
maximum), on le voit s'aneslhésier absolument comme
s'il avait été plongé dans de l'eau chloroformée. L'im-
mersion dans l'eau froide suffit pour faire disparaître
presque aussitôt cette anesthésié.
Dans l'action anesthésique du chloroforme ou de
l'éther, ce sont les nerfs sensitifs qui sont atteints, et
cela depuis leur périphérie jusque vers les centres, car
c'est là la marche progressive que suit l'aueslhésie. Cet
élément nerveux est détruit progressivement au point
de vue de ses fonctions, et c'est dans le même ordre,
mais en sens inverse, que ses propriétés lui reviennent,
c'est-à-dire d'abord au niveau des centres, puis succes-
sivement vers la périphérie. — En est-il de même de
l'aneslhésie par l'eau chaude ? >os expériences nous
permettent d'affirmer que le fait est le même dans les
deux cas, et c'est ce qui nous autorise à rapprocher celte
anesthésié de celle produite par le chloroforme. ÎSous
avons constaté que, dans l'auesthésie par l'eau chaude,
le système nerveux sensitif se trouve complètement et
seul détruit; les muscles et les nerfs moteurs ont con-
CONTENTION PHYSIOLOGIQLE. 165
serve leurs propriétés et réagissent encore sous l'in-
fluence des excitations expérimentales. Si les mouve-
ments réflexes sont impossibles, cela est dû simplement
à la perte de la sensibilité. — Nous devions insister sur
ces faits, puisqu'ils différencient complètement, au point
de vue de leur mode d'action, les moyens de contention
que nous venons d'étudier d'avec celui qui doit nous
occuper maintenant, d'avec le curare. Pour compléter
l'analogie entre l'anesthésie par le chloroforme et
l'anesthésie par l'eau chaude, indiquons encore qu'au
commencement de l'action de ce dernier agent on ob-
serve des mouvements d'agitation comme au début de
l'action des anesthésiques précédents.
Enfin remarquons ce fait singulier que le froid en-
gourdit les animaux à sang froid ; la chaleur produit le
même effet par le mécanisme particulier que nous ve-
nons d'étudier. Cette action analogue, cette propriété
semblable des deux points extrêmes de la température
ambiante sur les animaux à température variable, est
propre à ces animaux : on n'observe rien de ce genre
sur les animaux à température constante.
^2° Du chloroforme combiné à la mor/i/nne. — En
combinant l'action du chloroforme à celle de la morphine
onobtientdes animauxbien plus faciles encore à manier.
La combinaison de ces deux anesthésiques avait été
faite comme par hasard sur l'homme par un chirurgien
allemand ; nous fûmes amenés à diriger nos expériences
dans cette direction par la circonstance suivante : Un
chien avait été chloroformé; ou avait cessé l'adminis-
tration du chloroforme, et, comme il sortait du sommeil
^%
100 CONTENTION DKS ANIMAUX.
chloroformique, on lui fit une injection de morphin«; :
à notre grand étonnemeul nous vîmes reparaître Tanes-
thésie chloroformique. Il est évident que la morphine
avait mis l'organisme dans des conditions telles, qu'il
était plus sensible au chloroforme ; ce n'est que dans
ce sens que nous pouvons nous expliquer l'effet de
l'association de ces deux agents. Tous les poisons pro-
duisent les symptômes qui leur sont propres lorsqu'ils
se trouvent dans le sang à dose suffisante pour agir;
puis, à mesure qu'ils sont éliminés, ces mêmes sym-
ptômes disparaissent au moment où ils ne sont plus
dans le sang à la dose active. Mais cette dose varie avec
les circonstances : la morphine rend l'organisme plus
sensible au chloroforme, et un animal qui n'était plus
sensible à la faible dose de chloroforme contenu dans
son sang, s'y trouve, dès qu'il a reçu de l'opium, assez
sensible pour retomber dans l'anesthésie dont il venait
de sortir.
En pratique, nous donnons la morphine d'abord et
le chloroforme ensuite. Si, à un chien stupéfié par l'in-
jection de morphine, nous faisons respirer les vapeurs du
chloroforme, nous voyons l'animal s'agiter un peu, ainsi
du reste que cela se produit toutes les fois qu'on admi-
nistre le chloroforme ; mais cette as^itation est infini-
ment courte : à peine l'animal a-t-il respiré une quan-
tité très-petite des vapeurs de chloroforme, qu'il tombe
dans l'anesthésie la plus complète. L'inertie qu'il pré-
sente alors est des })lus frappantes; la stupeur de la
morphine, jointe à l'anesthésie du chloroforme, en fait
une masse qui ne rappelle plus en rien l'animal vivant:
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. 167
c'est un cadavre sans rigidité cadavérique; c'est un
corps mou et sans résistance, un véritable chiffon, sur
lequel on peut se livrer aux expériences les plus lon-
gues et les plus laborieuses. Et cependant la vie se con-
tinue dans cette niasse inerte; la respiration s'effectue
spontanément, et c'est là un grand avantage sur le cu-
rare que nous étudierons bientôt, qui nous donne des
animaux également très-maniables, mais qui nous
force à entretenir chez eux la respiration artificielle.
La combinaison du chloroforme et de la morphine
permet la contention des animaux les plus rebelles ;
nous en avons eu un exemple frappant dans notre la-
boratoire : Un chien, malgré une injection de morphine,
n'avait éprouvé aucun phénomène de somnolence ; il
était agité, furieux et insaisissable ; l'inspiration d'un
peu de chloroforme le réduisit immédiatement à l'état
que nous avons décrit plus haut. Ainsi un animal qui
paraît rebelle à l'action de la "morphine, ne peut échap-
per à celle de la morphine et du chloroforme combi-
nés.
S'il a fallu fort peu de chloroforme pour produire
ces résultats chez un animal qui a absorbé de la mor-
phine, il faut dire aussi que cet état ne dure que peu
de temps : le chien sort bientôt de cette inertie su-
prême, pour se retrouver seulement dans la stupeur de
la morphine ; mais l'administration d'une faible dose,
nous pouvons dire de quelques traces de vapeurs de
chloroforme, suffit pour le replonger dans l'état que
nous venons de décrire.
Dans cet état, le chien est admirablement propre à
f!f
168 CONTENTION DES ANIMAUX.
subir des opérations des plus délicates et qui seraient
impraticables, ou du moins fort difficiles, dans toute
autre circonstance. C'est alors surtout qu'on peut prati-
quer toutes sortes de sections sur les parties profondes
de la gueule, aller agir sur les nerfs du goût, sur la
corde du tympan, en un mot, se livrer aux dissections
les plus minutieuses sur les nerfs de la langue et de la
profondeur de l'isthme du gosier.
Mais il ne faut pas oublier que, dans cet état, les par-
ticularités que nous avons signalées pour la morphine
en général se retrouvent tout entières : les sécrétions
sont arrêtées, la production de salive est rare ou nulle ;
cet état serait donc mal choisi pour entreprendre des ex-
périences sur la sécrétion salivaire, comme sur toute
autre sécrétion du tube digestif.
3° Du curare comme moyen de contention. — Le cu-
rare est aujourd'hui employé comme moyen de conten-
tion dans un grand nombre d'expériences ; il est peu
d'observations où l'on ne commence par avertir le lec-
teur que l'on a agi sur un chien curarisé, par exemple.
Cependant \c curare est peu connu de sa nature;
apporté de l'Amérique du Sud, il est emprunté aux sau-
vages, qui s'en servent comme poison de flèche pour
la chasse et pour les combats. Nous avons retracé
ailleurs (1) d'une manière complète tout ce que nous
savons de positif sur cet agent. Nous ne pouvons que
répéter aujourd'hui qu'il est impossible de décider
(1) Claude Bernard, Leçons sur les e/fels des substances toxiques et médi-
camenteuses. Paris, [8ol. — La science expérimentale : le curare, '2.^ éd'il'ww.
Paris, 1878.
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. 169
exaclement de la nature de ce poison, que les sauvages
fabriquent en secret, qu'ils échangent, et qui finale-
ment se trouve aujourd'hui dans le commerce. Mais
comme les Indiens paraissent en abandonner peu à peu
la préparation, il est à craindre que la recette se perde,
et qu'un jour nous nous voyions privés de ce précieux
moyen d'expérimentation physiologique.
En tout cas, ce produit paraît être une sorte d'extrait
qui, se desséchant, se présente sous la forme de petits
fragments noirâtres, comme des morceaux de jus de
réglisse. I^reyer en- a extrait un alcaloïde, la curarine,
mais cet alcaloïde ne cristallise pas, sa constitution
nest pas bien nette, et son emploi ne présenterait aucun
avantage sur celui du curare en nature. Celui-ci donne
avec l'eau une dissolution de couleur sale ; filtrée, cette
dissolution redevient bientôt légèrement trouble, parce
que certaines substances se précipitent : c'est qu'en eff'et
le curare renferme un mélange irrégulier de produits
bizarres, superstitieusement empruntés au règne animal
et au rèffne véi^étal.
Nous nous servons d'une dissolution renfermant
i centigramme de curare pour 1 centimètre cube
d'eau.
Il y a plus de vingt ans que nous avons montré que
le curare paralyse le mouvement en respectant la sensi-
bilité; c'est même cette expérience qui trancha la ques-
tion si longtemps controversée de X irritabilité hallé-
rienne. Le muscle continuant à être irritable, quoique le
nerf moteur eût perdu toute excitabilité, grâce à l'action
du curare, jusque vers ses extrémités les plus périphé-
170 CONTENTION DES ANIMAUX.
riques, il est désormais évident que celle irritabilité
appartient bien en propre au muscle lui-même. — On
pensa alors à se servir du curare pour enchaîner les ani-
maux pendant les opérations : on pourrait ainsi agir
sur des animaux dont toutes les facultés seraient con-
servées, moins celles des nerfs moteurs. C'est ce que l'on
obtient en effet, mais à des degrés variables, selon la
dose administrée.
1° Si l'on ne curarise qu'incomplètement l'animal,
on voit se paralyser tout d'abord les nerfs moteurs les
plus volontaires, c'est-à-dire ceux des membres et du
larynx : l'animal tombe sur le flanc, dans l'impossi-
bilité d'émettre aucun cri; puis les paupières elles-
mêmes ne peuvent plus se mouvoir sous l'influence des
excitations portées sur la cornée; le facial est à son tour
paralysé. Mais l'innervation des muscles inspirateurs et
expirateurs n'est pas interrompue, et la respiration con-
tinue à se faire spontanément. Pour obtenir ce degré
d'intoxication, il faut donner "2 milligrammes de curare
par kilogramme de l'animal.
Quand l'animal revient à lui, les symptômes dispa-
raissent dans un ordre fixe : de même que sa paralysie
a débuté par le train postérieur, puis qu'elle s'est éten-
due au train antérieur et finalement à la face, de même
elle disparaît d'abord de la face, puis du train anté-
rieur, et occupe en dernier lieu le train postérieur.
C'est qucj lorsqu'une partie est plus sensible à l'action
d'un agent toxique, elle en éprouve les effets dès que
l'organisme a absorbé de cet agent une quantité suffi-
sante pour agir sur elle, alors que les autres parties de
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. 171
récoiiomie n'éprouvent encore aucun effet; de même,
lorsque le poison s'élimine, par un mécanisme sur lequel
nous reviendrons, il peut exercer encore son action sur
les parties qui y sont le plus sensibles, alors que les
autres sont déjà revenues à leur état normal.
2° Sous l'influence d'une dose un peu plus forte que
la précédente, on voit la paralysie s'étendre bien plus
lom. Après la paralysie delà face, on voit les mouve-
ments de la respiration cesser à leur tour, et Fanimal
meurt asphyxié, s'il est abandonné dans cet état. C'est
alors que l'on met en usage la respiration artificielle ;
l'insufflation régulière de l'air dans la trachée dilate le
poumon et la cage thoracique, entretient l'hématose,
et par suite les battements du cœur et la circulation.
L'animal vit, quoiqu'il présente toutes les apparences
d'un cadavre; toutes ses fonctions continuent à s'exécu-
ter, et au bout d'un temps plus ou moins long, selon la
dose de curare mise en usage, le poison étant éliminé,
on voit revenir les mouvements l'espiratoires spontanés.
On cesse alors la respiration artificielle, mais il faut
encore laisser en place la sonde introduite dans la tra-
chée, parce que les muscles du larynx sont encore para-
lysés, ainsi que la langue, et que, sans cette précaution,
l'animal périrait par occlusion de l'orifice laryngien.
Nous avons donc dans le curare un nouvel et pré-
cieux moyen de contention à employer en physiologie.
Nous avons vu qu'on peut calculer exactement d'avance
les effets que l'on veut produire. Il faut cependant savoir
que tous les curares n'ont pas la même énergie, et que
l'indication d'une solution titrée d'une manière générale
17^ CONTENTION DES ANIMAUX.
manquerait d'une rigueur absolue : quelques tâtonne-
ments devront servir à fixer les idées sur la force de tout
nouveau curare mis en usage; mais on voit en somme,
par les deux exemples typiques que nous avons donnés
plus haut, que, ces notions une fois acquises, il est
facile de manier cet agent avec une grande précision.
On peut curariser non-seulement le chien et le lapin,
mais encore la grenouille et l'oiseau. Les oiseaux sont
singulièrement sensibles à cet agent et tombent para-
lysés immédiatement après l'avoir reçu. Ce résultat
devait être prévu, puisque nous savons que les sauvages
se servent de flèches empoisonnées de curare pour la
chasse, et surtout pour la chasse des oiseaux. Quand
l'animal blessé prend son vol, l'empoisonnement n'en
est que plus rapide, l'exercice activant la circulation et
par suite l'absorption du poison : aussi l'oiseau ne tarde-
t-il pas à tomber avant que le chasseur l'ait perdu de
vue. Il en est de même des mammifères : un sanglier
blessé par une flèche empoisonnée tombe avant d'avoir
fait quatre-vingts pas.
Le curare peut être pris, jusqu'à certaines doses, par
les voies digestives, sans produire aucun des accidents
précédents. Nous avions même fait autrefois dans ce
sens une expérience curieuse et démonstrative : un
chien, porteur d'une fistule gastrique, reçoit des ali-
ments imprégnés de curare, il n'en éprouve aucun in-
convénient; mais en faisant plonger par sa fistule un
instrument dans le contenu stomacal, et en piquant
ensuite un autre chien avec cet instrument, nous ame-
nions rapidement la mort de ce dernier. Cette expé-
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. j /o
rience prouvait de plus que le curare n'est point un
poison d'origine animale, un venin qui serait détruit par
les sucs digestifs. Tout porte à croire, au contraire, que
son élément essentiellement actif est d'origine végétale.
S'il n'agit pas lorsqu'il passe par les voies digestives,
c'est que dans ce cas sou absorption est très-lente, si
lente qu'il se trouve éliminé au fur et à mesure.
Nous cherchons donc, pour administrer le curare,
une voie d'absorption sûre et rapide : à cet effet nous
le donnons en injection, et, comme le tissu musculaire,
ainsi que nous le verrons, est un lieu très-propre à
l'absorption, nous faisons l'injection dans un nniscle.
Afin de nous placer toujours dans des circonstances
identiques, nous avons l'habitude de faire cette injec-
tion dans les muscles de la jambe, dans les gastro-
cnémiens.
Les grenouilles ainsi empoisonnées sont éminemment
aptes à démontrer le mode d'action du curare. L'animal
semble mort, cependant son cœur bat; bien plus, l'ani-
mal sent toutes les excitations qui peuvent porter sur
lui, car ses nerfs sensitifs ont conservé toutes leurs fonc-
tions, tandis que les moteurs seuls sont paralysés. On
peut alors démontrer : 1" que les nerfs moteurs étant
paralysés, c'est-à-dire inexcitables, les muscles n'en ont
pas moins conservé leur excitabilité propre; 2" que si
l'on met une partie du corps de l'animal à l'abri de l'em-
poisonnement en y arrêtant la circulation , des mouve-
ments réactionnels pourront se produire dans cette partie
sous r influence d'excitations portées sur les régions
empoisonnées, ce qui prouve que le poison n'a pas
474 CONTENTION DKS ANIMAUX.
atteint les nerfs seiisilits. A cet effet, on lie l'aorte d'une
grenouille de manière à préserver le train postérieur,
puis on injecte du curare sous la peau du train anté-
rieur. Ce dernier paraît bientôt comme mort; mais si
on le pique, on voit que l'exitation est transmise et
sentie, car elle donne lieu à des mouvements des pattes
de derrière. — Cet animal, placé dans l'eau, nage, mais
en s'aidant seulement des pattes de derrière. Dans
l'obscurité il se dirige vers la lumière, toujours par le
même mécanisme , preuve que , malgré l'action du
curare sur son train antérieur, il a conservé la sensa-
tion de la lumière en même temps que son intelligence
et son instinct.
Le curare présente, sur les moyens de contention
précédemment étudiés, cet avantage qu'avec lui il n'y a
pas d'accoutumance ; il ne s'emmagasine pas dans l'or-
ganisme, et son action ne s'y accumule pas : nous avons
déjà vu que, si l'absorption est très-lente, comme lors-
qu'elle a lieu par la muqueuse intestinale, l'élimination
qui se fait au fur et à mesure suffit pour rendre impos-
sible toute action toxique.
Nous avons essayé de la combinaison du curare et
des autres moyens de contention, comme nous avions
fait de la morphine et du chloroforme; mais ici nous ne
trouvons que peu ou pas d'avantages à opérer cette as-
sociation. Si à un animal auquel on a donné de la mor-
phine nous injectons du curare, nous observons chez lui
les effets bien distincts des deux agents : l'animal est
stupéfié et excitable aux bruits, aux chocs brusques
(effets de l'opium); mais en même temps il ne peut plus
CONTENTION PHYSIOLOGIQUE. 175
se tenir sur ses pattes, ni marcher; il présente de petites
contractions musculaires partielles, de légères convul-
sions, comme on en observe toujours au début de l'ac-
tion du curare. — Le seul fait remarquable et peut-être
utile, c'est que l'adjonction de la morphine rend plus
durable l'action du curare, en même temps qu'elle en
retarde tout d'abord l'efïet; c'est que la morphine arrête
les sécrétions , ralentit la circulation , tandis que le
curare est diurétique et, par cela même, hâte lui-même
sa propre élimination; la morphine produit précisément
les effets inverses, et, par suite, retarde et prolonge l'ac-
tion du curare en rendant plus lents et son entrée et
son départ de l'organisme.
[l° Compression du cerveau comme moyen de con-
tention. — L'état comateux dans lequel tombent les
blessés lorsque les hémisphères cérébraux sont soumis à
la compression, soit par un débris osseux, soit direc-
tement par la main du chirurgien, devait nous faire
penser ta immobiliser les animaux en expériences en
agissant mécaniquement sur leur encéphale. A cet effet,
on applique uiie couronne de trépan sur la partie supé-
rieure de la voûte crânienne. Il est très-facile, après
avoir fortement saisi le museau de l'animal pour fixer
la tête, d'appliquer une tréphine sur le crâne, et, après
quelques mouvements de rotation, d'enlever une cou-
ronne osseuse. Les membranes cérébrales sont intactes
au-dessous de l'ouverture; l'héinorrhagie est peu con-
sidérable. On introduit alors une éponge ou un bouchon
de caoutchouc, en un mot un corps élastique et d'une
l'ésistance moyenne, de manière à pouvoir, par l'appli-
176 CONTENTION' DES AMM\UX.
cation d'un bandage, maintenir une compression sufti-
sante. L'animal tombe aussitôt dans un état comateux
complet. 11 est bon de pouvoir augmenter graduelle-
ment la compression, sans quoi l'animal se réveille et
revient à lui. Il faut, déplus, avoir soin d'opérersur un
animal à jeun, pour éviter les vomissements qui accom-
pagneraient toujours une semblable opération.
Ce procédé très-simple nous offre un animal complè-
tement immobile, privé de moyens de défense, et propre
à toutes les expériences. C'est donc un procédé dont
on pourra faire usage lorsque l'on veut opérer sans
donner à l'animal aucune substance médicamenteuse
ou toxique.
Appréciation générale des moi/ens de contention. —
Nous voyons, par les études qui précèdent, que nous
sommes en possession d'un certain nombre de moyens
de contention, entre lesquels nous aurons à choisir,
selon les circonstances. 11 nous faut donc passer en
revue les raisons qui devront, d'une manière générale,
ççuider notre choix.
Nous avons vu que chacun des agents précédemment
étudiés agit plus spécialement sur un système : la mor-
phine sur le système nerveux sensitif; le curare sur le
système nerveux moteur; la compression cérébrale sur
le système nerveux central. En somme, tous ces moyens
agissent sur le système nerveux. Nous pouvons donc
déjà poser en règle générale qu'il ne faudra mettre en
usage aucun de ces moyens pendant des expériences sur
les propriétés du système nerveux. Aussi est-il malheu-
reusement fort probable qu'il y aura beaucoup à revenir
APPRECIATION DliS MOVL.XS DE CONTENTION. 177
sur les résultats fournis par les si nombreuses expé-
riences entreprises de tous côtés sur des animaux cura-
risés. C'est ainsi que des expérimentateurs sont arrivés
à des résultats inverses en étudiant l'influence du pneu-
mogastrique sur le cœur ou bien celle d'un nerf sur la
sécrétion d'une glande. L'animal ayant été curarisé,
n'oublions pas que, selon la dose, cet agent produit
des actions très-diverses dans leurs degrés, et que tel
observateur pourra constater un arrêt du cœur par
excitation du pneumogastri({ue, tandis que tel autre
n'observera plus cette action modératrice du nerf
vague : c'est que ce dernier aura employé une dose
de curare sufflsante pour paralyser le pneumogas-
trique. Les contradictions qui se sont produites un
instant entre nos expériences et celles de Kôlliker n'a-
vaient pas d'autre cause. C'est encore ainsi (jue Vulpian
niait l'action du curare sur les nerfs vaso-moteurs; il
reconnaît aujourd'hui que ces nerfs n'échappent pas
à l'action que le curare exerce sur tous les nerfs mo-
teurs ; seulement il faut une dose plus considérable pour
amener cet effet.
Ce que nous venons de dire des divers moyens de
contention peut à la rigueur s'appliquer en particulier
à l'éther et au chloroforme. Mais ces deux anesthésiques
présentent un grand avantage : c'est que leur action se
dissipe très-vile, et qu'au bout de quelques instants on
peut agir sur l'animal sans que l'aneslhésie précédem-
ment mise à profit influe en rien sur la valeur de l'ex-
périence présente. Aussi léther et le chloroforme sont-ils
précieux pour auesthésier les animaux pendant les opé-
CL. BERNARD. — Phvsiol. opér. 12
178 CONTENTION DES ANIMAUX.
rations longues et douloureuses qui doivent précéder
d'autres recherches : ainsi ils sont indispensables pour
procéder à l'ouverture du canal rachidien, afin d'étudier
ensuite les propriétés des divers cordons de la moelle ou
des racines rachidienues. Ni l'opium, ni le curare ne
pourraient être employés dans ce cas.
Mais n'est-ce que sur le système nerveux que ces
séries d'agents portent leur action? Par l'intermédiaire
de ce système ils agissent aussi sur la circulation ; il était
facile de le prévoir, et nous l'avons déjà indiqué; mais
ce qui pouvait paraître moins probable a jmori^ c'est
que ces agents amènent des troubles encore plus pro-
fonds, encore plus essentiels pour ainsi dire : ils modifient
la composition du sang, et c'est môme sur cette com-
position qu'ils paraissent agir de la façon la plus générale
et la plus constante.
Du reste, presque toutes les expériences physiologiques
amènent des modifications chimiques profondes dans le
milieu sanguin, par ce seul fait que l'animal est soumis
à l'expérimentation. On sait en effet que, chez l'animal
épuisé par la vivisection, l'absorption de l'oxygène par
le sang diminue, les combustions se ralentissent, le sang
artériel et le sang veineux ne présentent plus dans leurs
éléments normaux les mêmes proportions que dans les
circonstances physiologiques. Mais ce qu'il y a de bien
plus important à signaler, c'est qu'on voit dans ces cas
apparaître dans le sang des substances relativement
nouvelles. Ainsi le curare rend les animaux diabétiques,
c'est-à-dire que leur sang contient une proportion de
sucre qu'il ne contenait pas normalement. Il en est de
APPRÉCIATIOX DES MOYENS DE CONTENTIOX. 179
même du chloroforme ; quoique ici cet effet soit moins
marqué, on l'avait observé depuis longtemps, et on
s'était même servi de ce fait pour étayer la théorie qui
attribue le diabète à une combustion incomplète, à une
sorte d'asphyxie : le chloroforme aurait agi en dimi-
nuant la respiration. Mais nous avons dès longtemps
démontré que, si le chloroforme produit le diabète,
c'est uniquement par une action sur le système ner-
veux.
Il était à supposer que la morphine n'agirait point sur
la composition du sang : ici encore l'observation directe
est venue coutredire les hypothèses a priori. Nos plus
récentes expériences nous ont montré que la morphine
rend souvent les animaux diabétiques, cl qu'en tout cas
elle augmente toujours fortement la quantité de sucre
contenu dans le sang.
Bien plus, la simple compression cérébrale produit
les mêmes effets, et cet agent, qui par sa nature toute
mécanique, semblait a priori nous mettre à l'abri des
troubles produits parles autres moyens de contention,
nous présente au même degré les inconvénients des
divers anesthésiques.
Du reste, ce fait ne doit pas nous étonner, si nous
tenons compte de ce que l'observation nous a appris
depuis longtemps sur l'influence qu'exerce la durée des
expériences. Un animal, placé simplement et maintenu
sur une gouttière, estsingulièrement impressionné par la
longue durée de cette position : il se refroidit. Si nous l'y
plaçons aujourd'hui avec une température de 41 degrés,
nous l'y retrouverons demain à 31 degrés, abaissement
i80 CONTENTION DES ANIMAUX.
considérable, qui correspond souvent à une modification
profonde du sang, quoique dans les cas semblables nous
n'ayons que rarement trouvé du sucre dans l'urine
(seulement les urines étaient devenues acides, ce qui
prouve que la digestion s'est arrêtée). — L'immobilité
ne produit pas seule cet effet; en soumettant des ani-
maux à un balancement monotone, à une sorte de
bercement, on les refroidit également à la longue.
Ces quelques considérations nous permettent de me-
surer dans toute leur étendue les difficultés qui s'atta-
chent à l'étude de la physiologie expérimentale. Nous
avons dit précédemment que ces troubles apportés dans
l'organisme, par le fait même de la vivisection ou des
simples préliminaires de contention, avaient servi de
prétexte aux objections de toute sorte que Ton avait
faites de tout temps aux expériences pratiquées sur les
animaux vivants: nous avons vu que Celse repoussait
les vivisections, en disant que la souffrance trouble et
change complètement les phénomènes ; nous avons vu
que même de notre temps un grand naturaliste, Cuvier,
s'était prononcé contre ces expériences en invoquant des
raisons semblables. Mais aujourd'hui nous ne pouvons
tenir compte de ces objections vagues. Du moment que
des modifications existent chez le sujet opéré, et que
nous connaissons exactement ces modifications, nous
n'avons qu'à en tenir compte, dans l'interprétation des
expériences, pour que celles-ci soient légitimes. Ces
conditions n'ôtent rien à la valeur de la vivisection,
elles ne font qu'en multiplier les difficultés; mais, loin
de nous rebuter, ces difficultés doivent au contraire
AITRI'-CIAMON DES MJYEXS DE CONTEXIIOX. 181
nous engager à multiplier nos efforts pour nous en
rendre maîtres.
C'est dans ce but que nous n'avons pas craint de passer
en revue des circonstances en apparence insignifiantes
et de préciser toutes les conditions que nous devons con-
naître. Mais cette histoire générale n'est qu'un premier
aperçu, et, entrés dans l'étude de la véritable physio-
logie opératoire appliquée à chaque système de Torga-
nisme, nous aurons soin, à propos de chaque expérience
particulière, d'indiquer exactement le choix de l'animal
et les circonstances qui doivent présider à l'expéri-
menlalion.
NEUVIÈME LEÇON
Sommaire : Appareils et iastriimciits ci'ua usage général clans les vivisec-
tions. — Scalpels, pinces, crochets, scies. — Appareils pour les injections
— Seringues à vis. — Perce-plèvre de Magendie. — Canules diverses.
Messieurs,
De même que les anciens anatomistes commençaient
toujours leurs éludes par parler de V administration
anatomique, c'est-à-dire des instruments et des appareils
les plus généraux, de même que dans l'étude de la
chirurgie on commence par s'occuper de l'arsenal
chirurgical, de même nous devons entrer ici dans quel-
ques considérations de ce genre, sans cependant aborder
de trop près des détails que nous réservons pour les
étudier au fur et à mesure des expériences particu-
lières. Il est bien entendu que nous nous occupons ici
particulièrement des vivisections : c'est là ce qui consti-
tue la partie spéciale à la physiologie opératoire.
Les instruments essentiels aux vivisections sont de
nature assez diverse, destinés les uns à entamer simple-
ment les tissus, les autres à y faire pénétrer, par une
ouverture plus ou moins étroite, des substances dont on
veut étudier l'action; c'est à ces deux grands groupes
(jue se rapportent les instruments d'un usage général,
et qui doivent être connus avant que nous abordions
INSTRUMENTATION GÉNÉRALE. 183
l'étude d'opérations particulières. Nous passerons donc
rapidement en revue, d'une part, les instruments tran-
chants ; d'autre part, les canidés et les seringues à
injections.
r Instruments tranchants. — Nous ne faisons, en
somme, en fait de vivisections, que des opérations sem-
blables àcelles quepratiquel'anatomiste; comme lui nous
disséquons, mais des sujets vivants. Nous nous servons
donc des mêmes instruments que les anatomistes pour
saisir et sectionner les parties molles et pour couper ou
scier régulièrement les os. Nous avons donc à étudier
les pinces et les crochets, les scalpels ou bistouris et les
ciseaux; puis les scies et les tenailles incisives ou
ostéotomes.
Pinces et crochets. — Pour saisir et soulever un pli de
peau ou un organe plus ou moins profondément placé,
sur lequel doit porter la section, on se sert le plus gé-
néralement de pinces composées de deux branches, dont
les extrémités libres sont garnies d'aspérités; ces instru-
ments sont trop connus pour que nous ayons à nous ar-
rêter ici sur leur description. Les n"' 6, 7 et 8 de la
tigure 37 suffisent du reste pour donner une idée des
pinces que nous mettons le plus souvent en usage ; le
n- 8 est la pince la plus ordinaire, dite pince à dissection
ou à ligature; le n" 7 diffère de l'instrument précédent
en ce que ses mors sont courbés; c'est la pince courbe ;
enfin le n° 6 présente à son extrémité libre un genre
particulier d'aspérités : ce sont des griffes, dont deux ap-
partiennent à l'une des branches, tandis que l'autre n'en
possède qu'une; lorsque l'on serre la pince, cette dernière
184 INSTRUMENTATION' GÉNÉRALE.
griffe vient s'emboîter entre les deux premières. C'est ce
qu'on nomme la pince à griffes, très-utile pour saisir
et maintenir solidement un organe mobile et qui glisse
facilement, comme par exemple un tendon.
FiG. 37. — Pinces, ciseaux et sondes caiinelées.
1, ciseaux ordinaires; 1', ciseaux courbes sur le plat; 2, 3, i, 5, diverses formes et
dimensions de ciseaux ; C, pinces à grilles ; 7, pinces courbes ; 8, pinces ordinaires
ou droites ; 9, petites pinces ; 10, sonde cannelée.
A côté des pinces nous devons citer les crochets ou
érignes^ qui servent aussi bien pour soulever une partie
que l'on veut couper que pour écarter les lèvres d'une
INSTRUMENTATION GÉNÉRALE. 185
incision cutanée, lorsque la dissection doit se continuer
dans la profondeur. La figure 39 n" 1 et i' montre que
ces instruments se composent d'un manche en bois, por-
tant une tige d'acier, laquelle se termine par une ou
deux griffes (érigne à manche). Nous nous servons
d'ordinaire de crochets à griffes pointues comme ceux
de la figure 39, n'ayant pas à observer les ménage-
ments qui forcent les chirurgiens à se servir de crochets
mousses.
Lorsque l'on opère seul ou quel'on n'a pas un nombre
d'aides suffisant pour tenir les érignes, ou peut se servir
très-utilement d'un crochet, auquel est attaché, par un fil
solide, un petit sac contenant quelques balles de plomb
(fig. 39, n" 2) ; la partie que l'on veut écarter étant saisie
dans le crochet a, on laisse pendre le petit sac c, qui tire
surl'érigne par le fil b, et la seule force de la pesanteur
suffit pour maintenir l'écartement.
Enfin nous devons encore indiquer ici la sonde can-
nelée (fig. 37, n° 10), instrument qui rend à tout instant
des services considérables et qu'il faut avoir toujours
sous la main quand on entreprend une vivisection. Elle
se compose essentiellement d'une tige de fer longue de
15àl6 centimètres, et creusée en gouttière; l'évasement
cordiforme qui termine une de ses extrémités n'est pas
d'une grande utilité en physiologie opératoire, mais il est
cependant à conserver, caril permet de bien tenirlasonde
et de la manier avec précision. Nous citons ici cet ins-
trument, parce qu'il sert à tout instant à soulever et à
fixer au dehors d'une plaie un organe ou une partie
d'organe que l'on veut sectionner ; il est encore plus
INSTRUMENTATION GÉNÉRALE.
Fie. 38. — Oilloroiiles formes de scaliiels.
1, 2, 3, gros scalpels ou couteaux à cartilages; 4 et 5, scalpels ordinaires ; 6, scal-
pel à (Icnx tranchants; 7, 8, 9, 10, différentes formes do scalpels de dimenbioiis
moyennes; 11, 12, 13, 14, petits scalpels pour des sections délicates.
INSTRUMENTATION GÉNÉRALE. 187
utile lorsque l'on veut couper avec soin une lamelle apo-
névrotique ou une membrane quelconque, de manière à
ménager les parties sous-jacentes ; nous y reviendrons
en parlant des incisions.
Instruments pour couper les parties molles. — On se
sert à cet effet de bistouris ou de scalpels ; ces deux
ordres d'instruments tranchants se composent d'une
lame semblable dans les deux cas et de manches diffé-
rents : dans \es scalpels^ le manche et la lame sont inva-
riablement fixés dans la position de l'instrument ouvert ;
dans les bistouris^ au contraire, la lame est articulée sur
une châsse formée de deux jumelles de bois ou de
corne ; un mécanisme variable, parfois compliqué, per-
met de fixer la lame tranchante entre les deux jumelles,
c'est-à-dire de fermer ou bien d'ouvrir Vinstrument.
Nous nous servons peu du bistouri; outre que cet instru-
ment est plus difficile à nettoyer, le scalpel est bien plus
sûr, bien préférable comme solidité. Nous avons des
scalpels droits, convexes et concaves, ainsi nommés selon
la forme de la lame. La figure 38 montre les principales
variétés le plus souvent mises en usage dans les labo-
ratoires. On voit que parmi ces instruments les uns sont
forts, à lame épaisse et tranchante d'un seul côté
(n'^' i, 2, 3,i : on les nomme en anatomie couteaux à
cartilage; ils sont nécessaires pour désarticuler des os
et sectionner des parties très-résistantes. Le n° 5 repré-
sente le scalpel ordinaire, nécessaire pour les dissections
les plus vulgaires; il en est de même des n"* 7, 8, 9 et
iO. Pour des opérations plus finies et plus délicates, nous
employons des instruments plus petits, que l'on tient
188 INSTRUMENTATION GÉNillALK.
plus délicalemciit et do plus près, tels que les n"' ii,
12, 13, 14. Enfin le n" G, dont la lame est tranchante
des deux côtes, avec une extrémité très-effilée, sera
employé do préférence lorsqu'on voudra, par une
ponction, pénétrer dans une cavité close.
Les ciseaux représentent en somme deux lames tran-
chantes crois<'3es et tournant sur un axe, de manière à
venir se rencontrer par leur partie affilée et à couper
ainsi ce qui se trouve interposé entre les deux tran-
chants. Ils servent à sectionner les parties molles, sur-
tout quand elles sont minces et libres par un bord. 11
serait tout au moins superflu de s'étendre ici sur la des-
cription des ciseaux de formes et de dimensions diffé-
rentes : la ligure 37 (n°' i, i', 5, 3, 4, 5) donnera une
idée suffisante des divers instruments de ce genre que
doit po.sséder un laboratoire de physiologie. Les uns
sont droits, à extrémités mousses; les autres à extrémités
très-pointues; d'autres enfin sont courbés sur le plat
\\f 'V) ou bien sur le tranchant. De très-forts ciseaux
sont indispensables pour décapiter des grenouilles ou de
petits animaux ; par contre, une paire de ciseaux fins,
comme ceux représentés n*" 5, sont également de toute
nécessité pour disséquer et sectionner des parties déli-
cates, comme des racines nerveuses ou les organes et
les vaisseaux abdominaux d'un petit batracien.
Instruments pour couper les parties dures. — Pour
sectionner les os, nous nous servons ou des scies ou des
tenailles incisives ; souvent ces deux ordres d'instru-
ments sont mis à la fois et successivement en usage,
comme lorsqu'il s'agit de mettre à nu les organes
nerveux centiaux et poiu' les autopsies.
Fie. 39. — Scies, crochets et crigiios.
1, crochet ou érignc à manche (avec double griffe); 1', le même avec simple griffu (le
manche n'est pas représente) ; 2, crochet avec fil et petit sac pesant (voy. page 185) ;
3, scie ordinaire; 3', détail de l'articulation de la lame; 4, scie à manche, dont la
lame a est soutenue par le montant mobile b.
190 INSTRUMENTATION GÉNliRALE.
Les scies sont de deux ordres : i" la plus simple est
ce que l'on nomme la scie à main (fig. 39, n" 4), faite à
peu près comme un couteau plat ; la lame {a) est sou-
tenue du côté du dos par un montant [b) que l'on peut
soulever quand on est assez avancé dans la section d'un
os pour que la lame y pénètre tout entière. Les autres
scies, plus fortes et plus volumineuses, se composent
d'une lame mobile (n" 3) que l'on place dans une mon-
ture métallique en arc ; la lame représente alors comme
la corde de cet arc, et, quand elle a été mise en place et
fixée par chacune de ses extrémités (voy. 3'), elle peut
être tendue au moyen d'un pas de vis placé à Textrémité
la plus voisine du manche.
Les pinces incisives ou ostéotomes que nous employons
sont les mêmes (}ue celles mises en usage
en chirurgie , et que Liston , Colombat ,
Manec ont imaginées pour couper les pha-
langes, les côtes et même des portions d'os
plus volumineux. La figure 40 représente la
forme des instruments de ce genre; celui-ci
peut servir encore pour couper les aiguilles
et les épingles lorsqu'on pratique certaines
sutures dont nous parlerons plus loin.
2° Instruments pour pratiquer les injec-
tions. — Les injections constituent en phy-
siologie un des moyens les plus avantageux
pour introduire dans l'organisme des sub-
stances dont on veut étudier l'action. Pour
FiG. 40. obtenir l'absorplion d'une substance mise en
Pince incisive
onosuoiome. expériencc, il faut absolument renoncer en
INSTRUMENIATIOX GÉNÉRALE. 191
physiologie à Tabsorplion intestinale sur laquelle on ne
peut compter, et qui ne se fait pas dans les mêmes
conditions chez les différents animaux. Que l'on fasse
ingérer par exemple une grande quantité de sucre
à un chien et à un lapin : le sucre ne tardera pas à
apparaître dans les urines du premier, mais celles du
second n'en contiendront pas. C'est que chez le lapin
le sucre a été très-lentement absorbé par la surface
intestinale et ne s'est pas trouvé dans le sang en quantité
suffisante pour produire la glycémie qui doit précéder
toute glycosurie.
En médecine même, il y aurait tout avantage à re-
noncer dans certains cas à l'absor-
ption intestinale , pour recourir à
l'injection sous-culanée , qui pré-
sente tant de sûreté et de précision.
Nous avons donc grand intérêt à
indiquer d'une manière générale
les instruments indispensables à l'ap-
plication d'une méthode qui doit
constituer la principale sinon l'u-
nique voie de l'introduction expéri-
mentale des substances dans l'orga-
nisme (fig. 41).
Magendie s'était déjà beaucoup
occupé des injections expérimen-
tales ; il les faisait soit dans les
veines, soit dans la plèvre. Nous
possédons, encore au Collège de
France tous les instruments qu'il mettait en usage à
Fig. 41. — Seriiiguo avec
perce-plèvre, de Magen-
die.
A, A, extrémité du corps
de la scriiig'uc ; B, son
l'oljinet ; C, sa canule,
sur la'iucllc on adapte
le petit (0, D) ou le
grand (0' , D') perce-
plèvre.
102 IXSTRUMEXÏATIOX GÉNÉRALE.
cet iiû'ei : il avait, par exemple, fait constriiire ce qu'il
appelait son perce-p/èvre , et qui n'était autre chose
(ju'un tube en acier, tranchant et taillé en biseau à son
extrémité.
Aujourd'hui nous faisons en général, à peu de chose
près, comme lui; cependant nous choisissons plus rare-
ment la plèvre comme lieu de l'injection ; ce procédé
est trop peu physiologique, trop brutal : il est difficile
de pénétrer dans la plèvre sans blesser le poumon, puis
on a souvent des hémorrhagies dans la cavité pleurale.
Les instruments qui nous servent sont aussi un peu plus
délicats : ce sont des seringues analogues à celles con-
nues sous le nom de seringues de Pravaz^ mais dont le
piston est mu par un mouvement de vis; c'est pourquoi
je n'emploierai pas ici l'expression de seringue de
Pravaz, mais celle de sennrjue à vis^ qui est plus
sinqile et {\m en exprime l'état. D'ailleurs, la seringue
de Pravaz avait un trocarl, ce qui était mal commode;
c'est moi qui ai inventé la seringue piquante [i).
On peut aussi doser avec unebienplusgrande exactitude
la quantité de substance que l'on injecte : tel est le but
que cherchait Pravaz, et il avait besoin, en effet, d'une
grande exactitude dans les injections qu'il faisait au
milieu des poches anévrysmales pour en amener l'obli-
tération par coagulation. Tout le monde connaît la
manœuvre de la seringue de Pravaz et par suite celle
de la seringue à vis : on se sert de la canule, mun'e
(1) Pour riiistorique des seringues, voyez le tome I" de mes Leçons de
physiologie expérimentale. Paris, 1855, p. :221, oii j'ai fait jfigurer une se-
ringue avfC un bout piquait et une tige graduée.
INSTRUMENTATION GÉNÉRALE. 193
de son mandrin, comme d'un trocart; celui-ci étant
•>- 6
S' S> ^o J^ f^ -^3 y4 jJ' jff
Fie. 42. — Seringue avec ses diverses canules.
1, ensemble de la seringue, avec coupe théorique ; 2, disposition du piston et du pas de
vis de sa lige ; 3, armature de la seringue ; 5, calibre et graduation du tube de verre
ijui forme le corps de la seringue; 5 à 10, canules à bouts mousses; 11 et 12, cahulcs
piquantes; 13 et 14, canules piquantes à ouverture latérale; 15 et IC, petites canules
minces.
CL. BER.NARD — Phvsiol. opér.
13
194 INSTRUMENTATION GÉNÉRALE.
introduit dans la cavité où doit pénétrer l'injection, on
retire le mandrin, on visse la seringue sur la canule et
l'on procède lentement à l'injection. Nous avons, pour
notre usage, substitué à la canule, ou plutôt au trocart
de Pravaz, une simple canule d'acier analogue à celle
de Mascendie : on abréiçe ainsi les manœuvres. Nous nous
servons aussi de canules percées sur le côté (fig. 42,
en 11, 15, 18).
DIXIÈME LEÇON
Sommaire : Opérations d'un usage général dang les viviscclioiis. — Des inci-
sions (maniement du scalpel, des ciseaux, etc.). — Des sutures. — Manuel
opératoire des injections. — Injections hypodermiques. — Injections sous-
cutanées de gaz. — Quelques considérations générales sur les résultats
obtenus par les injections sous-cutanées.
Messieurs,
Connaissant les instruments que nous aurons à mettre
en usage dans ,1a plupart des vivisections , nous nous
proposons de donner dans cette leçon quelques indica-
tions générales sur la manière de s'en servir. C'est ainsi
que nous indiquerons rapidement les différentes ma-
nières de tenir le scalpel : ces détails, en apparence insi-
gnifiants, ne sont pas sans importance, car s'il s'agit
de faire une légère incision à un organe délicat, par
exemple à un vaisseau dans lequel on doit introduire
une canule, et que l'on manie le scalpel comme s'il
s'agissait de développer plus de force que d'adresse, on
s'expose presque à coup sûr à dépasser le but que l'on
se propose, et par suite à manquer l'opération, à sacri-
fier inutilement l'animal. Il est bon de connaître ces
règles et de s'habituer à agir régulièrement. Nous indi-
querons ensuite rapidement les di //éventes espèces d'in-
cisions que l'on peut pratiquer, incisions qui sont toutes
196 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
justifiées d'une manière générale par le but que l'on se
propose d'atteindre. Après avoir coupé, il faut souvent
recoudre, réunir les parties; nous dirons donc quelques
mots des sutures. Enfin nous préciserons les manœuvres
opératoires applicables aux injections les plus générales,
c'est-à-dire aux injections sous-cutanées.
>*'ous compléterons ces études par quelques règles
générales relatives à des questions opératoires qui sont
du ressort d'un grand nombre de vivisections ou d'expé-
riences ; c'est ainsi que nous indiquerons les procédés
les plus avantageux pour sacrifier un animal chez lequel
on a à rechercher les modifications des organes internes ;
nous nous arrêterons quehjues instants sur ces autopsies
pratiquées sur l'animal sacrifié, et dont les éléments
anatomiques sont encore vivants. Toute une série d'ap-
pareils est nécessaire pour étudier les modifications
dynamiques que présentent ces tissus; c'est surtout
l'électricité qui sert de réactif dans ces circonstances,
de sorte que nous indiquerons les appareils électriques
qui nous sont les plus usuels.
Enfin , chez un animal réduit à l'état de cadavre
apparent, soit par la section du bulbe, soit par l'ab-
sorption du curare, on peut encore entretenir la vie en
rétablissant artificiellement les mouvements respira-
toires, et par suite l'hématose, puisque la circulation
persiste dans ces cas. L'élude de la respiration artifi-
cielle devra donc suivre et terminer ces détails sur les
manœuvres opératoires d'un usage général.
A. Maniement du scalpel. — Sans insister ici sur le
maniement de ces instruments classiques, nous ne pou-
INCISIONS. 197
vous cependant nous dispenser d'indiquer comment il
faut tenir le scalpel : inutile de dire que cet instrument
doit être tenu solidement, ici encore plus que dans les
dissections simples, puisque nous avons affaire à des
sujets qui peuvent remuer et nous déranger brusque-
ment ; mais, de quelque manière qu'on manie le scalpel,
ses positions peuvent se réduire à trois.
i° On le tient comme un couteau à découper (fîg. 43),
c'est-à-dire le manche en plein dans la paume de la
Fie. 43. — Scalpel tenu comme un couteau à découper.
main, l'index appliqué sur la partie dorsale de la lame.
C'est la position prise pour développer beaucoup de
force , pour appuyer avec énergie. On peut varier
cette position en tournant le tranchant en haut; alors
l'index vient appuyer un peu plus en arrière, vers la
jonction du manche et de la lame : c'est ainsi qu'on
198 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
tient l'instrumont pour couper un pli fait à la peau
(fig. 44).
FiG. 44. — Anlro position «Ui scalpt-l tenu comme un ooulcau à découper.
Incision de dedans en dehors.
2° On le tient comme une plume à écrire (fig. 45).
Ce!te position présente encore une certaine solidité;
Fie. 45. — Scalpel tenu comme une plume à écrire.
mais elle est surtout utile par sa légèreté : c'est ainsi
que l'on dissèque une artère, un nerf, et en général les
INCISIONS. 199
organes délicats. On varie cette position en tournant eu
haut le tranchant de la lame, et c'est ainsi qu'on opère
pour percer une cavité, pour traverser la paroi d'un
viscère, d'un réservoir ou d'un canal (fig. 46).
FiG. 46. — Autre position du scalpel tenu comme une plume à écrire
3° Enfin on le tient comme un archet (fig. 47) : c'est
KiG. 47. — Scalpel tenu comme un archet.
la position qui donne le plus de légèreté et de délicatesse
200 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
au mouvement. C'est ainsi que l'on coupe des parties
délicates sur un organe à ménager; c'est ainsi que l'on
sectionne un reste d'aponévrose sur un organe déjà
dénudé. On peut porter la lame en avant ou en arrière,
de façon à inciser en ramenant vers soi (fig. 48).
FiG. 48. — Autre position du scalpel tenu comme un archet.
Incision (a) sur la sonde cannelée d'une aponévrose (6),
B. Incisions. — Nous ne nous arrêterons pas longue-
ment sur les incisions et les différentes formes que l'on
peut leur donner : les chirurgiens, dans leurs traités de
médecine opératoire, décrivent des incisions simples et
des incisions composées en T, en V, en croix, en crois-
sant, en quadrilatère. Nous insisterons seulement sur
la distinction des incisions selon qu'elles se pratiquent
de dehors en dedans ou de dedans en dehors.
Les incisions de dehors en dedans se pratiquent de
préférence avec les scalpels à tranchant plus ou moins
convexe : c'est d'ordinaire le tégument externe, ou
l'enveloppe, ou les membranes superficielles que l'on
incise ainsi; à cet effet, la peau, par exemple, est
INCISIONS. 201
tendue entre les indicateurs et les autres doi^-ts
ou bien on la fait soulever par les deux mains d'un
aide en un pli que l'on divise perpendiculairement
(%• 49).
Les incisions de dedans en dehors se pratiquent avec
ou sans conducteur. Si l'on ne se sert point d'un con-
ducteur, on se contente (fig. 46) d'enfoncer plus ou
moins perpendiculairement le scalpel au travers des
téguments, puis on l'in-
cline sous un angle d'en-
viron 45 degrés ; pressant
alors sur l'instrument en
le ramenant à soi, on
donne à l'incision la lon-
gueur voulue et on la ter-
mine nettement en rele-
vant la lame à angle
droit. On peut encore
enfoncer , comme le
montre la figure 44, la lame de part en part au travers
d'un pli cutané, et faire ensuite agir le tranchant soit de
manière à tailler un lambeau, soit de façon à pratiquer
un trajet analogue à celui que les chirurgiens ou les
vétérinaires mettent en usage pour passer un séton. Si
l'on se sert d'un conducteur, c'est-à-dire de la sonde
cannelée (fig. 37, n° 10), on introduit l'extrémité de
celle-ci (a, fig. 48) au-dessous de la portion de tégu-
ment ou de la lamelle aponévrotique que l'on veut
diviser {b, fig. 48), puis on porte la pointe du bistouri
sur la cannelure, et, après avoir incliné la lame en la
Fig. 49. — Inci<ion do dcliors en dedans.
202 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
rapprochant de la sonde, on la fait glisser sur celle-ci,
de telle sorte qu'elle divise les parties qu'elle soulève.
C. Sutures. — Les su-
tures ne méritent guère
de fixer longtemps notre
attention : nous em-
ployons généralement la
suture à surjet ou à points
entrecoupés. Mais nous
devons déclarer tout de
suite qu'il est rare que
les sutures réussissent,
en physiologie opératoire,
pour obtenir une réu-
nion par première inten-
tion; nous n'avons, du
reste, que rarement oc-
casion de désirer une
réunion de ce genre.
L'instrumentatiou né-
cessaire pour faire une
suture quelconque se
compose : i" de fils de
lin, de soie, ou de fils
métalliques ; 2" d'ai-
guilles de formes diverses,
les unes droites, les autres
courbes (fig. 50, 3), mais
toujours bien effilées et tranchantes à leur extrémité,
car les téguments des animaux, encore plus que ceux de
Fig. 50.
Aiiriiill
^'A iiorlc-;ugui)li.'.
1, portc-aiguillc (ou pinces à manche) droit ;
2, porte-aiguille à bec ; 2' détails de la
face interne des mors du porte-aiguille;
3, aiguilles droites et courbées.
SUTURES. ^03
rhomme, sont très-difficiles à traverser. Aussi se sert-
on parfois, pour diriger les aiguilles avec force et préci-
sion, d'un instrument appelé porte-aiguille, c'est-à-dire
d'une sorte de pince à manche (fig. 50). L'extrémité des
mors de la pince porte à sa face interne (fig. 50, n° 2')
des rainures qui permettent d'y fixer une aiguille ou
une épingle dans diverses positions ; les mors sont tenus
rapprochés par un coulant que l'on voit dans les n"* j
et "1 de la figure 50.
Nous n'avons pas besoin d'indiquer ici les petites ma-
nœuvres élémentaires qui servent à affronter les lèvres
d'une solution de continuité et à les transpercer avec
l'aiguille; nous parlerons seulement de la disposition
définitive des fils. Ou divise sous ce rapport les sutures
en plusieurs espèces :
i" Dans la suture entortillée on se sert d'ais:uilles
'l'll'!:'!Ii]l;'ii';'l!'':i'!l'--l'
Fig. 51. — Suture enlorlillijo.
Fig. 52. — Suture entortillée (avec ao de chiffre.
droites ou de fortes épingles qu'on laisse en place ,
après en avoir transpercé les deux lèvres de la
plaie; un fil est alors jeté en anse sur les deux extré-
204 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
mités libres de chaque épingle : on fait faire un cer-
tain nombre de tours à celte anse, et l'on fait même
passer le fil d'une épingle à l'autre,
en croisant ses deux chefs, comme le
représente la figure 51. On peut en-
core, au lieu d'une anse simple, faire
décrire au fil une anse double, c'est-
à-dire un a: de chiffre, comme le
montre la figure 52.
2" La suture à points séparés est
formée de fils distincts et noués isolé-
ment (fig. 53) ; c'est la forme la plus
simple et d'où dérivent les suivantes.
3" La suture enchevAllée se fait comme la précédente ;
mais chaque fil est double, de manière qu'on engage
un petit rouleau de diachylon dans l'anse qu'il forme
Fig. 53.
Suture à points
sépares.
Fig. 54. — Suture enchevillcc.
Fig. 55. — Suture en surji'l.
sur l'un des côtés de l'incision; on noue de même les
extrémités libres de chaque fil sur un petit rouleau
semblable. La figure 54 montre la disposition qui résulte
SUTURES. 205
de cet arrangement, et fait comprendre comment la
présence de ces petits rouleaux de diachylon ou de bois
permet d'affronter exactement les bords de la plaie
dans toute son étendue.
La suture à point continu ou en surjet se fait avec un
seul fil passé dans une seule aiguille, au moyen de
laquelle on traverse à des intervalles égaux les deux
bords de la plaie, de manière à faire décrire au fil une
sorte de spirale autour de l'incision (voy. fig. 55). On
noue le fil à chacune des extrémités de la suture.
La suture à points passés ou en zigzag diffère peu de
la précédente; seulement, au lieu de se contenter d'un
m..
FiG. 56. — Suture à points passés.
■■u;ij|jii[iiii!iiiiii*'
FiG. 57. — Suture à points passés
(pour une incision cruciale).
point fait alternativement de chaque côté de la solution
de continuité, après avoir traversé une des lèvres de la
plaie, on reporte l'aiguille à quelques millimètres de
distance du point où elle vient de sortir et du même
côté, puis on fait un nouveau point de suture, mais
en sens inverse du précédent, c'est-à-dire de gauche
à droite , si celui-ci avait été de droite à gauche
(voy. fig. 56).
"206 OPÉllVTFONS fTÉXÉRALES.
Enfin on peut ôisposer, comme le montre la figure 57,
la suture k points passés de manière à rapprocher à la
fois les quatre lèvres ilune double incision, d'une inci-
sion cruciale.
Manuel opératoire des mjections sous-cutanées. — Les
mêmes instruments servent aussi bien pour les injec-
tions sous-cutanées que pour les injections dans les
veines. Nous ne dirons ici que quelques mots des
injections sous-cutanées, qui constituent une méthode
générale pour introduire des substances dans l'orga-
nisme. L'étude des injections intraveineuses demande
des détails spéciaux qui seront donnés dans le chapitre
consacré à l'appareil circulatoire.
La seule raison qui nous fait étudier ici les injections
sous-cutanées se trouve dans leur emploi plus général ;
car, du reste, les injections sous-culanées. comme les
injections intravasculaires, font pénétrer dans le sang
les substances que le torrent circulatoire va ensuite porter
vers les éléments anatomiques sur lesquels elles exercent
leur action. En effet, hàtons-nous de le dire, rien n'agit
sur l'homme, sur le chat, sur tel ou tel animal. Mais telle
substance agit sur tel élément anatomique de Thomme
ou du chat, et cette action peut produire consécutive-
ment un trouble plus ou moins général, mais toujours
secondaire, de l'organisme. Le curare agit sur le nerf
moteur; l'oxyde de carbone agit sur le globule rouge.
C'est toujours le sang qui nous sert de véhicule pour
aller atteindre l'élément qui est du ressort de Tagent
mis eu expérience; mais, en dernière analyse, c'est sur
cet élément particulier que nous expérimentons. Au>,si
INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. 207
avons-nous depuis longtemps distingué pour les ani-
maux deux milieux , auxquels ils empruntent leurs con-
ditions dexistence : un inilieu extérieur et un milieu
intérieur (le sang'. Le premier est celui oîi vit l'être
total : le second est celui où vivent les éléments anato-
miques. C'est par l'intermédiaire de ce milieu que nous
faisons arriver vers ces éléments les substances dont
nous voulons déterminer l'action.
Les opérations par lesquelles nous injectons ces sub-
stances au niveau de la peau, c'est-à-dire au niveau
des fines racines de l'appareil circulatoire, peuvent se
diviser en trois classes, formant trois méthodes bien
distinctes : la méthode épidermique^ Vemlermique et
\ hypodermique .
\' Méthode épidernàque. — La méthode épider-
mique, par laquelle on cherche à faire pénétrer des
substances en les déposant simplement à la surface de
la peau, ne nous offre que peu de considérations inté-
ressantes à notre point de vue. On pourrait croire que
c'est un mode de pénétration normal, physiologique;
mais en réalité cette pénétration n'a rien de physiolo-
gique, puisque l'absorption pure et simple par la peau,
pendant un bain par exemple, est des plus contestables:
elle est en tout cas si faible, qu'elle demeure toujours
insignifiante. On sait seulement qu'on peut arriver à ce
mode d'absorption, soit en dégraissant préalablement la
peau, soit au contraire en incorporant les substances
à absorber avec des matières grasses dont on enduit le
tégument ; encore dans ce cas, pour obtenir un résultat
satisfaisant, doit-on avoir recours à des frictions, c'est-
208 0P1•RATI0^S GliNÉRALES.
à-dire à une action mécanique. Chez les grenouilles,
l'absorplion cutanée (épidermique) est très-active.
2" Méthode endermique. — Par ce procédé on porte
en réalité les substances dans les couches profondes de
l'épiderme. C'est ce que l'on connaît sous le nom d'ùiocu-
lation. On applique, par exemple, la substance en ques-
tion sur le corps muqueux de l'épiderme, mis à nu par
un vésicatoire; ou bien on va la porter jusque sous
l'épiderme, au contact des papilles dermiques, comme
dans l'inoculation proprement dite. C'est le procédé
employé en médecine pour la vaccination et même par-
fois pour l'introduction de médicaments. Quelques mé-
decins ont môme tenté d'ériger ce procédé en méthode
générale : on scariflait la peau et appliquait sur ces
légères blessures la substance médicamenteuse incor-
porée dans une pâte. En thérapeutique, ce procédé est
infidèle et a dû être abandonné ; mais pour la vaccine
et Vinoculation de divers virus, c'est la méthode ender-
mique qui est essentiellement mise en usage.
\J instrumentation de la méthode endermique est fort
simple : elle se réduit à la lancette à vaccin (fig. 58),
munie, on le sait, d'une petite rainure
\ destinée à recevoir le virus. Mais on peut
aussi se servir avec avantage d'une fine
"iiiffli®^ seringue avec laquelle on peut pousser
Fig. 58. exactcmeut et complètement une goutte
Lancette à vaccin.
du virus, ou même une fraction de
goutte. C'est avec une fine seringue que Chauveau a fait
ses expériences si précises et si délicates sur l'inocu-
lation du vaccin.
IVJECTIOXS SOUS-CUTANÉES. 209
Au point de vue des résultats expérimentaux, la mé-
thode endermique est très-intéressante, surtout d'après
les observations fournies par les expériences de Chau-
veau. Ce physiologiste a montré qu'il y a dans ces cir-
constances à la fois absorption et action locale. Nous
avons déjà insisté sur ce fait que chaque substance agit
sur un élément anatomique vers lequel elle est portée
par le sang ; mais si on l'injecte directement au contact
de cet élément anatomique, il y aura nécessairement
action immédiate sur celui-ci, action locale; puis la
partie absorbée, portée vers les éléments du même genre
dans les différentes parties du corps, amènera une action
générale. C'est ce qui arrive en effet : quand on inocule
le vaccin, il se produit d'abord, comme effet local, une
pustule unique dans le point où a été déposé le virus ;
si l'on introduit directement celui-ci dans le sang, on n'a
pas d'effet local, mais une éruption générale magni-
fique. Ces faits ont permis à Chauveau d'expliquer
comment une action locale, après inoculation, rend tout
l'organisme réfractaire et lui donne finalement l'inno-
cuité recherchée dans la vaccination : c'est que par la
méthode hypodermique, en introduisant le virus au
contact de l'épiderme et du derme, on obtient à la fois
les effets locaux et les effets généraux; la pustule locale
se développe la première et se montre en pleine évolu-
tion dès le cinquième jour; l'infection générale suit son
cours, et devrait donner naissance à une éruption géné-
rale vers le dixième jour ; mais à ce moment le sujet y
est rendu réfractaire par l'évolution de la pustule locale.
Mais si l'on a arrêté le travail de celle-ci; si, par
CL. BERNARD. — Plijsiol. opér. 14
"110 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
exemple, on la cautérisée vers le troisième jour, rien
n'empêche la marche de l'infection générale, qui alors
parvient à se manifester, vers le dixième jour, par une
éruption de toute la surface cutanée. Cet exemple nous
montre une fois de plus combien il est important de
bien déterminer sur quel élément agit telle ou telle
substance, afin d'être à même de disposer des circon-
stances qui nous permettront de provoquer plus rapi-
dement cette action, en la portant directement sur Félé-
ment en question.
Méthode hypodermique. — La méthode hypoder-
mique, ou sous-cutanée proprement dite, est pour nous
la plus importante : elle est pour ainsi dire connue de
toute antiquité par les physiologistes; ce n'est qu'en
médecine que son application générale est toute ré-
cente, et constitue un précieux progrès, qui demande-
rait d'être encore plus étendu; car la thérapeutique, dis-
posant de médicaments parfaitement purs, serait assurée
alors d'obtenir l'absorption avec une régularité constante
et absolue.
Ces injections se font dans le tissu cellulaire sous-
cutané. ?sous ne pouvons aller plus loin sans nous
demander ce que c'est que ce tissu cellulaire sous-cutané.
Comme on l'avait depuis longtemps soupçonné, et comme
les recherches récentes de l'histologie tendent à le dé-
montrer, ce tissu peut être identifié aux cavités séreuses :
injecter dans les mailles du tissu cellulaire, c'est faire
identiquement ce que faisait Magendie quand il injectait
dans la cavité pleurale (voy. p. 191). Chez la grenouille
même (fig. 59), le tissu cellulaire sous-cutané forme
INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. ^H
de vastes cavités séreuses (dites sacs lymphatiques) ; du
reste, Ranviera démontré la parenté des cavités séreuses
et des mailles du tissu cellulaire, qui communiquent avec
les origines des lymphatiques. Aussi ce tissu absorbe-t-il
FiG. 59. - Disposition des sacs lymphatiques de la grenouille. (Cette figure montre
en même temps la disposition à donner au mésentère de la grenouille pour y observer au
microscope la circulation capillaire.)
A, A lame de liége percée de l'ouverture 0 ; B, morceau de liège placé sur le côté de
cette ouverture opposé au corps de b grenouille, pour établir le niveau: p. épin-le
fixant dans ce liège l'anse intestinale sortie de l'abdomen de l'animal ; a. a', sacs lym-
phatiques (dorsal et ventral); b, b'. .iem (latéraux) ; c.c.c. cloisons incoraplètes'qui
séparent ces sacs. - i, colonne vertébrale et muscles ; 2, masse intestinale.
très-facilement tes liquides, comme les gaz, surtout
lorsqu'il est très-làche, très-souple, comme celui du
lapin. Car le tissu cellulaire n'est pas partout le même
chez un même animal, ni identique chez les animaux les
plus voisins : il est très-serré chez le chien. Dupuyiren,
frappé de la forme serrée du tissu cellulaire du périnée
de l'homme, disait familièrement que c'était là du tissu
cellulaire du chien. Chez le porc et chez les animaux
pourvus de lard, c'est-à-dire d'un pannicule adipeux
très-épais, l'absorption sous-culanée est très-difficile à
obtenir ; c'est ce qui explique que ces animaux, comme
par exemple le hérisson, aient été considérés comme
212 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
réfractaires à certains virus, à la morsure des animaux
venimeux, àraciile prussique, etc. Ils n'y sont pas plus
réfractaires que le chien ; mais ces agents, introduits
sous la peau, sont trop lentement absorbés pour par-
venir à produire des effets toxiques, car ils sont éliminés
à mesure.
Il faut donc ici, de même que pour toutes les autres
opérations, tenir compte des particularités propres aux
animaux en expérience : il faut savoir choisir les sujets
favorables^ et, sur un même sujet, les régions les plus
avantageuses ; savoir tantôt porter sa préférence sur
le tissu cellulaire, tantôt sur la plèvre, tantôt sur la
cavité périlonéale; savoir que, de même que pour la
peau, un péritoine très-chargé de graisse est fort peu
propre cà l'absorption, etc.
Nous devons de plus ne pas oublier que les animaux
présentent une aptitude bien différente à l'absorption
selon qu'ils sont à jeun ou en digestion : cela se conçoit
facilement, puisque, en dernière anaryse, l'absorption
se réduit à un phénomène d'osmose, et qu'après une
copieuse digestion l'organisme, loin d'être favorable à
l'osmose, présente plutôt des phénomènes généraux
d'exosmose : les plèvres et les cavités séreuses, d'ordi-
naire sèches ou à peine humides, présentent toujours en
ce moment une certaine quantité de liquide; toutes les
exsudations, toutes les sécrétions, se font plus abon-
damment.
Nous faisons donc en général nos injections : sur le
lapin, dans une région quelconque du tégument, mais
de préférence sur le ventre, où la peau présente la plus
INJECTIONS SUUS-CUTANÉES. 213
gTande laxilé; sur le chien, nous choisissons le pli de
l'aine ou de l'aisselle ; sur la grenouille, nous nous
adressons aux sacs lymphatiques sous-cutanés, etc., etc.
Malgré les rapports intimes des mailles du tissu cel-
lulaire avec le système lymphatique, c'est surtout par
les fines ramifications d'origine des veines que se fait
l'absorption des substances injectées : on sait que Ma-
gendie s'est attaché à démontrer le rôle prépondérant
du système veineux dans l'absorption des substances
toxiques ; la rapidité de l'empoisonnement rendrait du
reste la plupart du temps inadmissible l'hypothèse de la
pénétration du poison par les voies lymphatiques, où
la circulation est si lente.
Du reste, nous pouvons pratiquer nos injections dans
d'autres tissus cellulaires que celui qui double la peau,
par exemple dans celui qui remplit les interstices des
organes, dans celui qui sépare les éléments anatomiques
d'un tissu plus complexe. Quand, par exemple, nous
faisons une injection dans un muscle, comme nous
l'avons dit plus haut pour le curare (voy. p. 174), ce
n'est pas la fibre musculaire qui absorbe, mais le tissu
cellulaire interfibrillaire. Dans ces cas, nous pouvons
avoir à la fois, comme pour le vaccin, une action locale
et une action générale. Ainsi le curare injecté dans un
muscle produit une action locale très-rapide et très-
énergique sur le nerf moteur de ce muscle; puis, porté
vers les autres éléments moteurs par le torrent circu-
latoire, il produit plus lentement, et à un degré moins
prononcé, son action générale.
Dans l'absorption hypodermique, il y a deux actes :
"IIÂ OPÉRATIONS Gl-NÉRALES.
celui par lequel la substance pénètre clans le sang, et
celui par lequel elle est entraînée dans le torrent circu-
latoire. Ce double travail nous permet de régulariser
artificiellement l'absorption. Si, par exemple, une dose
trop forte de poison a été injectée sous la peau d'un
membre, nous pouvons arrêter sa trop rapide diffusion
dans l'organisme en liant la racine du membre de façon
à comprimer les veines ; le poison passe alors très-
lentement dans le reste du corps, et en serrant et relâ-
chant alternativement la ligature, nous pouvons mo-
dérer l'absorption de manière à sauver l'animal, en lui
permettant d'éliminer au fur et à mesure une quantité
de substance toxique qui, si elle avait brutalement
envahi tout le système circulatoire, aurait amené fata-
lement la mort. Nous avons surtout montré ce fait
à propos de l'absorption du curare.
U instrumentation nécessaire aux injections hypoder-
miques, et dont nous avons déjà dit quelques mots
d'une manière générale, se compose essentiellement
d'une seringue graduée. Dès longtemps nous nous
servions d'une seringue avec graduations marquées sur
la tige du piston ; aujourd'hui nous préférons la se-
ringue ta vis, parce que le mouvement qu'elle présente
est une chose qui se gradue tout à fait mathématique-
ment (voy. fig. 42). Du reste, au moyen d'une petite
pièce intermédiaire, d'un écrou que Fou visse ou dé-
visse, on peut rendre au piston sa liberté, et pousser
alors une injection tout d'un trait et plus ou moins
vite,, si les circonstances exigent moins de précision que
de rapidité.
INJECTIONS SOUS-CUTANKES. ^15
Il est difficile de tenir toujours ses seringues en état;
les pistons se sèchent et ne fonctionnent bientôt plus.
On a donc songé à remplacer le corps de la seringue par
une forte vessie ou poire de caoutchouc, et à construire
ainsi un appareil qui représente en grand ce que tout
le monde connaît sous le nom de compte gouttes : c'est
ce qu'on a appelé la seringue de Bourguignon. Mais il
ne faut pas se faire illusion à ce sujet : la poire de
caoutchouc, par un long repos, se sèche, se durcit et
s'abîme comme le cuir des pistons. Ici la perfection est
pour ainsi dire impossible ; il faut y suppléer par une
surveillance attentive, une revue fréquente des instru-
ments.
Fie. CO. — Injeclion hypodermique {manuel opératoire).
'/, eaimlo enfoncée à moitié dans un tissu cellulaire lâche; d, canule enfoncée profondément
dans un tissu cellulaire serré.
Le manuel opératoire d'une injection hypodermique
n'est pas très-compliqué. On commence par saisir la
•216 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
peau en y forinaiil un gros }Dli, afin de l'écarter des
parties profondes sous-jacentes (fig. 60) ; puis, tenant
l'instrument comme une plume à écrire, on l'intro-
duit dans le tissu cellulaire, où l'on peut dès lors faire
mouvoir son extrémité libre comme dans une cavité
séreuse (fig. 60, b). Cette manœuvre est très-facile
chez le lapin, dont la peau est si lâche; elle l'est
moins chez le chien, et nous en avons déjà dit la
raison. On peut alors enfoncer plus ou moins la canule
(fig. 60, d).
Les substances que l'on injecte peuvent être déserts,
des liquides^ ou même des solides (finement divisés et
en suspension dans l'eau).
Supposons qu'on veuille injecter un gaz, par exemple
simplement de Xai)\ et c'est là une expérience qui ne
manque pas d'intérêt. On fait à la peau une piqûre très-
oblique, afin qu'en retirant la canule, Tair ne puisse pas
s'échapper, et afin aussi que le tissu cellulaire soit tra-
versé obliquement, ce qui permet une plus grande dif-
fusion du gaz (fig. 60, b). A mesure que l'on injecte
l'air, on voit l'animal se distendre : il se forme, par
exemple sur le dos, une grande poche, circonscrite vers
la racine des membres, car à ce niveau se trouvent des
cloisons qui empêchent la communication entre les
espaces sous-cutanés, absolument comme pour les sacs
lymphatiques de la grenouille. L'animal n'est nullement
gêné par ce ballonnement : il paraît plus volumineux,
plus fort, et l'on sait du reste que des artifices de ce
genre sont parfois mis frauduleusement en pratique
pour donner aux animaux l'apparence factice de l'em-
INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. 217
boupoint. Si l'injection est faite sur un lapin (fig. 61),
il suffira de se servir de la seringue ou de la vessie; pour
le chien, vu la résistance du tissu cellulaire, nous serons
obligé d'avoir recours à un soufflet.
Cl -r
ï- 5 .2
< 3 S
- il
"S4^
Lorsque nous expérimentons avec un gaz autre que
l'air, nous nous servons d'une vessie remplie de ce
^18 OPÉRATIONS GÉNÉRALES.
gaz, et d'une petite pompe (B, fig. 61), qui puise le
gaz dans cette vessie , et le refoule dans le tissu
cellulaire sous -cutané de l'animal en expérience
(voy. fig. 61).
Par une sorte d'échange respiratoire sous-cutané,
l'animal absorbera de ces gaz ce qui est absorbable.
Ainsi l'acide carbonique disparaît en moins d'une demi-
heure ; il passe dans les veines, puis il est exhalé au
niveau du poumon. L'oxygène est plus lentement ab-
sorbé. L'azote l'est très-peu et reste très-longtemps sous
la peau ; de sorte que, quelques jours après une injection
d'air, on ne trouve plus que de l'azote renfermé dans
une cavité sous-cutanée, qui représente une véritable
poche séreuse accidentelle.
Nous avons dit que l'acide carbonique absorbé e>t
exhalé au niveau du poumon. Ce fait est général, et
nous explique pourquoi les gaz sont rarement toxiques
en injection sous-cutanée : après les avoir absorbés par
les veines, l'organisme s'en débarrasse par la surface
pulmonaire. Cependant il faut tenir compte des doses.
Une très -faible quantité d'hydrogène sulfuré respirée
par le poumon est fatalement toxique ; la même quan-
tité ou une quantité plus considérable introduite sous
la peau ne produit aucun effet, parce qu'elle s'élimine
dans l'air expiré, ainsi qu'on peut le constater avec un
papier mouillé d'acétate de plomb et que Ton tient près
des narines de l'animal. Mais si l'on injecte sous la
peau une quantité très- considérable d'hydrogène sul-
furé, l'air pulmonaire en est saturé au point que l'ani-
mal se trouve dans les mêmes conditions que s'il res-
INJLCTIONS SOUS-CU TAN l'Es. '21 9
pirait au milieu de ce gaz; il devra donc périr, el c'est
ce qu'on observe toutes les fois que sur un lapin, par
exemple, on injecte plus de 5 centimètres cubes de gaz
hydrogène sulfuré.
Les injections sous- cutanées de liquides sont très-
intéressantes pour l'étude de l'élimination des substances
toxiques et médicamenteuses. A cet effet, on place, par
exemple, une canule dans l'uretère mis à nu, de façon
à recueillir l'urine goutte à goutte ; 2 centigrammes de
cyanure jaune sont injectés sous la peau. Il suffit de
quelques minutes pour voir apparaître ce sel dans l'u-
rine, c'est-à-dire pour que l'adjonction d'un sel fer-
rique y donne naissance à du bleu de Prusse. Mais ce
sel n'apparaît pas dans la salive. Si au contraire on
injecte sous la peau del'iodure de potassium, on le voit
apparaître à la fois dans l'urine et dans la salive.
Mais les injections sous-cutanées sont surtout utiles
pour étudier la manière et le temps au bout duquel les
substances introduites sont absorbées. C'est par cette
méthode que l'on a déterminé la durée de l'absorption
du virus de la rage, absorption si rapide, d'après des
expériences récentes, que cinq minutes après la morsure
la cautérisation de la plaie ne serait plus d'aucune
utilité. Enfin c'est encore ta l'emploi de cette méthode
que sont dus les résultats si importants obtenus par
Chauveau au sujet de l'infection et de l'éruption géné-
rale après inoculation (ci-dessus, page 209). Nous voyons
donc que la physiologie a beaucoup obtenu de l'em-
ploi des injections liquides sous-cutanées, et qu'elle peut
encore beaucoup espérer de cette méthode.
ONZIÈME LEÇON
Sommaire : Des autopsies en plivsiologic expérimentale. — Procédés pour
sacrifier les animaux (injections veineuses d'air, acide prussique, section
(lu bulbe). — Emploi de la respiration artificiello. — Appareils pour la
respiration artificielle. — Appareils divers que l'expérimentateur doit tou-
jours avoir tout préparés sous la main. — Balance, microscope, pompe
à mercure, appareils enregistreurs. — Appareils électriques.
Messieurs,
La question des autopsies est aussi importante en
physiologie qu'en médecine clinique : dans l'un comme
dans l'antre cas, nous allons à la recherche des lésions;
seulement, en physiologie ces lésions ont été produites
par nos divers moyens d'actions expérimentales. La plu-
part du temps nous nous proposons de vérifier l'état
des organes internes d'un animal mis en expérience
et encore vivant : il faut donc le sacrifier^ et nous
pouvons à cet effet disposer de plusieurs moyens entre
lesquels il s'agit de fixer notre choix.
Autrefois on sacrifiait les animaux par asphyxie, par
strangulation : on les pendait.
Ou bien encore on introduisait de l'air dans les
veines : la mort, dans ce cas, est le plus souvent fou-
droyante. Mais, comme l'ont montré quelques expé-
riences récentes, l'air dans les veines ne tue pas tou-
jours, et surtout ne tue pas toujours aussi rapidement.
Déjà Amussat avait tenté en vain de tuer des chevaux
DES AUTOPSIES. 2^21
par rintroduction de l'air dans les veines. Il y a dans ces
phénomènes des conditions particulières que M'M. Muron
et Laborde ont cherché à préciser : ils ont montré que
souvent l'air pouvait passer du cœur droit dans le
gauche, et que finalement l'animal périssait par la pré-
sence de l'air dans le système artériel général, tandis
que Magendie, qui employait souvent ce moyen, pensait
que l'air tue en arrêtant la circulation dans les capil-
laires pulmonaires. L'injection d'air dans les veines
n'est donc pas un excellent moyen pour produire à coup
sûr une mort instantanée des animaux que l'on veut
sacrifier.
On peut encore sacrifier les animaux en les empoi-
sonnant avec de \ acide prussique. Cet agent , qu'em-
ployait très-souvent Magendie, est singulièrement actif:
une goutte d'acide prussique déposée sur la caroncule
lacrymale du cheval le foudroie instantanément; mais
il faut avoir un produit très-pur. On conçoit alors com-
bien cet agent est dangereux à manier; même celui du
commerce, qui renferme seulement un quart d'acide
prussique, ne doit être mis en usage qu'avec les plus
grandes précautions.
C'est en présence de ces divers inconvénients que nous
avons essayé de l'empoisonnement par un cyanure^ et
en particulier par le cyanure de mercure. On injecte ce
sel sous la peau ou dans la trachée ; c'est par la trachée,
c'est-à-dire dans le poumon, qu'il agit le mieux. C'est
en effet au niveau du poumon seulement que le cyanure
de mercure, même injecté dans le sang, donne naissance
à l'acide prussique. Le sang, étant alcalin, ne peut être
222 DES AUTOPSIES.
le lieu de cette décomposition, qui demande un milieu
acide.
La section du bulbe est encore un moyen très-pratique
de sacrifier les animaux. Il était connu de Galien ; il
est mis en usage aujourd'hui par
tous les équarrisseurs : c'est ce
qu'ils appellent énerver un animal.
Pour sectionner le bulbe rachidien
d'un chien, on saisit de la main
gauche le museau de l'animal, dont
on fixe ainsi solidement la tête. La
main droite tient un fort scalpel ou
un perforateur, et, après avoir re-
connu la bosse occipitale, plonge
l'instrument à 1 ou 2 centimètres
en arrière, en le dirigeant oblique-
ment en avant, comme si l'on vou-
lait le faire venir ressortir par le
nez. On procède de la même ma-
nière pour sacrifier un lapin (fig. 62).
On pourrait, avant de sacrifier l'animal, le soumettre
à Xanesthésie. Mais nous devons faire remarquer que,
dans ce cas, tous les moyens précédemment indiqués
n'agiraient pas toujours aussi sûrement. Le cyanure de
mercure resterait sans effet : ce ne serait qu'au moment
où l'animal se réveille, qu'il succomberait à l'empoi-
sonnement par l'acide cyanhydrique. Ce fait avait déjà
été signalé par Thenard; nous aurons plus tard à en
étudier la cause et à en donner la théorie.
L'animal étant sacrifié, il faut, en règle générale,
KiG. 62. — Iiistrunieiit pour
la section Jii hulhc ra-
chidien.
RESPIRATION ARTIFICIELLK. ^^3
procéder k son autopsie immédiatement après la mort.
On incise le tronc sur la ligne médiane, afin d'éviter les
grosses artères , qui donneraient encore des flots de sang.
On pourrait, pour la perfection des autopsies de ce
genre, prendre avantageusement leçon des équarris-
seurs, qui arrivent à une grande perfection. Tout le
monde connaît l'histoire de cette équarrisseuse citée
par Magendie, qui mettait une robe blanche et arrivait
à dépecer un cheval sans se faire une seule tache de
sang. Si nous nous permettons de citer ces exemples,
c'est pour rappeler qu'il faut de l'élégance dans tout
ce que l'on fait, en physiologie comme ailleurs. Les
chirurgiens n'ont-ils pas pour devise : Tatô, citù et ju-
cundè ?
Respiration artificielle. — Appareils électriques, etc.
— Nous devons enfin, avant d'aborder l'étude expéri-
mentale de chaque système, donner quelques indica-
tions sur un certain nombre d'appareils qui sont d'un
usage général, et qui trouvent plus spécialement leur
application au moment des autopsies que nous venons
de décrire. Si nous considérons, par exemple, l'animal
auquel on vient de sectionner le bulbe, nous pouvons le
regarder comme mort, et cependant aucun de ses élé-
ments anatomiques n'a encore cessé de fonctionner;
bien plus, sa circulation elle-même peut encore se faire
sous l'impulsion du cœur : il n'y a que le mécanisme
respiratoire de rompu ; et si nous pratiquons une respi-
ration artificielle, nous pouvons maintenir ce cadavre
apparent dans un état de vie réelle, et étudier encore
sur lui tous les phénomènes de la circulation sanguine,
224 DES AUTOPSIES.
de l'innervation réflexe, de la contractilité musculaire,
des diverses sécrétions glandulaires, etc. La respiration
artificielle est donc un moyen général d'étude qu
nous facilitera cette sorte d'autopsie de l'animal vivant.
Mais les phénomènes que nous devons étudier dans
ce cadavre dont toutes les parties sont vivantes, les phé-
nomènes propres à chaque tissu, à chaque élément
anatomique, nous sont révélés ou rendus plus évidents
par un certain nombre d'appareils, dont les uns pré-
sentent des indications toutes spéciales, dont les autres
sont d'un usage général. Il est donc des instruments
qui doivent être toujours prêts ; ce sont ceux surtout
qui servent à constater, à préciser, à mesurer un
phénomène : tels sont les piles électriques^ les appareils
enregistreurs^ etc. Si tous les instruments de ce genre
ne sont pas toujours prêts à entrer en usage, il arrive
qu'au milieu d'une expérience se présente un phéno-
mène inattendu, précieux à analyser, et que, pendant
le temps qu'exige la mise en état dés appareils, le
phénomène a déjà disparu, sans que souvent nous
puissions le faire renaître.
Souvent, ayant à choisir entre deux appareils aussi
avantageux sous la plupart des rapports, nous fixerons
notre choix sur celui qui nous paraîtra moins sujet
à se détériorer, plus apte à être maintenu toujours
en état. Pour le moment, nous plaçant au point de
vue le plus général, nous donnerons seulement quelques
indications sur les appareils électriques les plus usuels.
i" Respiration artificielle. — La respiration artificielle
consiste simplement à introduire de l'air dans le pou-
RESPIRATION ARTIFICIELLE. ^25
mon de l'animal, d'une manière rhythmique imitant au-
tant que possible l'intervalle qui sépare normalement
deux inspirations. On se sert à cet
effet d'un soufflet (fig. 63) mis en
communication avec les voies pul-
monaires, soit par un embout de
forme convenable pour embrasser le
museau de l'animal, soit, plus sou-
vent, par une sonde laryngienne,
soit mieux encore par une forte ca-
nule introduite directement dans la
trachée de l'animal mise à nu et
ouverte au-dessous du larynx. Un
tube de cao:;Lchouc relie la canule
trachéenne à la tuyère du soufflet. On
pratique à ce tube , avec des ciseaux,
une petite incision en V qui permet la
sortie de l'air insufflé, c'est-à-dire
l'expiration, pendant que le soufflet
aspire l'air extérieur. On peut à la
rigueur se dispenser de cette inci-
sion si l'on met en usage un soufflet
muni d'un petit appareil spécial :
celui-ci consiste en une soupape
(soupape de Marcel) fermée par un
ressort, s'ouvrant de dedans en dehors, dont le bouchon
conique (S', flg. 63) se prolonge à l'intérieur du soufflet
en une tige assez longue. Les deux parois, en se rap-
prochant, poussent cette tige et ouvrent la soupape.
C'est ce qui se produit à la fin de l'insufflation : si alors
FiG. 03. — Soufflet pour la
respiration arlificielle.
S, soupape pour l'entrée de
l'air; S', soupape pour la
sortie de l'air en excès.
(On peut régler le mo-
ment où doit s'ouvrir cette
soupape, dite soupape de
Marcel.)
CL. BERNARD. — PhjsioL opér.
15
^56 APPAREILS d'un USAGE GÉNÉRAL.
on continue à rapprocher les branches du souftlet, la
soupape s'ouvre et l'élasticité des poumons déplace l'air,
qui s'échappe ; l'expiration se produit.
Pour que les mouvements du soufflet se produisent
d'une manière rhythmique, il y a tout avantage à rem-
placer la main d'un aide par une machine représentant
une source régulière et suffisante de force et par suite
de travail mécanique. On peut utiliser à cet effet la
force d'un poids qui par sa chute met en mouvement
un mécanisme analogue à celui d'une horloge ou d'un
tourne-broche : telle est la machine de Schwann
(fig. 64).
L'appareil de Schwann (fig. 64) est formé par un
appareil d'horlogerie mis en mouvement par un res-
sort, La figure 64 (n"* i et 2) donne tous les détails de
sa construction ; quoique un peu compliqué, cet appa-
reil peut être décrit comme type.
i° L'appareil moteur se compose d'une caisse A
(fig. 64, n'' i) renfermant le mécanisme d'horlogerie;
cette caisse est en laiton ; elle a un diamètre de 26,2 cen-
timètres sur 17,5 de profondeur. La coupe horizontale
(fig. 64, n" 2) donne les détails de son contenu (voyez
l'explication de la figure).
2" Le soufflet B est fixé sur la planche qui supporte
tout l'appareil et communique, par un excentrique, avec
l'axe g ; mais on peut le placer aussi sur l'axe /, si l'on
veut avoir un mouvement trois fois plus lent. Il suffit,
du reste, en général, de régler la vitesse par le volant
n — (voyez l'explication de la figure). On règle la pro-
fondeur de la respiration par l'excentrique de l'axe'//.
'>i ^ ^ s '"^
FiG. G4. — Appareil ilu Schwann iio;ir la respiralioti arlificicllo.
1, vue générale de l'appareil ; 2, coupe liorizonlale de la caisse A, montrant les détails du
mécanisme moteur : — a, barillet du ressort; l'axe du ressort traverse d'un côte le fond
. de la boîte (en m) et de l'autre côté une plaque en laiton formant la moitié d'un dia-
phragme (c), au milieu de la caisse. Ce res-ort agit au moyen d'une chaîne articulé i'
en acier (d), sur la fusée (6) ; celle-ci communique le mouvement à son axe (e), et
successivement, par des rouages engrenés, aux autres axes f, g, h,i; — k est un petit
levier servant à arrêter le mouvement ; l est un appareil pour monter le ressort par la
fusée ; m sert à lui donurr la tension. — Un volant In, fig. 1) est appliqué sur le dernier
mobile (().
228 APPARtiLS d'un usage général.
Un tube en T (C, fig. 64, n° 1) renferme les deux
soupapes d'entrée et de sortie. L'air entre par le robi-
net F. Celui-ci a trois ouvertures : une antérieure qui
s'ouvre librement à l'extérieur, une postérieure garnie
d'un flacon tubulé pour recevoir du chloroforme sur de
l'étoupe, et une troisième traversant l'axe du cône du
robinet, ouverture qui conduit l'air, par un tuyau en
gomme élastique, dans le tube C. Le cône du robinet
est traversé d'avant en arrière, de manière qu'on peut
aspirer l'air libre ou l'air chloroformé.
D est un tube en argent destiné à être lié, par son
bout antérieur ou droit, dans la trachée de l'animal ;
il en faut donc de divers calibres ; les deux extrémités
postérieures ou gauches (dans la figure) communiquent
par de longs tubes en caoutchouc, entre lesquels se
trouve la tête de l'animal, avec le tube G et le robinet E ;
la quatrième ouverture (la verticale) du tube mul-
tiple D sert à permettre la respiration naturelle de
l'animal avant le jeu du soufflet. Le robinet E sert pour
la sortie de l'air expiré. On l'ouvre assez pour que l'air
vicié soit sorti des poumons quand le nouvel air arrive.
Cet appareil fonctionne avec régularité pendant en-
viron un quart d'heure.
Nous nous sommes servis, pendant quelque temps,
au laboratoire du Coflége de France, d'un appareil
analogue : le ressort était remplacé |par un poids; la
chaîne et la fusée étaient donc superflues, mais il fallait
une table-support toute particulière et une installation
gênante pour donner une course suffisante au poids
moteur.
RIiSl'IRATIOX ARTIFlClliLLE. 229
L'insuffisance de sa force motrice et le peu déclarée
de son mouvement nous l'ont fait bientôt abandonner.
Nous préférons faire usage de la pression très considé-
rable de l'eau fournie par le robinet du laboratoire ;
cette pression vient agir, comme la force d'expansion
de la vapeur d'eau, sur une petite machine qui fonc-
tionne exactement comme une machine à vapeur. Nous
avons ainsi un mouvement de force suffisante et d'une
durée indéfinie, de telle sorte que nous ne sommes plus
interrompus dans une expérience par la nécessité de
remonter l'appareil.
Les laboratoires d'Allemagne ont en général à leur
disposition une machine à vapeur qui leur fournit la
force motrice nécessaire pour une foule de travaux, et
entre autres pour opérer une ou plusieurs respirations
artificielles à la fois.
Appareils divers. — Nous terminerons en citant seu-
lement quehjues appareils et quelques réactifs qui sont
d'un usage trop général pour que le physiologiste ne les
ait pas toujours tout prêts sous la main.
Telle est la balance qui servira à peser les animaux
mis en expérience. A une époque où les recherches
tendent à se faire avec tant de précision, où l'on expé-
rimente avec des doses exactes de poisons ou de médi-
caments, où l'on rapporte même nombre de données,
par exemple le résidu solide de certaines excrétions,
à l'unité de poids de l'animal, il est important de
trouver immédiatement dans l'exposé d'une expérience
des renseignements précis sur la force, la taille, les con-
ditions particulières de l'animal ; de tous ces rensei-
^280 APPAREILS d'un USAGE GÉNÉRAL.
gnemenls, celui qui se rapporte au poids est le plus
précieux. Nous n'avons pas besoin de dire qu'il faut
noter également si l'animal est à jeun ou en digestion.
En un mot, avant tout, après avoir fait tous ses efforts
pour obtenir une grande précision dans la dose des
agents chimiques , dans la force des agents méca-
niques, etc., que Ton applique au sujet en expérience,
i! faut s'attacher à déterminer avec une égale précision
toutes les conditions que présente ce sujet.
Est-il besoin d'insister sur la nécessité d'avoir tou-
jours sous la main les réactifs chimiques les plus utiles
en physiologie? N'a-t-on pas à chaque instant à recher-
cher la réaction acide ou alcaline d'un liquide ou d'un
tissu (muscle, par exemple)? Les réactifs qui nous décèlent
la présence du sucre ne sont pas moins indispensables,
car on sait do quelle importance est la recherche de ce
principe dans le sang ou dans l'urine.
Enfin, le microscope doit toujours être sous la main
du physiologiste, et, aujourd'hui que nous portons si
attentivement nos recherches sur les phénomènes que
présentent les éléments anatomiques eux-mêmes, il ne
suffit pas du microscope, mais il faut y joindre les appa-
reils qui nous permettent d'étudier avec lui les éléments
anatomiques dans leur état de vie, c'est-à-dire le plus
souvent dans leur état de mouvement (cils vibra-
tiles, etc.) ; nous voulons parler des chambres chaudes
et chambres humides (fig. 65).
Une lame de verre un peu grande et polie {d) porte
l'objet à la manière ordinaire. Un anneau en verre
également poli entoure, à une certaine distance, l'objet,
POMPE A MERCURt:. "IM
et sou bord inférieur [a) repose sur la lame qui sup-
porte la préparation. On attache aussi solidement que
possible une espèce de bourse {b) en caoutchouc très-
mince à la partie supérieure de l'anneau. L'ouverture
de cette bourse (c), entourée d'un petit cordon en
FiG. 05. — Chambre Imiuiilo.
caoutchouc, contient f'anueau ou le tube du microscope.
Pour maintenir saturé d'humidité l'intérieur de cette
chambre ainsi isolée, on place en dedans de l'anneau en
verre deux bandelettes de moelle de sureau ou de papier
buvard imprégnées d'eau; on enveloppe, en outre,
extérieurement le bord inférieur de l'anneau avec des
bourrelets de papier buvard préalablement mouillés.
Pompe à mercure. — La pompe ou machine pneiima-
ùque à mercure est un appareil d'un usage général
pour l'extraction des gaz ; elle est indispensable pour
toutes les recherches sur les gaz du sang. Cette ma-
chine est construite d'après le même principe que le
baromètre. Elle se compose en effet d'un tube de
verre (fig. 66) d'environ 1 mètre de hauteur, placé
verticalement contre une planche ou support; le tube
se continue à sa partie inférieure avec un fort tube de
caoutchouc (I, ûg. ^i^), lequel aboutit d'autre part au
^235 APPAREILS d'un USAGE GÉ.VÉRM..
fond d'une cuvelle (B) de forme sphérique qui s'ouvre à
l'air libre. Cette cuvette peut être élevée ou abaissée à
différents niveaux le long de la planche qui supporte
le tube barométrique. L'autre extrémité de ce tube
(l'extrémité supérieure) présente un renflement (A) qui
forme une chambre barométrique assez considérable.
Enfin le sommet de cette chambre barométrique est
muni d'un robinet à trois voies (D), qui permet d'éta-
blir en ce point une fermeture complète, ou de faire
communiquer la chambre barométrique avec un tube
horizontal ou avec un tube vertical. Ce dernier tube
est entouié d'un entonnoir de verre. Cette partie de
l'appareil porte une petite cuve à mercure (R) qui sert
à recueillir les gaz dégagés par le vide qu'on a pro-
duit. A la partie inférieure du tube barométrique on
a fixé un long tube de caoutchouc (I) à parois épaisses,
qui s'attache d'autre part à la partie inférieure de la
cuvette B pleine de mercure. Ce tube de caoutchouc
rend la cuvette mobile et permet de l'élever jusqu'au
niveau de la cuve R.
Cette courte description, que complète la figure 66,
suffit pour nous faire comprendre la manœuvre de cet
appareil. Supposons la cuvette placée à un niveau infé-
rieur et remplie de mercure. Si on élève cette cuvette,
le mercure monte dans le tube barométrique, et si le
robinet est tourné de façon à permettre à l'air de s'é-
chapper par le tube vertical, le mercure monte jusqu'au
niveau oii a été élevée la cuvette, en vertu du principe
des vases communicants ; on peut ainsi chasser tout
l'air, et si alors on ferme le robinet à trois voies, on se
PCMPE A MERCURE. 233
trouve en présence d'un véritable baromètre, c'est-
à-dire qu'en abaissant la cuvette on produit le vide
FlG 60 - Pompe à luercurc.
barométrique dans la chambre supérieure du tube. Si
alors on met, par le jeu du robinet à trois voies et par
234 APPAREILS d'un USAGE GÉNÉRAL.
le tube horizontal, la chambre barométrique en com-
munication avec un ballon contenant le liquide dont on
veut extraire les gaz, il est évident que ces gaz seront
aspirés avec une grande force dans la chambre baro-
métrique. On fermera alors le robinet à trois voies, et,
en remontant la cuvette, on comprimera fortement dans
cette chambre les gaz qui y ont été introduits; mais en
tournant le robinet de manière à laisser passer ces gaz
par le tube vertical (E), il sera facile de les recueillir
dans une éprouvelte pleine de mercure et renversée sur
l'extrémité de ce tube, dans l'entonnoir (R) également
rempli de mercure. En renouvelant un certain nombre
de fois cette série de manœuvres, on arrivera bientôt à
extraire tous les gaz dissous dans le liquide en ques-
tion et à les recueilhr dans l'éprouvette disposée à cet
effet.
Appareil enregistreur. — L'appareil enregistreur
(fig. 67) se compose en principe d'une surface enduite
de noir de fumée et mue d'un mouvement uniforme. Un
léger levier ou style écrivant, qui est mis en mouvement
par Tacte mécanique que l'on veut étudier (contraction
d'un muscle, pulsation d'une artère, etc.), vient par son
extrémité effilée frôler contre cette surface et y laisser un
sillon dont les élévations et les abaissements marquent
les différentes phases du phénomène enregistré.
Marey, qui a répandu et porté à un si haut degré de
perfection l'usage de la méthode graphique, a tracé
l'histoire des premiers essais suivis dans cette voie. On
s'est successivement servi de disques tournants ou d'une
l)laque de verre qu'un petit chariot faisait cheminer sur
APPAREILS ENREGISTREURS.
^35
une voie horizontale. L'appareil le plus usité et le plus
commode est le cylindre enregistreur (AE, fig. 67) avec
lequel on inscrit des courbes sur un papier de façon à
pouvoir conserver ensuite ces tracés.
Le cylindre enregistreur est un cylindre métallique
monté sur un appareil d'horlogerie muni d'un régula-
teur Foucault. Ce cylindre peut recevoir différentes
Fig. 67. — Appareil enrogislreuF.
L'appareil représente ici comme type est disposé de manière à enregistrer simultanément
les contractions de l'oreillette, colles du ventricule, et enfin le choc du cceur.
lo, levier traçant les mouvements de l'oreillette ; Iv, levier traçant les mouvements du
ventricule; le, levier enregistrant le choc du cœur; to, tv, te, tubes de l'oreillette,
du ventricule, du choc.
vitesses, selon l'axe auquel il emprunte son mouvement.
Dans tous les cas il tourne avec une uniformité à peu
près parfaite. Dans les expériences sur la circulation,
par exemple, on choisit d'ordinaire l'axe qui donne un
tour par minute.
286 APPAREILS d'un usage GÉMLRAL.
Pour préparer le cylindie à recevoir le graphique,
on l'entoure d'une feuille de papier glacé, sur laquelle
on dépose ensuite une couche uniforme de noir de
fumée. A cet effet, on place l'appareil de telle sorte que
le cylindre soit horizontal, puis on le fait tourner tandis
que l'on promène au-dessous de lui la flamme d'une
bougie fumeuse ou d'une petite lampe à huile. Avec un
peu d'habitude, on arrive facilement à accomplir cette
opération d'une manière régulière et sans brûler le
papier; la conductibilité du métal dont est fait le cy-
lindre est une condition qui permet en effet au papier
de ne pas s'échauffer assez pour se carboniser. Il en
résulte que le moindre frottement détachera le noir de
fumée et laissera à nu le papier blanc.
On place alors la pointe du levier en contact avec la
surface du cylindre que l'on met en mouvement.
Quant au levier, il est fait de bois léger et flexible;
il est mis en mouvement de diverses manières : soit
directement par Tacte mécanique que l'on étudie, soit
indirectement. Comme exemple du premier mode, nous
pouvons citer le cas où l'on étudie le raccourcissement,
les secousses, d'un muscle qui se contracte : on se con-
tente alors de rattacher avec un fil le tendon du muscle
à un point du levier voisin de sa base. Dans le second
cas, on transmet le mouvement à distance au moyen de
tubes à air [ta, tv, te, fig. 67). Le principe de cette trans-
mission est fort simple : « Soit (fig. 68) deux ampoules de
caoutchouc A et B pleines d'air et reliées entre elles par
un long tube de caoutchouc. Si l'on comprime l'am-
poule B , une |)artie de l'air qu'elle renferme est expulsée
APPAREILS ENREGISTREURS. 537
par le tube et passe dans l'ampoule A qui se gonfle. Si
la pression cesse, l'air repasse en B et l'ampoule A se
dégonfle. Admettons que l'ampoule B soit introduite, par
exemple, dans un ventricule du cœur, et que l'ampoule A
soit placée sous le levier écrivant : les contractions (sys-
toles) de la poche musculaire cardiaque seront signalées
par l'élévation du levier, et les repos du cœur, les dia-
stoles, par l'abaissement du môme levier. » (Murey.)
FiG. 68. — Tube avec ses deux ampoules.
Des deux ampoules A et B, l'une, celle qui, dans
l'exemple précédent, était introduite dans le cœur, peut
recevoir le nom d'ampoule exploratrice : selon la diver-
sité des phénomènes qu'elle est appelée à explorer, cette
ampoule reçoit diverses dispositions que nous signale-
rons en temps et lieu ; mais l'autre ampoule, celle qui
doit soulever le levier, ou ampoule terminale , peut
Tambour à levier.
recevoir une disposition définitive et constante , que
Marey a réalisée sous la forme de tambour à levier. Cet
appareil est constitué « par une caisse métallique plate T
238 APPAREILS d'un USAGE GÉNÉRAL.
(fig. 69) que ferme supérieurement une membrane
élastique. Dans la caisse s'ouvre un tube qui la relie
à l'ampoule initiale (ou exploratrice). Un disque repose
sur la membrane et supporte une arête sur laquelle est
posé le levier. Chaque fois que l'air est foulé dans la
caisse, la membrane se soulève et communique son
mouvement au levier /, /, dont l'extrémité p, disposée
en plume, écrit sur le papier. Toutes les pièces de ce
petit appareil sont mobiles et peuvent être déplacées à
l'aide des écrousou vis de rappel (E, e, r), ce qui permet
de régler à volonté l'amplitude des mouvements du
levier ainsi que la position de la plume. » (Marey.)
Ajoutons enfln que, lorsqu'on a obtenu sur le papier
qui recouvre le cylindre un tracé ou une série de tracés,
rien n'est plus facile que de conserver indéfiniment ces
graphiques. A cet effet, on détache le papier et on le
plonge dans une cuvette de photographe contenant un
bain de vernis blanc étendu de trois fois son poids d'al-
cool. Le papier retiré sèche en quelques minutes : le
graphique esi fixé et demeure indélébile.
Appareils électriques. — Comme sources d'électricité,
nous employons le plus ordinairement des piles dont le
courant vient agir dans un appareil à induction. Ce sont
donc les courants dinduction qui nous servent de pré-
férence.
Les piles les plus utiles dans un laboratoire de phy-
siologie sontlay;e7e de Greaet et la pile au bisulfate de
mercure (qui fait partie de l'appareil bien connu de
Gaiffe).
La pile de Grenet (fig. 70) se compose d'un grand
APPAREILS ÉLECTRIQUES. 239
flacon (B, fig. 70) rempli d'une dissolution de bichro-
mate de potasse dans Tacicie sulfurique et dans l'eau
(100 d'eau, 5 de bichromate et 10 d'acide sulfurique
monohydraté). On ne remplit de ce liquide que la
moitié inférieure, la plus large du flacon. Du couvercle
du flacon partent deux lames
de charbon de cornue qui plon-
gent dans le liquide d'une façon
permanente. D'autre part, une
lame de zinc amalgamé est
soutenue par une tige de cuivre
qui traverse le couvercle et
peut être abaissée ou élevée
à volonté. On peut donc im-
merger la lame de zinc seule-
ment au moment où l'on veut
que la pile fonctionne. Cet ap-
pareil a l'avantage de ne pas
produire de vapeurs nitreuses et de pouvoir suffire pour
un grand nombre d'expériences; mais le courant qu'il
fournit est loin d'être parfaitement constant.
L'appareil d'induction qui nous sert habituellement
est celui de Du Bois-Reymond (fig. 71). Il n'y a pas lieu
de nous arrêter ici sur la disposition que présentent dans
cet appareil la bobine inductrice (B) et la bobine in-
duite (B'). Ce sont là des notions que vous trouverez
dans tous les traités de physique. Je vous ferai seule-
ment remarquer que la bobine induite est portée par
un chariot qu'on peut à volonté rapprocher ou éloigner
de la bobine inductrice, en le faisant glisser dans une
Fig. 70. — Piln de GrciU't.
240
APPAREILS D UN USAGE GÉNÉRAL.
coulisse pratiquée dans l'épaisseur de la planche (H H)
qui supporte tout l'appareil ; de chaque côté de la cou-
Fie. 71. — Apiiareil volta-faraJiii.ni' de Du Bois-Kryiiioml.
\, \', bornes deslinécs à recevoir les ti's de la pile et en coramiiiiiuatioii avec les exlré-
~ mités du circuit inducteur; B, bobine recouverte du lil inducteur; C, faisceau de fil
de fer remplissant l'axe évidé de la bobine H ; B', bobine recouverte ilu circuit
induit; D, petilélectro-aimant l'n fer à cheval, autour duquel est enroulée une pai'tie
du ni inducteur; E, marteau du tremblcur de Neef; I, borne de dériviition placée sur
le trajet du circuit inducteur et permettant avec sa congénère, située vis-.î-vis, de
recueillir l'extra-courant ; v, vis dont la pointe est en contact avec le manche du
tremblcur et sert h fermer le circuit inducteur, en même temps qu'elle permet de
régler la rapidité des intermittences.
lisse, une échelle divisée permet de mesurer la distance
du circuit induit au circuit inducteur, c'est-à-dire qu'elle
permet, dans des expériences différentes, d'agir à peu
près dans les mêmes conditions d'intensité du courant.
TROISIÈME PARTIE
PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL CIRCULATOIRE SANGUIN
ET LYMPHATIQUE. — SYSTÈME CAPILLAIRE. — ABSORPTION DES
POISONS COMME MOYENS D'ANALYSE PHYSIOLOGIQUE.
DOUZIÈME LEÇOxX
Sommaire : Physiologie opératoire de Vappareil de la circulation. — Topo-
graphie générale du système vasculaire sanguin et lymphatique. — Dispo-
sition des gros vaisseaux chez le chien, chez le lapin. — Divers modes
d'origine des branches de là crosse de l'aorte. — Système lymphatique. —
Anatomie topographique des vaisseaux du cou et du pli de l'aine chez le
chien et le lapin. — Manuel opératoire général des vivisections portant
sur ces vaisseaux. — Manuel opératoire des injections à pratiquer sur ces
vaisseaux. — Injections intra-artérieUes et intra-veineuses. — Importance
de l'étude des sangs veineux. — Cathétérisme du cœur et des gros vais-
seaux. — Classification des phénomènes de la vie en phénomènes phy-
siques, phénomènes chimiques et phénomènes dits physiologiques. —
Valeur de cette dernière catégorie. — Problèmes que se posent la physiologie
et la pathologie générales. — Importance de l'étude du sang à ce point
de vue.
Messieurs ,
Nous commencerons par l'appareil circulatoire Tétude
des opérations spécialement applicables à la physiologie
des divers systèmes. Ce choix n'est pas indifférent. Dans
l'exposé de presque toutes les sciences, on suit un ordre
régulier et nécessaire, imposé par la nature même des
choses, et c'est ainsi qu'en chimie on commence par les
CL. BERNARD. — Phvsiol. opér. 16
^24*2 APPAREIL CIRCLLATOIRE.
corps simples, par l'oxygène qui entre dans le plus grand
nombre des combinaisons, pour étudier ensuite des corps
de plus en plus composés, des acides, des bases, des
sels. Il semblerait peut-être au premier abord qu'il n'en
est pas de même de la physiologie ; que les fonctions
de l'organisme s'enchaînent les unes aux autres de façon
à former une sorte de cercle qu'il faut artificiellement
briser pour commencer l'étude par un point que Ton
pourrait croire indifférent. Mais il n'en est pas ainsi,
ou du moins il ne peut plus en être ainsi dans l'état
actuel de nos connaissances.
Nous avons en effet aujourd'hui la notion non-seule-
ment des organes et des tissus, mais encore celle des
éléments anatomiques , et nous savons que, de même
que l'organisme entier vit dans un milieu extérieur
qui est l'air ou l'eau, de même les éléments anato-
miques vivent dans un milieu intérieur qui est le sang.
La physiologie , la pathologie , la thérapeutique elle-
même sont dominées par cette notion. C'est dans le
sang que la médecine moderne cherche et doit chercher
l'explication de la plupart des phénomènes qu'elle ob-
serve.
C'est donc par le sang que nous commencerons le
plus légitimement nos recherches, d'autant plus que
cette étude, par ses divisions naturelles, nous présentera
comme un type de l'ordre que nous devrons suivre à
propos de tous les autres systèmes.
Nous trouverons en effet d'abord dans l'anatomie les
données nécessaires pour localiser les phénomènes que
nous avons à étudier ; puis la physique et la chimie
NOTIONS ANATOMIQUES. 243
nous serviront à expliquer ces phénomènes, tels que
les différences de température que présente le sang
d'une région à une autre, ou les modifications qu'il subit
dans sa composition en traversant tel ou tel viscère.
Enfin, l'histologie nous amènera à porter ces localisa-
tions anatomiques et ces explications physico-chimiques
jusque sur certains éléments même du sang, jusqu'aux
globules rouges, et nous trouverons dans l'hématine
qui les compose des propriétés qui nous ren(Jront
compte des phénomènes les plus intimes de l'absorp-
tJon de l'oxygène et du mécanisme de certaines intoxi-
cations.
Nous étudierons donc, parmi les opérations qui se
pratiquent sur l'appareil circulatoire, celles qui sont
mdiquées par les dispositions anatomiques de cet appa-
reil : telles sont les injections intra- veineuses ou intra-
artérielles; telles sont les applications de sondes qui
nous permettent d'aller puiser le sang à te ou tel niveau,
et de déterminer, par un cathétérisme particuher, la
température des diverses régions de l'arbre artériel' ou
veineux. On peut établir ainsi une sorte de climatologie
du milieu dans lequel vivent les éléments anatomiques.
Les notions anatomiques nous seront également très-
précieuses pour arriver, par le cathétérisme, jusqu'à
l'organe central de la circulation, jusqu'au cœur.
D'une manière toute spéciale, nous traiterons de la
circulation capillaire, des circulations locales, ce qui
nous amènera à nous occuper des expériences relatives
à rabsoiT)lion en général, car c'est un phénomène qui a
son siège dans le réseau capillaire des organes, et parti-
244 APPAREIL CIRCULATOIRE.
ciilièrement dans le tissu cellulaire qui les sépare el les
unit en même temps.
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE DU SYSTÈME VASCULAIRE SANGUIN
ET LYMPHATIQUE.
Il ne peut entrer dans notre plan de donner une
description, même sommaire, de l'appareil circula-
toire. Nous rappellerons seulement son type général,
pour nous borner ensuite à quelques indications spé-
ciales sur les dispositions particulières qu'il présente
chez les animaux qui sont le plus souvent l'objet de nos
vivisections.
Rappelons donc que, chez l'homme, le ventricule
droit donne naissance à un gros vaisseau (aorte), dont
les ramifications (artères) s'étendent dans toutes les
parties du corps pour y porter le sang rouge, ou sang
artériel.
Que, d'autre part, l'oreillette droite reçoit deux
veines, les veines caves^ qui apportent tout le sang qui
•iservi à la nutrition {sang veineux ou sang noir).
Cet ensemble (artères et veines), réuni par les capil-
laires généraux, forme ce que l'on appelle le cercle de
la grande circulation : c'est sur ce cercle, généralement
accessible à nos investigations directes, que portent le
plus souvent nos expériences, tant sur les artères que
sur les veines ou les capillaires.
Mais pour aller de l'oreillette droite vers le ventricule
gauche, le sang parcourt un cercle analogue au précé-
dent : car il est formé d'une artère (artère pulmonaire)
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 245
qui le conduit vers le poumon, d'un système de caj3il-
laires (capillaires pulmonaires) qui le met à même d'ac-
complir ses échanges avec l'air extérieur, et enfin d'un
ensemble de veines (veines pulmonaires) qui le rap-
portent à l'oreillette et par suite au ventricule gauche.
Ce second cercle est moins accessible à nos moyens
d'expérience ; mais il est très-important d'insister ici
sur son interposition entre les veines et les artères du
système général, car nous serons ainsi bien fixés sur ce
fait capital que toute substance, introduite dans une
veine, va passer par les capillaires pulmonaires avant
de pénétrer dans le sang artériel, dans le véritable mi-
lieu intérieur. Nous comprendrons ainsi que si cette
substance est un gaz, elle pourra s'éliminer au niveau
du poumon, et par suite n'exercer en définitive aucune
action sur les éléments anatomiques, puisqu'elle ne sera
pas parvenue jusqu'à eux.
Les modes de division des artères, les modes de con-
vergence des veines sont tout à fait analogues chez
l'homme et chez les mammifères sur lesquels portent
nos expériences. Les figures 72-73 et 78-79 montrent la
disposition générale des gros troncs veineux et artériels
chez le chien et chez le lapin. Les particularités que
présentent ces animaux seront indiquées avec soin à
propos d'opérations particulières pour lesquelles leur
connaissance est indispensable; nous nous contenterons
de fixer ici quelques notions d'un usage plus général,
qui ne pourraient trouver place à propos de telle ou
telle expérience, et qui nous permettront enfin d'é-
tendre, avec connaissance de cause, nos investigations
LCvSiLLE .oi-L. c.yEnHonofm.ic
l'iG. 75. — Disposition de l'ensemble des gros vaisseaux
chez le chien.
G, le cœur; I, V, veine cave inférieure; c, ;■, vaisseaux cruraux;
b, ft, vaisseaux axillaires ; J, veine jug^ulaire (externe); S, veine cave
supérieure; A, crosse de l'aorte; A', aorte abdominale; R, les
rcuis ; C, C, arlèrcs carotides de chaque côte de la trachée.
FiG. 73. — Parties centrale^
des gros troncs artériels el
veineux du chien.
0 et V, oreillette et ventri-
cule droits ; V, veine cavi
inférieure ; S , veine cave
supérieure ; Z, grande veine
azygos ; m , veines mam-
maires ; h, veines sous-
clavières; Jet J', jugulaire:
externes ; 0' et i"*, oreil-
lette et ventricule gauches ;
A, crosse de l'aorte ; A'
aorte abdominale; 1, sou?
clavière gauche ; 2, caro-
tide gauche ; 3, carotide
droite ; 4, sous-clavièie
droite.
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 247
sur un plus grand nombre d'animaux : nous voulons
parler de la disposition des gros troncs artériels qui
partent de la crosse de l'aorte pour se distribuer aux
membres antérieurs, au cou et à la tête (fig."^73). Il
était nécessaire de rapprocher les descriptions de ces
parties chez les divers animaux, car les différents types
qu'elles offrent présentent entre eux des analogies et des
transitions faciles à saisir.
Ainsi, chez quelques animaux peu nombreux, tels que
la taupe et la chauve-souris, on voit se détacher de la
crosse de l'aorte deux troncs brachio-céphaliques symé-
triques, qui se divisent bientôt symétriquement en sous-
clavières et carotides (fig. 74).
c (1.
l-fi.. "1. — Tniîpp. Cliaii\c-sotirij
I'k,. 75. — lloniiiii-. Ca Im-.
Chez l'homme, on voit le tronc brachio-céphalique
droit se conserver; mais le gauche se dédouble de telle
sorte que la sous-clavière et la carotide de ce côté
naissent isolément, c'est-à-dire directement, de l'aorte
(fig. 75).
248 APPAREIL CIRCULATOIRE.
Si nous examinons les mêmes vaisseaux sur le chat
ou le chien (fig. 76), nous trouvons que la carotide
gauche est venue prendre naissance sur le tronc brachio-
céphalique droit, qui devient ainsi générateur de trois
grosses artères, tandis que la sous-clavière gauche est
seule à naître directement de l'aorte.
Enfin, comme dernier terme de cette tendance à la
fusion en un seul tronc, nous trouvons la disposition
que représente la figure 77 et qui est celle du cheval
Cv ,r'
FlG. "G. — Chien et Ciiat. Porc. FiG. 77. — Cheval. Mouton (1).
et du mouton. Ici la sous-clavière gauche elle-même
naît d'un tronc commun à toutes les artères de la région
antérieure du corps. Ce tronc porte le nom à' aorte anté-
rieure : il se divise en deux branches qui constituent
(l)Daiis toutes ces figures, A, A, désigne la crosse de Taorte ; S, la sous-
clavière droite ; S', la sous-clavière gauche ; G et C, les carotides primitives
droite et gauche; B ou B, B, le ou les troncsbrachio-céphaliques ; A", raorte
antérieure, quand elle existe (cheval).
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 249
les troncs brachiaux ou artères axillaires : le tronc bra-
chial droit est un peu plus fort que le gauche, parce
qu'il fournit les artères de la tête. Celles-ci naissent, en
effet, à très-peu de distance de son origine, par un tronc
commun, le tronc céphalique^ qui, vers l'entrée de la
poitrine, se bifurque en deux carotides primitives.
Les oiseaux présentent un type particulier dans la
disposition de cet appareil aortique. L'aorte, presque
aussitôt après sa naissance, se divise en trois grosses
branches. Celle de droite se recourbe pour former la
véritable aorte postérieure ou descendante ; la branche
moyenne constitue la sous-clavière droite et la branche
i^auche la sous-clavière sfauche. De chacune de ces deux
sous-clavières part une grosse branche qui se divise plus
tard en carotide primitive et en vertébrale. Notons encore
que les axillaires, comme les sous-clavières auxquelles
elles succèdent, présentent chez les oiseaux un volume
relativement très-considérable, disposition en rapport
avec le développement et l'importance des membres
thoraciques, c'est-à-dire des ailes, appareil capital pour
la locomotion de l'oiseau.
Les particularités importantes à connaître dans la
disposition des gros troncs veineux seront indiquées à
propos de l'étude plus spéciale de certaines régions.
Cependant nous devons indiquer en deux mots, ren-
voyant pour plus de détails aux figures 72-73 et 78-79,
la disposition des gros troncs veineux du cœur droit
chez le chien et chez le lapin.
Chez le chien il y a une veine cave supérieure et une
veine cave inférieure ; comme chez l'homme, cette
^50 APPAREIL CIRCULATOIRE.
dernière résulte de la confluence de deux troncs brachio-
céphaliques.
Chez le lapin, au contraire, les deux troncs bràchio-
céphaliques veineux ne se réunissent pas en une veine
cave supérieure unique, ils vont seulement s'aboucher
simultanément dans l'oreillette droite; de sorte qu'on
peut dire que le lapin présente deux veines caves supé-
rieures (fig. 78 et 79).
Le système lymphatique est très-important, non-seu-
lement par lui-même, mais par ses rapports avec le
système sanguin. S'il est difficile de résoudre, au point
de vue anatomique, la question de savoir si les vais-
seaux lymphatiques communiquent, à leur origine, avec
les vaisseaux sanguins, il n'en est pas moins vrai qu'au
point de vue physiologique, c'est-à-dire au point de vue
de la pénétration et du transport des substances, les
vaisseaux lymphatiques peuvent être considérés comme
faisant suite au système artériel, aussi bien que les vais-
seaux veineux. Tout porte cependant à croire que ce
passage ne se fait pas directement, mais succède à une
extravasation de la partie liquide du sang dans les la-
cunes interorganiques, dans lesquelles ce liquide serait
ensuite pompé par les radicules lymphatiques.
Chez les mammifères, le système lymphatique a été
divisé, au point de vue physiologique, en deux parties :
d'une part, les vaisseaux lymphatiques généraux, qui
ramènent vers le cœur la lymphe des diverses parties
du corps; d'autre part, les lymphatiques de l'intestin
grêle, dont le contenu est, à certaine période de la di-
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 251
gestion, formé par un liquide blanc et laiteux, le chyle :
l'iG. 'H. — Parlies centrale;
des gros troncs artériels cl
veineux du lapin.
U et V, oreillette et ventri-
cule droits ; I, veine cave
inférieure ; S , veine cave
supérieure droite; a, grande
veine azygos ; i et i', vei-
nes jugulaires droite et
gauche : cette dernière,
après avoir reçu la sous-
clavicre correspondante, va
se jeter directement dans
l'oreillette. ( Il y a donc
deux longs troncs bracliio-
céphaliques veineux, et, à
proprement parler, pas de
veine cave supérieure.)
A, crosse de l'aorlc ; A',
aorte abdoniioale ; C , C,
rarotidcs ; b , b', artères
sous-clavières.
i.p.Kor.ci:eu.sc
FiG. 79. — Disposition de ruiiseniblc des gros troncs arté-
riels et veineux chez le lapin. (Lettres comme dans la
ligure 72 ci-dessus, page 246).
d'où le nom de chylifères ou vaisseaux lactés Aowwék ces
^52 APPPAREIL CIRCULATOIRE.
canaux. Or, les chylifères n'existent pas chez les oiseaux,
même chez ceux qui sont exclusivement carnassiers ; il
en est de même pour les batraciens, les reptiles. Nous
tenons à rappeler ces faits anatomiques, et nous y insis-
tons, après avoir mis en œuvre tous les moyens possi-
bles pour faire apparaître dm chylifères chez les oi-
seaux sans jamais y réussir. Nous avions, par exemple,
observé que deTéther tenant de la graisse en dissolution,
et injecté dans le tube digestif, est un moyen excellent
de faire presque instantanément apparaître des chyli-
fères pleins de leur contenu blanc et laiteux caractéris-
tique ; or ce procédé, qui nous a toujours réussi chez le
chien, le chat, et même chez le lapin, ne nous a jamais
donné aucun résultat chez les oiseaux.
Il est encore quelques dispositions particuhères aux
vertébrés à sang froid que nous devons signaler ici. De
même que chez l'anguille on observe un cœur acces-
soire placé sur le trajet de la veine caudale, de même
chez les batraciens on trouve de nombreux cœurs lym-
phatiques périphériques. Chez la grenouille il en existe
deux paires : l'une est située dans la région pelvienne
dorsale, de chaque côté de la pointe de l'os sacrum ;
l'autre est placée vers la partie dorsale de l'origine des
membres antérieurs. Ces cœurs accessoires sont très-
intéressants à étudier : ce sont de petites cavités con-
tractiles, pourvues de fibres musculaires striées, et qui,
grâce aux nombreux éléments élastiques qu'elles ren-
ferment, agissent alternativement comme pompe aspi-
rante et foulante. Ces cœurs battent sans aucune espèce
de synchronisme ni entre eux ni avec le cœur sanguin,
TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 253
organe principal de la circulation. Ils ne réagissent pas
de la même manière que ce dernier aux agents toxiques:
ainsi le curare, qui n'arrête pas le cœur sanguin thora-
cique, paralyse rapidement les cœurs lymphatiques.
Nous reviendrons ultérieurement sur ces particularités
dont nous ne saurions développer ici l'étude.
Quant à l'appareil lymphatique des mammifères sur
lesquels portent le plus souvent nos expériences, il rap-
pelle, par ses dispositions générales, celui de l'homme.
Un canal thoracique et une grande veine lymphatique en
sont les deux troncs principaux. Chez le chien, le ré-
servoir de Pecquet est considérable, de forme ovoïde,
et remonte jusque entre les piliers du diaphragme. Le
canal thoracique, qui lui fait suite va s'ouvrir, dans la
sous-clavière ou à l'extrémité de la jugulaire gauche,
après avoir reçu les afférents de la moitié gauche de la
tète et du membre thoracique correspondant; mais
dans ce trajet, et surtout vers sa terminaison, il se di-
vise souvent en plusieurs branches, qui se réunissent de
nouveau : ces branches s'anastomosent plusieurs fois
entre elles de manière à former des plexus. Parfois il
vient aboutir au système veineux par des insertions
multiples diversement disposées. — Ces irrégularités dans
l'insertion du canal thoracique sont encore plus fré-
quentes chez le bœuf : on voit souvent chez cet animal
le canal, simple à son origine et dans la plus grande par-
tie de son étendue, se bifurquer dans le tiers supérieur
du thorax; de ces deux branches, l'une passe alors à
droite de l'œsophage et de la trachée, tandis que l'autre
se porte à gauche de ces parties, en suivant la direction
254 APPAREIL CIRCULATOIRE.
ordinaire, et, à l'entrée du thorax, elles se terminent,
soit séparément, chacune dans l'angle de réunion de la
jugulaire et de l'axillaire correspondante, soit ensem-
ble au môme point, c'est-à-dire au golfe des deux jugu-
laires (Colin). — Le canal thoracique présente des va-
riétés du même genre chez le cheval et chez les solipèdes
en général.
La grande veine lymphatique reçoit les vaisseaux
lymphatiques de la moitié droite de la poitrine, du
membre antérieur droit, et de la moitié droite de la tète
et du cou. Ce tronc va s'ouvrir dans la sous-clavière
droite ; quelquefois une ou deux des branches qui con-
courent à le former, décrivent des circonvolutions au-
tour du tronc veineux sous-clavier avant de rejoindre
les autres. Enfin, chez le cheval, il n'est pas rare de
voir ce tronc lymphatique s'anastomoser avec le canal
thoracique par des branches collatérales volumineuses,.
puis se réunir avec lui, de telle sorte que les deux vais-
seaux s'insèrent ensemble par un orifice simple au-
dessus du confluent des jugulaires (Cohn).
Vaisseaux du cou et du pli de l'aine, — Opérations
quon y pratique. — Il est deux régions que nous devons
plus particulièrement étudier : le cou et le pli de raine.
C'est là en effet que nous agissons le plus souvent sur les
parties périphériques de l'appareil circulatoire, soit
pour puiser du sang dans une artère, soit pour injecter
un poison dans une artère ou dans une veine, soit enfin
pour apphquersur ces vaisseaux les divers instruments
que la physiologie emprunte à la physique afin de déter-
miner les conditions mécaniques de la circulation.
INJECTIONS INTR A- VEINEUSES. 255
Nous nous occuperons ici du procédé opératoire né-
cessaire pour découvrir des vaisseaux, pour y pratiquer
des injections, et plus spécialement des injections intra-
veineuses. Nous compléterons donc ainsi l'étude des
moyens les plus efficaces d'introduction de substances
étrangères dans l'organisme, puisque nous avons pré-
cédemment étudié les injections faites sous la peau ou
dans les cavités séreuses (voy. ci-dessus, p. 215).
L'injection intra-veineuse supprime toute question
d'absorption ; par cette méthode, nous pénétrons direc-
tement dans le système sanguin, dans le milieu inté-
rieur, qui va aussitôt porter les substances actives sur
les tissus, c'est-à-dire sur les éléments anatomiques.
L'injection intra-veineuse a été pratiquée même chez
l'homme : Magendie injecta de l'eau dans les veines
d'un sujet atteint d'hydrophobie; le malade fut calmé,
mais n'en succomba pas moins bientôt après. Depuis
lors plusieurs médecins, et entre autres Lorain, ont in-
jecté de l'eau à des cholériques, et le succès a couronné
cette tentative. Lorain a réussi en faisant cette injection
dans la dernière période du choléra, alors que le cœur
bat à vide, les veines étant pleines d'un sang poisseux
et épais, tandis que les artères ne contiennent plus rien.
Les injections intra-veineuses, au point de vue des
expériences physiologiques, se font dans un grand nom-
bre de circonstances : elles peuvent du reste se prati-
quer dans toutes les veines des animaux; mais on choisit
d'ordinaire les veines les plus faciles à atteindre, c'est-
à-dire les veiîies du cou et les veines du membre posté-
rieur.
256 APPAREIL CIRCULATOIRE.
11 nous faut donc donner ici quelques rapides indica-
tions sur la disposition anatomique du système veineux,
VLOKuRQKSH-SS
l'"iG. 80. — Veines du cou chez le chien.
C, cœur (oreillette droite) ; T, T, trachée ; A, aorte (la crosse de l'aorte est vue par son
bord droit, de sorte qu'on n'aperçoit pas l'enserable de sa courbe) ; S, S, artères sous-
clavières ; C, C, artères carotides.
V, veine cave supe'ricure ; 1, 1', veines sous-clavières ; 2, 3, et 2', 3, veines jugulaires
externes (en dedans desquelles on aperçoit les jugulaires internes, sous forme d'un
vaisseau très-grêle; on voit notamment la jugulaire interne gauche se jeter en 2 dans
lu jugulaire externe).
afin de bien savoir dans quelles conditions nous nous
plaçons en agissant sur tel ou tel vaisseau, et d'être à
même de retrouver et de découvrir en toute sûreté le
vaisseau auquel nous voulons nous adresser.
Chez le chien, comme chez l'homme, le système vei-
INJECTIONS INTRA-VELNEUSES. 257
lieux du COU se compose de veines superGcielles et de
veines profondes; mais ces vaisseaux présentent chez le
chien, quant à leur volume, une disposition inverse :
tandis que la veine profonde, \^ juçjulaire interne^ est
la plus volumineuse chez l'homme, c'est la jugulaire
FiG. 81. — Cavité crânienne du chien ouverte par le côté droit pour montrer la disposi-
tion dos sinus veineux (a, h, c) et leur coutluencc vers le pressoir d'Hcrophile, en c,
au niveau duquel doivent être faites les ouvertures pour puiser le sang veineux céré-
bral, comme le montre la ligure suivant:^.
externe qui, chez le chien, présente le volume le plus
considérable, l'interne étant réduite à un mince filet
veineux qui accompagne la carotide. Cette différence
s'explique facilement si l'on tient compte des régions
d'où viennent ces vaisseaux. Chez le chien, la face est
très-déve'.oppée relativement au cerveau : de là la pré-
dominance de la veine qui résume la circulation externe
de la tête. Le volume considérable de la masse encépha-
lique, chez l'homme, nous rend compte des dimensions
CL. BEKNARD. — Plivsiol. opér. 17
258 APPAREIL CIRCULATOIRE.
de la veine qui en ramène presque tout le sang, des di-
mensions de- la jugulaire interne qui, chez le chien, ne
vient pas même du cerveau et ne remonte pas plus
loin que la base du crâne. Ce fait est intéressant à
connaître en physiologie; car il nous montre que tout
le sang veineux des organes cérébraux revient au cœur
par le système des veines rachidiennes (fig. 81), et que
C^CSSAT
Fie. 82. — Instrumcnlation et manuel opératoire pour puiser le san^ veineux cérébral.
a, trocart tenu solidement et de manière à en diriger sûrement la pointe selon une ligne
qui, passant par la protubérance occipitale externe, irait ressortir un peu au-dessus du
niveau des deux yeux ; b, canule mise en place, et par laquelle le sang s'écoule dans le
vase c. Le chien est ici maintenu ainsi qu'il a été indiqué précédemment ^page 223)
pour la section du bulbe, opération dont le manuel opératoire est très-analogue à celle
dont il s'agit ici.
ce serait une grande erreur, voulant analyser le sang
veineux qui a baigné la masse encéphalique, que de
s'adresser au contenu de la veine jugulaire interne.
C'est au niveau du torcular, ou pressoir d'Hérophile,
qu'il faudrait, dansce cas, puiser le sang (fig. 81 et 82).
INJECTIONS INTR A- VEINEUSES. 259
Ainsi, lorsque nous parlerons de la jugulaire du
chien^ il sera bien entendu que nous parlons de la ju-
gulaire externe^ la veine d'élection pour les injections
faites au niveau du cou.
Les jugulaires de chaque côté viennent se réunir,
comme chez l'homme, pour former une seule veine
cave supérieure (voy. fig. 80), qui, chez les animaux,
prend plus ordinairement le nom de veine cave anté-
rieure. Telle est la disposition que présentent le chien,
le cheval, la vache, etc.
Mais il n'en est pas de même chez le lapin^ ainsi que
je vous l'ai déjà indiqué (fig. 78 et 79). Ici il n'y a pas
une, mais deux veines caves antérieures : les veines des
deux moitiés latérales de la partie antérieure du corps ne
se fusionnant pas en un tronc unique, on trouve deux
troncs brachio-céphaliques (fig. 78), dont le droit re-
présente la veine cave antérieure des autres animaux,
et otfre en effet la même disposition, tandis que le
gauche présente ceci de remarquable qu'il descend à
gauche du cœur, contourne sa face postérieure pour
venir s'ouvrir isolément dans l'oreillette. Ainsi, chez
le lapin, si l'on injecte deux substances différentes dans
chacune des jugulaires droite et gauche, ces deux sub-
stances ne se trouveront en présence l'une de l'autre
qu'au niveau du cœur.
Pour découvrir la jugulaire externe du chien (fig. 83)
on n'a qu'à inciser la peau et le peaucier. Cette veine
naît par deux branches principales entre lesquelles se
trouve la glande sous-maxillaire ; elle descend ensuite en
croisant très-obliquement le sterno-mastoïdien : on pra-
260 APPAREIL CIRCULATOIRE.
tique donc l'incision sur une ligne qui de l'angle de la
FiG. 83. — Manuel opôraloire de la mise à nu de la veine jugulaire exlerne.
La figure placée à gauche montre un chien fixé dans la gouttière à opération : le trajet et
l'origine de la jugulaire externe sont indiqués par des lignes ponctuées. — La figure placée
à droite montre les couches successivement divisées pour arriver sur la veine : a, peau;
b, lihrcs du muscle peaucier ; c, lamelles de tissu cellulo-adipeux ; d, la vei ne jugulaire
externe.
mâchoire descend vers le milieu de l'espace qui sépare
liNJECTION'S INTRA-VEINEUSES. 561
le sternum d'avec l'articulation de l'épaule. Il suffit sou-
vent d'un seul coup de scalpel pour inciserions les tissus
qui se séparent de la veine, mais en règle' générale il
vaut mieux agir avec précaution et diviser successivement
toutes les couches dont la figure 83 montre la superpo-
sition, c'est-à-dire la peau («), le muscle peaussier (b), et
une légère lamelle de tissu cellulo-adipeux (c). Si l'on
veut être très-prudent, on peut diviser cette dernière
couche avec des ciseaux, après l'avoir soulevée en un
pli conique à l'aide de pinces, comme le montre la
Ogure 84. Dans ce cas on est parfaitement sûr de ne pae
k;. 81. — Section de la lamelle de tissu cellulo-adipciix qui rccoiivre le vaisseau.
léser le vaisseau ; c'est là, disons-le une fois pour toutes,
une précaution qui doit surtout être observée quand on
met à nu une artère.
Quand la veine jugulaire est mise à nu, on l'isole du
tissu cellulaire, et l'on passe au-dessous d'elle un double
262 APPAREIL CIRCULATOIRE.
fil (fiyj. 85) : le fil supérieur sert à lier la partie périphé-
rique de la veine afin d 'empêcher l'afflux du sang ; le fil
inférieur sert à lier la veine sur la canule avec laquelle
on pratique l'injection. A cet effet, on place d'abord sur
la partie inférieure de la veine une serre-fine qui fait
ofûce de ligature provisoire et empêche l'introduction de
l'air.
Les figures 85 et 86 montrent comment s'accom-
FiG. 85. — Isolcniont l'u vaisseau et passage d'un double fil.
(', e, érignes écartant les deux ilcvres de la lamelle cellulo-graisseuse précédemment
divisée [a, a) ; v, vaisseau ; p, pince courbe pour passer le fil f-
plissent ces diverses opérations. Dans la figure 85, une
pince courbe esl passée sous le vaisseau pendant que deux
érignes [c, e) maintiennent écartées leslèvres de l'incision
de l'aponévrose (a, a) ; une pince saisit l'anse de fil {[). —
Dans la figure 86 (n" i), le fil supérieur a été lié, et,
tandis que la veine se gonfle dans toute la partie située
INJECTIONS INTRA-YEINEUSES. 263
au-dessus (en il) , elle s'est afFaissée dans toute la partie
au dessous (ene).
11 s'agit alors de pratiquer l'injection dans cette veine ;
on y introduit à cet effet une canule. Pour cela on sou-
264 APPAREIL CIUCLLATOIKE.
lève sur l'index de la inain gauche la porlion de veine
qui est vide, et avec de fins ciseaux on pratique sur la
paroi vasculaire une incision oblique (fig. 86, n" 2).
Introduisant alors dans la lumière du vaisseau l'une des
pointes des ciseaux, pointe qui est boutonnée précisément
pour pouvoir être introduite sans éraillure des tuniques
vasculaires, on incise de nouveau la paroi vasculaire
parallèlement à l'axe du vaisseau (fig. 86, n° 2'.):
il en résulte une incision à trois branches, ayant la forme
d'un fer de flèche et très-propre à laisser pénétrer avec
facilité l'extrémilé d'une canule, comme le montre le
numéro 3 de la figure 86. C'est alors que l'anse de fil
restée libre est utilisée {h, h) pour fixer fortement en i
la paroi vasculaire sur la canule qui y est engagée.
Si l'injection était faite avec une petite seringue à ca-
rie. 87, — Injection intra-veineusc avec une seringue à petite canule acére'e (a).
nule acérée, comme celles que nous avons décrites à
INJECTIONS INTRA-VEINEUSES. 265
propos des injections sous-cutanées (p. 215), on pourrait
simplifier beaucoup ces diverses opérations. Alors, après
avoir mis la veine à nu, on se contente de la comprimer
en un point avec un doigt (le médius par exemple, fig. 87),
afin de la faire se gonfler au-dessus de ce point; com-
primant alors avec Tindex un peu au-dessus de l'endroit
où est appliqué le médius, on fait saillir une portion {a)
de vaisseau, portion très-gonflée de sang et dans laquelle
il est très-facile d'introduire pai- ponction directe la ca-
nule acérée (fig. 87).
C'est ainsi que l'on peut pratiquer les injections les
plus variées, sur lesquelles nous aurons à nous expliquer
longuement par la suite. Si, par exemple, nous choisis-
sons comme expérience type une injection A'hydrogène
sulfuré, après les manœuvres précédentes, nous injec-
terons une solution de gaz avec une grande lenteur ;
poussée trop vite, une injection, ne fût-elle composée que
d'eau pure, pourrait tuer subitement l'animal. Si la len-
teur de l'injection est suffisante, on voit à peine noircir
le papier d'acétate de plomb placé sous le nez de l'animal
au contact de l'air expiré ; si l'on pousse un peu plus
rapidement, le papier noircit très-vite et très-fort. C'est
que l'hydrogène sulfuré, pénétrant très-lentement, est
détruit avant d'arriver au poumon ; mais s'il pénètre
en plus grande abondance, il arrive jus(|u'à la surface
pulmonaire où il est exhalé ; enfin, s'il y en a un grand
excès, l'air du poumon en est saturé, l'animal le respire,
et il meurt cette fois empoisonné par ce gaz, ou du moins
il présente dans tous les cas les symptômes de Tempoi-
sonnement. Ainsi cet exemple est excellent pour montrer
266 APPAREIL CIRCULATOIRE.
que, dans les expéneuces de ce genre, tout, même la
mort de l'animal, dépend de la vitesse et de la régularité
avec laquelle est pratiquée l'injection.
On peut aussi expérimenter en injectant dans le sang
veineux un gaz à l'état de gaz libre, pourvu que ce gaz
soit soluble dans le sang: ainsi on n'injectera ni de
l'azote, ni de l'air ordinaire ; mais on pourra injecter
des quantités énormes àlnjdrogène sulfuré ou d'ack/e
carbonique à l'état de gaz.
Nous avons pris comme type l'opération pratiquée sur
la veine jugulaire d'un chien, elle se fait de même sur
le lapin. La figure 88 montre que chez cet animal la
Fie. 88. — Veine jugulaire du lapin : tlireclion de l'incision (o, b) par laquelle
'on arrive sur cette veine.
direction de la veine est la même, et que, par suite,
celle de l'incision doit être semblable.
Les opérations faites sur la veine jugulaire doivent
être rapprochées ici de celles que nous faisons sur le
vaisseau artériel du cou^ sur la carotide. Cette artère est
INJECTIONS INTR A-VEINEUSES. 267
profondément située sur les côtés de la trachée, accom-
pagnée par le pneumogastrique, avec lequel le grand
sympathique se trouve confondu (chez le chien) ; nous
avons déjà dit que sa veine satellite, la jugulaire interne,
est très- petite.
Les carotides naissent de la crosse de l'aorte, mais
cette origine ne présente pas chez le chien les mêmes
dispositions que chez l'homme. Rappelons que chez le
chien, ainsi que nous l'avons déjà vu page 248, on trouve
à droite un tronc unique pour la sous-clavière droite,
la carotide droite et la carotide gauche; puis à gauche,
un tronc isolé qui est la sous-clavière gauche. Cette artère
(la carotide) a pour direction celle d'une ligne qui de
l'angle de la mâchoire se porterait vers la partie externe
du sternum. Elle forme donc, avec la direction précé-
demment indiquée de la jugulaire externe, les deux côtés
d'un triangle qui aurait pour base la moitié de l'espace
qui sépare le sternum de l'articulation de l'épaule.
On peut mettre l'artère à nu en pratiquant une incision
d'après la direction que nous venons d'indiquer; mais ce
procédé est assez délicat, car il nous force de contourner
ou de couper le sterno-masloïdien ; il est aussi très-peu
avantageux, car il ne nous donne accès que sur un seul
vaisseau, sur la carotide elle-même.
Il est un autre procédé d'incision qui nous permet
d'atteindre à la fois tous les organes importants du cou,
y compris la carotide : il consiste à couper verticalement
sur la ligne médiane, sur le raphé du cou, en prenant la
saillie de la trachée comme guide. Une fois la trachée à
nu, on n'a qu'à détacher le tissu cellulaire qui se trouve
568 AITAIUJL CiRClLATOlUli.
sur ses côtés, et Ton arrive aussitôt sur tous les organes
importants de la région cervicale antéro-latérale. C'est
ainsi qu'on nrrive sur la carotide. On agit alors sur ce
vaisseau à peu près comme sur la veine: on l'isole, ou
place une serre-fine sur sa partie centrale, on saisit le
vaisseau sur le doigt, on l'incise avec des ciseaux, d'abord
en bec de flûte, puis parallèlement à l'axe du canal, et
enfin on y introduit un petit tube ou une canule sur
laquelle on le lie avec les fils préalablement passés au-
dessous de lui.
On peut alors pratiquer une injection, mais le plus
souvent l'opération que nous venons de décrire a un
autre but : c'est de tirer du sang que l'on veut analyser;
ou plus souvent encore d'étudier certains phénomènes
mécaniques de la circulation. Ainsi, par l'incision que
nous avons pratiquée, nous pouvons introduire tous les
instruments employés pour expérimenter sur la pres-
sion, sur la vitesse, sur les pulsations de la colonne san-
guine artérielle. Quand ces expériences sont terminées,
on retire les instruments et l'on fait une ligature sur le
vaisseau.
Nous l'avons dit, on préfère généralement les veines
aux artères pour pratiquer les injections vasculaires.
Cependant nous savons que les substances injectées n'a-
gissent que lorsqu'elles sont parvenues dans le système
artériel, pour être portées par lui vers les éléments
anatomiques. Il n'est donc, en somme, rien de plus ra-
tionnel que de pratiquer des injections dans les vaisseaux
à sang rouge; et c'est ce que l'on iiiit, en effet, dans
certains buts spéciaux. Ainsi, nous avons déjà dit que le
INJECTIONS INTRA-VEINELSES. 269
prussiale de potasse est éliminé par les reins et par l'es-
tomac, mais peu ou pas par la salive. 11 est cependant
à supposer qu'il passerait par la salive si Ton en injec-
tait beaucoup plus; mais on ne peut forcer la dose dans
le sang veineux, car une injection de plus de 1 gramme
tuerait l'animal. Est-ce à dire que nous ne puissions
faire arriver une grande quantité de cette substance au
niveau de la glande sans empoisonner tout l'organisme?
Nullement; et c'est ce que nous obtenons précisément en
dirigeant spécialement l'injection vers un département
sansfuin, vers celui de la 2:lande sous-maxillaire, eu
injectant dans l'artère de cette glande une quantité
de prussiate très-considérable pour cet organe, mais re-
lativement insignifiante lorsqu'elle est répandue dans
tout l'organisme.
Nous obtenons les mêmes résultats pour le curare.
Certains nerfs, par exemple ceux de la glande sous-
maxillaire , résistent fort longtemps à l'action de ce
poison ; mais en faisant directement l'injection dans les
artères de cette région, nous portons une dose relative-
ment énorme de curare sur les parties périphériques de
ces nerfs, et nous les frappons directement.
Nous voyons donc que les injections dans le système
artériel sont un précieux moyen d'agir dans des circon-
stances particulières. Il va sans dire que dans ce cas on
pousse toujours l'injection versla périphérie. Cependant,
dans des circonstances spéciales et sur lesquelles nous
reviendrons plus tard, on pousse même l'injection arté-
rielle de la périphérie au centre. Nous ne voulons
indiquer ici que les grandes précautions qu'il faut
570 APPAREIL CIRCULATOIRE.
prendre, dans ces cas, de pousser l'injection avec lenteur,
si Ton ne veut voir l'animal succomber subitement par
apoplexie du cœur. C'est que l'injection trop brusque et
trop considérable produit un reflux qui tient les valvules
sio^moïdes baissées, et amène dans les artères coronaires
une pression qui produit des ruptures et des hémorrha-
gies au milieu des fibres musculaires du cœur.
yaisseaux du pli de Vaine. — Les vaisseaux nous
présentent, au pli de l'aine, exactement les mêmes dis-
positions chez l'homme et les animaux. Nous ne nous
arrêterons donc pas sur l'anatomie de cette région
(voy. fig. 89), ni sur les procédés opératoires employés
pour aller à la recherche des vaisseaux. On pratique,
comme pour le cou, une incision longitudinale; on dé-
nude les vaisseaux, on les isole avec une sonde cannelée,
et Ton passe au-dessous d'eux une double anse de fil.
On peut alors pratiquer sur la veine crurale les
mêmes injections que sur la jugulaire. Ici on n'a plus à
craindre l'introduction de l'air dans les veines. Nous
avons ainsi maintes fois injecté diverses substances dans
la veine, chez des animaux immobilisés par le curare,
afin de pouvoir placer plus commodément des canules
dans les canaux des glandes (sous -maxillaire, rein,
pancréas, etc.) au niveau desquelles nous voulions
étudier l'élimination du poison, du prussiate de potasse
par exemple. Si l'injection de ce sel est trop concentrée,
l'animal succombe ; mais même les cas de ce genre sont
très-instructifs. Ils nouspermettent de voir que le sang
jaillit encore de l'artère, quoique le cœur soit arrêté :
c'est que la respiration artificielle, les mouvements du
INJECTIONS INTRA-VELNEUSES. '271
poumon, entretiennent encore un très-léger degré de
circulation, vu les compressions et les dilatations suc-
cessives de la cage thoracique. Ils nous montrent, de
FiG. 89. — Pli ^\e l'aine chez le chien.
a, veine criu'alc ; b, arlcre crurale; c, nerf crural; tl, peau et lèvres de l'incision,
e, apone'vrose crurale el 'gaine des vaisseaux incisés ; f, f, muscles adducteurs ;
fl, le couturier; h, h, fil passé au-dessous de la partie supérieure (centrale) de la
veine ; h', h', fil passé au-dessous de sa partie périphérique.
plus, que ce sang sortant des artères est encore rouge,
et que celui des veines est noir ; tandis que, en général,
chez tous les animaux qui viennent de succomber, le
sang est noir dans tous les vaisseaux et dans toutes les
275 APPAREIL CIRCLL.STOIRK.
cavités du cœur. Ici, au contraire, nous trouvons du sang
noir dans le cœur droit et du rouge dans le gauche.
C'est qu'ici la mort est arrivée par un mécanisme parti-
culier, par l'arrêt du cœur, et que les mouvements du
poumon se sont continués après cet arrêt. Nous avons
autrefois indiqué cette présence d'un sang noir dans le
cœur droit et rouge dans le cœur gauche, comme le
caractère le plus frappant de la mort par les poisons du
cœur ; c'est alors le cœur qui meurt le premier, et la
respiration continue encore quelques instants.
\J artère crurale, mise à nu par la même opération que
la veine, peut nous servir à des expériences analogues à
celles dont nous avons parlé pour la carotide : on peut
y puiser du sang ou y diriger des injections qui seront
poussées vers le bout périphérique. Ces injections dans
le bout périphérique se font ici plus fréquemment ; elles
ont un but particulier: c'est de faire pénétrer dans l'ar-
tère des substances solidifiables ou de petits corps
(poudre de lycopode) qui iront oblitérer toutes les arté-
rioles. On pourra alors étudier parfaitement quels sont,
sur les muscles, sur les nerfs du membre, les effets de
la suppression complète de la circulation ; une ligature
sur le tronc principal ne donnerait pas une suppression
absolue de la circulation, qui dans ce cas se rétablit très-
vite ettrès-compléteraent par les vaisseaux collatéraux.
On peut aussi injecter de l'air pour obtenir cet effet :
l'oblitération est si bien effectuée alors, que dans des cas
semblables Magendie a souvent produit la gangrène du
membre; mais nous avons déjà parlé des expériences
récentesquiontmontré que parfois l'air peut franchir les
SANG VEINEUX. 273
capillaires et arriver sans obstacle jusque dans les veines ;
il passe alors, sans doute, par les capillaires qui ontleplus
gros calibre. En tout cas, l'air n'est pas un moyen bien
sûr d'arrêter la circulation .
Si nous considérons d'une manière plus générale les
expériences que nous pouvons entreprendre sur le sys-
tème vasculaire, nous voyons qu'elles sont propres à
l'étude des phénomènes physiques, chimiques et phy-
siologiques, dont le sang est le siège. L'étude des p/ié-
/lomèties chimiques est destinée à nous donner une con-
naissance parfaite du sang. Si l'on se pénètre bien de la
difficulté et de l'importance de cette étude, des procédés
qu'elle exige, on verra qu'elle est très-complexe : on
verra d'abord qu'il ne faudrait pas dire le sang^ comme
si ce liquide était toujours le même, mais les sangs; car,
outre que l'on confondait autrefois le sang artériel et le
sang veineux que nous distinguons, on sait de plus au-
jourd'hui qu'il faut distinguer tous les sangs veineux les
uns des autres, car celui qui vient du rein ne ressemble
à celui de la rate, pas plus que ce dernier ne ressemble
à celui du foie.
C'est doncle sang veineux qui nous présente le plus
grand intérêt au point de vue de l'analyse chimique, et
sa composition sera le principal point de départ de toute
étude sur les phénomènes qui se passent dans les or-
ganes qu'il vient de traverser, sur les fonctions du foie,
de la rate, etc. A ce point de vue le sang artériel n'est
que le sang veineux du poumon, et nous présente le ré-
sultat de l'acte d'hématose accompli dans ce viscère. —
Il faudra donc étudier le sang qui revient de tous les
CL. BERNARD. — Phjsiol. opér. 18
^74 APPAREIL CIRCULATOIRE.
viscères, car nous nous trouverons ainsi souvent en face
de phénomènes tout à fait inattendus. Qui aurait pu
prévoir, par exemple, (tue le sang de la veine rénale ne
contiendrait pas de fibrine? — Et non-seulement il
nous faudra étudier le sang veineux de tous les organes,
mais il nous faudra encore l'étudier aux divers mo-
ments de l'organe, lors de son activité et lors de son
repos.
Les procédés qui nous permettent cette élude sont
ceux qui nous mettent à même d'aller prendre le sang
qui sort des organes, soit en mettant ceux-ci à nu, soit
en pénétrant dans leurs veines par un vérital)le culhé-
térismc : ce dernier procédé est de beaucoup préférable,
puisqu'il ne change en rien les conditions ordinaires des
organes. Il faut donc arriver, en partant du cou ou du
pli de l'aine, à aller faire le cathétérisme de tout le
système veineux. Ce sont les expériences de ce genre
que nous allons passer en revue. On voit qu'elles s'a-
dressent surtout aux parties les plus internes : telles sont
les expériences qui ont pour but les phénomènes chi-
miques. Nous venons que celles qui s'adressent aux
phénomènes physiques et mécaniques portent sur des
parties bien plus superficielles de l'appareil circula-
toire.
Indication générale des opérations qui se pratiquent
mr le cœur. — Le rôle prépondérant du cœur daitô la
circulation a porté naturellement sur lui les efforts des
expérimentateurs. On a cherché à le voir en fonction ;
mais la chose n'est pas facile : situé dans la poitrine,
entre les deux poumons, il ne peut être mis à nu sans
CATHÉTÉRISME DU COEUR. ^275
que cette opération cause immédiatement la mort, si
elle n'est faite dans des circonstances spéciales et sur
des sujets particuliers. Ainsi, en usant de la respiration
urtificielle, des commissions de savants ont pu porter
leur examen sur le cœur à découvert. C'est qu'il s'agit
en effet, avant tout, de ne pas troubler la respiration :
chez les oiseaux, la chose est relativement facile, car le
rôle des poumons et celui de la cavité Ihoracique ne
sont pas tels que chez les mammifères, et l'on peut ou-
vrir avec moins de danger cette dernière; mais la petite '
taille des oiseaux, la petitesse de leur cœur, sont au-
tant de conditions qui rendent ces expériences peu pro-
fitables.
On a donc cherché d'autres procédés pour étudier ce
viscère chez les mammifères; ici, comme dans presque
toutes les recherches de ce genre, ces procédés sont
calqués sur des cas accidentellement produits. C'est
ainsi que la fistule gastrique qui était restée à un Ca-
nadien après une blessure produite par un coup de feu,
et qui fut si bien étudiée par Williams Beaumont, adonné
l'idée des fistules gastriques chez les animaux. C'est
précisément ainsi que l'idée de mettre le cœur à nu a
été inspirée, entre autres, parles observations que Hering
a pu faire sur un jeune veau qui était né avec une
ectopie du cœur: le sternum était absent; le cœur, dé-
pourvu de péricarde, battait à nu sous une mince mem-
brane transparente qui fermait seule à ce niveau la
cavité pectorale , ou plutôt l'espace médiastin auté-
lieur.
On a donc cherché à réaliser artificiellement des cas
;276 APPAREIL CIRCULATOIRE.
de ce genre. A cet effet on ne peut pas s'adresser indif-
féremment à tous les animaux. Ainsi le chien est très-
peu favorable : son cœur est mobile dans la poitrine et
très-difficile à atteindre; de plus, il n'y a pas chez lui
de véritable cavité médiaslhie, de sorte qu'il est impos-
sible de mettre le cœur à nu sans ouvrir les cavités pleu-
rales. — !l n'en est pas de même pour le lapin. Ici la
cavité médiastine est parfaitement indépendante : on
peut donc, en enlevant a^ec soin une partie du sternum,
en liant au fur et à mesure les artérioles qui donnent,
on peut pénétrer dans cette cavité , en respectant les
deux plèvres. On voit alors, à travers la plèvre, le pou-
mon s'avancer en se dilatant à chaque inspiration ; si
l'on coupe les pneumogastriques, on peut assister à la
production de l'emphysème que l'on observe dansées
cas. Mais cette fenêtre permet surtout de bien observe/
le cœur: on peut voir comment fonctionnent les valvules
sigmoïdes, et combien sont erronées les idées théoriques
que l'on se forme à priori à ce sujet. On voit en effet
que l'origine de l'aorte, au niveau de ces valvules, pré-
sente trois renflements ou sinus ; de telle sorte que les
valvules, lorsqu'elles se redressent, ne viennent jamais
s'accoler exactement aux parois artérielles : elles ne
peuvent donc pas empêcher à ce moment (systole ven-
triculaire) le sang de pénétrer dans les artères coro-
naires ou cardiaques qui naissent à ce niveau. Si l'on
injecte un liquide dans l'artère carotide de la périphé-
rie au centre, c'est-à-dire vers le cœur, on voit le ven-
tricule, impuissant à se vider, se distendre considé-
rablement ; en même temps les artères coronaires se
CATUÉTÉRISME DU COEUR. '^17
confient, et la pression y devient si forte qu'il s'y pro-
duit des ruptures et des hémorrhagies.
Mais le point de vue qui nous intéresse le plus est
l'étude du cœur par le cathétérisme, c'est-à-dire par
l'introduction, dans les gros vaisseaux, de sondes que
l'on fait pénétrer jusque vers l'organe central de la
circulation. Tout le monde connaît les belles expériences
par lesquelles Chauveau et Marey ont pu déterminer,
en introduisant des sondes dans les oreillettes et les
ventricules, les pressions que développent ces cavités
lors de leur contraction, et établir avec précision le
syncbronisme de ces contractions. Ce sont là des types
d'opérations de cathétérisme du cœur.
Cathétérisme du cœur. — Pour arriver au cœur nous
avons plusieurs routes : d'abord nous pouvons aller dans
le cœur droit ou dans le cœur gauche.
Il est très-facile d'arriver dans le cœur droit (fig. 90,
.1, K). A cet effet, on fait pénétrer une sonde dans la
veine jugulaire, et l'on arrive directement au cœur,
puisque la veine cave supérieure n'a pas de valvule.
Du reste, la valvule de la cave inférieure n'est pas un
obstacle sérieux, et en poussant un peu plus loin la
sonde, on peut aller dans la veine cave inférieure.
Il est plus difficile de pénétrer dans le cœur gauche.
On s'adresse à cet effet à la carotide, et l'on pénètre par
elle jusqu'à l'origine de l'aorte ; mais ici on rencontre les
valvules sigmoïdes qui ne sont jamais complètement ou-
vertes, même au milieu de la systole, ainsi que nous le
disions précédemment. Il faut donc quelques tâtonne-
ments et un hasard favorable pour franchir cet obstacle
^278
APPAREIL CIRCULATOIRE.
l''iG. 90. — Ensemble dos voies par lesquelles on peut pratiquer le calliéte'risme du
cœur et des ffros vaisseaux (du cou). Le thorax du chien est ouvert pour montrer
le cœur et les vaisseaux. V. ventricule droit; 0 D, oreillette droite; D, diaphragme;
C I, veine cave inférieure; K, valvule d'Eustache; D V veine cave supérieure;
J, J, les veines jug'ulaircs; A 0, aorte : en 1 sous-clavièrc gauche; 2, carotide
gauche; 3. carotide droite; T, trachée.
Cathétérisme du cœur droit. — La sonde, introduite dans la jugulaire droite, est
représentée par un double trait pointillé.
CathétMsme du cœur gauche. — La sonde, S B, inlrodiiile dans la carotide gauche (C).
suit ce vaisseau (voy. en 2) jusque dans la partie ascendante de la crosse de l'aorte,
et jnsque dans le ventricule gauche.
Cathéicrisme de l'aorte. — -La sonde, S A, introduite dans la carotide droite (C), suit
ce vaisseau (voy. en 3) jusque dans l'aorle Ihoraciquc et abdominale (AO, A 0).
CVIUÉTÉRISMli Dl COEUR. 279
sans le déchirer. Dans ce cas il faut s'adresser de préfé-
rence à la carotide gauche (6g. 90, en C et 2), et cou-
cher le chien du côté droit (nous avons toujours en
vue le cathétérisme du cœur sur cet animal).
Nous insisterons surtout sur le cathétérisme du cœur
droit, et nous prendrons comme type de procédé opéra-
toire l'exécution de cette expérience sur le chien. Chez
cet animal le cœur est très-mobile. Si l'on couche le chien
sur le dos, le cœur se place trop en arrière, ou plutôt en
bas vers la colonne vertébrale, pour qu'il soit facile de
l'atteindre ; il faut donc coucher l'animal sur le flanc, et de
préférence sur le côté gauche (fig. 92). On introduit
dans la jugulaire une bougie ou bien une s^nwh' de
plomb^ instiument auquel
on peut donner la courbure
que l'on veut, et qui ne
déchire jamais les vais-
seaux. On choisit celte
sonde à peu près du calibre
de la veine, afin qu'elle y
entre à frottement doux, et
pour éviter encore mieux
les pertes de sang, on serre
très-légèrement avec une
ligature les parois de la
veine sur la sonde. On pousse alors doucement cet
instrument vers le cœur, en le dirigeant en avant et
à gauche, de façon à ne pas faire fausse route dans les
veines mammaires ou dans l'azygos (voy. fig. 92).
On a eu soin de courber légèrement le bec de la sonde.
FiG. 91.
Mise à nu de la veiii'
jugulai rc
280 APPAREII. CIRCULATOIRE.
et quand on arrive au niveau du cœur, en dirigeant ce
bec en dedans, c'est-à-dire vers la ligne médiane, on
pénètre aussitôt dans l'oreillette.
Cathétmsme des gros vaisseaux. — Il est important
non-seulement de pénétrer dans le cœur, mais encore
d'aller puiser du sang dans les différents points des gros
CATHÉTÉRlSMli DES VAISSEAUX. 281
troncs artériels et veineux: à cet effet, il est peu pratique
d'ouvrir l'aninial pour faire directement une saignée sur
ces points de l'arbre circulatoire, ce procédé trouble trop
l'organisme, et serait du reste sans valeur pour l'étude
de la température dans les divers segments de l'appareil
de la circulation. Il vaut donc infiniment mieux faire
pénétrer dans cet appareil des sondes diverses, de nature
variée, selon le but que l'on se propose (recherches chi-
miques ou thermométriques), et parvenir à se promener
pour ainsi dire et à stationner avec ces appareils dans
tel ou tel point précis de la cavité vasculaire.
Les procédés mis en pratique à cet effet dérivent
directement de ceux que nous venons de décrire à propos
ducathétérismeducœur. EnefFet, on introduit la sonde
par la veine jugulaire, comme pour le cathétérisme de
l'oreillette droite ; au lieu de tourner le bec de la sonde
en dedans, on le dirige en dehors ou directement en bas,
et l'on pénètre dans la veine cave inférieure. Ce trajet est
parfois très-utile à parcourir : il nous permet ainsi de
descendre dans la veine cave inférieure jusqu'au niveau
des veines rénales, et même jusqu'au niveau des iliaques.
C'est ainsi que nous parvenons à nous procurer le sang
veineux qui sortdes organescorrespondants, et nousavons
déjà dit combien étaient précieuses les recherches de ce
genre. On peut aussi remplacer la sonde par des aiguilles
thernio électriques, et aller ainsi prendre la tempéra-
ture du sang sur les divers points du tronc veineux,
au niveau de l'abouchement des principales veines
viscérales (voy. fîg. 93).
On peut encore, pour opérer ces divers cathétérismes,
^8"2 APPAKLIL CIRCULATOIRE.
prendre une voie directement inverse, c'est-à-dire re-
monter de bas en haut ou d'arrière en avant des veines
iliaques dans la veine cave inférieure, et de là dans le
cœur et même dans la veine cave supérieure, jusqu'au
niveau des veines jugulaires, où l'on peut sentir le bec
de la sonde venir faire saillie. Â cet effet, on pénètre par
CATHÉTÉRISME DliS VAISSEAUX. 283
a veine crurale droite (fig. 94) ou gauche. On s'a-
FlC. 94. — Catliétérismc simiilUiné dos gros vaisseaux ai-ti;i-iels el voincux (vciiio
caves el aorlej, par la veine et l'arlèrc crurale droite, au moyen de sondes ren-
fermant de longues aiguilles therino-électriques. — Disposiiions générales de l'expé-
rience—A gauche de l'animal fixé dans la gouttière sont représentés le commutateur
électrique et le galvanomètre, dont les déviations indiquent les dilTércnces de tem-
pérature des milieux (sang artériel el sang veineux) dans lesquels sont plongées les
deux sondes tliermo-électriques.
dresse en général de préférence à la veine crurale
*284 APPAREIL CIRCULATOIRE.
gauche, de manière qu'en suivant l'iliaque on arrive
clans la veine cave inférieure sans avoir de courbure
trop prononcée à décrire. Arrivé dans la veine cave, on
peut pousser la sonde plus ou moins loin, et puiser du
sang, par exemple, au-dessus ou au-dessous de la veine
rénale, de façon à constater les différences du sang vei-
neux avant et après l'abouchement de ces veines. — On
peut enfin pousser jusque vers le cœur. — Dans cette
opération du cathétérisme des veines caves de bas en
liant, on est souvent arrêté dans les ampoules placées
sur la cave inférieure, au niveau de l'abouchement des
sus-hépatiques. Mais comme ces ampoules sont situées
sur la paroi gauche de la veine, on les évite plus sûre-
ment en pénétrant dans le système veineux par la veine
crurale du côté gauche.
Au contraire, lorsqu'on veut pénétrer par en bas
(artère crurale) dans le tronc artériel (aorte), il est pré-
férable de s'adresser à l'artère crurale droite (fig. 9-2).
Il est facile de comprendre, d'après la disposition géné-
rale des vaisseaux, que la sonde pénétrant par ce C(jté
a une courbure moins prononcée à décrire pour arriver
dans l'aorte et la parcourir.
Xous avons donc deux voies pour arriver jusqu'au
cœur et pour tirer du sang des oreillettes. Quand la
sonde est arrivée dans le cœur droit, et que l'on ouvre
son extrémité libre, le sang jaillit avec pulsations sous
l'influence des contractions cardiaques. Si la sonde a été
introduite par la jugulaire, elle jouit de plus de liberté
de mouvement, et on la voit, dès qu'on est arrivé dans
le cœur, battrecomme raiguille-munied'un petit drapeau
CATHÉTÉRISME DES VAISSEAUX. 285
que l'on enfonce souvent à travers les parois thoraciques
jusque dans le cœur pour en montrer les battements.
Mais à mesure que Ton tire du sang du cœur, on voit
FiG. '^5. — Embouchures des veines caves dans le tuiiir.
(Lettre» comme dans les figures 90 et 92.)
celui-ci précipiter ses battements; c'est que le cœur a le
sentiment qu'il se vide, et nous connaissons parfaite-
ment aujourd'hui les nerfs sensibles du cœur.
En somme, toutes les expériences que nous venons
d'étudier sur l'arbre circulatoire sont essentiellement
propres à fixer nos notions topographiques sur la dis-
position de cet arbre. Nous avons appris à le parcourir
dans tous les sens; à y injecter des substances de façon
à les répandre dans tout l'organisme , ou à les faire
parvenir plus particulièrement dans tel ou tel départe-
•286 APPAREIL CIRCULATOIRK.
ment. Nous avons appris à aller, par contre, puiser le
sang veineux au niveau de tel organe, ou à prendre le
sansj veineux scénéral au niveau du cœur droit. Mais ces
expériences sont loin de nous suffire ; elles ne donne-
raient qu'une faible idée de ce que l'on peut entrepren-
dre sur le système circulatoire. Nous ne saurions ce-
pendant, pour le moment, entrer dans le détail de ces
nombreux procédés expérimentaux, souvent d'une im-
portance secondaire. En étudiant l'état du sang au point
de vue de sa teneur en sucre (1) ; en étudiant, à propos
de la chaleur animale, la températuredu sang desdiverses
veines et artères, nous avons donné des expériences
qui montreront combien, dans certaines limites, nous
savons nous rendre maîtres des phénomènes qui se pas-
sent dans les corps vivants, pour diriger sur eux nos
investigations, connue nous le faisons en physique et en
chimie à l'égard des corps minéraux et des phénomènes
auxquels ils donnent lieu.
Tous les phénomènes de la vie peuvent se grouper
sous trois chefs : les phénomènes physiques, les phéno-
mènes chimiques, et enfin ceux que nous nppelons /;/zé-
nomènes physiologiques. Mais il ne faut pas nous trom-
per sur la valeur de ce mot : il ne fait en réalité que
cacher notre ignorance, et nous sommes persuadé que
petit à petit on parviendra à faire rentrer les phéno-
mènes dits physiologiques (ou vitaux) dans la classe des
j)hénomènes physiques ou des phénomènes chimiques.
(I) Voy. Le diabète et la glijcogenèse. Paris, 1877, p. 134.
CONTRACTILITÉ DES VAISSEAUX. ^1X7
Quoi qu'il en soit, iguorant les pliéiiomènes physiologi-
([ues quant à leur essence, nous devons nous attacher
d'autant plus à les étudier dans leurs manifestations.
C'est pour répondre d'une manière précise aux plus
importantes des questions qui se posent relativement à
ces divers ordres de phénomènes, que nous allons es-
sayer de poser quelques expériences types, notamment
sur la circulation capillaire et sur les poisons.
Il est, par exemple, à propos de l'appareil circula-
toire, une question capitale et longtemps controversée :
on sait que le cœur se contracte et préside ainsi à la
circulation; mais qu'en est-il des vaisseaux? sont-ils de
purs tuyaux remplissant le rôle uniquement mécanique
de conduits, ou bien jouissent- ils aussi de la propriété
fie modifier leur calibre, de se contracter et de réagir
ainsi sur leur contenu? On a bien longtemps discuté
cette question ; chacun apportait des arguments et non
des démonstrations, et l'opinion des physiologistes oscil-
lait tous les jours vers les argumentations les plus liril-
lantes qui se produisaient. Magendie et Poiseuille ne
voyaient dans les vaisseaux que de simples tubes iden-
tiques à ceux dont on ferait usage dans un appareil de
physique. Mais aujourd'hui nous avons une expérience
qui tranche la question, et ne permettra plus désormais
aucune discussion à ce sujet. Nous voulons parler de la
section du grand sympathique.
Vous savez en effet que si l'on prend un lapin, que
l'on découvre le cordon cervical du sympathique et
4lu"on le sectionne, on voit immédialement se dilater les
vaisseaux de l'oreille du môme coté : cette hypeihénn'e
HSS APPAREIL CIRCULATOIRE.
est accompagnée d'une augmentation très-sensible de
température : en même temps on voit que les petits vais-
seaux sont tellement dilatés, que le sang passe dans les
veines en conservant la couleur du sang artériel. — Si
maintenant nous prenons le bout périphérique de ce
sympathique sectionné et que nous le galvanisions,
nous voyons aussitôt les vaisseaux diminuer de volume,
loreille pâlir, la température diminuer. Si l'on coupe
le bout de l'oreille du lapin, le sang coule par gouttes
nombreuses après la section du sympathique ; dès que
l'on galvanise le filet nerveux, les gouttes deviennent
plus rares et l'hémorrhagie finit même par s'arrêter
complètement. H y a donc des nerfs qui président au
resserrement et à la dilatation des parois vasculaires;
il y a des vaso-moteurs : les parois des artères sont con-
tractiles.
Mais c'est surtout l'élude de la circulation capillaire
qui nous amènera à discuter les questions les plus essen-
tielles, celles qui ont trait au problème intime de la
physiologie générale, à la vie des tissus et des éléments
anatomiques.
Vous le savez, Messieurs, de même que la chimie ne
s'arrête pas à préciser les propriétés d'un corps plus ou
moins complexe, et qu'elle décompose ce corps en ses
éléments ou corps simples, de même la physiologie ne
s'arrête pas aux propriétés des organes ou des tissus ;
elle pousse plus loin l'analyse physiologique et descend
dans la profondeur des tissus jusqu'à Y élément anato-
mique. De plus, chose très-importante, ell-? étudie cet
élément non-seulement à l'état achevé, parfait, adulte,
EMPLOI DES POISONS. 289
si nous pouvons ainsi nous exprimer, mais elle veut en-
core en connaître l'évolution. Pour ne citer qu'un exem-
ple de l'importance de ce dernier point de vue, je vous
rappellerai que la connaissance plus précise de l'évolution
des éléments anatomiques a permis d'abandonner en
pathologie la théorie de l'hétéromorphisme, en mon-
trant que les tissus normaux et anormaux ne sont que
des modalités d'une même loi.
Le problème de la physiologie et de la pathologie gé-
nérales est ainsi posé ; il a pour objet les parties les plus
intimes et les plus essentielles des organes, les éléments
des tissus.
Le jour où tous les éléments anatomiques seront par-
faitement connus, et dans leur évolution, et dans leurs
formes, et dans leurs propriétés physiologiques, et enfin
dans les actions que peuvent avoir sur eux les différents
agents physiques, toxiques, médicamenteux, etc., ce
jour-là, et ce jour-là seulement, la médecine scienti-
fique sera fondée.
En effet, dans tout état pathologique, c'est toujours
spécialement l'un des éléments anatomiques du corps
qui est atteint : c'est le trouble de cet élément particu-
lier qui amène consécutivement le trouble général de
l'organisme.
Danstoul empoisonnement, par exemple, et j'ai rendu
la chose évidente, surtout par l'étude de l'action du
curare et de l'oxyde de carbone, ce n'est pas l'organisme
entier, ce n'est pas le sujet, l'individu qui est empoi-
sonné, c'est tel élément anatomique : ici le globule rouge
du sang, là le nerf moteur, qui est primitivement at-
CL. BERNARD. — Physiol. opcr. 19
290 APPAREIL CIRCULATOIRE.
teint, et la suppression de la fonction spéciale dévolue
en propre à cet élément amène le trouble ou l'arrêt de
la vie de lensemble. Il en est de même pour les actions
thérapeutiques; car les agents thérapeutiques ne sont
en définitive que des agents toxiques employés à des
doses différentes.
Or la circulation est au premier titre la fonction qui
s'exerce pour tous les éléments anatomiques vraiment
actifs, qui est commune à eux tous ; qui, par des mé-
canismes divers et en apparence opposés, établit à la
fois leur indépendance et leur solidarité. Le sang ou le
plasma sanguin^ que nous avons appelé le milieu inté-
rieur, est à la fois la source et le résultat des phéno-
mènes vitaux; il est indispensable à tous les éléments
anatomiques, auxquels il est porté par le mécanisme de
la circulation. C'est lui qui amène au contact de ces
éléments anatomiques les matériaux fournis par l'ali-
mentation, et tous les éléments empruntés à l'extérieur,
aussi bien les principes utiles que ceux qui sont nuisi-
bles, aussi bien les aliments que les substances toxiques.
En un mot, c'est l'étude du sang et de la circulation
([ui nous permettra d'aborder les notions les plus gé-
nérales relativement aux conditions de milieu dans les-
quelles s'exerce la vie des cellules et des éléments ana-
tomiques.
Nous aborderons cette étude au point de vue critique
que je vous ai précédemment indiqué : nous aurons
donc à la fois à faire l'histoire de la science, à répéter
de nombreuses expériences et à en instituer de nou-
velles.
TREIZIÈME LEÇON
Sommaire : Élude expérimentale de l'appareil circuliitoire. — Anatomie et
pliysiologie. — Les analogies anatomiques ne peuvent suppléer à l'expéri-
mentation physiologique. — Revue historique des faits et des théories
relatives à la circulation. — Nouvelles lumières apportées par la chimie
moderne. — Les phénomènes chimiques, comme les phénomènes méca-
niijues de l'organisme, doivent être étudiés directement par l'expérimen-
tation, et non déduits par analogie des faits semblables empruntés à la
mécanique pure. '■ — En chimie, comme en mécanique, les procédés de
l'oiganisme lui sont particulier.s.
Messieurs,
Nous sommes arrivés, dans la dernière leçon, en vous
indiquant incidemment le point de vue auquel la phy-
siologie doit se placer aujourd'hui, à cette conclusion
que nos études devaient, pour revêtir définitivement un
caractère scientifique, descendre jusque dans les élé-
ments anatomiques des organes et des tissus. Nous
avons insisté sur l'importance des investigations histo-
logiques.
Mais il nous faut compléter notre pensée et eu écar-
ter une interprétation trop étroite: si les progrès de la
physiologie ne sont désormais possibles qu'avec la con-
naissance des éléments anatomiques, ce n'est pas à dire
qu'il suffise d'étudier la forme, la disposition, la structure
de ces éléments; il faut encore leur applique)- directe-
ment la méthode expérimentale pour en étudier les pro-
292 APPAREIL CIKCULATOIRE.
priétés ; il faut, comme pour les organes, non-seulement
étudier les phénomènes dont ils sont spécialement le
siège, mais encore provoquer ces phénomènes, modi-
fier les conditions d'observation ; eu un mot, expéri-
menter.
Se contenter d'étudier les caractères morphologiques
d'un élément, ce serait faire de l'anatomie pure; et
attendre de cette observation des renseignements sur les
propriétés de ces mêmes éléments, ce serait se bercer
d'une illusion qui a du reste longleuips régné dans la
science, alors que l'on pensait trouver dans la structure
d'un organe des notions suffisantes pour en déduire
les fonctions.
Beaucoup d'anatomistes, etCuvier lui-même, ont cru
que les notions anatomiques pouvaient suppléer à l'ex-
périmentation physiologique, et que de l'analogie de
structure on pouvait conclure à la similitude de fonction.
Cependant rien n'est moins exact, et les exemples
abondent pour vous montrer les nombreuses erreurs
auxquelles peut donner lieu une semblable doctrine.
Nous prendrons des exemples au hasard, en quelque
sorte, parmi les travaux physiologiques exécutés dans
mon laboratoire par mes aides et collaborateurs ou par
moi-même.
Depuis Borelli, on dit que la vessie natatoire des pois-
sons sert à permettre au poisson de changer de volume
et de densité, suivant les diverses profondeurs où il se
trouve. Or, comme la vessie natatoire de certains pois-
sons est un organe dont les parois renferment des fibres
musculaires, rien de pins logique que de supposer à
HISTORIQUE ET CRITIQUE. 293
priori que cet organe se contractei'a pour agir sur les
gaz qu'il reuferme, et qu'ainsi l'animal pourra par lui-
même régler les conditions hydrostatiques de son équi-
libre dans l'eau. C'est à cette opinion déduite de l'ana-
tomie que se sont arrêtés Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier
et d'autres non moins illustres. Et cependant la physio-
logie expérimentale est venue contredire cette hypothèse.
M. A. Moreau, qui a entrepris des expériences d'une
grande rigueursurle rôle de la vessie natatoire, a mon-
tré que le poisson est musciilairement passif quanta la
pression qui modifie le volume de sa vessie natatoire,
et qu'il en change le volume par un mécanisme tout
à fait différent de celui qu'on avait supposé : par une
exhalation ou une absorption de gaz, et non par un phé-
nomène de contraction musculaire. L'anatomie n'eût
certes jamais fait soupçonner cette exhalation de gaz qui
change de volume et de nature dans la vessie natatoire
suivant des lois qu'on peut fixer et déterminer d'avance.
Ce sont là des faits du plus haut intérêt pour la physio-
logie et qui sont dus exclusivement aux investigations
expérimentales directes.
L'histologie elle-même, aussi bien que l'anatomie,
doit être subordonnée à l'expérimentation ; elle doit de-
venir expérimentale, sans quoi les notions qu'elle fournit
sont fatalement condamnées à demeurer stériles et erro-
nées. Je vous rappellerai, à ce propos, l'exemple des
glandes salivaires et du pancréas. Est-il deux organes
qui présentent plus d'analogie au point de vue de leur
structure et de la morphologie des éléments qui les
constituent? On en avait conclu que les liquides sécrétés
"2H4 APPAREIL CIRCULATOIRE.
étaient identiques. Mes expériences sont venues prouver
que c'étail là une erreur profonde. Vous savez combien
diffèrent les propriétés des liquides sécrétés par les
glandes buccales et par la glande abdominale, et com-
bien la physiologie serait en retard si, se contentant des
données anatomiques, elle n'avait pas cherché à en vé-
rifier les conclusions par des expériences qui ont donné
le plus éclatant démenti à la prétendue identité de
fonctions.
Supposons maintenant un organe sur les fonctions
duquel la physiologie expérimentale n'aura encore donné
aucune notion : dans ce cas l'anatomie, quelque précises
que soient ses connaissances, sera impuissante à nous
fournir le moindre renseignement sur les usages de
l'organe en question.
Cette supposition n'est pas une assertion gratuite. Dans
l'état actuel de la science, il n'est encore que trop d'or-
ganes pour lesquels elle se vérifie. L'anatomie des-
criptive, l'histologie du corps thyroïde, la connaissance
de ses vaisseaux sanguins et lymphatiques ne sont-elles
pas aussi complètes que pour d'autres organes? N'en
est-il pas de même pour le thymus, pour les capsules
surrénales? Et cependant nous ne savons absolument
rien sur les usages de ces organes; nous n'avons pas
même idée de l'utilité et de l'importance qu'ils peuvent
avoir, parce que l'expérimentation ne nous a rien dit
à leur égard et que l'anatomie à elle seule reste absolu-
ment muette.
.Tamais l'analomie des cellules du foie n'aurait fait
HISTORIQUE ET CRITIQUE. "1^)0
soupçonner que cet organe fabrique incessamment du
sucre qu'il déverse dans le sang.
De même la rate a été longtemps étudiée en vain
par les anatomistes, quoique la structure en soit réel-
lement aussi bien connue que celle d'une glande
quelconque. Quant aux usages, l'expérimentation seule
pouvait les faire connaître. L'extirpation n'avait pu
démontrer qu'un fait : que la rate peut être suppri-
mée sans amener nécessairement la mort. Toutefois
cela ne prouverait pas que sa fonction est nulle. Tl
y a quelques années, je fis l'observation que le sang des
veines de la rate présente des alternatives de couleur
comme celui des glandes quisécrètent. Tout récemment,
M. Picard a ici trouvé un fait important, c'est que,
dans des conditions données, la rate est l'organe de tout
le corps qui renferme les proportions les plus considé-
rables de fer dans son tissu. Ce fait n'aurait jamais pu
être découvert par l'anatomie. D'autre part, abordant
directement létude de la rate par la méthode expéri-
jiientale, MM. Picard et Malassez sont entrés dans la
voie véritable qui pourra fournir des faits positifs relati-
vement au rôle de ce viscère considéré commjB organe
formateur des globules sanguins. C'est doncseulement
quand l'expérimentation aura précisé le sens du phéno-
mène que l'histologie interviendra à son tour pour en
préciser le siège et contribuer à élucider le mécanisme
de la fonction.
Il est tout un ordre de faits des plus importants sur
lesquels l'anatomie et l'histologie ne sauraient rien nous
apprendre : je veux parler des actions toxiques et médi-
^9(1 APPAREIL CIRCULATOIRE.
camenteuses, qui sont an fond toute la médecine. Com-
ment pourrions-nous, par exemple, déduire l'action de
la strychnine de l'anatomie de la moelle épinière, celle
du curare de la structure des nerfs, celle de l'oxyde de
carbone de l'histologie du globule sanguin? L'expéri-
mentation seule nous a appris tous ces faits, et sans elle
nous ne les aurions jamais connus.
En résumé, c'est la physiologie expérimentale ou l'ex-
périmentation qui nous permet d'observer les phéno-
mènesde la vie etqui détermine la nature des fonctions;
l'anatomie en localise le siège. De même dans les études
microscopiques une part égale doit revenir à l'expéri-
mentation dans l'observation des propriétés des tissus et
de leurs éléments. L'histologie proprement dite nous
donne les notions indispensables sur la localisation de
ces propriétés. En un mot, l'expérimentation ouvre tou-
jours la voie, elle indique la nature des phénomènes ;
puis l'histologie vient en montrer le substratum ligure,
lélément anatomique avec son évolution et ses altéra-
tions, dont l'étude est si importante au point de vue
pathologique.
Cette marche est la marche naturelle ; on doit toujours
débuter par l'étude expérimentale sur le vivant, et
non anatomiquement par le cadavre. C'est ainsi que.
sans s'en rendre compte, l'esprit humain a procédé.
L'étude de la circulation, dont nous allons nous occu-
per, nous en présentera précisément un des exemples
les plus éclatants. Tout ce que nous savons de cette
fonction nous a été appris par l'observation et par
lexpérimentation, qui n'est que celle-ci poussée plus
HISTORIQUE ET CRITIQUE. 297
loin. Nous verrons en outre combien l'erreur est facile
quand on veut déduire les fonctions d'un organe d'après
les simples faits anatomiques constatés sur les cadavres.
Nous voyons en effet Érasistrale ouvrir pour la pre-
mière fois un cadavre. Il trouve de gros canaux, les
artères, parcourant tout le corps ; il les ouvre et les trouve
vides; les veines au contraire sont pleines de sang : il en
conclut que ce liquide n'est contenu que dans ces der-
niers vaisseaux et que les artères ne conduisent que de
l'air. Que d'hypothèses alors pour se rendre compte de
l'arrivée de l'air dans ces vaisseaux ! Que de dépenses
d'imagination pour construire un système d'après lequel
l'air des artères vient de l'arbre respiratoire, d'où le nom
de trachée-artère donné au conduit principal du poumon !
El cependant il eût suffi d'opérer sur un animal vivant
pour voir un torrent de sang rouge couler dans les
artères, qui ne se vident qu'après la mort en vertu de
leur élasticité.
Cette expérience si simple, si élémentaire, il faut
arriver jusqu'à Galien pour la voir réalisée. Mais Galien
ne se contenta pas non plus d'observer un fait, il voulut
établir tout un système; et alors il suppléa par des hypo-
thèses et par des déductions anatomiques à ce qu'il
n'avait pas pu demander à l'expérimentation. 11 arriva
ainsi à construire un système qui n'était que le fruit de
son imagination, au lieu d'être l'expression de l'expé-
rience qu'il avait abandonnée bien vite. Pour lui, le
sang des artères est un sang particulier, très-subtil, émi-
nemment propre à exciter la vie des organes auxquels il
porte les esprits vitaux : c'est un sang qui provient, par
^Î9S> APPAREIL CIRCILATOIRE.
tîltratioii à travers la paroi ventriculaire, du sang plus
grossier destiné simplement à la nutrition des organes,
et qui, se formant au niveau du foie, se répand de là,
par les veines caves supérieure et inférieure, vers les
parties correspondantes du corps.
Cette doctrine ou ce système, fruit de mille hypo-
thèses, reposait sur un fait que rien ne venait confirmer.
<ialien supposait, avons-nous dit, la filtration du sang
veineux à travers la paroi ventriculaire: il y aurait donc
eu des trous dans cette paroi. Galien n'avait pu les voir,
mais il les supposait. Pendant des siècles on les chercha
en vain; mais si l'on ne put les apercevoir, la confiance
dans la parole du maître était si grande, que nul nosa les
nier. Du n" siècle, époque où vécut Galien, jusqu'au
XVI* siècle, époque de Vésale, la paroi interventriculaire
fut perforée, mais de trous invisibles. Vésale le premier
nia cette disposition: c'était rendre inadmissible le sys-
tème de Galien; on aima donc mieux croire à une
supposition contraire à toute vérification anatomique
que d'abandonner une théorie si ancienne, consacrée
partant de maîtres. Mais bientôt les travaux de Césalpin,
de Colombo, de Fabrice d'Acquapeudente qui découvrit
les valvules des veines, enfin ceux de Michel Servet et
de Harvey, vinrent établir des faits expérimentaux posi-
tifs, devant lesquels le système de Galien ne pouvait plus
tenir: la circulation, le grand mécanisme du transport
du sang dans le poumon d'une part, et dans le reste de
l'économie, en un mot la grande et la petite circulation
étaient désormais connues. De faits en faits on était
parvenu à renverser toutes les hypothèses et à les rem-
HISTORIQUE ET CRITIQUE. 299
placer par des notions tirées directement de l'observa-
tion sur l'animal vivant.
Pour achever cette rapide esquisse historique, que je
ne vous ai retracée que pour en dégager, à notre point
de vue, renseignement philosophique qu'elle renferme,
je vous rappellerai la découverte des vaisseaux chyli-
fères, puis des lymphatiques généraux : Aselli et Pecquet,
en montrant que les matériaux absorbés dans l'intestin
passent par le canal Ihoracique sans entrer dans le foie,
dépossédèrent définitivement ce dernier organe du rôle
supérieur que lui avait attribué Galien dans la fornia-
tion du sang.
La découverte de la circulation tant lymphatique que
sanguine faisait faire un pas immense à la physiologie.
Et cependant aujourd'hui ce progrès paraît peu de
choses quand on a égard à ce que la science de l'orga-
nisme animal devait faire pour entrer dans sa véritable
voie, pour arriver à découvrir et à étudier, dans le sang
ses éléments essentiels, les globules, et dans les tissus
<iu'il va baigner les éléments anatomiques autour des-
quels il circule. Et ce n'était encore rien que la décou-
verte de ces divers éléments anatomiques du sang et des
tissus : leur connaissance nous permettait d'y localiser
bientôt les phénomènes de la vie; mais ces phénomènes
il les fallait connaître, et pour cela il fallait que les
sciences accessoires, la physique, la chimie, fussent
prêtes à nous fournir et les notions et les instrumenta-
tions indispensables aux recherches de ce genre : il
fallait que la physique et la chimie fussent en état de
MOUS expliquer ces phénomènes.
800 APPARlîlL CIRCULATOIRE.
Cette hiuiière indispensable à la physiologie, c'est à
Lavoisier que nous la devons ; devant ses découvertes
s'évanouirent les derniers restes des théories vitalistes :
plus de chaleur innée, plus d'hypothèses vagues, plus de
pétitions de principes, mais des notions exactes sur les
forces physiques et chimiques, sur les phénomènes de
la combustion, et par suite sur les combustions orga-
niques, sources de la chaleur et du mouvement.
Mais la chimie minérale cadavérique, si j'ose ainsi
dire, ne peut pas non plus être appliquée directement à
la physiologie ; il ne suffit pas de savoir que telle trans-
formation passe par telles et telles phases, dans les expé-
riences de chimie hors du corps vivant, pour en pouvoir
induire qu'une transformation, identique du reste quant
aux résultats, se fait au sein de l'organisme. C'est dans
ce sens qu'on peut dire que toute grande découverte, lors-
qu'on en pousse trop loin les applications, lorsqu'on
veut en étendre d'une manière trop absolue les consé-
quences, porte en elle une source d'erreur. L'œuvre de
Lavoisier et de ses successeurs n'échappa point à cette
loi fatale, quoique, hâtons-nous de le dire, dans une
faible proportion. Après avoir montré l'identité des phé-
nomènes physiques et chimiques de la matière inorga-
nique et des phénomènes qui se passent dans les êtres
vivants; après avoir montré que dans les deux cas les
résultats sont les mômes, qu'il s'agisse de production de
chaleur, de forces, de décomposition ou de formation,
les chimistes voulurent conclure à Xideiitité des pro-
cédés.
C'est dans cette hypothèse que l'école de Lavoisier
HISTORIQUE ET CRITIQUE. 301
dépassa ce que permettait de conclure logiquement l'ob-
servation des faits : elle substitua à des notions absentes
des théories que l'expérimentation devait de nos jours
renverser.
En effet, il me serait facile de vous montrer par de
nombreux exemples que, si les résultats chimiques sont
les mêmes, les procédés diffèrent complètement pour les
actions qui se passent au sein de l'organisme et pour
celles que le chimiste provoque artificiellement, m
cilro^ dans son laboratoire. Je pourrais dire même qu'on
ne connaît pas aujourd'hui un seul cas où les choses se
passent d'une manière identique. Sans doute l'amidon
est transformé par l'organisme et par le chimiste en un
dérivé qui est absolument le même dans les deux cas;
mais de ce que le chimiste se sert pour arriver à ce ré-
sultat de l'ébuUition dans les acides, en peut-on con-
clure que l'appareil digestif procède de même? Nulle-
ment; car l'organisme emploie à cet effet des ferments
liarticuliersdont nous n'avons pu avoir idée qu'en allant
directement étudier le fait physiologique à l'aide des
expériences et des vivisections.
Cet exemple choisi entre mille nous montre la diffé-
rence des procédés chimiques. Il en est de même pour
les procédés physiques ou mécaniques, et ici nous n'au-
i"Oi]s pas à sortir du sujet que nous devons traiter spé-
cialement, de la circulation. Sans doute le mouvement
du sang est produit par un appareil mécanique dont les
effets sont en tout analogues à ceux d'une pompe aspi-
rante et foulante. Mais avant qu'ils se fassent sentir au
niveau des tissus et de leurs éléments anatomiques, ces
802 APPAREIL CIRCULAÏOIUE.
effets sont singulièrement modifiés par des conditions
nouvelles, dont l'organisme seul offre l'exemple. Nous
voulons parler des conditions qui, sous l'intluence ner-
veuse, font varier du simple au double la quantité
de sang qui parcourt un organe, selon que celui-ci est
à l'état de repos ou de fonctionnement.
Aussi les expériences qui ont porté sur les vaisseaux
sanguins, en ne voyant dans ceux-ci que des tubes
inertes, comparables à des tubes de verre, ces expé-
riences sont-elles à peu près non avenues aujourd'hui,
car elles ont complètement laissé de côté le point de vue
le plus intéressant de la question, le procédé particulier
de l'organisme. Le caractère particulier de ces procédés
est essentiellement marqué par leurs rapports avec le
système nerveux, tant pour l'exemple emprunté plus
haut aux phénomènes de transformations digestives que
pour l'exemple actuel de la circulation, car c'est le sys-
tème nerveux qui fait sécréter les glandes comme il fait
se contracter les petits vaisseaux.
Je m'arrête dans ces généralités. Nous reviendrons
sur ce sujet dans la prochaine leçon, et nous entrerons
amsi directement dans fétude critique de la physiologie
expérimentale de la circulation.
QUATORZIÈME LEÇON
Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Un appareil
circulatoire n'est qu'un appareil de perfectionnement. — Apparition de cet
appareil chez l'embryon. — Sa forme chez les animaux supérieurs. —
Différentes parties dont il se compose chez les animaux supérieurs. —
Importance des vaisseaux capillaires. — Diverses expériences pour montrer
que tous les phénomènes essentiels de la nutrition se passent au niveau des
capillaires.
Élude du système capillaire. — Système lacunaire des animaux inférieurs. —
Sphincters prélacunaires de quelques articulés ; leur analogie avec l'en-
semble formé i)ar les parois musculaires des artérioles des animaux supé-
rieurs. — Capillaires sanguins et capillaires lymphatiques. — Développe-
ment et disposition des réseaux capillaires; ils sont indépendants du restr
de l'appareil circulatoire, aussi bien au point de vue de leur genèse qu'au
point de vue de leurs fonctions.
Messieurs,
La vie réside exclusivement dans les éléments orga-
niques du corps; tout le reste n'est que mécanisme. Les
organes réunis ne sont que des appareils construits en
vue de la conservation des propriétés vitales élémen-
taires.
Avant d'aborder l'étude de l'appareil de la circula-
tion, nous devons donc nous demander quels sont les
rapports généraux des divers appareils de l'organisme
avec les éléments des tissus, avec les cellules organiques.
Ces ensembles d'organes, qu'on appelle des appareils
anatomiques, sont indispensables au jeu de l'organisme,
mais non à la vie elle-même. Ils ne représentent que
804 APPAREIL CIRCULATOIRE.
de simples mécanismes de perfectionnement, rendus
nécessaires par la complication des amas considérables
d'éléments anatomiqiies qui constituent un organisme
plus ou moins supérieur.
Ces appareils d'organes, disons-nous, sont utiles, mais
non indispensables à la vie des cellules. En effet, on
conçoit et l'on observe des cellules vivant isolément dans
le milieu extérieur, par exemple les animaux mono-
cellulaires. La cellule reçoit ainsi directement les exci-
tations cosmiques, qui la font agir, car cette cellule,
inerte elle-même en tant que matière, ne jouit d'au-
cune spontanéité et ne manifeste ses propriétés que
sous l'influence d'une excitation extérieure. Cette néces-
sité pour l'élément anatomique de recevoir du milieu
dans lequel il vit les excitations qui mettent en jeu ses
propriétés, cette nécessité est un fait fondamental en
physiologie et en pathologie.
Mais dès que d'une simple cellule, comme celle qui
compose à elle seule le corps d'une amibe, d'un infu-
soire, nous passons à un organisme composé d'une réu-
nion d'innombrables cellules ou éléments anatomiques,
nous comprenons qu'un système circulatoire, un système
nerveux, etc., deviennent nécessaires; car comment les
éléments placés dans la profondeur, loin du milieu exté-
rieur, pourraient-ils en recevoir les excitations? il faut
des appareils qui se chargent de recueillir ces excitations
et de les leur transmettre,
C'est ainsi que l'appareil circulatoire devient néces-
saire, et c'est lui, c'est-à-dire le sang, qui, se chargeant
des principes nutritifs ou respiratoires, va les porter vers
SON' perfectio\xemi:nt dans l'échelle animale, 805
les éléments anatom'ques, pour lesquels il devient, je
le répèle , le véritable milieu intérieur. Pour constater
celte apparition graduelle des divers systèmes, et notam-
ment du système circulatoire, à mesure que l'organisme
se complique et représente un agrégat plus considérable
de cellules, nous n'avons pas besoin de parcourir
l'échelle animale ; il nous suffit de nous adresser à un
même individu, mais en le considérant dès les premières
périodes, au début de son développement. Si nous obser-
vons ce qui se passe lors de la formation du blasto-
derme du poulet, par exemple, nous voyons que dès
que cette membrane, cet amas formé de cellules primi-
tivement identiques, a atteint un développement assez
considérable pour que les éléments situés loin de la sur-
face ne puissent plus que difficilement se mettre en rap-
port avec les milieux nutritifs, nous voyons qu'aussitôt
se forme un système d'irrigation destiné à rendre ces
échanges possibles.
Aussi l'appareil circulatoire, qui en somme n'est
qu'un système d'irrigation, présente-t-il , chez les di-
verses classes du règne animal, tous les degrés de per-
fectionnement les plus variés, correspondant aux degrés
de complication de ces organismes dans l'échelle zoo-
logique.
Chez quelques animaux inférieurs, par exemple chez
les acalèphes, l'appareil digestif et l'appareil circulatoire
ne semblent former qu'un seul et même système gaslro-
vasculaire. Chez les sertulariens, une cavité cylindrique
occupe toute la longueur du corps et communique libre-
ment au dehors par la bouche : l'eau de mer pénètre
CL. BERNARD. — PliysioL opér. 20
306 APPAREIL CIRCULATOIRE.
dans cette cavité et y porte les gaz de la respiration en
même temps que des matières alimentaires qui parais-
sent y être digérées, car elles s'y réduisent en particules
plus ténues, et le liquide nourricier ainsi constitué est
at^ité par des mouvements rapides. Dans un type ani-
mal un peu plus élevé, chez les acalèphes, ce système
cavitaire présente déjà une division du travail quant
aux fonctions digestives et irrigatoires. Une portion ves-
tibulaire et centrale de l'appareil devient plus spéciale-
ment chargée de l'élaboration des matières alimentaires
et constitue un estomac bien délimité, tandis que la
portion périphérique devient inapte à recevoir des ma-
tières solides d'un volume un peu considérable et ne
laisse passer que les liquides plus ou moins nourriciers
qui ont été préparés dans la cavité digestive.
Quelque grandes que soient les complications et les
divisions du travail que nous offrent ensuite les appa-
reils digestifs et circulatoires chez les êtres placés au
sommet de l'échelle animale, ces appareils ne nous
représentent toujours qu'un mécanisme destiné à servir
d'intermédiaire entre les éléments anatomiques et le
milieu extérieur, mécanisme dont le fonctionnement,
en raison même de son perfectionnement, devient indis-
pensable, mais qui néanmoins, nous le répétons, ne pré-
sente rien d'essentiel dans les phénomènes de la vie : les
éléments anatomiques, par leurs propriétés, sont seuls
le siège de ces phénomènes essentiels.
Il est donc facile de comprendre que, lorsque par
exemple un individu meurt à la suite d'une maladie
présentant une lésion localisée dans le tube digestif ou
S0\ RÔLE GÉNÉRAL. 307
dans le cœur, organe central de la circulation, ce n'est
pas, en dernière analyse, la maladie du cœur ou de
l'intestin qui a constitué la mort ; mais c'est que le
trouble de ces fonctions, en dérangeant le mécanisme
vital, a enlevé aux éléments des tissus de l'organisme
les seuls moyens réguliers par lesquels ils pussent com-
muniquer avec l'extérieur et en recevoir les excitants,
par suite ces éléments se sont trouvés dans l'impossibi-
lité de manifester leurs propriétés , et bientôt ils ont
succombé : en réalité, c'est seulement la mort de ces
parties élémentaires, de ces cellules, qui constitue la
mort de l'organisme général.
Au point où en est arrivé aujourd'hui la science, il
n'est pas inutile de bien flxer les idées à ce sujet et de
montrer combien nous sommes loin des idées anciennes
qui plaçaient par exemple l'àme, ou un principe spécial
de la vie, dans le sang, et qui, dans un animal qui meurt
par hémorrhagie, ne voulaient voir qu'un corps d'où le
principe de la vie s'était échappé en même temps que
le liquide sanguin.
Non : de même qu'il n'y a que les éléments anato-
miques qui vivent dans l'organisme de tout animal, de
même il n'y a que les éléments anatomiques qui meu-
rent. Mais les vies partielles des diverses espèces de cel-
lules qui constituent un organisme sont si intimement
liées les unes aux autres et tellement solidan^es entre
elles, qu'il suffit qu'une de ces espèces succombe pour
disloquer le mécanisme vital et pour qu'aussitôt dispa-
raisse l'admirable haroionie qui constituait la vie de
l'animal entier.
308 APPAREIL CIRCULATOIRE.
Ces considérations générales nous dispenseront d'en-
trer dans le détail des divers mécanismes circulatoires
que nous présentent les différentes classes d'animaux.
Elles nous permettent d'aborder directement la circu-
lation chez les vertébrés et chez l'homme, dont nous
devons plus particulièrement nous occuper, car nous ne
saurions oublier le but spécial de ces leçons.
Si nous jetons un premier coup d'œil sur l'appareil
circulatoire de ces animaux supérieurs, nous le voyons
composé de parties diverses, que l'on peut ranger en
quatre divisions distinctes :
1" Le cœur. Organe central, il joue le rôle d'une
pompe aspirante et foulante ; il représente essentielle-
ment l'appareil moteur du système d'irrigation.
•2° Les artères. Parties du cœur, et se distribuant
dans toutes les portions du corps, elles représentent des
canaux de distribution.
3° Les veines et les lymphatiques. Nous pouvons rap-
procher l'un de l'autre ces deux ordres de canaux,
puisque tous deux ils servent à ramener vers le cœur
les hquides qui ont baigné les tissus.
/i" Les capillaires. C'est au niveau de ceux-ci que le
sang arrive jusqu'au contact plus ou moins immédiat des
éléments anatomiques.
Si l'on se demande par lequel de ces organes ou de
ces ensembles de vaisseaux on doit commencer l'étude
de Tappareil circulatoire, le choix paraît au premier
abord assez embarrassant. Nous pourrions légitimement,
ainsi que le font la plupart des traités de physiologie,
débuter par l'étude des fonctions du cœur, puisque cet
CAPILLAIRES. 309
organe est comme le centre, duquel rayonnent toutes
les autres parties. D'autre part, les artères, par la sim-
plicité de leurs fonctions au point de vue purement
mécanique , nous offriraient certains avantages pour
pénétrer ensuite dans l'analyse de fonctionnements plus
compliqués. Enfin, si nous prenions pour base de notre
plan l'ordre du développement, c'est par les veines que
nous commencerions, car ces vaisseaux sont les pre-
miers ù apparaître dans l'aire vasculaire de l'embryon;
mais il faut remarquer qu'alors ces canaux veineux ne
sont encore que de purs caiialicules capillaires, de sorte
que l'on peut dire que les capillaires sont les premiers
à se montrer dans l'organisme en voie de formation.
Nous commencerons donc par l'étude du système
capillaire, et cela non-seulement en raison du fait em-
bryologique que nous venons d'invoquer, mais encore
et surtout parce que cet ordre concorde parfaitement
avec le point de vue auquel nous nous sommes placés,
avec les idées générales sur lesquelles nous nous sommes
arrêtés précédemment : c'est qu'en effet le système ca-
pillaire est le seul qui présente des rapports immédiats
avec les éléments des tissus, le seul qui nous amène à
assister aux phénomènes intimes de la vie des cellules.
Si vous me permettez une comparaison vulgaire, mais
bien propre à rendre ma pensée, je dirai que les gros
vaisseaux, les artères, les veines, ne sont que les rues
qui nous permettent de parcourir une ville, mais qu'avec
les capillaires nous pénétrons dans les maisons, où nous
pouvons observer directement la vie, les occupations, les
mœurs des habitants.
310 APPAREIL CIRCULATOIRE.
Ainsi, quand on introduit une substance toxique ou
médicamenteuse dans l'arbre circulatoire, cette sub-
stance restera sans effet tant qu'elle ne circulera que
dans les veines ou les artères; elle ne commencera à
manifester son action que lorsqu'elle arrivera dans les
capillaires, et dans les capillaires baignant les éléments
anatomiques sur lesquels elle agit spécialement : les
capillaires des masses nerveuses grises centrales, par
exemple, pour la strychnine; les capillaires du muscle
ou des terminaisons périphériques des nerfs moteurs
pour le curare.
Ce ne sont pas là de pures vues de l'esprit, de pures
absti-actions théoriques, car il est telle condition anato-
mique grâce à laquelle la substance toxique en question
peut, après avoir parcouru des artères et des veines,
rencontrer sur son chemin, avant d'arriver aux capil-
laires au niveau desquels elle doit spécialement agir,
rencontrer comme une porte d'échappement par la-
quelle elle sera éliminée. Dans ce cas elle aura traversé
une partie plus ou moins grande de l'organisme, par-
couru une étendue plus ou moins considérable du cercle
de la circulation, sans avoir produit le moindre trouble.
J'ai bien souvent montré danslecoursde nos expériences
qu'un cas tout semblable se présentait pour le gaz hy-
drogène sulfuré, lorsque ce poison était absorbé par les
veines : après avoir passé par le système veineux, avoir
traversé le cœur droit, puis suivi les artères pulmonaires,
ce gaz, arrivé au niveau des capillaires du poumon,
s'échappe, et l'on peut constater son exhalation en
voyant noircir un papier à l'acétate de plomb placé au
CAPILLAIRES. 311
devant du nez et de la bouche de Tanimal. Or, si l'ab-
sorption n'a pas été très-considérable, si tout le gaz ab-
sorbé a le temps de s'exhaler au niveau de la surface
pulmonaire sans être entraîné dans les veines pulmo-
naires, l'organisme n'éprouve aucun effet du poison, car
celui-ci n'est pas parvenu jusqu'aux capillaires de la
grande circulation, c'est-à-dire jusqu'aux éléments des
tissus.
Cette nécessité que le poison arrive, pour produire
son action, au niveau même des capillaires qui baignent
les éléments organiques d'un tissu particulier, cette né-
cessité d'une localisation parfaite est surtout évidente
pour le curare par exemple ; car il faut ici que cet agent
vienne au contact non pas des nerfs moteurs en général,
mais uniquement de leur extrémité terminale dans les
muscles. Au contact des tubes nerveux moteurs, ou des
tubes sensitifs, ou des cellules nerveuses centrales, cet
agent reste comme non avenu et sans action. Mais, au
niveau des terminaisons périphériques motrices, il agit
de quelque manière qu'il y soit porté, soit par les capil-
laires sanguins, soit par une injection directe dans
l'épaisseur des muscles; alors l'action est purement
locale et ne se fait sentir que sur les nerfs du muscle en
question, à moins qu'on n'y ait fait pénétrer une quan-
tité de substance assez considérable pour se diffuser
dans l'organisme, être entraînée par les veines et finale-
m.ent amenée dans les capillaires qui baignent les extré-
mités des autres nerfs moteurs.
Je tenais à vous rappeler ces faits de localisation de
l'action d'une substance qu'on injecte directement sur
31^ APPAREIL CIRCULATOIRE.
le point où elle doit agir, parce que ces résullals ont une
grande importance en thérapeutique.
Tous ces faits font ressortir T importance et le rôle
prépondérant que jouent les capillaires comparé au
simple rôle de tubes de conduction dévolu aux artères
et aux veines. En constatant l'uniformité de la circula-
tion dans ces gros vaisseaux, en voyant que les substances
qu'ils peuvent contenir sont sans effet, tant qu'elles ne
parviennent pas au niveau des capillaires, on comprend
l'influence relativement restreinte que la découverte de
Harvey a exercée sur la médecine; car cette découverte
ne nous a fait connaître que les phénomènes qui se
passent dans les gros vaisseaux, c'est-à-dire la circu-
lation g(Miérale, et non la circulation capillaire, qui est
la seule efficace et importante.
Mais l'étude des capillaires, l'étude expérimentale des
différences d'activité de leur circulation, selon que l'or-
gane qu'ils baignent est en fonction ou au repos, nous
montre que la circulation générale n'est que la source
d'une série de circulations locales bien plus importantes
à connaître et bien plus délicates à étudier.
Jusque dans ces derniers temps, ces modes de circu-
lations locales ont été ignorés ; ils n'étaient même pas
soupçonnés, et les physiologistes s'éloignaient de plus en
plus du chemin qui devait mener à cette découverte,
car ils s'obstinaient à identifier tous les conduits san-
guins, les capillaires comme les veines et les artères,
à des canaux toujours semblables à eux-mêmes, à des
tubes inertes, comme des tubes de verre ou de caout-
chouc.
CAPILLAIRES. 813
iXous avons déjà fait prévoir qu'il n'eu est rien.
Je vous ai déjà dit qu'à côté et au delà de la circu-
lation générale , qui se produit selon les procédés
mécaniques ordinaires, il y a des circulations locales
auxquelles l'influence du système nerveux imprime
un cachet tout particulier, en modifiant singulière-
ment les procèdes mécaniques , en produisant des
variations énormes, comme celles qu'on observe dans
une glande, selon qu'elle est à l'état de fonction ou
de repos.
C'est donc dans le système capillaire que se trouve
pour nous tout l'intérêt de l'élude physiologique de la
circulai ion : c'est en étudiant ce système que nous ver-
rons chaque espèce de cellule vivre à sa manière, em-
prunter au sang ses aliments et les transformer pour
donner naissance à ses produits chimiques, à ses résultats
mécaniques spéciaux ; c'est là que nous verrons le muscle
produire la chaleur et l'effet mécanique connu sous le
nom de contraction, la glande salivaire donner naissance
à sa sécrétion spéciale, et, en un mot, chaque élément
anatomique, tout en empruntantses matériaux à un mi-
lieu comnmn à. tous, le sang, donner naissance à des
produits spéciaux et caractéristiques. C'est donc par le
système capillaire que nous commencerons Télude de
l'appareil de la circulation.
Nous devons chercher d'abord comment le système
capillaire est constitué au point de vue anatomique ; car,
si j'ai insisté précédemment sur ce fait, que l'anatomie
est insuffisante à nous révéler les phénomènes physiolo-
giques, je n'ai pas moins insisté sur cet autre point,
314 APPAREIL CIRCULATOIRE.
qu'elle est indispensable et qu'elle doit prêtera la phy-
sioloL^ie un constant appui.
Ilarvey, par la découverte de la circulation générale,
nous a fait connaître l'appareil centripète et centrifuge,
le mécanisme qui apporte le sang artériel vers les capil-
laires, et qui ramène au cœur et au poumon le sang vei-
neux; mais l'appareil intermédiaire, le système capil-
laire, n'a été connu que plus tard, lorsque les injections
fines et l'usage du microscope permirent de suivre les
fines ramifications des vaisseaux jusque dans l'intimité
des tissus, et encore la véritable signification du système
capillaire n'a-t-elle été bien comprise que lorsque les
notions fournies par l'anatoniie comparée et par l'expé-
rimentation ont permis de se rendre compte de ses fonc-
tions, en les analysant dans les formes les plus simples
et les plus élémentaires.
C'est qu'en effet ce système circulatoire intermédiaire,
considéî'é comme système formé par de véritables vais-
seaux bien délimités, n'existe que chez les animaux supé-
rieurs, chez les vertébrés. Dans la plus grande partie des
invertébrés, par exemple chez les insectes, au lieu de
véritables capillaires, nous ne trouvons que des espaces
interorganiques. Un grand vaisseau dorsal représente la
partie centrale, seule bien localisée de l'appareil circu-
latoire; c'est une sorte de cœur dont les contractions
lancent le sang dans les lacunes interstitielles.
Une disposition bien intéressante nous est présentée
par certains crustacés: elle a été observée par M. Gerbe
sur les jihi/Uosomes ou larves de langoustes. Chez ces
animaux, le système circulatoire est constitué comme
AKTÉRIOLES tT CAPILLAIRES. 315
chez les insectes : le vaisseau dorsal représente à la fois le
cœur et Taorte, on vaisseau général de distribution;
mais aux points où ce vaisseau général s'ouvre par quel-
ques courtes ramifications dans les espaces lacunaires,
on trouve de petits anneaux musculaires, de véritables
sphincters vasculaires qui, circonscrivant ces bouches
béantes, pourraient, selon leur état de contraction ou de
relâchement, intercepter ou permettre l'afflux du liquide
sanguin dans les lacunes interorganiques.
Cette disposition si simple nous représente, sous une
forme pour ainsi dire schématique, ce que nous rencon-
trons chez les animaux supérieurs, où les parois presque
uniquement umsculaires des petites artères forment au
niveau de la zone de transition, entre le système artériel
et le système capillaire proprement dit, une sorte de
sphincter diffus, peimetlez- moi cette expression ; sphinc-
ter qui règle l'apport du sang des artères dans les capil-
laires. Gel appareil régulateur est soumis à l'influence
du système nerveux, et c'est là précisément ce qui fait
que la circulation, envisagée au point de vue de ses rap-
ports avec les éléments des tissus au niveau des capil-
laires, échappe à une analyse mécanique simple, et pré-
sente ces procédés particuliers que nous avons regardés
précédemment comme caractéristiques des actes essen-
tiellement organiques.
Si les animaux supérieurs, les vertébrés en particu-
lier, présentent de vrais capillaires, ce n'est pas à dire
qu'on ne puisse constater chez eux des systèmes lacu-
naires comparables à ceux des invertébrés: le cœur de la
grenouille, de la tortue, par exemple, d'après les re-
316 APPAREIL CIRCULATOIRE.
cherches de Hyrtl, ne présente pas de vaisseaux coro-
naires sanguins; la nutrition de ses éléments musculaires
se fait par une véritable imbibition interstitielle, et le
liquide sanguin les baigne sans être contenu dans
des canaux à parois spéciales.
Quant aux vrais capillaires sanguins, tels que nous les
rencontrons dans les tissus de Thomme, ils font toujours
suite aux artères, dont ils constituent la continuation
fort modifiée du reste.
En effet, si l'on observe la structure des vaisseaux
sanguins depuis leur origine au niveau du cœur jusqu'à
leurs fines ramifications dans les tissus, on voit que ces
canaux, au point de vue de la nature de leurs parois,
peuvent se diviser en trois grandes catégories qui se
succèdent régulièrement depuis le centre jusqu'à la
périphérie.
Nous avons en premier lieu l'aorte et les grosses
artères, qui sont caractérisées par l'abondance du tissu
élastique contenu dans leur tunique moyenne : ce tissu
est ici à son summum de développement; aussi ces
vaisseaux sont-ils tout à fait comparables à des tubes
de caoutchouc : l'élasticité est leur propriété dominante,
ou pour ainsi dire leur seule propriété.
Viennent ensuite les petites artères, dans lesquelles le
tissu élastique est remplacé par le tissu musculaire à
fibres lisses (ou fibres-cellules); dans les artérioles des
organes, on peut considérer le canal vasculaire comme
creusé dans un cylindre musculaire : la contraclilité est
la propriété dominante de ces vaisseaux.
Enfin, arrivé au niveau des capillaires proprement
ARTÉRIOLES ET CAPILLAIRES. 317
dits, on voit que tous les éléaients précédents dispa-
raissent : plus de tunique élastique, plus de tunique mus-
culaire; car les tuniques moyenne et externe du vais-
seau ont en quelque sorte cessé d'exister. Il ne reste
plus pour constituer le capillaire que la tunique interne
de l'artère, membrane formée de minces cellules épithé-
liales juxtaposées. Aussi ces petits vaisseaux ont-ils pour
propiiété essentielle de permettre le contact entre le san»;
et les éléments anatomiques. C'est pour cela que, par
leurs nombreuses anastomoses, ils forment des mailles
dans lesquelles sont placés ces éléments anatomiques.
Nous voyons que, par exemple, dans le foie, chaque
maille ne contient que deux ou trois cellules hépatiques;
que, dans le muscle, chaque fibi'e musculaire est placée
dans une sorte de cage ou treillis formé par des capil-
laires sanguins anastomosés, etc.
Chose bien remarquable et qui ne doit déjà plus vous
surprendre après ce que nous avons vu précédemment,
la forme de ces réseaux capillaires varie selon chaque
organe, chaque tissu, et présente dans chacun d'eux un
aspect caractéristique. On peut, sur une préparation
microscopique qui n'a conservé de visible que les mailles
des capillaires d'une région, reconnaître si ces mailles
entouraient des muscles, des culs-de-sac glandulaires,
des papilles dermiques, des cellules pulmonaires, etc.
Un aspect aussi caractéristique doit évidemment être en
rapport avec les propriétés mêmes des éléments de tissu,
et c'est en effet ce que je vous ai déjà fait prévoir dans
la série des considérations exposées dans la dernière
leçon.
318 APPAREIL CIRCLLATOIRE.
Les capillaires des vertébrés contiennent du sang
rouse: les lacunes des invertébrés contiennent et don-
nent passage à du sang blanc.
D'après ces différences du contenu, quelle compa-
raison, quelle analogie pouvons-nous chercher à étabhr
entre ces deux systèmes de circulalion élémentaire?
Dirons-nous que les lacunes des invertébrés corres-
pondent aux espaces lymphatiques des vertébrés, de
sorte que les premiers n'auraient en réalité qu'un sys-
tème lymphatique et pas de véritable système sanguin ?
Considérerons-nous les vertébrés comme possédant seuls
des capillaires ou espaces sanguins, quelle qu'en soit,
du reste, la nature au point de vue des parois?
Si, comme nous devons le faire, en effet, nous ne nous
attachons qu'au contenu de ces vaisseaux ou espaces,
nous n'avons pas à nous inquiéter de ces diverses ques-
tions ni à établir ces distinctions artificielles. Pour nous,
la lymphe et le sang sont une seule et même chose: la
lymphe est du sang moins les globules rouges; mais
au point de vue de la nutrition, au point de vue du milieu
intérieur, nous n'avons à tenir compte que du plasma :
le globule rouge n'est lui-même qu'un élément anato-
mique particulier qui vit dans ce plasma, avec cette seule
particularité qu'il s'y meut, qu'il y circule pour remplir
des fonctions spéciales.
Ainsi, puisque le plasma est le véritable milieu inté-
rieur, et que ce plasma circule aussi bien dans les lym-
phatiques que dans les vaisseaux sanguins, et dans les
lacunes des invertébrés aussi bien que dans les capil-
laires de l'homme, nous n'avons pas à nous demander
CAPILLAIRES ET LACUNES INTEROUGAMQUES. 'M 9
si les invertébrés ne possèdent qu'un système lympha-
tique. A ce conqjte, il faudrait, d'autre part, dire que
toute une classe nombi'euse de vertébrés possède à peine
un système lymphatique, puisque, chez les oiseaux, les
vaisseaux de ce genre sont extrêmement rares ou ne
sont représentés que par des canaux très-courts et dif-
ficiles à constater.
Le plasma et les globules blancs qu'il renferme, aussi
bien le plasma sanguin que le plasma lymphatique,
traversent très-facilement, comme l'ont démontré les
recherches récentes, les parois des capillaires pour se
répandre dans les interstices des éléments organiques.
Nous voyons donc combien il serait artificiel, au point
de vue physiologique, de vouloir chercher une distinc-
tion absolue entre le contenu des capillaires sanguins et
celui des capillaires lymphatiques, aussi bien qu'entre
les divers capillaires des vertébrés et les lacunes des
invertébrés.
Ce sont les espaces organiques situés entre les élé-
ments anatomiques qui, ainsi imbibés par le plasma,
sont le siège des phénomènes de la nutrition : c'est dans
ces espaces que le système lymphatique vient puiser son
contenu, ainsi que Tout démontré les recherches de
M. Ranvier sur le tissu conjonctif et l'origine des lym-
phatiques. Ces rapports restent les mêmes, quelles que
soient les dimensions de ces espaces lacunaires, qu'ils
soient représentés par des gaines lymphatiques^ par les
mailles du tissu conjonctif ou par les grandes cavités
séreuses. En effet, les recherches récentes ont démontré
à la fois, et la communication directe des capillaires
320 APPAREIL CIRCULATOIRE.
lymphatiques avec les cavités, telles que celles du péri-
toine, de la plèvre, et le fait que ces cavités, en raison
même de leur mode de production, n'élaient, en somme,
que de vastes mailles du tissu conjonctif très-dilalées et
fusionnées. J'ai montré et nous verrons, en effet, qu'en
injectant un gaz peu soluble (azote, hydrogène) dans le
tissu cellulaire sous-cutané, chez un lapin par exemple,
nous déterminons dans ce tissu la formation d'une vasle
cavité qui présente bientôt tous les caractères d'une
véritable séreuse.
Après avoir établi ces rapports intimes entre les ca-
pillaires ei les lacunes interorganiques, revenons aux
capillaires sanguins proprement dits. En les examinant
au fur et à mesure de leur formation, nous voyons que
cet appareil se constitue successivement dans les régions
où son rôle devient indispensable, vu l'activité des
échanges nutritifs qui se produisent en ces régions.
Ainsi, si l'on observe un embryon de poisson, dont le
corps est assez transparent pour se prêter à toutes les
études de ce genre, on voit que les capillaires sanguins
se développent d'abord sur la vésicule ombilicale, dont
le contenu doit être résorbé pour fournir les matériaux
de nutrition à l'embryon. Dans le corps, il n'y a en ce
moment aucune formation de circulation capillaire.
Plus tard, lorsque les échanges respiratoires vont se
localiser, au niveau des branchies, on voit les vaisseaux
branchiaux se modifier : ils représentaient d'abord des
troncs sanguins relativement volumineux, conduisant
directement le sang, venu du cœur, jusque dans l'aorte,
oià la pulsation cardiaque se transmettait visiblement.
capillaires; leur foRiMatio.v. 3''21
Mais lorsque va commencer la fonction branchiale, on
voit des capillaires se développer sur le trajet des vais-
seaux branciiiaux, se substituer à eux, de telle sorte que
le sang, parti du cœur, traversant, avant d'arriver dans
les artères à sang rouge, un réseau capillaire, ne pré-
sente plus dans l'aorte les pulsations que l'on pouvait
observer chez l'embryon.
Les capillaires se forment donc là où leur présence
est devenue nécessaire pour les échanges nutritifs ou
respiratoires, et leur présence amène les plus grands
changements dans les conditions purement mécaniques
de la circulation générale.
Quant au mode même de formation des vaisseaux
capillaires, il a été mis en lumière, notamment par
des recherches de M. Ranvier ; ces recherches ont
appris que les capillaires, dont nous venons de faire
ressortir l'indépendance relative au point de vue fonc-
tionnel, se forment également d'une manière tout à
fait indépendante. Chaque organe forme sa circulation
capillaire, car cette circulation doit lui être propre,
doit être constituée d'après un type qui n'appartient
qu'à lui. Observant, en effet, le développement des capil-
laires d^ns le grand épiploon du jeune lapin, M. Ranvier
a remarqué, sur les points qui vont se vasculariser, un
aspect qui leur a fait donner le nom de taches lai-
teuses. Ces taches renferment des cellules particulières
nommées cellules vaso-formatrices , qui présentent des
ramifications anastomosées et canaliculées, dont l'en-
semble représente parfaitement un réseau capillaire,
GL. BERNARD. — l'iivsiol. Opér. 21
S'i'i APPARlilL CIROLLAIOIRE.
mais vide, sans aucun contenu sanguin (1). Une arlé-
i-iole voisine, par les progrès de son développement,
lequel se fiiit selon un mode que nous n'avons pas à
préciser ici, arrive-i-elie jusqu'à la tache laiteuse, elle
s'abouche dans le réseau des cellules vaso-lormatrices,
et dès lors le réseau capillaire existe avec son contenu
sanguin. Vous voyez donc que les systèmes capdlaires se
forment indépendamment des artérioles dont ils doivent
ensuite recevoir le sang, et cela aux dépens de cellules
à ramifications nombreuses et anastomosées, cellules
dont une seule peut souvent, par ses expansions, co!i-
stituer un réseau capillaire d'une assez grande étendue.
Je n'insisterai pas davantage sur ces faits délicats
d'embryologie et d'histologie; il me suffit, et ce sera
pour aujourd'hui notre conclusion, de vous avoir mon-
tré que l'étude de la formation des capillaires nous fait
voir dans ce système une indépendance et une auto-
o'énie qui confirment l'indépendance et l'autogénie que
nous avons constatées en lui au point de vue fonction-
nel ; il est donc bien évident que la partie la plus im-
portante de l'appareil circulatoire est représentée par
les réseaux capillaires, et nous aurons d'autant plus
d'intérêt à insister sur son étude, que c'est, ainsi que
je vous l'ai déjà dit, de toutes les parties celle dont la
physiologie a été connue le plus tardivement, et celle
dont la connaissance est la plus importante, non-seule-
ment pour la physiologie, mais encore pour la médecine
proprement dite.
(1) Ranvier, Du développetnetd et de l'accroissement des vaisseaux sanguins
{Arch. de physiol, 1874, p. 129).
QUINZIÈME LEÇON
■Sommaire : Étude expérimentale de lappareil circulatoire. — Importance
des expériences faites sur le système capillaire. — Les capillaires sont par
excellence les agents de l'absorption. — Absorption par les surfaces externes
et internes. — Des injections locales à effets locaux. — Expériences prou-
vant qu'on peut produire à part l'elTet local et l'effet général. — Différentes
phases à considérer dans l'absorption.
^'capillaires sanguins et lymphatiques. — Idées anciennes sur les voies de
l'absorption. — Découverte des vaisseaux lymphatiques. — Expériences
de Magendie. — Expériences nouvelles. — Les veines sont les organes
l''s plus essentiels de l'absorption.
Messieurs,
D'après ce que nous avons vu précédemment sur les
origines et les fonctions du système capillaire, il est facile
de comprendre que ce système est le siège essentiel des
phénomènes de nutrition, d'absorption, de sécrétion, etc.
C'est donc à ce niveau qu'il faut chercher à étudier les
actes intimes de la vie.
Parmi ces actes, celui qui doit nous arrêter tout d'a-
bord est celui de Yabsorplion^ par lequel les matériaux
de la nutrition, les substances toxiques aussi bien que
les substances médicamenteuses, sont introduites dans
l'organisme. r4'est au contact des capillaires pulmo-
naires qu'est absorbé l'oxygène destiné à aller entretenir
les combustions dans tous les tissus; c'est au niveau
des capillaires du canal intestinal que sont absorbées les
:i^4 APPAREll. CIRCULATOIRE.
substances alimentaires, principaux matériaux de ces
combuslions.
Mais ces exemples ne nous donnent qu'une faible idée
de l'étendue de l'absorption, que nous devons diviser,
dès maintenant, en absorption externe et absorption
interne.
V absorption externe est celle qui s'exerce sur les sur-
faces communiquant librement avec l'extérieur: le type
serait fourni par la surface cutanée. Mais si, cbez cer-
tains animaux, la peau est très- absorbante, cbez d'autres
animaux et chez l'homme, la texture de son épithélium
atténue ou éteint celle fonction; l'absorption quia lieu
sur les membranes muqueuses digesiive, pulmonaire et
autres surfaces muqueuses, rentre également dans la
classe des absorptions externes.
Vabsorption interne a lieu par les surfaces des cavités
closes, telles que celles des grandes séreuses péritonéales,
pleurales, etc. ; dans celte classe rentre l'absorption qui
se produit dans le tissu cellulaire sous-cutané et inter-
stitiel, car nous avons vu que les mailles de ce tissu
peuvent être, au point de vue anatomique, regardées
comme les analogues des cavités séreuses. Des expé-
riences physiologiques, que nous reproduirons bientôt
devant vous, vous déuionlreront également les ressem-
blances entre l'absorption par les surfaces périlonéales
et pleurales et l'absorption par les mailles du tissu cellu-
laire sous-culané ou inlersliliel.
Nous verrons en outre que l'absorption qui a lieu dans
les cellules pulmonaires ou dans les culs-de-sac glandu-
laires se rapproche par beaucoup de caractères de l'ab-
capillaires; absorption. 325
sorption interne. Magendie (1) considérait le poumon ou
plutôt chaque lobule pulmonaire comme une sorte de
masse spongieuse formée par du tissu cellulaire, dans
laquelle chaque bronche s'ouvrait et se terminait brus-
quement sans qu'il fût possible de suivre au delà la mem-
brane muqueuse qui la tapissait. M. Alph. Milne Edwards
a suivi la continuation des sacs pulmonaires des oiseaux
avec le tissu cellulaire sous- cutané. M. Ranvier a con-
staté la naissance de lymphatiques dans les alvéoles pul-
monaires. Autrefois, j'ai vu, de mon côté, que les sub-
stances injectées dans les conduits glandulaires sont
rapidement absorbées et passent facilement dans les
vaisseaux et jusque dans les ganglions lymphatiques.
■ Danslesdiverses régions du corps, Tabsorption, qu'elle
soit interne ou externe, varie quant à sa rapidité, selon
des conditions qu'il faudra préciser. Mais la première
condition à remplir, celle dont la réalisation assure seule
une absorption rapide et par suite efficace, c'est que la
substance dont on veut produire l'absorption soit placée
dans un contact aussi immédiat que possible avec les
vaisseaux capillaires.
Cette seule donnée suffît pour nous rendre compte de
la lenteur ou même de l'absence presque complète d'ab-
iiorption au niveau de certaines surfaces, quand cette
condition ne peut pas être remplie. Ainsi la peau pré-
sente, entre le réseau capillaire et les substances qui
peuvent être déposées à sa surface, une épaisse couche
de cellules, dont les plus superficielles sont cornées et
il/ M i.:.'.;inlif.', ./o«//if// il'' /iliijsioloiji'', 18:21, t. I, p. 7S.
S'i6 APPAREIL CIRCULATOIRE.
pénétrées d'un enduit graisseux. Aussi discute-t-on en-
core aujourd'hui sur la question de savoir si la peau
de l'homme absorbe; et si celte absorption a lieu, elle
est si peu considérable, si peu efflcace au point de vue
thérapeutique, que dès longtemps les médecins ont pris
l'habitude de se débarrasser delà couche cornée épider-
mique, pour mettre les substances actives plus directe-
ment en contact avec les capillaires qui constituent une
surface absorbante. Telle est la méthode endermique, que
nous voyons mettre en usage lorsque, par exemple, on
soulève l'épiderme à l'aine d'un vésicatoire, dans l'in-
tention de déposer des substances médicamenteuses sur
la surface ainsi mise à nu.
Si le rôle de la couche épidermique est important" à
considérer au point de vue de l'absorption par la peau^
celui des couches épithéliales ne Test pas moins au point
de vue de l'absorption par la surface intestinale ou par
d'autres membranes muqueuses. Dans l'estomac, l'in-
testin grêle et le gros intestin, l'absorption présente des
différences qui tiennent à la diversité dans les épithé-
liums dont ces surfaces sont recouvertes. Ainsi le recou-
vrement épithélial, par ce fait même qu'il est placé
entre la surface extérieure et les réseaux capillaires, est
la cause, selon sa nature, de la plus ou moins grande
rapidité de l'absorption.
Parmi les surfaces extérieures oîi l'absorption se pro-
duit avec le plus d'activité, je vous ai cité la surface pul-
monaire et les surfaces des conduits glandulaires: j'ai
souvent expérimenté en injectant de l'iodure de potas-
sium dans un conduit salivaire du côté gauche, je re-
capillaires; absorption. S'il
trouvais presque immédiatement ce sel dans la salive
du côté droit.
Au uiveau des surfaces séreuses, l'absorption est très-
rapide: frappé de ce fait, Magendie avait choisi la cavité
l)leurale, et y injectait les solutions toxiques au moyen
diine petite canule, qu'il nommait perce-plèvre, et qui
n'est autre chose qu'une canule à extrémité tranchante
et plus ou moins oblique (voy. ci-dessus, p. 191, fig. 41).
On a reconnu également au tissu cellulaire la propriété
d absorber tout aussi sûrement et aussi rapidement que
la surface séreuse de la plèvre ou du péritoine : aussi la
médecine a-t-elle pu largement mettre à profit cette
voie d'introduction des substances médicamenteuses, et
vous savez avec quel succès la méthode des injections
hypodermiques est appliquée et tend aujourd'hui à se
généraliser.
En physiologie expérimentale, le tissu cellulaire est
devenu notre lieu d'élection pour les injections de sub-
stances toxiques. Si Ton a soin, de plus, de n'employer
que des substances très-pures, cristallisables, des alca-
loïdes ou plutôt des sels de ces alcaloïdes, au lieu de se
servir de ces préparations mal définies, impures, et dif-
ficilement dosables, que Ton désigne sous le nom d'ex-
traits, de teintures, on peut considérer qu'on a réalisé
les conditions les plusindispensablcspour une absorption
sûre, rapide, telle qu'on en puisse exactement com-
parer tous les cas dans des séries d'expériences.
Nous venons de parler du tissu cellulaire sous-cutané;
mais les injections peuvent se pratiquer dans tous les
tissus cellulaires, quels que soient les éléments anato-
"^"28 APPARKIL CIRCULATOIRE.
iniques auxquels ce tissu est interposé. Il y a déjà long-
temps que Fontana avait remarqué la régularité des
effets obtenus par l'injection du curare dans la masse
d'un muscle. Or, en injectant un liquide dans un muscle,
on l'injfîcle en réalité dans le tissu cellulaire qui sépare
les éléments contratiles proprement dits. C'est toujours
un réseau capillaire identique qui absorbe; il n'est donc
pas étonnant que les expériences soient exactement com-
parables dans tous ces cas, car le réseau capillaire du
môme tissu cellulaire a toujours la même disposition:
c'est toujours aux mêmes racines de l'arbre vasculaire
«jue l'on s'adresse. Sous ce rapport, le réseau capillaire
du muscle étant un de ceux qui se présentent comme
le plus identique à lui-même dans les diverses régions
du corps, c'estauxinjeclionsdans l'épaisseur d'un muscle
donné que nous déviions accorder la préférence, lorsque
nous voudrons réunir toutes les conditions possibles
d'exactitude.
En résumé, nous pouvons, d'une manière générale,
injecter dans tous les organes, dans tous les tissus, puis-
que tous renferment du tissu cellulaire et des réseaux
capillaires interposés à leurs éléments propres.
Dans toutes ces formes dinjeclion, il y a toujours
deux effets bien distincts à observer: l'un local, se pro-
duisant dans l'organe, dans le tissu même où la sub-
stance injectée s'est trouvée par cela même en contact
avec les éléments anatomiques sur lesquels elle peut
agir ; Vauirefjcnéra/, qui se produit lorsque la substance,
puisée })ar le sang dans le lieu de l'injection, a été por-
tée par lui vers d'autres éléments anatomiques de même
capillaires; absorption. :\'il{)
nature ou de nature différente. Toute substance est
susceptible de donner ces deux effets, d'une manière
plus ou moins distincte, cest-à-dire avec plus ou moins
d'intervalle entre les deux, selon la rapidité de son ab-
sorption et selon son mode particulier d'action. Les deux
effets peuvent donc être simultanés ou successifs.
Du reste, l'action générale elle-même n'est que le
résultat d'un ensemble d'actions locales portant toujours
sur une espèce particulière d'éléments anatomiques.
Ainsi les convulsions générales que produit la strychnine
résultent de l'action de ce poison sur une seule espèce
d éléments, sur les cellules nerveuses de la substance
grise centrale. Je vous ai déjà montré que Taclion du
curare se localise au contraire sur les extrémités péri-
phériques des nerfs moteurs.
C'est précisément avec le curare qu'il nous est possible
de réaliser la localisation exacte de l'action toxique sur
m\ certain département, sur un certain groupe pris dans
l'ensemble des éléments sur lesquels il peut agir, par
exemple sur les nerfs moteurs d'un seul muscle. Il faut
pour cela injecter dansée mu?cle une quantité de curare
suffisante pour agir sur place sur les extrémités ner-
veuses motrices avec lesquelles il est aussitôt en contact,
mais insuffisante pour pouvoir, une fois absorbée et di-
luée dans le sang, aller agir sur les autres nerfs moteurs
de l'ensemble de l'organisme. Dans ce cas, par un
calcul exact de la dose, nous avons pu produire l'effet
local, sans donner lieu à l'effet général ; mais ce n'est pas
là, vous le voyez bien, une exception à la règle que
nous venons de poser ; ce n'est (qu'une question de dose.
.SSO APPAREIL CIRCLLATOlRt.
II y aurait donc, au point de vue des applications pa-
thologiques, un gi-and avantage à bien connaître les
actions élémentaires des substances toxiques et médica-
menteuse^, car nous pourrions ainsi porter directement
ces asents sur les éléments qu'ils doivent influencer :
l'effet cherché serait obtenu d'une manière bien plus
certaine, Itien plus précise, et nous pourrions ainsi uti-
liser localement, en médecine, des poisons qui ne sont
redoutables que lorsqu'ils agissent sur l'ensemble do
l'économie.
Pour nous en tenir à la physiologie expérimentale,
nous trouvons dans celte méthode les moyens de résou-
dre des questions qui semblent au premier abord inso-
lubles. Je ne vous en citerai qu'un exemple démonstra-
tif, dans lequel vous verrez qu'on peut agir sur un seul
organe par tin empoisonnement forcé, sans agir sur le
reste de l'oraranisme.
Quand on injecte du cyanoferrure de potassium, par
exemple, dans le sang d'un animal, on ne peut parve-
nir à voir ce sel s'éliminer par la salive; et si l'on
cherche à introduire ce composé en quantité notable, de
manière à forcer l'élimination, l'animal meurt, car le
cyanoferrure de potassium devient alors toxique. Que
conclure de cette expérience négative? L'explication
qui vient le plus naturellement à l'esprit, c'est que le
cyanoferrure n'a pas été introduit dans l'organisme en
quantité suffisante pour apparaître dans la salive : cette
idée est très-plausible; mais comment en démontrer la
réalité, puisque l'animal meurt si l'on force la dose, et
qu ici l'effet général, par la rapidité de son apparition.
capillaires; absorption. 331
nous met dans l'impossibilité d'observer l'effet local que
nous recherchons?
Eh bien ! nous allons supprimer l'effet général. Nous
allons injecter, dans un rameau de l'artère même d'une
glande salivaire, une forte solution de ferrocyanure de
potassium : la glande sera abondamment baignée par ce
sel. mais celui-ci, pompé et dilué ensuite dans la masse
totale du sang, sera en trop faible proportion pour agir
sur l'organisme entier, pour tuer l'animal. Nous suppri-
merons donc l'etfet général pour exagérer l'effet local,
et nous verrons celui-ci se produire aussitôt, c'est-à-dire
que le sel en question apparaîtra dans le produit de la
sécrétion de la glande mise en expérience. Aucun doute
ne sera plus possible sur le rôle éliminateur de la salive
relativement au ferrocyanure de potasse.
Ne pensez-vous pas que cet exemple, emprunté à nos
expériences de laboratoire, peut être bien instructif
pour le médecin ? Ne pourra-t-on pas agir de même sur
l'homme avec le curare, par exemple? En introduisant
directement ce poison dans un muscle convulsionné, on
ramènera celui-ci au repos, sans produire aucun acci-
dent d'empoisonnement, puisque la dose, suffisante pour
le lieu de Tinjection, sera comme nulle pour toute ac-
tion générale, pour toute action toxique sur l'organisme
entier.
Nous devons maintenant pénétrer plus profondément
dans l'analyse des actes intimes de l'absorption. En con-
sidérant la substance depuis le moment où elle est dé-
posée au contact des capillaires, jusqu'au moment où
elle agit sur les éléments des tissus, nous voyons qu'il
.S3*^ APPAREIL CIRCULATOIRE.
y a trois faits essentiels à étudier dans ces phénomènes
de transport et surtout de pénétration.
D'abord la substance pénètre dans le sangj puis elle
est transportée par celui-ci dans tous les points de l'éco-
nonjie; et enfin elle est reçue par ce transport au contact
de l'élément sur lequel elle peut agir, pénètre celui-ci
et fait sentir son action.
Il est facile de comprendre qu'entre ces trois actes,
termes successifs de l'absorption, c'est-à-dire entre le
fait de pénétration dans le sang et le fait de la pénétra-
tion dans les éléments anatomiques, il peut et doit se
passer un certain temps. Cet intervalle est du non-seu-
lement au temps consacré au transport de la substance
par le torrent circulatoire, mais encore à ce que la
substance, pour arriver au contact immédiat des élé-
ments des tissus, doit sortir des capillaires et se mêler au
liquide interstitiel, au plasma qui baigne plus immé-
diatement ces éléments. Or, l'analyse exacte de ces
diverses phases du phénomène nous révèle une série de
faits dont il faut savoir tenir rigoureusement compte.
Ces divers actes sont successifs; mais quand l'un a
f;essé, l'autre continue encore : ainsi on peut arrêter la
pénétration de la substance dans le sang sans arrêter im-
médiatement son action. En etTet, si à ce moment le
transport dans le sang a eu lieu, si la pénétration dans
l'élément a commencé, et si l'elTet toxique s'est déjà
montré, on le voit continuer en augmentant pendant
quelques instants. Il ne suffit donc pas, pour borner à
un certain degré une action toxique, d'arrêter la péné-
tration du poison dans le sang au moment même où se
VOIES UE L AIJSORPTION. 333
montrent les symptômes qu'on ne voudrait pas dépasser.
Dans ce cas on irait au delà du but que l'on veut at-
teindre, parce qu'en supprimant la pénétration dans le
sang, on n'arrête pas la pénétration dans l'élément ana-
tomique ; il y a continuation d'action de toute la dose de
poison que lesangcontient et qui n'est pas encore arrivée
au niveau des capillaires dans l'intimité des tissus.
Il est encore toute une série de questions, relativement
secondaires, qui ont été plus spécialement étudiées par
les physiciens: telles que la nature chimique de la sub-
stance et son influence sur la rapidité de l'absorption, de
la circulation, de l'endosmose et de Texosmose.
La question de savoir si l'absorption se fait par les
voies sanguines ou lymphatiques a passionné les anciens
physiologistes, et aujourd'hui encore cette discussion
semble réveiller les controverses qui se produisirent à
l'époque des découvertes de Harvey, d'Aselli et de
Pecquei.
Galien et ses disciples, cest-à-dire tous les médecins
et tous les physiologistes des siècles antérieurs à la décou-
verte du système vasculaire lymphatique, ne pouvaient
concevoir l'absorption que par le système veineux, puis-
qu'ils ne connaissaient pas d'autres vaisseaux à circu-
lation centripète, c'est-à-dire capables de puiser les
liquides interstitiels et de les ramener vers le cœur. Aussi,
notamment à propos de l'absorption intestinale, Galien
avait-il fait de l'appareil veineux, c'est-à-dire de la veine
porte, la voie essentielle d'introduction des substances
dans Forganisme. Tous les produits de l'absorption arri-
vaient ainsi au niveau du foie, où se faisait unecoction,
.S34 APPAREIL CIRCULATOIRE.
OU, pour nous servir îles expressions modernes, une
transformation, qui donnait naissance au liquide san-
guin apte à aller entretenir la vie et la nutrition des di-
verses parties du corps. Il ne faut pas oublier, en etfet,
qu'aux yeux de Galien, si la veine porte était un vais-
seau afférent au foie, toutes les autres veines rayonnaient
de cet organe central. Le foie était le grand fabricatein-
du sang.
Ces idées furent professées jusqu'à l'époque de la dé-
monstration de la circulation du sang par Harvey;
encore faut-il ajouter que, si la découverte de Harvey
renversa les idées galéniques au point de vue de la
circulation veineuse, et enleva au foie le rôle de centre
d'irradiation du torrent sanguin, pour placer ce centre
dans le cœur, cette découverte ne changea en rien
les idées reçues sur le rôle du parenchyme hépa-
tique comme organe formateur du sang, à l'aide
des matériaux premiers qui lui étaient amenés par
la veine porte- Bien plus, la découverte des vais-
seaux chylifères par Aselli parut pour un instant confir-
mer les vues hypothétiques de la vieille école, puisque
ces vaisseaux n'avaient pas été poursuivis au delà du
niveau du foie, dans lequel ils semblaient aboutir. Les
chylifères d'Âselli ne représentaient encore, aux yeux
des physiologistes de l'époque, qu'une seconde voie, ap-
portant, parallèlement à la veine porte, les matériaux de
la digestion dans la glande hépatique.
Mais la découverte de Pecquet, qui fit connaître le
canal thoracique, changea complètement la face des
choses: dès lors on vit qu'une grande partie des su!>-
VOIES im L ABSORPTION. 885'
stances transformées par la digestion étaient absorbées
par des vaisseaux tout différents des veines et arrivaient
jusqu'au cœur sans traverser le foie. Dès ce jour, le rôle
du foie devint secondaire, et l'étude de l'absorption dut
porter et sur les veines et sur les lymphatiques; dès ce
jour, la question qui doit actuellement nous occuper était
nettement posée: auquel des deux systèmes, veineux ou
lymphatique, sont dus plus spécialement les phénomènes
d'absorption?
Dans le premier enthousiasme qui suivit la décou-
verte du système lymphatique, le problème fut brusque-
ment et catégoriquement tranché: on déposséda entière-
ment le système veineux pour ne plus considérer que le
système lymphatique; et Bichat, plus tard, prit comme
synonymes les expressions de système lymphatique et de
système absorbant.
Mais jusque-lô, en dehors des simples faits anato-
miques connus avec précision, la recherche physiolo-
gique, l'expérimentation, n'était pas venue fournir ses
données à la solution du problème. Dès qu'elle aborda
la question, il fallut compter avec des faits exactement
déterminés, et la question subit de nouveau un renver-
sement complet. C'est à Magendie que sont dues les
premières recherches sur ce sujet, et ses expériences,
aujourd'hui encore, ont cojiservé toute leur importance.
S'adressant d'abord à l'absorption intestinale, Ma-
gendie montra qu'en détruisant tous les vaisseaux chyli-
fères, l'absorption continuait cependant, et que dans ce
c*is elle ne pouvait être due qu'aux veines, aux rameaux
d'origine de la veine porte. Portant ensuite l'expérience
S.SO AFl'ARtlI. CIRCULATOIRE
sur l'absorption interslitielle, sur celle qui se produit
dansle tissu cellulaire du menibred' un chien par exemple,
il opéra de la manière suivante: toutes les parties molles
du membre postérieur furent coupées au niveau de sa
racine, moins lartère et la veine crurales, qui furent
conservées avec soin ; de l'extrait alcoolique de noix vo-
mique dissous dans l'eau fut ensuite injecté dans la
patte, qui n'avait plus conservé de rapport avec l'orga-
nisme de l'animal que par les troncs artériel et veineux ;
au bout de trois ou quatre minutes, les convulsions écla-
taient dans tout le corps, et l'animal succombait à Tem-
poisonnement.
On objecta à Magendie que les parois artérielles et
veineuses pouvaient contenir des vaisseaux lymphatiques
absorbants. Magendie répondit en répétant son expé-
rience, avec cette modification que les vaisseaux eux-
mêmes furent coupés et remplacés, sur une certaine
étendue, par des tuyaux de plume d'oie: dans ce cas la
colonne sanguine représentait le seul moyen de connexion
entre le membre isolé et Torganisnie entier. Cependant
le résultat de l'expérience fut le même que dans le pre-
mier cas, et l'animal succombait à lempoisonnement
trois ou quatre minutes après que la noix vumique avait
été déposée sous la peau de la patte. I.a veine avait donc
bien été le chemin d'absorption et de transport.
Nous allons répéter cette expérience en perfection-
nant le procédé opératoire (fig. 90). Sur ce chien,
insensibilisé par la morphine et le chloroforme, nous
découvrons au pli de l'aine, du côlé droit, les vaisseaux
CI maux ; nous les isolons en passant au-dessous d'eux
VOIES DE l'absorption. 387
un fil qui nous permet de les tirer légèrement au dehors
de la plaie. Cela fait, nous allons couper toutes les
|#?i^^fe
FiG. 96. — Dispoâitinn de l'expiiriciice pour l'ctiidc Jes voies de l'absorption (exiic-
rieiicc de Ma^endie modiiicc). — La forte pince double figurée à part sert à fixer
le fémur qui est sectionné perpendiculairement.
parties molles avec Vécraseur : la chaîne de l'écraseur
<3st passée, au moyen d'une grosse aiguille, enire l'os et
^es muscles de la masse interne de la cuisse; ces muscles
CL. BERNARD. — Physiol. opér. 22
tit\^ APPAREIL CIRCULATOIRE.
sont compris dans l'anse de l'inslrument; la peau est
sectionnée au scalpel, car elle briserait la chaîne sans-
réder à la compression; nous arrivons ainsi, en serrant
lentement l'anse du constricteur, à sectionner les par-
ties molles sans produire d'hémorihagie sensible. Nous
opérons de même sur les masses musculaires posté-
rieures, puis sur les masses externes : il ne leste plus»
en dehors du paquet de la veine et de l'aitère, que
l'os. Il est sectionné, en dernier lieu, entre les deux
branches d'une forte pince double (fig. 96) destinée à
maintenir fixes les deux bouts de l'os divisé, afin d'éviter
le tiraillement des vaisseaux. Alors nous introduisons
sous la peau de la patte 1 centigramme de chlorhydrate
de strychnine dissous dans ^ centimètres cubes d'eau:
au bout de quatre minutes les convulsions éclatent,
l'animal roidit ses quatre membres, il est mort.
FiQ relisant ces jours derniers le mémoire dans lequel
Magendie rapporte dans tous leurs détails ses expériences
mémorables, j'ai été frappé d'un fait qu'il signale sans
en donner l'explication, et dont l'étude rentre précisé-
ment dans les considérations de l'ordre de celles que
nous avons entreprises et que je vous ai exposées parti-
culièrement.
En opérant son ajutage de plume d'oie, et au moment
où l'animal avait ressenti les effets de l'enipoisonne-
ment, Magendie eut l'idée de mettre le bout périphé-
rique de la veine en communication, non plus avec
le bot:t correspondant de la veine de l'animal opéré,
mais de la faire se déverser dans la veine d'un autre
animal. Or, dans ces conditions, le sang portant le
VOIES DE l'absorption. 339
poison était introduit, en apparence, comme chez le
premier chien, et cependant le second animal ne fut pas
empoisonné.
A quoi tient ce résultat? Dans le premier cas, Ma-
••endie avait vu l'empoisonnement se produire, et, n'ob-
servant rien de semblable dans le second au moment où
le sang empoisonné était transfusé, en inféra l'absence
de l'empoisonnement, sans chercher davantage. Or, dans
ce cas, l'empoisonnement était absent (1), parce qu'on
n'avait pas assez altendu. Qu'indique en effet cet inter-
valle de quatre minutes, auquel, d'après ses premières
recherches, Magendie semblait pouvoir se tenir pour
apprécier" le temps de l'absorption? Il indique non pas
seulement le temps nécessaire à l'absorption du poison,
à sa pénétration dans le sang, pénétration qui est presque
immédiate, mais aussi le temps nécessaire pour que
le sang se soit chargé de matière toxique en quantité
suffisante pour agir sur les éléments nerveux centraux,
pour les pénétreret produire en eux l'excitabilité extrême
qui est le piopre de l'intoxication strychnique. Or,
pour que cette saturation eût été obtenue sur le second
animal, dont la quantité de sang est augmentée par un
nouvel apport, et qui, du reste, n'a rien ou peu perdu
parhcmorrhagie, ilauraitfallu attendre uncertain temps.
Magendie pensait que dès que le sang du premier chien
empoisonné arrivait dans les vaisseaux du second, celui-ci
devait présenter les symptômes de l'empoisonnement;
mais je vous ai dit qu'il fallait bien distinguer l'intro-
(I) Voy. Magendie, Mémoire sur les organes de l'absorption chez les
mammifères (Journal de Magendie, 1821, t. I, p. 19j.
'340 APPAREIL CIRCULVTOIKE.
diiclion (lu toxique dans le sang, son transport au capil-
laire, son accumulation, et enfin sa pénétration jus-
(|u'aux élémeiils anatoniiques: or, ce sont ces dernières
phases du phénomène qui sont la condition indispen-
sable de renipoisonnement. Ainsi, quoique nous jugions
le plus souvent de la réalité de l'absorption d'une
substance toxique en voyant éclater les symptômes de
l'empoisonnement, il ne faut pas confondre les diverses
phases bien distinctes du phénomène: quand Tempoi-
sonnement a lieu, l'absorption s'est produite déjà depuis
longtemps, et elle s'est continuée jusqu'à amener la
saturation du sang.
Cette distinction est rendue bien évidente par nos
expériences sur l'action de l'oxyde de carbone: lorsqu'un
animal respire le gaz toxique du charbon en combustion,
ce n'est d'ordinaire qu'au bout de huit minutes que se
manifeste rempoisonnement; et cependant, après la
première inspiration d'air chargé de vapeurs méphi-
tiques, le sang contient déjà de l'oxyde de carbone :
l'examen spectroscopique permet de l'y constater .
Pour juger de l'absorption et de sa rapidité, il faut
donc renoncer à prendie pour critérium la manifesta-
tion des symptômes d'emp(ii>>onnement. Il vaut mieux,
au lieu de substances toxiques, employer des substances
chimiques dont la présence dans le sang sera révélée par
des réactions délicates et certaines: tel est l'iodure de
potassium, ou le prussiate dépotasse, avecle(\uel on peut
démontrer qu'il suffit de vingt à vingt-cinq secondes chez
un cheval pour que la substance introduite en un point
de la peau se retrouve dans le sang veineux général. Il
VOIES DE l'absorption. 341
u donc fallu ce laps de temps presque infiniment court
pour que la substance pénétrât dans le sang et par-
courût le double cercle de la circulation pulmonaire et
de la circulation générale. Mais l'empoisonnement ne
survient que plus tard, parce qu'il faut que la substance
s'accumule dans le sang en quantité suffisante.
iMagendie, avons-nous dit, répéta sur l'intestin l'ex-
périence qu'il avait f;iite sur un membre. Après avoir
compris une anse intestinale entre deux ligatures, il dé-
truisit tous les lymphatiques, c'est-à-dire tous les chyli-
fères qui parlaient de cette anse. De l'exlrait de noix
vomique fut injecté dans l'anse intestinale, et l'animal,
réduit aux vaisseaux veineux comn)e moyen d'absorp-
tion et de transport, ne tarda pas cependant à succom-
ber à l'empoisonnement. Une expérience faite comme
contre épreuve donna un résultat qui parlait dans le
môme sens: toutes les veines d'une anse intestinale ayant
été liées et les lymphatiques réservés, l'injection d'ex-
trait de noix vomi(]ue dans cette anse ne donna lieu à
aucun phénomène d'empoisonnement. Nous ne voulons
pas dire qu'il n'y ait pas eu absorption par les chyli-
fères, mais elle n'avait pas amené une quantité suffi-
sante de toxique pour empoisonner : on peut voir, en
effet, que du prussiale de potasse injecté dans l'intestin
se retrouve dans leschylifères.
Nous voilà bien loin de l'opinion qui, à l'époque de
Bichat, faisait des lymphatiques les voies essentielles,
indispensables, exclusives, de l'absorption. Pour l'ab-
sorption intestinale, leschylifères eux-mêmes nous pa-
raissent d'une importance secondaire. Autrefois, on re-
342 APPAREIL ClRCULAïOIRE.
gardait le liquideblancetlaiteux qu'ils renferment comme
le produit esseuliel de la digestion, et l'on n'hésitait pas
à définir la digestion : la fontion qui fait le chyle. Or, ce
chyle, sous l'aspect qu'il nous présente chez les ntam-
mifères, est une chose si peu-importante en réalité, qu'il
existe ou n'existe pas, selon les animaux que l'on consi-
dère. Rien n'est plus facile que de l'observer chez le
chien ou le chat; il existe également chez l'homme,
ainsi que j'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de m'en
convaincre sur des cadavres d'individus qui s'étaient sui-
cidés en pleine digestion. Chez le lapin on n'aperçoit
de vaisseaux blancs lactés, c'est-à-dire de chyle, que
lorsqu'on fait digérer de la graisse à l'animal. Mais chez
les oiseaux on ne voit jamais rien de semblable, même
chez ceux qui sont exclusivement carnassiers; il en est
de même pour les batraciens, les reptiles. J'insiste sur ce
dernier fait, car j'ai mis en œuvre tous les moyens pos-
sibles pourfaire apparaître deschylifèreschezles oiseaux,
sans jamais y réussir. J'avais, comme je vous l'ai déjà
dit, observé que de l'éther, tenant de la graisse en dis-
solution et injecté dans le tube digestif, est un moyen
excellent de faire presque instantanément apparaître
des chylifères pleins de leur contenu blanc et laiteux
caracléristique : ce procédé, qui m'a toujours réusr^i
chez le chien, le chat et même chez le lapin, ne ma
jamais donné aucun résultat chez les oiseaux.
Nous voyons donc que si les chylifères, que si les lym-
phatiques absorbent, et le fait est incontestable, celle
absorption n'a rien d'essentiel, ce rôle n'a rien d'indis-
pensable. LenMe essentiel revient aux veines; et du reste
VOIES DE l'absorption'. ri48
la rapidité même de l'absorplion nous prouve qu'elle se
fait surtout par le torrent sanguin, et que le cours de la
lymphe est trop lent pour nous expliquer cette rapidité
•lies intoxications dont je vous parlais précédemment,
rapidité qui, ainsi que je vous l'ai démontré, est plus
grande encore que ce que pourrait faire penser l'appari-
tion des symptômes de l'empoisonnement.
On n'a jamais eu l'idée d'attribuer un rôle important
aux vaisseaux lymphatiques dans l'absorption des gaz
au niveau de la surface pulmonaire. Ici les veines sont
bien les vaisseaux essentiels à l'absorption et au trans-
port. Nous verrons qu'il en est de même pour les absorp-
tions qui se font dans les autres régions du corps.
SEIZIÈME LEÇON
SOMMAlliE : Étuile expériinentiilc de l'appareil de la circulation. - Du sys-
tème capillaire. — Rapports des vaisseaux lymphatiques avec les capillaires
sanguins. — Nerfs vaso-moteurs. — Par les capillaires sanguins, les
agents toxiques portent leur action sur les éléments des tissus.
1)0 l'absorption : absorption interne; absorption externe. — Des divers actes
(le l'absorption : elle comprend trois phases. — Nouvelles expériences pour
déterminer la durée relative de chacune de ces trois phases. — Expé-
riences sur l'absorption des gaz. — Expériences sur l'absorption du curare.
Messieurs,
Les vaisseaux lymphatiques communiquent-ils, à leur
origine, avec les vaisseaux sanguins? Celte question a
été longtemps controversée, et, aujourd'hui encore, elle
est l'objet des recherches constantes des analomistes.
Autrefois on n'hé.sitait pas à répondre affirmative-
ment, et l'on se rendait très-simplemenl compte de cette
communication. Les vaisseaux artériels, disait-on, au
niveau de leurs capillaires, se continuent en deux ordres
de vaisseaux : les uns, assez larges pour laisser passer
les globules rouges du sang, ne sont autre chose que les
capillaires veineux, les origines des veines; les autres,
infiniment plus minces, ne pouvant laisser passer les
globules rouges du sang, ne contiennent que du plasma
sanguin : ce sont les vaisseaux séreux ; ce sont les ori-
gines des lymphatiques. Mais, ajoutait-on, ces vaisseaux
étroits peuvent se dilater, dans l'inflammation par
exemple : ils admettent alors des globules rouges; ils
OUlGiNES DES LYMPHATIQUES. ,S45
deviennent de vrais vaisseaux à sang rouge, et c'est
ainsi que Ton s'expliquait la rougeur et la vascularisa-
tion inflammatoire.
Ce n'était là qu'une hypothèse qu'aucun fait anato-
mique, rigoureusement observé, ne venait démontrer.
Opendant, l'expérimentation physiologique n'était pas
contraire à cette hypothèse : au point de vue expéri-
mental, les choses se passent, en effet, absolument
comme si les lymphatiques communiquaient avec le sys-
tème artériel. Que l'on injecte du prussiate de potasse
dans le cœur, ou directement dans une artère, on re-
trouvera ce sel avec la même rapidité, c'est-à-dire au
bout de vingt à vingt -trois secondes, aussi bien dans les
lymphatiques que dans les veines de la région où se
distribue l'artère sur laquelle on a opéré. Avec l'iodure
de potassium, le même fait se constate et se produit
même avec plus de rapidité encore. Quels que soient les
résultats que donneront les recherches anatomiques,
nous pouvons considérer, au pointde vue des substances
chimiques en dissolution introduites dans le sang, le sys-
tème artériel comme se continuant à son extrémité pé-
riphérique, pour donner simultanément naissance aux
lymphatiques et aux veines.
A l'époque oiî je commençais mes études anatomi-
ques, la mode était aux injections par double décom-
position, c'est-à-dire que, pour faire des préparations
anatomiques des vaisseaux d'un tissu, on injectait suc-
cessivement ou simultanément, par deux vaisseaux diffé-
rents, deux substances en dissolution ; ces substances,
sur les points où elles se rencontrent, c'est-à-dire au
346 APPAREIL CIRCULATOIRE.
niveau des capillaires, subissent une double décompo-
sition, d'où résulte un précipité coloré qui remplit et
rend évidents les petits vaisseaux. C'est ce que l'on
obtient en injectant, par exemple, du prussiate ou du
cbromale de potasse d'une part, et un sel de fer ou
de plomb de l'autre : les petits vaisseaux sont alors
remplis de bleu de Prusse ou de cbromate de plomb.
Or, dans ce cas, on obtient une injection semblable et
des vaisseaux veineux et des vaisseaux lymphatiques.
Seulement, ces préparations ne sont pas ordinairement
transparentes et ne peuvent être étudiées que par la
lumière rétléchie.
Ces données, qui nous montrent qu'au point de vue
physiologique, c'est-à-dire au point de vue de la péné-
tration et du transport des substances, les vaisseaux
lymphatiques peuvent être considérés comme faisant
suite au système artériel aussi bien que les vaisseaux
veineux, ces données sont cependant insuffisantes à nous
éclairer sur le fait anatomique. Le passage des artérioles
aux lymphatiques est évident ; mais comment a-t-il lieu?
Se fait-il directement ou succède-t-il à une extravasa-
tion de la partie liquide du sang dans les lacunes inter-
organiques , dans lesquelles ce liquide serait ensuite
pompé par les radicules lymphatiques?
Celte dernière manière de voir paraît aujourd'hui
s'appuyer sur des faits anatomiques d'une grande valeur.
On a pu, en plusieurs régions, constater que les lympha-
tiques naissent directement par des ouvertures compa-
rables à ce qu'on désignait sous le nom de bouches ah-
■sorhanies. Sans invoquer les anciennes recherches de
ORIGINES DES LYMPHATIQUES. v347
Gruby et de Delafond sur les bouches absorbantes que
ces auteurs avaient cru observer au sommet des villosilés
intestinales, nous avons les recherches plus positives de
Recklingshausen sur les pores ou bouches béantes qui se
montrent sur les séreuses, notamment sur la lame péri-
tonéale de diaphragme, et qui sont le point de départ
de capillaires lymphatiques. Par ces ouvertures peuvent
pénétrer dans le système lymphatique des particules
solides, telles que les fines sphères graisseuses d'une
émulsion de graisse, des particules de vermillon et
d'autres matières colorées. Les recherches de M. Ran-
vier ont confirmé sur plusieurs points les résultats
oblenus par Rt^ckling.^hausen.
On pourrait donc être porté à admettre que les rap-
ports du système lymphatique et des mailles du tissu
cellulaire sont les mêmes que ceux que nous venons de
voir pour les cavités séieuses. Cette opinion est d'autant
plus probable, que tout tend à démontrer l'analogie la
plus complète entre les cavités séreuses et les mailles du
tissu conjonctif. Nous avons déjà dit qu'en injectant de
l'air ou de l'azote sous la peau du dos des lapins, nous
formions de véritables cavités séreuses. Nous nous pro-
posons d'étudier bientôt l'absorption sur ces surfaces
séreuses artificielles, afin de voir si nous confirmerons
ainsi les analogies que nous signalons. En un mot,
quelles que soient les probabilités, le fait anatomique
n'a pas encore reçu de solution péremploire. C'est là
une question qui est en ce moment l'objet d'études
sérieuses, nous nous garderons de la trancher d'une
façon ha.sardi'o.
MS
APPAREilL ClUCULATOIRE.
Mfiis, ainsi que je vous l'ai déjà fait comprendre,
quelle que soit la solution anatomique, elle ne changera
rien à nos idées relativement aux phénomènes physio-
logiques de Tabsorplion: il est bien établi par l'expéri-
mentation que la circulation veineuse et la circulation
lymphatique sont dans un rapport intime; que K's deux
systèmes communiquent ensemble et succèdent égale-
ment, et à peu près au même titre, au système artériel.
Ces rapports sont si intimes, que si la circulation vei-
neuse varie dans un sens, la circulation lymphatique
variera dans le sens opposé, et vice versa; en un mot,
les deux systèmes sont étroitement solidaires. Ainsi,
lorsque nous mettons à nu, sur un cheval par exemple,
un lymphatique et une veine provenant de la même
région, toutes les fois que nous gênerons le retour du
sang veineux, nous verrons augmenter le cours de la
lymphe ; dès que nous laisserons abondamment couler
le sang veineux, nous verrons diminuer la lymphe.
Il y a donc véritablement, au point de vue physiolo-
gique, deux circulations absorbantes ou centiipètes : la
circulation veineuse et la circulation lymphatique. Mais,
de plus, ces deux circulations sont dans un équilibre
sans cesse mobile : les liquides peuvent passer inces-
samment du sang dans les lymphatiques et des lympha-
tiques dans le sang, et nous verrons plus tard que les
systèmes nerveux vaso-moteur sanguin et vaso-moteur
bjmphatiqne ont une grande influence sur ces phéno-
mènes (1).
{\} Nous savons aujoiirJ'Iiui qtiil faut dislinguer deux espèces de nerfs
vasn-inotcurs : les uns vaso-constricteurs, les autres vaso-dUataleurs. Dans"
ABSORPTION PAR LES VEINES. 849
Les théories qui veulent douer l'un de ces systènries
à l'exclusion de l'autre du pouvoir absorbant se trouvent
en complet désaccord avec les faits. Mais si nous cher-
chons à trouver une diiïérence, non de degré absolu,
iiiaisde nature et de mode, entre cesdeux voies d'absorp-
tion, je crois que nous la trouverons plus facilement
en considérant les rapports du sang avec le milieu inté-
rieur et avec les liquides inlraorgauiques, c'est-à-dire
avec les sérosités répandues dans les mailles des tissus.
Les absorptions par lesquelles le sang puise ses élé-
ments, soit liquides, soit gazeux, dans le milieu exté-
rieur, ces absorptions sont essentiellement le fait des
vaisseaux veineux : c'est ainsi que sont introduits dans
l'organisme les gaz de la respiration, les matériaux de
la digestion. Par contre, les matériaux qui sont sortis
du sang, qui ont baigné les tissus, qui ont servi à la
nutrition des éléments anatomiques, les liquides inter-
stitiels, en un mot, qui sont l'objet de ce que nous pou-
vons appeler une absorption iiiterne, ceux-là sont puisés
parles lymphatiques et ramenés par eux dans le torrent
circulatoire. Les lymphatiques, à leur origine, forment
un réseau inlerorgamque continu; ils président, quelles
que soient, du reste, leurs dispositions anatomiques, aux
phénomènes par lesquels le liquide circulant sort des
capillaires sanguins, se met en contact avec les élé-
ments anatomiques, et enfin retourne faire partie de la
rempoisonnement par le curare, raction des nerfs vaso-dilatateurs persiste
souvent la deriiiire, CDmnie celle des nerfs oculo-pupillaires, dont il faut les
rapprocher sous divers r.ipports. Les ncrls vaso-constricteurs ont des carac-
tères opposé*. Nous étudierons avec soin ces phénomènes nerveux qui lèglent
la circulaliou capillaire sanguine et lytnpha.i(|ue, et que nous ne faisons que
-i^n.ilcr ici (voy. no:- leçons sur le Diabète.
35(> APPAREIL CIRCULATOIRE.
masse sanguine. A côté de la circulation proprement
dite du sang, nous avons donc à considérer une circu-
lation interstitielle ou lymphatifiue, qui se trouve en
rapport intime avec les phénomènes essentiels de la vie
propre à chaque élément analomique.
Je crois avoir, le premier, énoncé cette proposition,
que les actions toxiques médicamenteuses ou autres se
portent sur des éléments histologiques spéciaux et non
sur des tissus, des organes, ou sur des appareils, .l'ai
donné pour exemple l'action du curare sur les nerfs
moteurs, de l'oxyde de carbone sur les globules rouges
du sang, etc. (1). Celte idée s'est confirmée par beau-
coup d'observations nouvelles, et elle devient le point
fondamental de nos recherches actuelles. Il ne suftit
pas, en effet, qu'une substance active soit absorbée, il
faut qu'elle parvienne aux éléments sur lesquels elle est
capable d'exercer son action. Il pourra donc arriver des
cas où la substance, quoique absorbée, n'agira pas sur
l'organisme parce qu'elle ne sera pas parvenue à son
élément spécial. C'est là un premier fait que nous allons
établir devant vous en remontant ensuite graduellement
dans le cours du problème de l'absorption.
Parmi les substances solubles, exerçant une action
sur l'organisme, celles qui peuvent se dégager à l'état
de vapeur de leurs solutionssont beaucoup moins actives,
ou ne le sont môme pas du tout.tiuand on les fait
absorber par toute autre surface que la surface pulnio-
(1) Voyez mes Expériences sur le curare, 18ii {C. It. de rAciulémie des
sciences, t. XLUI, p. 825]. — Voyez mes leçons sur les Substances toxiques
et médicamenteuses. Paris, 1857, cl la Science expérimentale,. 2' éflition.
i878, p. 237.
ABSORPTION PAR LES VEINES. 351
iiaire. Toutes ces substances, dissoutes dans des liquides
injectés sous la peau, subissent le premier acte de l'ab-
sorption, c'esl-tà-dire qu'elles pénètrent dans les veines,
mais elles tendent à s'échapper du milieu intérieur dès
(ju'elles sont arrivées, avec le sang veineux, au niveau
de la surface pulmonaire. Pour l'alcool, pour les aiçents
aneslhésiques tels que l'éther et le chloroforme, il en
t'st ainsi, comme vous allez vous en convaincre. Voici,
par exemple, un lapin sous la peau duquel nous injec-
tons 2 centimètres cubes d'éther : l'animal n'en éprouve
aucun effet; nous pouvons facilement constater que l'air
qu'il expire exhale sensiblement l'odeur de l'éther. C'est
qu'en elïet, à la dose de "2 centimètres cubes, l'agent
anesthésique est éliminé à peu près complètement au
moment de son passage dans les capillaires pulmonaires,
ou bien il n'en est passé dans le sang artériel, qui est
porté dans les capillaires généraux, qu'une dose insuf-
fisante pour agir sur les éléments de tissus et notam-
ment sur ceux des centres nerveux. Si nous injectons,
au contraire, chez un autre lapin, une dose de 4 centi-
mètres cubes d'éther sous la peau du dos, vous voyez
l'animal ressentir bientôt tous les signes de l'anesthé-
sie; l élimination, dans ce cas, a été incomplète ou telle
que les vapeurs d'éther, saturant l'air des alvéoles pul-
monaires, ont été de nouveau puisées à ce niveau par le
sang artéi iel dans lequel, dès lors, elles se sont trouvées
en quantité suffisante pour arriver au niveau des capil-
laires des centres nerveux, se répandre au contact des
éléments analomiques, et nous révéler la production
de la dernière phase de l'absorption, en amenant la
35:2 APPAIIEIL ClRCUL.VrOIRK.
cessation tlos fonctions de ces éléments, c'jest-à-dire
l'anesthésie.
Vous comprenez combien cette distinction des deux
étapes de l'absorplion est importante à connaître, puisque
le fait de l'interposition d'une porte d'échnppement entre
ces deux actes peut supprimer le dernier, celui qui se
manifeste par les signes les plus sensibles. Et cette dis-
tinction est d'autant plus utile que l'efficacité de l'éli-
mination, dont nous venons de vous donner un exemple
au niveau de la surface pulmonaire, varie avec la dose
de sub>tance active soumise à la première phase de
l'absorption.
Nous pouvons reproduire des expériences du même
ordre avec de l'hydrogène sulfuré. Vous savez, par
exemple, que l'hydrogène sulfuré, quand on le respire,
est Irès-toxique, même à assez faible dose ; cependant
on peut boire des eaux sulfureuses sans éprouver aucun
effet d'empoisoimement. C'est que, dans ce dernier cas,
l'absorption par la surface intestinale est assez lente
pour que les faibles doses de gaz sullhydrique intro-
duites dans le sang veineux en soient totalement élimi-
nées au niveau des capillaires pulmonaires. Il en est de
même pour l'éther, le chloroforme. Absorbées directe-
ment en vapeur par le poumon, ces substances agissent
énergiquement ; absorbées par la surface intestinale,
elles sont éliminées par le poumon et restent sans effets
sur l'organisme. L'acide prussique serait sms doute
dans le même cas que les substances que nous venons
de citer.
Dans une leçon antérieure, je vous ai rendus témoins
INJECTIONS INTRAVEINEUSES. 353
de l'élirainalion de l'hydrogène sulfuré en vous montrant
que du papier à l'acélale de plomb noircissait dès qu'on
le plaçait humide dans le courant d'air expiré par un
lapin, sous la peau duquel nous avions injecté une faible
dose de solution d'hydrogène sulfuré.
Dans ce cas, le lapin n'était nullement empoisonné;
mais si la dose injeclée était plus considérable, nous
voyions, comme tantôt avec l'éther, la substance mani-
fester son action ; l'absorption par le tissu cellulaire était
très-rapide et portait dans le sang une quantité de gaz
toxique trop considérable pour que tout s'éliminât au
niveau du poumon.
Nous avons fait, dans un cas, l'expérience avec une
solution concentrée d'hydrogène sulfuré injecté sous la
peau ; mais nous avons aussi injecté l'acide sulfhydrique
à l'état de gaz, et nous avons obtenu des résultats ana-
logues.
En résumé, toutes les circonstances qui, pendant le
transport d'un agent toxique ou médicamenteux par le
torrent sanguin, peuvent amener l'élimination de cet
agent avant qu'il parvienne au niveau des capillaires
généraux, suppriment par ce fait même l'action qu'on
s'attendait à observer. Il y a encore plus : il ne suffît pas
que la substance arrive jusqu'aux capillaires du tissu
sur lequel elle doit porter son action, il faut encore
qu'elle sorte de ces capillaires pour aller baigner direc-
tement les éléments anatomiques dans le plasma lym-
phatique au milieu duquel ils vivent. Ce que nous
disons ici des poisons peut également s'appliquer aux
substances nécessaires à la vie. à l'oxygène par exemple,
CL. BERNARD. — Physiol. opéf. 23
.'$54 APPAREIL CIRCULATOIRE.
qui n'arrive pas directement aux éléments. Il semblerait
même que l'action directe de Toxygène est nuisible aux
éléments organiques, et que ceux-ci doivent être con-
stamment plongés dans un milieu chargé d'une forte
proportion d'acide carbonique. C'est ce que semblent
du moins montrer les analyses de la lymphe.
Quoi qu'il en soit, pour le moment, nous allons mettre
on évidence, par des expériences, les diverses phases de
l'absorption. En opérant avec le poison des nerfs mo-
teurs, avec le curare, il nous est facile de démontrer
qu'il y a, au point de vue de l'effet définitif, interne,
de l'absorption du poison, deux actes bien distincts,
deux absorptions : l'une par laquelle la substance en
expérience pénètre et est transportée dans le torrent
sanguin ; l'autre par laquelle cette même substance,
contenue dans le sang, sort des capillaires et agit sur
l'élément anatoinique..
Voici, par exemple, un lapin sous la patte duquel
nous injectons 3 centimètres cubes d'une dissolution de
curare à 2 pour 100, c'est-à-dire que nous déposons
sous la peau 6 centigrammes de curare; cette dose est
plus considérable qu'il ne faut pour produire la mort de
l'animal. Lorsque les premiers symptômes de l'empoi-
sonnement se manifestent, nous amputons rapidement
le membre qui a reçu l'injection. Au moment de cette
amputation, qui arrête toute nouvelle introduction du
poison dans le sang, les muscles de la respiration n'é-
taient pas encore paralysés; il semblait donc que l'ac-
tion toxique devait s'arrêter et que l'animal devait con-
tinuer à vivre. Point du tout ; vous voyez les symptômes
PHASES SUCCESSIVES DE l'aBSORPTIOX. 855
de l'empoisonnement se continuer, se généraliser de
plus en plus, la respiration devenir difficile, puis s'arrêter
et l'animal succomber.
C'est qu'en effet, au moment où nous supprimons
par l'amputation du membre l'entrée du poison, une
quantité considérable de curare avait déjà pénétré dans
le sang : de cette quantité, une partie seulement avait
agi sur les nerfs moteurs les plus sensibles à cette action,
respectant les nerfs de la respiration ; mais le reste a pu
encore venir, après l'amputation, agir sur ces derniers
nerfs. Nous avons donc, en amputant le membre, arrêté
la pénétration dans le sang, mais non la pénétration
dans les éléments anatomiques, du poison déjà contenu
dans le milieu intérieur. Des deux phases de l'absorption,
nous n'avons interrompu que la première, laissant lu
seconde se manifester dans toute son évidence et dans
toute son étendue.
Au lieu d'amputer le membre, nous pouvons, par une
ligature fortement serrée appliquée au niveau de sa
racine, supprimer également la source d'introduction
du poison dans le sang. Nous observons, dans ce cas, le
même phémomène.
Ainsi, d'après l'expérience qui précède, nous voyons
que la substance toxique n'agit qu'un certain temps
après avoir pénétré dans le sang. Nous voyons de plus
(ju'au moment où les premières atteintes du poison
apparaissent, il y en a déjà une dose mortelle qui a
pénétré dans le sang. Toutefois, ici encore, il faut pré-
ciser les expériences. Si la dose de poison est moins
forte, avec la même quantité de liquide, l'absorption de
356 APPAREIL CIRCULATOIRE.
la substance toxique sera proportionnellement dimi-
nuée, et, au moment où les premiers accidents toxiques
apparaîlrout, on pourra les arrêter parce que la quan-
tité de substance toxique absorbée ne sera pas suffi-
sante pour amener nécessairement la mort. Ce fait
sera mis en évidence par les expériences suivantes dans
lesquelles on a substitué la ligature du membre à l'am-
putation.
Sur ce lapin nous injectons, sous la patte postérieure,
une dose moindre de poison, 3 centimètres cubes d'une
solution de curare de i sur ^200 d'eau (soit i centi-
gramme 1/2 de poison). Dès que les symptômes se
manifestent, dès que l'animal, impuissant à se lenii
sur ses membres, va tomber sur le flanc, nous lions
fortement la cuisse à sa partie inférieure, de manière
-à y supprimer la circulation , et par suite toute nou-
velle entrée du poison dans le sang. Cependant l'em-
poisonnement continue encore : Tanimal tombe sur le
flanc ; mais, vu la dose plus faible de poison, la respira-
tion n'est pas atteinte ; il ne succombe pas.
Ainsi, rien de plus net que cette succession des deux
phénomènes de l'absorption : l'un par lequel le sang
puise le poison introduit dans le tissu cellulaire; l'autre
par lequel les éléments anatomiques puisent le poison
dans le sang.
Pour ce second acte, il faut que le poison arrive au
niveau des capillaires et que de ceux-ci il pénètre dans le
liquide interstitiel qui baigne immédiatement les élé-
ments anatomiques. Voici un autre fait qui semble bien
démontrer la nécessité de cette extravasation ou trans-
PHASES SUCCESSIVES DE l' ABSORPTION. 357
sudation, pour que cette seconde phase de l'absorption se
produise : il suffit d'ouvrir largement la veine qui vient
d'un muscle, et de laisser couler le sang veineux : si
alors on injecte du curare dans un rameau collatéral de
l'artère de ce muscle, on n'observe pas, ou très-lente-
ment, l'empoisonnement local du muscle, dont les vais-
seaux charrient cependant du sang intoxiqué. C'est que
l'ouverture de la veine et l'écoulement du sang ont sup-
primé la pression rétrograde et collatérale qui était
nécessaire à l'exsudation du plasma, et par suite à la
mise en contact du poison avec l'élément de tissu. Mais
dès que nous comprimons la veine, nous voyons l'em-
poisonnement se manifester, parce que les conditions
mécaniques dont je viens de vous montrer l'importance
ont été rétablies.
Ce que nous venons de signaler ici pour l'ouverture
d'une veine est ce qui se produit, jusqu'à un certain
point, lors de l'absorption des liquides qui se réduisent
facilement en vapeur. On pourrait dire que le liquide
toxique se divise en deux parties : une qui passe son
chemin ou s'exhale, l'autre qui pénètre dans l'élément.
Suivant la dose du poison, suivant les conditions de
pression sanguine, les deux quantités de substances
changent de rapports et amènent conséquemment des
effets différents.
Vous voyez ainsi qu'il ne faut pas confondre le fait de
pénétration dans le sang avec celui de l'empoisonne-
ment proprement dit. Vous voyez de plus que, dans
l'étude des phénomènes de l'organisme vivant, rien ne
doit être négligé : il n'y a pas de conditions d'impor-
:i58 APPAREIL CIKCLLATOIRE.
tance miiiiine ; toutes ont une influence dont il faut
savoir tenir exactement coin|ite.Que de variétés, que de
résullals divers, en apparence capricieux, nous a pré-
sentés, il y a un instant, ce seul exemple d'une injection
de curare, selon les circonstances diverses où elle est
pratiquée! Mais l'analyse exacte des faits nous montre
que ces manifestations n"ont rien de \ariable, ni de
capricieux; que tout dépend de conditions délicates
à déterminer, il est vrai, mais toujours dans un rap-
port exact, fatal, immuable, avec les résultats obtenus.
Comme les lois des phénomènes physiques, celles des
phénomènes de la vie sont exactement déterminables ;
mais les conditions sont infiniment plus délicates à
préciser.
Revenons à notre lapin. Nous avions fortement lié son
membre postérieur dès les premiers symptômes de l'em-
poisonnement curarique ; cependant cet empoisonne-
ment, malgré l'obstacle mis à toute nouvelle introduc-
tion d'agent toxique dans le sang, cet empoisonnement
a continué ta augmenter un peu : Tanimal est tombé sur
le flanc. C'est que le curare contenu dans la masse san-
guine arrivait de plus en plus au contact des éléments
anatomiques, des extrémités périphériques des nerfs
moteurs. Mais cette action est bientôt arrivée à son
summum, qui n'est pas allé jusqu'à paralyser les muscles
de la respiration. Aussi l'animal a-t-il pu éliminer len-
tement le poison; et, tandis que je vous exposais d'autres
expériences et les réflexions générales qu'elles doivent
nous inspirer, l'animal revenait complètement à lui.
Vous voyez maintenant ce lapin présenter tout à fait
PHASES SUCCESSIVES DE l'aBSORPTION. 359
Taspect normal : il a recouvré ses mouveaients volon-
taires, il circule spontanément sur la table. Mais il porte
dans son membre postérieur une source de poison dont
nous n'avons fait qu'arrêler l'introduction dans le sang :
enlevons maintenant l'obstacle que nous avions opposé
à cette première phase de la série des actes de l'absorp-
tion, délions la ligature.
Vous voyez bientôt l'empoisonnement se reproduire
et les mouvements volontaires disparaître d'autant plus
vite que nous attendons moins.
Si au lieu de délier la ligature en ce moment, pour
voir encore se reproduire les phénomènes d'empoison-
nement, nous la laissionsjusqu'à demain, qu'arriverait-il
alors? Nous avons fait souvent cette expérience dans le
laboratoire, et nous avons observé que, si on laisse la
ligature pendant vingt-quatre heures, l'empoisonnement
ne se reproduit souvent plus au bout de ce temps, quand
on enlève les liens. Qu'est-il donc arrivé dans ce laps
de temps? Le poison introduit sous la patte s'y est-il
altéré? s'y est-il détruit? Gula n'est pas probable : il a
sans doute été absorbé, introduit dans le sang, mais
d'une manière très-lente, et transporté dans l'organisme
par un reste de circulation que notre ligature n'avait
peut-être point arrêtée, par la circulation de la moelle
des os, sans doute.
Cette absorption a dû être si lente, que jamais le poi-
son ne s'est trouvé dans l'organisme en quantité suffi-
sante pour manifester sa présence ; étant éliminé au
fur et à mesure, il n'a pu s'accumuler jusqu'au degré
nécessaire pour agir sur aucune extrémité nerveuse.
360 APPAREIL ClRCULATOlRe.
Quand on laisse la ligature pendant vingt-quatre ou
trente-six heures, i! ne faut pas trop [serrer, parce
qu'alors il y a sphacèle du membre, et dans ce cas les
conditions d'absorption sont nécessairement changées.
C'est pourquoi nous faisons construire en ce moment
un petit appareil pour serrer graduellement le membre,
de manière à graduer également l'absorption et à régler
les effets des substances toxiques et médicamenteuses.
Voici un autre lapin. Nous injectons sous la patte
postérieure 2 centimètres cubes d'une solution de curare
à 2 pour 100, c'est-à-dire que nous injectons 4 centi-
grammes de curare. A peine les premiers symptômes se
manifestent-ils, qu'une forte ligature est appliquée sur
la cuisse; après avoir légèrement augmenté, les signes
de l'empoisonnement se dissipent : voici l'animal revenu
à lui. Nous ouvrons de nouveau la porte au poison ,
c'est-à-dire que nous erdevons la ligature, et les choses
se passent comme précédemment, mais avec plus de
rapidité, la dose injectée étant double. Aussi faut-il nous
hâter d'appliquer les liens pour arrêter encore une fois
l'intoxication ; nous éprouvons un léger retard dans
l'application de ces liens, ce retard peut être fatal
à l'animal. Vous voyez, en effet, que Fextension de la
paralysie, telle que nous l'observons toujours quelques
instants après l'application de la ligature, va cette fois
jusqu'à frapper les muscles du thorax : la respiration
s'arrête; nous ne sommes pas en mesure de pratiquer
immédiatement la respiration artificielle ; l'animal suc-
combe.
Vous voyez qu'il faut tenir compte des moindres
ABSORPTION DES GAZ. 361
variations dans les données de l'expérience. Nous avons
encore à perfectionner, dans ce sens, quelques parties
de notre instrumentation. Il nous faudra, comme je vous
l'ai dit, réaliser un mode de ligature sufCsamment
rapide pour interrompre d'une manière instantanée
toute communication entre l'organisme entier et le
membre qui a reçu l'injection. D'autre part, nous aurons
à reproduire les mêmes expériences en injectant le
poison, non plus dans le tissu cellulaire, mais directe-
ment dans le sang, dans les veines. Enfin, le choix du
poison avec lequel on agit ne saurait être indifférent : le
curare paralyse les vaso-moteurs, comme il paralyse les
nerfs moteurs ordinaires; il agit donc sur la circula-
tion au niveau des petits vaisseaux ; de telle sorte qu'il
peut modifier les deux phases extrêmes du phénomène
d'absorption, c'est-à-dire le passage de la substance
toxique dans le sang et sa pénétration au niveau des
éléments des tissus.
L'absorption s'exerce sui' trois ordres de substances :
les gaz, les liquides et les solides.
Vous avez vu comment nous injectons les gaz sous la
peau. A cet effet, nous nous servons, comme pour toutes
les injections gazeuses dont vous avez été témoins, d'une
petite pompe dite pompe de Gay-Lussac (fig. 97). Elle
communique d'une part, soit avec une vessie, soit avec
la partie supérieure d'une cloche à robinet renversée
sur Teau et contenant le gaz toxique, et d'autre part
avec un tube de caoutchouc (D) dont l'extrémilé libre
est munie d'une canule (E) à pointe tranchante, destinée
à être introduite sous la peau de l'animal. Par les
862 APPAREIL CIRCULATOIRE.
iiiouveiiients alternatifs du piston, nous puisons le ga/
toxique dans la cloche et le faisons pénétrer sous la
peau de l'animal, d'où nous pouvons le retirer apré^
un certain temps par un mécanisme d'aspiration à l'aide
du même appareil.
L'étude de l'absorption des gaz injectés sous la peau
ABSORPTION DES GAZ. 363
nous il montré que la nature du gaz influait puissamment
sur la rapidité avec laquelle disparaissait la masse gazeuse
répandue dans le tissu cellulaire ; mais nous avons vu
en même temps que la plus ou moins grande solubilité
du gaz n'était pas la seule condition qui dût, sous ce
rapport, entrer en ligne de compte. Si l'hydrogène sul-
furé et l'acide carbonique sont très-vile absorbés dans
les mailles du tissu cellulaire, ce fait peut facilement
s'expliquer par la grande solubilité de ces gaz, qui se
dissolvent dans le sang des capillaires avec lesquels ils
sont en contact. Si l'azote, par contre, résiste longtemps
à l'absorption, nous pouvons invoquer comme explica-
tion le peu de solubilité de ce gaz. Mais pour l'oxygène,
nous observons une absorption trop rapide pour que le
degré de solubilité suffise à nous en donner l'explica-
tion : cela tient, nous le savons aujourd'hui, à ce qu'il
nesagilpas ici seulement d'une simple solution de ce
gaz dans le liquide du sang, mais encore et surtout
d'une véritable combinaison avec les éléments figurés
du sang, avec les globules rouges : un phénomène par-
ticidier d'affinité nous rend compte de ce que ne pouvait
nous expliquer la solubilité seule.
Mais en expérimentant avec l'hydrogène, nous nous
sommes trouvés en face de phénomènes imprévus : ce
gaz que les chimistes considèrent avec juste raison
comme un des plus diffusibles; ce gaz qu'il est si diffi-
cile d'enfermer dans des ballons, dans des poches
membraneuses, s'est au contraire conservé très-long-
temps dans les mailles du tissu cellulaire; et lorsqu'il a
disparu, la masse gazeuse qu'il formait primitivement
364 APPAREIL CIRCULATOIRK.
subsistait encore en grande partie sous la peau des
animaux mis en expérience. En poursuivant, en effet,
dans le laboratoire les recherches que nous avions com-
mencées ici sous vos yeux, dans nos leçons expérimen-
tales, nous avons constaté qu'au bout de quatre jours
le volume d'hydrogène injecté sous la peau d'un lapin
avait été remplacé par un volume presque égal d'azote.
Ce phénomène parliculier de diffusion est très-remar-
quable. Où était allé l'hydrogène? D'où était venu
l'azote ? Ce sont là des questions que nous chercherons
à résoudre, mais que nous ne pouvons que poser pour
le moment.
L'étude de l'absorption des liquides nous a présenté
deux cas bien distincts. D'abord l'absorption des
liquides susceptibles de se transformer facilement en
vapeur (éther, chloroforme), ou contenant leur prin-
cipe actif sous la forme de gaz en solution, nous a per-
mis de constater comment ces substances actives peuvent
sortir de l'organisme, au niveau de la surface pulmo-
naire, après avoir été transportées par le courant vei-
neux, sans entrer dans le sang artériel en quantité suffi-
sante pour aller agir sur les éléments des tissus. Nous
avons déjà particulièrement insisté sur ces questions
intéressantes dans le cours de cette leçon.
Les autres liquides, les liquides proprement dits,
nous ont fourni l'occasion de discuter l'importance rela-
tive du système veineux et du système lymphatique dans
l'absorption. Nous avons été amené à accorder aux
veines un rôle sinon exclusif, du moins très-prépon-
dérant.
ABSOUPTION DES LIQUIDES. 365
Nous avons vu que certaines substances salines mé-
talliques, injectées dans le tissu cellulaire, s'y fixent et
semblent ne pas être absorbées. Tels sont les sels de fer.
Si nous injectons, par exemple, du lactate de fer sous
la peau, nous constatons que le lendemain il est encore
à la place où nous l'avions déposé; car en touchant le
lieu de l'injection avec une baguette de verre trempée
dans le prussiate de potasse, et en rendant la réaction
légèrement acide, nous voyons aussitôt apparaître la
couleur du bleu de Prusse. Si nous injectons, dans le
tissu cellulaire d'une région éloignée , du prussiate
de potasse sous la peau, nous voyons la combinaison
du bleu de Prusse se faire dans le point où le fer a été
déposé, mais non au lieu d'injection du prussiate. Nous
avons constaté encore que certaines substances dissoutes,
appartenant à la classe des ferments solubles, présentent
des particularités intéressantes dans leur absorption.
En injectant séparément dans des points distincts de
l'émulsine et de l'amygdaline dans le tissu cellulaire
sous-cutané, la réaction des deux substances n'a pas été
apparente en donnant naissance à de l'acide prussique,
comme cela a lieu dans le sang; mais de l'émulsine pa-
raissait se retrouver dans le foie, comme si certaines
substances organiques de cet ordre étaient capables de
s'emmagasiner dans le foie à la façon des substances
métalliques. Quant aux substances solides, nous vou-
lons parler seulement des solides divisés en particules
très -Unes, nous ne nous sommes pas arrêté longuement
à l'étude de leur absorption; pour ces corps, il y a
non pas absorption proprement dite, mais pénétration
Sidio APPAREIL CIHCULATOIRK.
mécanique, plus ou moins lente, selon des conditions
difficiles à préciser.
Mais de nos études sur l'absorption il est résulté ce
fait général et de première importance en physiologie
expérimentale, à savoir, qu'il ne suffît pas, pour qu'une
substance manifeste son action sur l'organisme, qu'elle
ait pénétré dans le sang; il faut encore qu'elle ail été
portée par celui-ci aux capillaires des tissus, et enfin
qu'elle soit arrivée au contact immédiat des éléments
anatomiques sur lesquels elle manifeste son action.
Il y a donc trois actes qui se passent depuis le mo-
ment où une substance est déposée par exemple sous la
peau, jusqu'à celui où elle manifeste sa présence par
des troubles généraux; ces trois actes sont : 1" la péné-
tration dans le sang des capillaires avec lesquels le con-
tact est établi; 2° le transpoit par le sang de la sub-
stance absorbée; >\" enfin, l'exsudation ou la pénétration
de la substance au niveau des capillaires généraux. En
termes plus physiologiques et plus précis, nous avons
pu nommer ces trois actes par les désignations sui-
vantes : absorption externe ; transport ; absorption
interne.
Nous voudrions aujourd'hui , après avoir bien fixé
dans nos expériences précédentes la réalité et l'indépen-
dance de chacun de ces actes, en apprécier la durée
relative .
Déjà des faits de connaissance presque vulgaire nous
njontrent que certaines circonstances peuvent inodifiei"
ces durées : ainsi nous savons que le curare n'atteint pas
l'animal aussitôt qu'il a été pris : il faut le plus souvent
DURÉE RELATIVE DES PHASES DE L ABSORPTION. 867
près de quatre mitmles pour que la paralysie se pro-
duise et que l'animal succombe. Mais certaines condi-
tions peuvent raccourcir cet espace de temps : ainsi nous
possédons des récits de chasse qui nous montrent que
les animaux d'une cerlaine taille, les sangliers par
exemple, succombent d'autant plus vite que leur bles-
sure a excité en eux un état prononcé de fureur. C'est
que dans ce cas la circulation est devenue chez eux plus
active et plus précipitée, et que par suite la durée totale
des trois phases de l'absorption a été considérablement
restreinte par la diminution de l'une d'elles, par la dimi-
nution de la durée de la phase intermédiaire ou de
transport; de plus, le poison absorbé sur la flèche est
absorbé à l'état de concentration aussi grande que pos-
sible, ce qui accélère l'empoisonnement, parce que la
quantité maximum du poison dissous est directement
introduite.
Occupons-nous d'abord de la première phase que nous
avons désignée sous le nom d'absorption externe : c'est
elle qui prend le plus de temps, ou dont la durée égale
au moins celle des deux phases suivantes : il nous sera
facile de le démontrer.
Vous avez vu comment nous pouvions, en liant forte-
ment la cuisse d'un lapin qui avait reçu une injection
de curare sous la patte correspondante, arrêter les phé-
nomènes d'empoisonnement, en mettant obstacle au
transport de l'agent toxique par le courant sanguin.
-Nous avons modifié l'expérience de la manière sui-
vante, pour répondre au problème spécial que nous
avons en vue.
368 APPAREIL CIRCULATOIRE.
Voici un lapin dont la cuisse a été liée très-fortement
il y a trois quarts d'heure; aussitôt après une soluliou
de curare a été introduite sous la peau de la patte cor-
respondante (3 centimètres cubes d'une dissolution à
4 pour 100). La ligature ayant été placée avant l'injec-
tion, nous avions opposé une barrière à tout phéno-
mène de transport dans l'organisme général. Depuis
trois quarts d'heure il n'a pu se produire que la péné-
tration dans le sang de la patte isolée de fait du reste de
l'animal. Nous enlevons à l'instant la ligature et nous
observons le temps qui s'écoule jusqu'à ce que se mani-
festent les symptômes de l'empoisonnement. Lorsque
l'on fait cette observation sur un animal dont le mem-
bre n'a reçu aucune ligature, il s'écoule quatre mi-
nutes entre le moment où l'injection est déposée sous la
peau de la palte et celui où la paralysie se manifeste :
ces quatre minutes représentent le temps nécessaire à
Fabsorption externe, au transport et à l'absorption in-
terne; mais dans le cas actuel, l'absorption externe est
déjà effectuée en partie; lorsque nous enlevons le lien, il
n'y a presque plus à compter qu'avec le transport et
l'absorption interne pour voir se produire les signes de
paralysie ; nous aurons donc moins à attendre que pré-
cédemment, et la différence de temps nous indiquera à
peu près la durée qui doit être attribuée à la phase que
nous avons supprimée ici , c'est-à-dire à l'absorption
externe. Cette expérience démontre donc qu'en l'absence
de la circulation, le liquide toxique s'est infiltré dans le
tissu cellulaire et a pénétré dans les vaisseaux capillaires
par imbibition. C'est donc un fait qui vient à l'appui
DURÉE DE l'absorption EXTERNE. 369
de ridée de Magendie que l'absorption se fait par imbi-
bition. Vous le voyez, en effet, messieurs, l'animal est
bien vile pris; ses muscles se paralysent; il y a à peine
deux minutes que la ligature a été enlevée. Ainsi, dans
la durée de quatre minutes que demande l'ensemble
des trois phases de l'absorption pour le cas particulier
du curare, deux minutes sont consacrées au transport
et à l'absorption interne; un égal espace de temps,
c'est-à-dire deux minutes, est donc nécessaire au seul
acte de l'absorption externe : cette première phase
dure à elle seule aussi longtemps que les deux sui-
vantes.
Il nous reste à cherchera distinguer la durée relative
de ces deux dernières.
Nous pouvons aborder directement l'étude de la du-
lée du transport par le sang : cette recherche a été
faite par plusieurs physiologistes qui ont déterminé la
durée totale d'un double cercle circulatoire, la ra'indit('
de la circulation^ ou, pour le dire plus nettement, le
temps que met une substance introduite dans le bout
central d'une veine pour arriver au cœur droit, traverser
le poumon, et, du cœur gauche, parcourir les artères,
les capillaires et revenir par le bout périphérique de la
veine mise en expérience. Cette durée est très-courte,
plus courte qu'on ne pourrait le concevoir à priori, puis-
([u'elle se compte non pas par minutes, mais par se-
condes et n'a jamais été trouvée supérieure à vingt-cinq
ou trente secondes. Elle dépend du reste de la taille de
l'animal, c'est-à-dire du chemin à parcourir; et il est
('■viilent qu'elle doit être infiniment plus courte chez un
CL. BERNARD. — Phj'Siol. Opéf. 24
370 APPAREIL CIRCULATOIRE.
animal de petite taille, chez un rat, par exemple, que
chez un quadrupède relativement énorme, comme le
cheval ou l'éléphant.
Pour agir dans des circonstances bien déterminées,
nous prenons ici un chien dont la taille est de i mètre
depuis l'extrémité du museau jusqu'à la racine de la
queue. Nous découvrons largement la veine jugulaire
du côté gauche et nous plaçons une pince à pression
continue sur la partie supérieure de cette veine; après
avoir exprimé vers le cœur le sang qui remplit la partie
inférieure de la veine, nous plaçons une seconde pince
à pression à environ un décimètre au-dessous de la pre-
mière (flg. 98). Nous avons donc ainsi un segment de
veine entièrement vide et compris entre deux ligatures
très-faciles à enlever, puisqu'elles ne sont dues qu'à la
pression de nos pinces. Dans cette portion de veine,
nous injectons 2 centimètres et demi d'eau contenant
en dissolution 1 gramme de prussiate de potasse. La
piqûre de la canule à injection a été faite très-obli-
quement dans la paroi de la veine, et la canule une fois
enlevée, le vaisseau demeure plein et distendu par l'in-
jection, dont il ne laisse rien écouler.
Nous découvrons alors la jugulaire du côté opposé et
nous faisons à ce vaisseau une légère incision par la-
(juelle s'écoule d'une façon continue un mince filet de
sang (fig. 98). Quelques grammes de ce sang sont
recueillis, soumis à une rapide coction avec du char-
bon, et dans le liquide incolore que nous obtenons après
filtration nous ajoutons quelques gouttes d'un sel de
fer : le liquide demeure incolore. Le sang ne renferme
RAPIDITÉ DE LA CIRCULATION. 371
pas de prussiate de potasse, dont les moindres traces
nous auraient donné la coloration si caractéristique du
bleu de Prusse.
Maintenant, nous allons enlever la pince à pression,
qui, placée sur la partie inférieure de la jugulaire gau-
che, empêche le prussiate de potasse de pénétrer dans le
torrent circulatoire. Un métronome battant la seconde
nous sert à mesurer le temps. Nous présentons succes-
sivement à la veine jugulaire droite des verres destinés
à recueiUir le sang qui s'en écoule; l'un y est placé
7 secondes, l'autre 14 secondes, le troisième 24 secondes
après l'ablation de la pince. Dans le premier verre, qui
contient le sang recueilli au bout de 7 secondes, nous
voyons déjà se former au contact d'un sel de fer la cou-
leur bleue caractéristique.
Ainsi, au bout de 7 secondes après son entrée dans
le bout central de la jugulaire gauche, le prussiate de
potasse avait déjà fait le tour complet des cercles de la
grande et de la petite circulation pour revenir par la
veine jugulaire du côté droit. Pour le prussiate de po-
tasse, le phénomène de transport demande donc moins
de 7 secondes; car, pour arriver aux capillaires géné-
raux, le trajet à parcourir est moins long de toute la
distance qui sépare ces capillaires des gros troncs vei-
neux ramenant le sang vers le cœur. D'ailleurs, ce
chiffre de 7 secondes n'est pas même un minimum
pour la durée d'un trajet circulatoire complet.
Nous allons maintenant sur ce même animal répéter
la même expérience, mais avec une substance toxique,
et nous chercherons à constater, non plus l'apparition
872 APPAREIL CIRCULATOIRE.
cle cette substance clans le sang veineux revenant des
capillaires généraux, mais l'apparition des symptômes
d'empoisonnement.
-c^
l'iti. 98. — Iiistallalion de l'expérience pour déterminer la diirdi.' l'cliilive
des trois actes de l'absorption.
Nous introduisons dans le segment veineux gauche,
isolé entre deux pinces, 1 centigramme de strychnine en
solution dans 2 centimètres cubes d'eau : puis enlevant
la pince inférieure, nous comptons les secondes que
trappe le métronome jusqu'à ce que l'empoisonnement
se manifeste. Après?, après 10, après 15 secondes rien
DLRÉE DE l'absorption INTERNE. 873
encore. Mais voici une première secousse et puis un
létauos général : il s'est écoulé 21 secondes.
Nous avons déjà fait cette expérience dans le labora-
toire : sur un chien de même taille, elle nous a donné
exactement le môme résultat pour la même sub-
stance (1).
Or l'expérience avec le ferrocyanure vient d'assigner
moins de 7 secondes comme durée des phénomènes de
transport; nous pouvons donc dire que, dans ce cas, la
dernière phase de l'absorption, c'est-à-dire l'absorption
interne, a mis à se produire environ 14 secondes. L'acte
de transport, qu'on aurait 'été tenté à priori de consi-
dérer comme le plus long, est donc celui qui demande
Je moins de temps.
(1) Le temps pourrait un peu différer selon les substances. On comprend.
j>ar exemple, que des substances qui agissent directement sur les globules
'lu sang doivent manifester leurs effets plus rapidement, parce qu'elles n'ont
pas à pénétrer jusqu'aux éléments de tissus plus ou moins profondément
•situés.
DIX-SEPTIÈME LEÇON
Sommaire : Expériences sur l'appareil de la circulation. — De l'origine des^
veines. — Circulation dite dérivative.
Cœurs périphériques veineux et lymphatiques. — Influence du système
nerveux et des poisons sur ces cœurs. — Exsudation de la lymphe. —
Influence du cur.are sur ce phénomène. — Diapédèse des globules blancs.
Des diverses espèces de sangs. — Des diverses espèces de sang veineux. —
Importance de leur étude comparée.
Messieurs,
Au premier abord, la question de l'oris^ine des veines
est de la plus grande simplicité ; les capillaires font suite
aux artérioles, et les veines font suite aux capillaires.
Mais au point de vue physiologique, vu la différence des
phénomènes qui se passent dans chacun de ces systèmes,
il y a lieu de se demander s'il n'existe pas un point pré-
cis où commence l'un et finit l'autre.
Cette question paraissait inutile et était résolue par
la négative, à l'époque où l'on ne voyait dans les vais-
seaux que des tubes inertes, que de simples, canaux de
conduite incapables d'exercer aucune action, même
mécanique, sur leur contenu. Aujourd'hui que nous
connaissons le rôle actif des vaisseaux, et surtout des
petits vaisseaux si riches en éléments contractiles, on
est parvenu à observer des caractères qui précisent
exactement chaque limite des diverses parties du sys-
ORIGINES DES VEINES. 375
tème circulatoire à sang rouge. Je vous ai montré pré-
cédemment que chez les animaux intérieurs, rien n'est
plus net que ces limites, puisque chez eux le système
veineux est représenté par un appareil lacunaire dans
lequel viennent se déverser cà plein canal les terminai-
sons artérielles. Nous avons môme vu que ces terminai-
sons, d'après les recherches de M. de Quatrefagessur
les némertes, et de M. Gerbe sur les phyllosomes,
étaient pourvues de véritables sphincters capables de
présider à la plus ou moins grande intensité du déver-
sement artériel dans le système lacunaire ou veineux.
En partant de ce fait, nous pourrions donc considérer
le système veineux comme représenté, dans son type le
plus simple, par un système lacunaire. C'est là en effet la
conclusion à laquelle nous amènent les travaux les plus
récents des histologistes. M. Ranvier, observant le mode
selon lequel les capillaires artériels viennent se conti-
nuer avec les veines, a démontré (i) que ces dernières
commencent par de véritables ampoules, des bulbes
dilatables et à formes variqueuses, tandis que les capil-
laires artériels qui s'y unissent conservent jusque dans
ce point leur calibre étroit, mais régulier et à bords
parallèles. Les origines des veines sont donc comme des
lacunes, ou tout au moins des réservoirs relativement
considérables dans lesquels, par un point précis d'abou-
chement, très-facile à constater sur de bonnes prépara-
tions injectées, viennent se déverser de fines ramifica-
tions de l'arbre artériel.
{[) Voyez I.. Ranvier, Du développement et de l'accroissement des vaisseaux
sanguins (Arcliiv. de plujsiol., 187i, p, 429, pi. xviii etxixi.
876 APPAREIL CIRCULATOIRE.
Mais ce n'est pas tout. Il y a entre le système artéi'iel
et le système veineux des communications autres (jue
celles établies par les capillaires; dans ces cas il y a
continuation directe des artères dans les veines par des
vaisseaux d'un calibre relativement considérable, sur-
tout si on le compare au calibre des capillaires vrais,
.l'ai autrefois insisté sur une disposition de ce genre qui
se constate au niveau du foie, disposition grâce à
laquelle la veine porte peut communiquer directement
avec la veine cave inférieure, sans l'intermédiaire des
capillaires du lobe hépatique et des fines origines de la
veine sus-hépatique. Cette communication est on ne
peut plus facile à constater, même sans le secours d'au-
cun instrument grossissant. Elle existe également dans
d'autres viscères, mais d'une manière moins évidente.
Elle a été signalée parVirchow dans le parenchyme rénal.
D'autre part, les recherches de AI. Sucquet {De la circu-
lation dêrivative, 1868) ont montré que des communica-
tions semblables se trouvaient chez l'homme dans les
téguments de la face, des mains, des pieds, au niveau
des articulations du genou, du coude, etc. C'est à l'en-
semble des vaisseaux constituant ces communications
directes qu'il a donné le nom de circulation dérivative,
indiquant ainsi que ces canaux pouvaient détourner
une plus ou moins grande quantité de sang du réseau
capillaire, c'est-à-dire de \di circulation fonctionnelle. Il
est probable que ces deux ordres de circulation existent
partout, dans tous les organes, dans tous les tissus.
Revenons à la circulation du sang dans les vaisseaux
capillaires, et examinons tout d'abord les causes qui
CIRCULATION VEINEUSE. 377
produisent, d'une manière générale, le passage des
canaux artériels dans les canaux veineux.
Trois causes président au passage du sang du système
artériel dans le système veineux, ou au moins favo-
risent ce passage. Nous avons d'abord l'action du cœur;
cette action est indispensable à la circulation, et il serait
inutile d'insister ici sur le rôle de la contraction des
ventricules. Mais il faut cependant remarquer qu'une
autre cause, dont il faut chercher l'origine dans les
propriétés des artères, agit encore pour chasser le sang
vers les capillaires. Sans insister ici sur l'analyse de ces
actes initiaux de la circulation, je reproduirai devant
vous une expéiience de Magendie, qui met dans toute
son évidence l'influence à laquelle je fais allusion. Voici
l'artère crurale d'un chien, tout à fait isolée, ainsi que
la veine correspondante, par l'opération qui a consisté
à sectionner toutes les autres parties du membre. Cette
artère ainsi mise à nu, vous la voyez pleine de sang,
c'est-à-dire cylindrique. Nous la comprimons eu un
point, c'est-à-dire que nous interceptons toute commu-
nication entre le cœur et la partie du vaisseau située
au-dessous du lieu delà compression; cependant vous
voyez cette partie inférieure diminuer de volume ; elle
se vide et bientôt se réduit à la forme aplatie. Le sang
a continué à progresser du système artériel dans le sys-
tème veineux, quoique l'impulsion cardiaque fût pour
le moment complètement supprimée.
Vous voyez donc qu'il faut tenir compte, outre l'im-
pulsion cardiaque, des propriétés des vaisseaux. Sans
doute la force impulsive du cœur se fait sentir très-loin,
378 APPAREIL CIRCULATOIRE.
jusque clans les veines : c'est ce qu'on a désigné sous le
nom de vis à tergo. En effet, si, dans l'expérience pré-
cédente, nous ouvrons la veine crurale pendant que
l'artère correspondante est comprimée, nous voyons
que le sang veineux ne coule que peu ou pas, parce
que le retrait des parois artérielles est suffisant pour
faire passer le sang jusque dans la veine, mais insuffi-
sant pour l'en taire couler. Mais dès que nous cessons
la compression, l'hémorrhagie veineuse devient aboii-
dante, et elle est alors l'expression exacte de l'intensité
de la force cardiaque transmise à travers les capillaires,
de la vis à tergo en un mot.
Toutes ces expériences, si simples, mais si démonstra-
tives, sont dues à Magendie, mon maître. Mais ce grand
expérimentateur n'avait pas connu une des plus impor-
tantes propriétés de la paroi des petites artères, leur
contractilité, soumise à l'influence des nerfs vaso-mo-
teurs. C'est ainsi que toutes ces variations qu'on peut
produire d'une manière si tranchée dans le cours du
sang par la compression de l'artère, les vaisseaux eux-
mêmes peuvent les amener par la seule entrée en jeu
de leurs éléments contractiles. Ils peuvent alors obturer,
aussi bien que le faisait la compression expérimentale
artificielle, ils peuvent obturer le calibre vasculaire au
point d'amener l'anémie des artérioles et des capil-
laires et de supprimer en réalité la vis à tergo dans le
système veineux. Cette contraction a lieu, comme je
l'ai montré, sous l'influence des nerfs qui se distribuent
aux parois artérielles et que nous désignons par le nom
de nerfs vaso-moteurs.
NERFS VASO-MOTEURS. 379
Mais s'il est aujourd'hui important de tenir compte
de la contraction des vaisseaux, il est non moins indis-
pensable d'étudier les effets de la paralysie de ces parois
contractiles ; ici le système nerveux agit en cessant
d'intervenir, la tonicité du muscle artériel est suppri-
mée comme par une section expérimentale, et les vais-
seaux se laissent distendre en donnant passage à une
quantité bien plus considérable de sang. Cette paralysie
est un procédé physiologique de l'organisme, et les nerfs
vaso-moteurs agissent aussi bien et plus encore par la
suppression de leur action que par leur influence exci-
tante de la contractilité vasculaire.
Ces phénomènes sont si importants et en même temps
si évidents, surtout dans certains états pathologiques,
qu'ils n'avaient pu échapper à la sagacité des médecins
observateurs. Depuis longtemps on avait remarqué que
dans nombre d'inflammations, le sang paraît trouver un
passage plus facile à travers les tissus enflammés ; que
non-seulement le malade sent les pulsations cardiaques
dans les capillaires des parties malades, mais que ces
pulsations s'observent jusque dans les veines, tant la vis
à tergo agit ici avec intensité, de façon à porter jusque
dans le système veineux non-seulement le résultat géné-
ral de la force impulsive du cœur, mais encore chaque
battement de cette impulsion.
Mais à l'époque où les médecins s'inquiétèrent de
l'explication de ces phénomènes, ils en cherchèrent
la cause uniquement dans des changements de composi-
tion du sang, et non dans une dilatation paralytique
des vaisseaux, dilatation sur laquelle la physiologie
880 APPAREIL CIRCULATOIRE.
expérimentale était seule capable de fournir les don-
nées nécessaires à la théorie. Comme dans ces circon-
stances le sang des veines était presque aussi rouge que
celui des artères, on vit dans ce fait une nouvelle confir-
mation de l'idée d'une altération du liquide sanguin,
tandis que nous n'y voyons aujourd'hui qu'une preuve
de plus de ce fait que le sang passe plus facilement des
artères dans les veines, et y passe si rapidement, qu'il
n'a pas le temps de perdre, au contact intime des tissus,
ses propriétés de sang artériel pour prendre les carac-
tères du sang veineux.
Après l'action du cœur et l'action des parois vascu-
laires, nous devons encore tenir compte d'autres puis-
sances capables de favoriser et de modifier la circulation
du sang veineux.
La respiration ne saurait être oubhée à ce point de
vue : le vide thoracique qui tend à se produire à cha-
que inspiration, et qui appelle par suite le sang dans le
<'œur droit, produit une aspiration, une pression néga-
tive dans les gros troncs veineux qui sont à la base du
système de la circulation de retour aussi bien lympha-
tique que pulmonaire. Nous ne nous arrêterons pas à
analyser en détail les effets de cette influence aspira-
trice, bien connue dès longtemps, et dont on avait même
exagéré l'importance, puisqu'à une certaine époque on
avait voulu faire du jeu mécanique du poumon la cause
des mouvements du cœur.
L'influence pulmonaire ou, pour mieux dire, thora-
cique, n'existe que chez les animaux pourvus d'une
cage thoracique, se dilatant et se resserrant alternative-
COEURS VEINEUX ET LYMPHATIQUES. 381
ment pour appeler l'air dans les alvéoles du poumon.
Chez les autres animaux, chez les batraciens, par
exemple, cette influence n'existe pas; mais nous trou-
vons alors, pour y suppléer, des appareils tout aussi
efficaces et dans un rapport plus immédiat encore avec
le système circulatoire : ce sont des cœurs accessoires
ou supplémentaires. Ces cœurs sont annexés au système
veineux ou bien au système lymphatique.
Chez l'anguille, nous pouvons observer un cœur ac-
cessoire de ce genre placé sur le trajet de la veine cau-
dale. Chez les grenouilles, nous trouvons de nombreux
cœurs lymphatiques : une paire est située dans la ré-
gion pelvienne dorsale, de chaque côté de la pointe de
l'os sacrum. Une seconde paire est placée vers la partie
dorsale de l'origine des membres antérieurs. Ces cœurs
accessoires ont été découverts par Millier (1833), puis
étudiés par Panizza d'une part, Weber et Valentin
d'autre part. Ces cœurs sont très-intéressants à étudier:
les auteurs que nous venons de citer en ont décrit les
caractères anatomiques; ils ont montré que ces petites
cavités contractiles sont pourvues de fibres musculaires
striées, et que, grâce de plus aux nombreux éléments
élastiques qu'elles renferment, elles doivent agir alter-
nativement comme des pompes aspirantes et foulantes.
Mais les faits les plus intéressants que présentent ces
cœurs accessoires se rapportent à leur physiologie, et
principalement à l'influence qu'exerce sur eux le sys-
tème nerveux. Ces cœurs battent sans aucune espèce de
synchronisme ni entre eux ni avec le cœur sanguin,
organe principal de la circulation. Ils ne réagissent pas
382 APPAREIL CIRCULATOIRE.
de la même manière que ce dernier aux agents toxi-
ques : ainsi le curare, qui n'arrête pas le cœur sanguin
thoracique, paralyse rapidement les cœurs lymphati-
ques. Vous voyez ici deux grenouilles, dont l'une est
curarisée. Sur celle qui n'a reçu aucun poison, vous
voyez parfaitement battre le cœur sanguin et les quatre
cœurs lymphatiques, surlout les deux pelviens, dont les
pulsations sont parfaitement apparentes à l'œil nu. Sur
l'autre, chez laquelle tous les mouvements volontaires
ont été abolis par le curare, vous voyez également battre
le cœur sanguin, mais il est impossible de constater la
moindre pulsation dans la place occupée par les deux
cœurs lymphatiques pelviens. Chose remarquable, j'ai
constaté que le cœur caudal de l'anguille, lequel est un
cœur sanguin, puisqu'il est placé sur la veine caudale,
n'est pas paralysé par le curare. Ainsi la sensibilité à ce
poison serait l'un des caractères des vaso-moteurs lym-
phatiques.
Lorsqu'on isole le cœur thoracique, on voit ce vis-
cère continuer à battre, parce qu'il renferme dans
ses parois des ganglions nerveux qui peuvent suffire
dans ces circonstances à son innervation : il en est de
même lorsqu'on coupe tous les nerfs qui se rendent
au cœur. Pour les cœurs lymphatiques, l'isolement pro-
duit aussitôt la cessation de tout mouvement. Ainsi ces
cœurs ne peuvent continuer à fonctionner s'ils n'ont pas
conservé leurs connexions avec le système nerveux gé-
néral. Aussi s'arrêtent-ils égalenient quand on coupe les
nerfs qu'ils reçoivent. Dans ce cas on les voit de plus
remplis non plus de lymphe pure, mais d'un liquide san-
COEURS LYMPHATIQUES. /Î83
guinolent ou même de sang presque pur. On observe la
même chose lorsque les cœurs, paralysés par certains
agents toxiques, sont restés quelque temps dilatés; ils sont
alors gorgés d'un liquide rougeâtre dans lequel le mi-
croscope permet de reconnaître les globules rouges du
sang. Nous avons dans ces cas des modifications très-
intéressantes de la circulation lymphatique et des phé-
nomènes d'exsudation capillaire qui y paraissent direc-
tement liés.
J'ai observé autrefois que la destruction de la moelle
épinière et l'épuisement par le curare font cesser les
pulsations des cœurs lymphatiques de la grenouille (1).
Ce fait de la dilatation des cœurs lymphatiques sous
l'influence de la paralysie est à rapprocher des résultats
récemment observés par M. TarchanoA" (2), relative-
ment à Tinfluence du curare sur la composition du sang
chez ces animaux. Chez les grenouilles curarisées on ob-
serve une abondante exsudation du plasma sanguin dans
toutes les cavités lymphatiques. Ce plasma est accompa-
gné de nombreux globules blancs ; de sorte que la nu-
mération de ces globules, faite sur le contenu des vais-
seaux sanguins, y montre une forte diminution dans la
proportion des globules blancs : on croirait volontiers,
et celte interprétation avait été proposée, que le curare
a pour effet de détruire les globules blancs; en réalité il
n'y a pas destruction, mais simple déplacement. Ces
(I) Claude Bernard, Leçons sur les substances toxiques et médicamen-
leuses, p. 310.
(-2) Voyez J. Tarchanûff, De l'influence du curare sur la quantité de la
hjmphe et l'émigration des globules blancs du sang {Archives de physiol.,
js?'), ]). 33).
384 APPAREIL CIRCULATOIRi:.
éléments anatomiques ont passé en masse du système
sanguin dans le système lymphatique, par un méca-
nisme sur lequel nous ne nous arrêterons pas aujour-
d'hui.
Ce que je veux surtout vous faire remarquer pour le
moment, c'est l'énorme accumulation de lymphe dans
les diverses cavités lymphatiques; parmi ces cavités,
celle qui est située sous la langue de la grenouille est
surtout remarquable par la manière dont elle est gorgée
de liquide. Vous voyez ici plusieurs grenouilles curari-
sées depuis un certain temps. Dès que nous plaçons ces
animaux dans, une position verticale, de manière que la
langue, sortie de la cavité buccale, forme la partie la
plus déclive du corps, vous voyez la face inférieure de
cet organe former une grosse saillie transparente :
c'est comme une énorme goutte de liquide. Ce liquide
est de la lymphe accumulée dans le sac lymphatique
sublmgual, dont on soupçonne à peine l'existence sur
une a:renouille normale. Quand on retourne l'animal,
ou qu'on le place simplement dans la position horizon-
tale, cette bosse lymphatique s'efface et disparaît : la
lymphe a reflué dans les espaces lymphatiques péripha-
ryngiens et sous-crâniens.
Ces faits, nettement mis eu évidence par M. Tarcha-
noff, nous ont rappelé que depuis longtemps nous
avions observé, sans y attacher toute Timportance qu'ils
méritaient, des faits nombreux d'accumulations sem-
blables de lymphe chez des animaux curarisés. Nous
voyons dans ces cas, chez les chiens ou les lapins, par
exemple, les surfaces des plaies ou des vésicatoires se
VASO-MOTEURS LYMPHATIQUES. 385
recouvrir d'une abondante exsudation de lymphe. Nous
avons préparé ici un animal qui vous présente ce phé-
nomène : la peau a été enlevée, mais la plaie était cica-
trisée; l'animal a été curarisé, et la surface mise à nu,
précédemment presque sèche, est en ce moment le siège
d'une exsudation lymphatique qui rend la plaie très-
humide dans les quelques points où la cicatrisation n'est
pas encore achevée.
Ces phénomènes sont produits, avons-nous dit, par
l'action du curare : c'est que dans ces cas le curare a été
injecté à uue dose suffisante pour paralyser les vaso-
moteurs; donc l'exsudation lymphatique est une consé-
quence de l'absence d'action des vaso-moteurs lympha-
tiques.
Nous vous avons signalé les phénomènes que pré-
sentent les grenouilles curarisées relativement au fait
d'une abondante exsudation de lymphe, c'est-à-dire de
plasma sanguin. Mais je vous ai fait observer que ce
phénomène n'était pas propre à la grenouille; que
d'après d'anciennes observations et d'après des expé-
riences que nous avons reproduites sous vos yeux, il
était facile de constater des faits analogues chez le lapin,
chez le chien, et que l'extravasation lymphatique, sous
l'influence de la paralysie des vaso-moteurs, était par
suite un phénomène général, observable seulement à
des degrés différents aussi bien chez les vertébrés infé-
rieurs que chez ceux qui sont le plus voisins de
l'homme.
L'importance et la généralité de ce phénomène nous
autorisent donc à insister sur son étude, à en préciser
CL. BF.RNARI). — PllVsiol. Opéc. 25
386 APPAREIL CIRCULATOIRE.
les limites, à en rechercher les causes et le mécanisme
intime.
Vous voyez ici un certain nombre de grenouilles cura-
risées et qui, comme celles que je vous montrais précé-
demment, présentent une énorme réplétion du sac lym-
phatique sublingual. Ces animaux, conservés dans un
lieu humide et frais, resteront dans cet état pendant
quatre, cinq et même dix jours; puis, ayant éhminé le
curare qui paralysait les extrémités périphériques de
leurs nerfs moteurs et leurs cœurs lymphatiques, ils
recouvreront leurs mouvements volontaires, et en même
temps la dilatation des cavités lymphatiques s'effa-
cera, la lymphe sera résorbée, tout rentrera dans l'état
normal.
Voici un lapin qui a été curarisé jusqu'à la limite qui
arrête tous les mouvements, moins ceux qui sont essen-
tiels à la vie, c'est-à-dire moins les mouvements respi-
ratoires. Je vous l'ai fait observer déjà bien des fois,
quand on connaît bien la susceptibilité de l'organisme,
quand on a su préciser, en la dosant exactement, l'ac-
tion des substances toxiques, on est maître de produire
les phénomènes toxiques dans telle limite qu'on s'est
proposée d'avance. Nous savons par de nombreux essais
qu'en injectant 2 milligrammes de curare par kilo-
gramme d'animal, on paralyse tous les mouvements,
moins ceux de la respiration. Ce lapin pèse près de
2 kilogrammes; il a reçu sous la peau 4 milligrammes
de curare : au bout de quinze minutes il est tombé,
mais il n'est pas mort; la respiration continue à se faire
spontanément.
VASO-MOTEURS LYMPHATIQUES. 387
Nous pouvons constater chez lui , mais dans des
limites beaucoup plus restreintes que chez les gre-
nouilles, que les cavités séreuses, péritonéales, pleu-
rales, contiennent une certaine quantité de sérosité, et
que son tissu cellulaire est beaucoup plus humide que
celui d'un lapin normal, surtout d'un animal à jeun.
En effet, pendant la digestion, on observe que les cavités
séreuses sont plus humides qu'à l'état d'inanition. On a
beaucoup discuté autrefois sur la présence ou l'absence
normale de sérosité, dans la cavité péritonéale, par
exemple. Des expériences nombreuses furent faites.
Elles amenèrent à des résultats en apparence contra-
dictoires. Les uns trouvaient le péritoine parfaitement
sec, les autres parvenaient à y recueillir une certaine
quantité de liquide. Ces faits n'étaient opposés qu'à
cause des circonstances dans lesquelles ils étaient obser-
vés; les uns avaient ouvert des animaux à jeun, les
autres des animaux en pleine digestion. Vous voyez donc
combien la loi du déterminisme est importante à obser-
ver, même dans les plus petites circonstances.
Voici un second lapin auquel nous injectons la même
dose de curare que chez le précédent. Tandis que ce
second animal est peu à peu envahi par l'action du poi-
son, vous voyez le premier revenir à lui. Le poison a
disparu de son milieu intérieur; il n'a pas été détruit
par le sang, mais éliminé peu à peu par la sécrétion
rénale, et il se trouve en ce moment dans l'urine
que contient la vessie; mais comme la surface interne
de ce réservoir n'absorbe pas à l'état normal, il en
résulte que par le fait même le poison est en dehors
388 APPAREIL CIRCULATOIRE.
de l'organisme, quoique l'unne n'ait pas encore été
excrétée.
Laissons donc ce premier lapin revenir à lui, c'est-à-
dire éliminer le curare. Vous voyez pendant ce temps
le second animal se prendre peu à peu. On observe
d'abord chez lui une légère agitalion : c'est là le signe
du début de l'action toxique, el cette agitation n'a rien
de contradictoire avec le fait que le curare est un
paralysant; car tout agent qui supprime les fonctions
motrices ou autres, tout agent qui, dans le sens physio-
logique, tue le nerf moteur, commence d'abord par
produire sur lui une légère excitation. Puis vous voyez
se paralyser successivement les membres antérieurs, la
tête, les membres postérieurs ; mais les mouvements
respiratoires, qui auraient été atteints en dernier lieu
avec une dose plus forte, subsistent encore, parce que
l'animal n'a reçu que la quantité de curare nécessaire
pour abolir seulement les mouvements des muscles des
membres et de la tête.
Chez les grenouilles, nous n'avons pas besoin de
prendre ces précautions, de calculer aussi exactement
une dose hmite; peu importe ici, pour la vie de l'ani-
mal, que les mouvements respiratoires soient abolis; la
respiration cutanée, si la peau est mainteime humide
dans un milieu frais, suffit à l'hématose, et l'animal
continue à vivre avec toutes les apparences extérieures
de la mort. La respiration cutanée est si bien suffisante,
qu'une grenouille continue, dans les conditions que je
viens de vous énoncer, à vivre un certain temps, même
après qu'on lui a extirpé les deux poumons?
EXSUDATIONS DE LA LYMPHE. 389
Vous voyez notre premier lapin qui est coniplétement
revenu à lui, c'est-à-dire qui a recouvré tous ses mou-
vements volontaires. L'élimination du curare est rapide
chez ces animaux à sang chaud, à circulation active ;
elle est trop rapide même pour nous permettre de bien
constater les phénomènes d'exsudation lymphatique
que nous voudrions observer. Pour nous mettre dans
des conditions plus favorables, sans toutefois abolir les
mouvements respiratoires et rendre nécessaire la respi-
ration artificielle, nous allons essayer d'avoir recours à
une modification expérimentale basée sur des phéno-
mènes d'absorption que nous avons précédemment étu-
diés. Sur notre second lapin, chez lequel l'empoisonne-
ment curarique est maintenant accompli à la limite
voulue, c'est-à-dire avec aboHtion des mouvements des
membres, mais non de ceux du thorax, nous injectons
sous la patte une nouvelle dose de curare, puis nous
appliquons immédiatement sur ce membre une lii^ature
modérément serrée ; nous ménageons ainsi au poison
une entrée graduelle et successive, suffisante pour com-
penser au fur et à mesure les effets de l'élimination,
mais insuffisante pour porter plus loin les effets toxiques :
nous maintiendrons ainsi l'animal sous le coup du
curare et dans la limite voulue de l'intensité de l'em-
poisonnement.
Peut-être noussera-t-il facile, dans ces circonstances,
de mieux constater les exsudations de lymphe dont je
vous parlais précédemment, exsudations au niveau des
séreuses, au niveau des mailles du tissu cellulaire. Cette
exsudation n'est pas un fait anormal, nouveau, sans
390 APPAREIL CIRCULATOIRE.
analogue physiologique ; ce n'est, en un mot, comme
tant de phénomènes dits pathologiques, qu'une exagé-
ration d'un fait normal, plus ou moins accentué lui-
même dans des circonstances qui ne sortent en rien de
l'état physiologique. C'est ainsi, vous disais-je précé-
demment, que chez un lapin en pleine digestion, il est
facile de recueillir dans le péritoine, à l'aide'd'un verre
de montre, par exemple, une quantité notable de séro-
sité, tandis que chez l'animal en inanition la surface
péritonéale serait trouvée complètement sèche.
Il semble donc y avoir dans tous les vaisseaux, lym-
phatiques ou sanguins, une sorte de tonus que de
nombreuses influences peuvent modifier, et pour l'étude
duquel nous aurons à tenir compte des vaso-moteurs
constricteurs et des vaso-moteurs dilatateurs, aussi
bien lymphatiques que sanguins. Ces faits sont très-
importants à connaître pour bien comprendre les divers
œdèmes ou exsudations qui peuvent avoir lieu dans les
séreuses ou dans le tissu cellulaire. Il est certain, par
exemple, que chez un animal bien portant, la ligature
de la veine principale d'un membre ne suffit pas pour
amener l'œdème du membre, parce que le tomis
vasculaire s'oppose à la transsudation de la sérosité ;
mais vient-on à couper les nerfs vaso-moteurs, aussitôt
l'œdème a lieu, parce qu'on a détruit le tonm qui s'y
opposait. Chez les malades atteints d'œdème, il faut
donc admettre qu'il y a une paralysie du tonus vas-
culaire en môme temps qu'un obstacle au cours du
sang.
Vous savez que d'après les recherches que M. ïar-
EXSUDATIONS DE L\ LYMPHE. 391
chanoff a exécutées dans notre laboratoire d'histologie,
sous la direction de M. Ranvier, on constate en même
temps chez les animaux mis dans l'état de ceux que
vous avez sous les yeux, une diminution dans la propor-
tion des globules blancs contenus normalement dans le
sang; mais vous savez aussi, d'après ce que je vous
disais précédemment, qu'il n'en faut pas conclure à une
destruction des globules blancs; l'action du curare a eu
simplement pour effet de les faire passer du système
sanguin dans les cavités ou dans les extravasats lym-
phatiques. Il y a si peu destruction de ces éléments,
que, sortis du sang, ils peuvent y rentrer, et ils y rentrent
en effet lorsque l'animal, ayant éliminé le poison, revient
à son état normal. On retrouve alors dans le sang la
même proportion de globules blancs. Ainsi la lymphe
sort des vaisseaux et y rentre, permettez-moi l'expres-
sion, avec armes et bagages.
Comment se fait ce passage, notamment pour les
éléments figurés? C'est une question qui exerce depuis
quelques années la sagacité des observateurs. D'une
part, ou étudie attentivement la question anato-
mique de la communication des lymphatiques avec
les vaisseaux sanguins, ou, pour mieux dire, de l'ori-
gine du système lymphatique. D'autre part, depuis
que Cohnheim a décrit la diapédèse, c'est-à-dire la
sortie des globules blancs hors des petits vaisseaux dans
les tissus enflammés, ces observations ont été répétées
de tous côtés, donnant aux expérimentations des solu-
tions en apparence très-diverses. Pour les uns, la dia-
pédèse, c'est de ce nom qu'on désigne la sortie des
392 APPAREIL CIRCULATOIRE.
globules blancs du sang, est incontestable; elle se fait
par de petites ouvertures (stomata et stigmata des
auteurs allemands), lesquelles existent entre les cellules
endothéliales qui forment à elles seules la paroi des
capillaires sanguins, ouvertures qui deviendraient plus
considérables sous l'influence de l'inflammation des
tissus et de la dilatation congestive des réseaux capil-
laires. On aurait assisté aux diverses phases de la sortie
des globules blancs, on les aurait vus s'engager dans la
paroi, la traverser en s'étranglant, et enfin se dégager
librement, après un temps plus ou moins considérable,
dans le tissu périvasculaire.
Enfin, pour bien montrer que les globules blancs
observés en dehors du vaisseau proviennent bien de son
intérieur, on serait parvenu à mettre, pour ainsi dire,
aux globules blancs du sang une étiquette qui permît de
bien constater leur identité, c'est-à-dire leur origine,
lorsqu'on les retrouve extravasés. En effet, en injectant
dans le sang de l'eau tenant en suspension de fines
molécules de vermillon, on voit bientôt que les globules
blancs en circulation dans le système sanguin ont, en
vertu de leurs propriétés amiboïdes, englobé ces parti-
cules colorantes. Or lorsque, quelques heures après, de
nombreux globules blancs se montrent en dehors des
vaisseaux, ces globules renfermeraient aussi de nom-
breuses granulations de vermillon ; ces globules extra-
vasculaires auraient donc bien pour origine une dia-
pédèse.
Des travaux contradictoires ont été produits et ont
cherché à mettre les expérimentateurs en garde contre
EXSUDATIONS DE LA LYMPHli. 398
certaines causes d'erreurs qui peuvent résulter de la
disposition des parois vasculaires, de la présence de
nombreuses cellules de tissu conjonctif dans leur voisi-
nage, enfin de ce que les granulations de vermillon
peuvent sortir d'elles-mêmes des vaisseaux sans qu'elles
aient nécessairement pour véhicules les globules blancs.
Ces questions sont encore à Tétude, et les anatomo-
pathologistes semblent en ce moment se diviser en deux
camps, les uns admettant la diapédèse, tandis que les
autres expliquent tous les phénomènes désignés sous ce
nom par une prolifération ou une genèse de corpus-
cules lymphatiques tout contre la paroi vasculaire.
C'est qu'en effet on a voulu voir dans la diapédèse
l'origine des éléments figurés du pus; la suppuration
se réduirait donc à une extravasation de globules blancs
du sang. Il serait difficile de discuter en ce moment
et de juger définitivement cette théorie; son simple
énoncé vous fait déjà entrevoir ce qu'il peut y avoir en
elle d'exagéré et de trop exclusif. Ainsi la simple extra-
vasation est insuffisante à rendre compte des masses
énormes de globules de pus accumulés dans les lieux où
la suppuration est tant soit peu active. Une première
modification, ou plutôt une addition qui semble devoir
être faite à la théorie de la diapédèse, en tant que théo-
rie de la suppuration, ce serait de tenir compte de la
prolifération des globules blancs qui sont sortis des vais-
seaux. La division et la multiplication de ces éléments
est un fait parfaitement démontré dans des circonstances
de ce genre. Nous lavons observée tout récemment,
en étudiant les globules blancs placés dans la chambre
394 APPAREIL CIRCULATOIRE.
humide mainlenue à la température du corps. Ainsi la
prolifération pourrait suppléer alors à Tinsuffisanee de
diapédèse, et nous rendre compte de l'abondance des
globules de pus.
Tous ces faits, à part quelques exagérations, subsistent
comme phénomènes bien constatés , du moment que
l'on s'est mis en garde contre de nombreuses causes
d'erreur ; mais les explications théoriques ne sont pas
encore possibles. Je vous lai déjà dit, il nous faut pour
cela une notion anatomique qui n'est pas encore acquise,
malgré de nombreux travaux; je veux parler de l'ori-
gine du système lymphatique. Pour les actes d'extrava-
sation, comme pour ceux d'absorption, nous réserverons
donc toute explication théorique jusqu'à ce que les faits
anatomiques parlent nettement par eux-mêmes.
Le sang n'est pas un liquide toujours semblable à lui-
même ; c'est au contraire un fluide essentiellement
variable dans ses propriétés et sa composition, et partici-
pant à toute la mobilité des phénomènes de la vie. Au-
trefois on ne distinguait pas diverses espèces de sangs;
ignorant les métamorphoses qui se passent dans ce
liquide au contact des tissus, on ne cherchait pas à pré-
ciser les différences de composition qu'il peut présenter.
Un premier progrès fut accompli par Bichat, qui insista
avec juste raison sur la distinction à établir entre le
sang veineux et le sang artériel. Bichat fît de cette dis-
tinction la base de toute la physiologie du liquide san-
guin, et opposa le système à sang rouge au système
à sang noir.
SANG VEINEUX ET SANG ARTÉRIEL. 395
Mais celte distinction, comme je l'ai montré plus
tard, était elle-même insuffisante. Il ne suffit pas de
distinguer le sang veineux et le sang artériel; il faut
caractériser encore avec un soin égal les sangs veineux
des divers organes. Les recherches de Simon ont bien
montré l'importance de ces études comparatives ; mais
le point nouveau sur lequel j'ai dès longtemps attiré
l'attention, c'est que même dans le sang veineux d'un
organe il faut distinguer le sang qui provient de l'or-
gane dans sa période d'activité de celui qui en sort au
moment du repos fonctionnel.
Il nous faudra donc étudier la circulation et ses
effets en nous attachant à bien déterminer les caractères
du sang qui sort de chaque organe, et selon les périodes
de repos ou d'activité de cet organe. Cette dernière
distinction devient de premier ordre, non-seulement au
point de vue des circulations locales, mais même relati-
vement à la masse totale du sang; en effet, si Ton ne
tient pas compte des périodes d'activité et de repos,
toutes les distinctions, même les plus tranchées, les plus
essentielles en apparence, s'effacent et disparaissent.
Quand on supprime les fonctions organiques, particu-
lièrement celles des muscles, il n'y a plus lieu de dis-
tinguer les sangs artériel et veineux.
Voici, par exemple, un lapin qui se trouve dans les
conditions expérimentales que nous avons dès longtemps
précisées sous le nom de refroidissement de l'animal :
on obtient ce résultat par plusieurs procédés, soit par
la section du bulbe et la respiration artificielle, soit par
l'exposition de l'animal, pendant un certain nombre
396 APPAREIL CIRCULATOIRK.
d'heures, dans un milieu à la température de la glace
fondante.
Voici des grenouilles qui ont été placées dans ces
mêmes condilions de température. Chez tous ces ani-
maux, vous constatez, notamment dans la veine abdo-
minale de la grenouille, que le sang contenu dans les
veines ne présente plus les caractères classiques du
sang veineux ; il est rouge et rutilant comme le sang
artériel. C'est que le refroidissement a amené l'inertie,
le repos de la plupart des éléments anatomiques, et
notamment du système musculaire, dont l'influence est
prépondérante dans la masse sanguine générale, pour
faire passer le sang de l'état artériel à l'état veineux.
Mais vous voyez qu'à mesure que ces animaux se
réchauffent sous l'influence de la température de la
salle, le contenu des veines devient plus foncé; c'est
maintenant seulement que les veines contiennent réel-
lement du sang veineux, et cela parce que les éléments
anatomiques, et en première ligne les muscles, ont
recouvré celte activité qui est la principale cause de la
transformation du sang rouge en sang noir.
Cet exemple est un des plus frappants et en même
temps des plus simples ; mais nous aurons à étudier
bien d'autres circonstances où rinfluence du repos et
de l'activité de l'organe exerce sur la composition du
sang une modification bien plus compliquée et plus diffi-
cile à prévoir. Tel est, par exemple, le cas des glandes :
pendant leur état de repos le sang veineux en sort
noir et chargé d'acide carbonique, c'est-à-dire avec
les véritables caractères de laveinosité; au contraire,
SANG ARTÉRIEL ET SANG VEINEUX. 397
lorsque la glande sécrète, le coutenu des veines, en
même temps qu'il circule avec plus de force, pré-
sente une rutilance et des caractères qui le rapprochent
du sang artériel. Ainsi le sang des veines ne présente
pas un aspect constant type; il n'est pas toujours sem-
blable à lui-même.
Il n'y a qu'un sang qui soit, dans certaines limites,
toujours à peu près semblable à lui-même, c'est le
sang artériel, lequel n'est autre chose que le sang vei-
neux des poumons. Cette constance relative s'explique
facilement : c'est que, d'une part, le sang qui arrive au
poumon est le mélange de tous les autres sangs veineux,
dont les variations de composition se compensent jus-
qu'à un certain point, en raison même de leurs variétés;
c'est que, d'autre part, le poumon, à l'état normal,
fonctionne toujours et modifie toujours dans le même
sens la masse sanguine qui le traverse.
DIX-HUITIÈME LEÇON
SOMMAIKE : Étude expérimentale de l'appareil de la circulation ft du saiij;.
— Études physiologiques au moyen de substances introduites dans le
sang. — Les poisons utilisés comme moyens de vivisection. — Résumé de
l'histoire du curare. — ■ Expériences sur la grenouille. — Résultats acquis
par l'expérimentation avec le curare. — De l'acide prussique ou cyan-
hydrique. — Théories curieuses sur l'action rapide de ce poison. — De la
mort sans lésions anatomiques. — De l'anatomie patiiologique.
Messieurs,
La forme primitive et en même temps la plus gros-
sière de l'expérience a consisté purement et simplement
dans la suppression, la section des organes : on coupait
tel nerf, on extirpait tel viscère; et. voyant alors tel ou
tel trouble, telle ou telle lacune se manifester dans le
fonctionnement de l'organisme, on en concluait que
le nerf, que l'organe en question présidait à la fonction
troublée ou supprimée. Cette manière de procéder con-
stitue ce qu'on peut, à proprement parler, nommer la
vivisection. Mais si cette méthode est suffisante, jusqu'à
un certain point, pour localiser les fonctions dans les
divers organes, elle ne répond plus aux besoins de la
physiologie expérimentale, dès que celle-ci doit expli-
quer les phénomènes vitaux et porter ses recherches
jusque dans l'intimité des tissus et étudier les propriétés
et les fonctions des éléments anatomiques eux-mêmes.
DES POISONS DANS LE SANG. 399
Je VOUS l'ai déjà dit à plusieurs reprises, c'est par ces
études intimes que doit se constituer aujourd'hui la phy-
siologie et par suite la médecine. Il nous faut porter
l'expérimentation jusque sur les éléments des tissus; il
nous faut les étudier à l'état de fonctionnement, et après
avoir, par le microscope, défini leur forme et leur tex-
ture, en découvrir les propriétés et, si je puis ainsi
ni'exprimer, les réactions.
Que devient ici la vivisection? Sans doute, nous pou-
vons faire ce qu'on appellerait volontiers des vivisec-
tions microscopiques, c'est-à-dire réaliser, provoquer
artificiellement sur la platine du microscope, dans un
milieuà température età humidité suffisantes, des condi-
tions qui nous permettront d'observer directement, pen-
dant un temps plus ou moins long, la vie et le fonction-
nement d'éléments microscopiques isolés. Les études de
ce genre ont été fructueuses : c'est ainsi qu'a été obser-
vée la circulation capillaire. Les éléments du sang ont
pu eux-mêmes être étudiés isolément dans ces circon-
stances, et des faits précieux ont été enregistrés relati-
vement à leurs propriétés, à leur mode de formation,
à leurs rapports avec d'autres éléments.
Mais sans vouloir poser de bornes précises à ce genre
d'investigation, il nous est permis cependant de dire,
en présence des faits eux-mêmes, que cette observation
semble nous avoir donné la plus grande partie 'de ce
qu'elle est susceptible de nous fournir. De plus, outre la
stérilité tout au moins momentanée dont cette méthode
semble frappée, il est évident que l'étude de globules
sanguins isolés détruit l'harmonie qui règne entre la
400 KTUDE I)L SVNG.
fonction de cet élément anatomique et les autres élé-
ments au contact desquels il est naturellement amené
dans l'organisme complet. Ici la section, en tant que
vivisection, ne se contente pas de séparer les éléments à
étudier; elle les isole et, par suite, détruit les rapports
dont la connaissance nous est précisément la plus pré-
cieuse.
Il nous faut donc ici une nouvelle méthode d'expéri-
mentation, grâce à laquelle, comme dans une vivisec-
tion ordinaire, nous supprimons le rôle de tel ou tel élé-
ment anatomique, mais en conservant l'ensemble des
autres éléments, de façon à pouvoir observer les troubles
produits par la suppression que nous avons artificielle-
ment provoquée, dont nous sommes maîtres, que nous
pouvons volontairement faire cesser ou reproduire alter-
nativement.
Dans les leçons précédentes, nous avons eu pour objet
principal Tétude des phénomènes circulatoires; ce sont
ces phénomènes que nous devons continuer à analyser :
c'est en eux précisément que nous allons trouver des
éléments propres à bien faire comprendre les principes
généraux que je viens de vous énoncer, et la nécessité
de la nouvelle méthode dont je viens, d'une manière
générale, de vous montrer le besoin.
La vivisection dans les mains de divers expérimenta-
teurs, et surtout de Harvey, nous a fait découvrir les
grands phénomènes de la circulation ; mais vous avez
vu que l'étude des grands phénomènes de la circula-
tion, rôle du cœur, rôle des artères, rôle des veines, ne
nous fournissait aucune noiion suffisante sur les actes
DES POISONS DANS LE SANG. 401
intimes que le cours du sang vient effectuer au niveau
des éléments anatomiques. Or, ces derniers phénomènes
sont les plus importants, les plus difficiles à connaître
el en même temps les moins connus : par le caractère
même attaché à l'enseignement de cette chaire de méde-
cine au Collège de France, ce sont ces phénomènes que
nous devons chercher a élucider. Nous devons, je vous
le disais dans la dernière séance, laissant de côté les
grands mécanismes de la circulation générale, nous
attacher à l'étude des circulations locales.
Ces circulations locales, sur lesquelles nous avons des
premiers attiré l'attention des physiologistes, nous les
étudierons à l'état de repos et à l'état de fonction des
organes correspondants. A cet effet, les vivisections
portées sur les nerfs nous seront et nous ont déjà été
d'un grand secours; mais la section d'un nerf à l'aide
d'un bistouri ne saurait être suffisante ; c'est ici que
vous allez sentir les avantages de la méthode à laquelle
je faisais précédemment allusion, et aux applications
de laquelle j'ai dès longtemps consacré de nombreuses
recherches : je veux parler de Xusage des poisons, que
j'ai considérés comme de véritables réactifs de la vie, et
dont l'emploi pouvait constituer une méthode nouvelle
d'investigation physiologique.
Les poisons ont été étudiés au point de vue de leur
action générale, ou pour mieux dire de leur effet final
sur l'organisme. On a décrit la rapidité de leur action
et les symptômes généraux de l'intoxication qu'ils pro-
duisent. La médecine légale en a tiré de précieux ren-
seignements ; mais la physiologie peut y trouver une
CL. BERNARD. — PllVSiol. Opéf. 26
40^ DES POISONS DANS LE SANG.
source non moins précieuse de procédés divers pour
l'institution de ses expériences. Ils peuvent nous serv.r
comme de véritables bistouris avec lesquels nous allons
atteindre tel ou tel élément anatomique, de façon a
pouvoir bien constater les troubles que cette unique
lésion amène dans l'harmonie de l'organisme général.
Tous les poisons sont susceptibles de devenir ainsi,
entre les mains de l'expérimentateur, de véritables
instruments de vivisection d'une grande délicatesse.
Pour aujourd'hui, je ne m'arrêterai que sur celui qu.
nous servira presque seul pour disséquer les phénomènes
intimes de la circulation capillaire : je veux parler du
curare. , ,.,
Voyons comment le curare pourra se substituer an
scalpel et devenir suffisant là où l'instrument de l'aua-
tomiste ne nous offre plus qu'un secours trop grossier
Le curare, dont je vous rappellerai très-rapidement
l'histoire, nous vient de l'Amérique du Sud- d nous
arrive sous la forme d'un extrait noir et desséche, dans
des pots on des calebasses. C'est qu'en effet il nous est
fourni par les sauvages, qui ont gardé le secret de cet e
fabrication. Aussi ce poison, dont les indigènes de
l'Amérique se servaient pour empoisonner leurs flèches
de chasse, tend-.l à devenir de plus en plus rare, et
nous sommes menacés de ne plus pouvoir nous en pro-
curer un jour. Mais, je le répète, le secret de sa fabri-
cation nous est inconnu. Cependant il n'est pas dou-
teux que cette masse noire foncée, que vous voyez ic.
adhérente aux débris d'une calebasse, ne soit un extrait
de plante ; on a même désigné, d'après les rapports de
CLRARE. ^Qo
quelques voyageurs, la plante qui fournit ee singulier
produit : ce serait le PaulUnia curwu, daprès les'uns •
<1 après les autres, des lianes appartenant aux -enres
Cocculm et Strychnot^. Les voyageurs se sont trop con-
tentés de noter fidèlement les plantes qui leur ont été
desiguées comme formant le principal ingrédient dans
la tabncalion du curare, .sans s'attacher à vérifier ces
assertions. Bien plus hasardés encore sont les récits
qui font jouer, dans la confection du curare, un rôle
important au venin de crapaud et de serpent. Le prin-
cipe actif du curare parait être un alcaloïde vé-étal
iH cvrarine, que l'on est parvenu à isoler; mais l'extrac-
lion de ce principe est si laborieuse, il faut v consa-
crer une SI grande quantité de curare, que nous préfé-
rons employer l'extrait tel que nous le recevons.
C'est vers 1760 que ce poison fut apporté en Europe
par a Condamine : la curiosité fut grandement excitée
par les récits sur la manière dont les sauvages l'em-
ployaient pour leurs chasses ; aussi le poison fut-il étu-
die par nombre d'expérimentateurs qui désiraient en
constater les terribles et mystérieux effets. Mais cette
étude n'alla pas au delà de la satisfaction d'une curio-
sité plus ou moins banale. Fontana émit l'hvpothèse
que le poison agissait sur le sang; il le compara au
venin de la vipère, et en effet on croyait que divers
venins étaient mélangés pour sa confection. Ce fait que
le toxique devait ses effets à un venin n'était pas sans
■mporlance aux yeux de Fontana : il s'expliquait ainsi
comment le curare n'a pas d action lorsqu'il est intro-
duit dans le tube digestif; comment les chasseurs pou-
404 DES POISONS DANS LE SANG.
vaient impunément se nourrir de la chair des animaux
tués avec des flèches empoisonnées. Le principe actif
aurait, d'apiès cette théorie, été digéré, et, par suite,
détruit comme tous les venins de nature animale, c'est-
à-dire albuminoïde, par l'action des liquides digestifs.
Les expériences de Brodie, de Millier lui-même, ne don-
nèrent pas de plus heureuses tentatives d'analyse phy-
siologique.
En 1844, avec du curare que je tenais de M. Pelouze,'
qui l'avait reçu d'un voyageur français, M. Goudot,je
commençai la série d'expériences qui me démontrèrent
d'abord que tous les curares ne se ressemblent pas. Les
uns ont une action bien plus énergique que les autres:
ainsi j'ai trouvé, entre certains curares du Para et
d'autres du Venezuela, une différence de i à5; de plus,
on a parfois livré aux Européens, sous le nom de curare,
de simples venins dont se servent quelquefois les sau-
vages pour empoisonner leurs flèches. Mais je ne m'ar-
rêterai pas sur ces détails secondaires, dont j'ai tracé
ailleurs l'histoire complète (\o^. Leçon sur les substances
toxiques^ p. 238).
(^e qui me frappa surtout, et ce que je veux repro-
duire aujourd'hui sous vos yeux, c'est la série des phé-
nomènes intéressants qu'il est facile d'analyser sur une
grenouille empoisonnée par le curare.
Tout le monde sait ce qu'on entend par une gre-
nouille préparée à la manière de Galvani. La circon-
stance fortuite qui, en 1789, fit découvrir à Galvani
l'excitabilité des muscles lorsqu'il venait à toucher les
nerfs qui se distribuent dans ces organes, fut, vous le
CURARE. 405
savez, le point de départ de la découverte de \ élec-
tricité de contact^ de l'électricité delà pile. Voici une
grenouille normale préparée à la manière de Gal-
vani (fig. 99) : la partie postérieure du corps a été
isolée et dépouillée de sa peau; les nerfs lombaires
FiG. 99. — Tronc poslûrieur Je grenouille préparé à la manière de Galvani.
sont à nu, isolés et rattachés seulement au fragment
postérieur de la colonne vertébrale. Voici une seconde
grenouille préparée de la même manière, mais alors
qu'elle était empoisonnée par une forte dose de curare
introduit sous la peau à l'état sec ou à l'état de
solution.
En comparant la manière dont ces deux moitiés posté-
rieures de grenouilles vont réagir à l'excitation électrique,
vous allez être témoins des phénomènes qui me frap-
pèrent dès mes premières recherches sur le curare, et
m'ont amené à employer ce poison comme un de nos
plus délicats instruments de vivisection.
406 DES POISONS DANS LE SANG.
Sur la première ori'euouille, dont nous excitons avec
rélectricité les nerfs ou les muscles, nous observons des
contractions dans l'un comme dans l'autre cas. Chez
* cet animal, les nerfs aussi bien que les muscles ont leurs
propriétés et par suite leurs fonctions.
Sur la seconde grenouille, empoisonnée par le curare,
rieii ne se produit lorsque nous portons Texcitation sur
les nerfs : nous avons beau augmenter la force du cou-
rant, aucune convulsion ne s'observe, comme dans le
cas précédent ; les muscles des membres postérieurs
restent parfaitement immobiles. Mais si nous portons
directement l'excitation électrique sur les muscles, nous
voyons ceux-ci réagir immédiatement et se contracter
avec violence, absolument comme sur la grenouille
saine.
Ainsi, les nerfs moteurs, par Faction du curare, ont
perdu leurs propriétés ; les muscles ont conservé les
leurs; le muscle est excitable directement, mais il ne
l'est plus par l'intermédiaire du nerf. Depuis que j'ai fait
connaître cette expérience, personne n'a pu la contre-
dire, car elle est trop simple et trop constante dans ses
résultats. Seulement on en a proposé des explications
différentes, comme je vous le dirai bientôt.
Pour vous montrer l'importance de cette expérience,
il me suffira de vous rappeler qu'à l'époque oia je la
signalai aux physiologistes , on discutait encore sur
le fait de Xirrito.hiliié haUérienne , c'est-à-dire sur la
question de savoir si le muscle est en lui-même exci-
table, ou s'il ne doit son excitabilité qu'aux nerfs
qui le pénètrent, se ramifient et se terminent dans
CURARE. 407
son intérieur. La vivisection pnre et simple, celle qui
fait usage pour tout moyen d'analyse de l'instrument
tranchant, avait bien essayé de résoudre la question.
Millier, Longet, avaient montré qu'un nerf moteur,
séparé de l'axe cérébro-spinal, perd, après quatre jours,
chez le chien, toute excitabilité ; que le muscle, au con-
traire , précédemment innervé par ce nerf demeure
encore directement excitable plus de trois mois après
(si toutefois il a gardé ses connexions avec les nerfs sen-
sitifs et vaso-moteurs qui président à sa nutrition). Mais
comme on savait que la perte d'excitabilité du nerf est
due à sa dégénérescence, et que celle-ci se produit
graduellement de haut en bas, du centre nerveux vers
le muscle, on se demandait si l'excitabilité présentée par
ce dernier au bout de plusieurs mois ne tiendrait pas
à ce que la dégénérescence n'avait pas encore atteint
les dernières ramifications nerveuses qu'il renferme.
Avec le curare, cette objection ne paraissait plus pos-
sible; la démonstration de l'excitabilité propre du
muscle est immédiate, irréfutable, et vous voyez que le
poison nous la donne d'une manière bien plus nette,
et, permettez-moi l'expression, bien plus élégante que
la section au moyen du scalpel.
L'état de la grenouille curarisée persiste assez de
temps pour que nous puissions répéter sur elle l'expé-
rience un nombre presque indéterminé de fois. Vous
voyez que nous pouvons ici, sur le même animal qui
nous a servi il y a un instant, mettre de nouveau enjeu
la contractilité musculaire en agissant sur le muscle
lui-même, tandis que l'excitation portée sur le nerf reste
408 DES POISONS DANS LE SANG.
comme précédemment sans effet. Ce ne sont donc pas
là des phénomènes fugaces; ils se prêtent longuement à
l'analyse, et par eux la question de l'excitabilité hallé-
rienne est bien définitivement tranchée.
Mais ce poison qui vient de nous servir à distinguer si
délicatement et à isoler les propriétés du muscle et du
nerf va nous permettre de distinguer les nerfs entre
eux, et, grâce à lui, nous pourrons pousser l'analyse
bien plus loin qu'on ne le croirait possible à priori.
Nous savons, par le résultat des mémorables vivisec-
tions de Magendie, qu'il y a tout d'abord à distinguer
deux espèces de nerfs à fonctions tout à fait opposées :
les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs. Mais même pour
établir cette distinction, la vivisection pure et simple ne
saurait aller aussi loin que l'expérimentation instituée
avec le curare comme instrument.
Voici une grenouille intacte, mais empoisonnée par
le curare ; l'animal est complètement immobile, inerte,
parce qu'il est complètement paralysé. Cette gre-
nouille paraît au premier abord ne pas sentir, mais
nous ne pourrions juger du fait d'une sensation perçue
par elle que par les mouvements réaction nels que pro-
voquerait cette sensation ; or tout mouvement lui est
impossible.
Il semble donc difficile de constater quel est l'état
des nerfs sensitifsc Cependant nous avons des récits
d'individus qui, ayant été inoculés avec du curare, mais
à un degré qui n'avait pas arrêté la respiration et avait,
par suite, permis à l'individu de revenir à la vie, je
veux dire au mouvement, ont pu raconter que pendant
CURARI'. 409
leur période de paralysie , ils avaient eu cependant
conscience de leur existence et de toutes les impressions
qui venaient exciter leurs sens. Il nous est facile de
mettre une grenouille en état de nous révéler la per-
sistance de sa sensibilité malgré l'empoisonnement
curarique; il nous suffit pour cela de placer un certain
nombre de nerfs moteurs à l'abri du contact du poison,
qui, ainsi que je l'ai montré, ne peut empoisonner les
nerfs que par l'extrémité périphérique. Lorsque des
excitations seront portées sur des parties paralysées, si
les muscles dont les nerfs fonctionnent encore se con-
tractent, il sera bien évident que les nerfs sensitifs des
parties paralysées ont transmis à la moelle les impres-
sions reçues par leurs extrémités périphériques.
L'expérience que j'ai instituée à cet effet est deve-
nue aujourd'hui classique : je vous en rends témoins
afin de vous faire bien comprendre les précieux avan-
tages que nous pouvons tirer de l'usage du curare
comme instrument de vivisection. Nous plaçons sur
une grenouille, au niveau du bassin, une ligature qui
serre étroitement toutes les parties, moins les nerfs
lombaires. Nous injectons alors quelques gouttes de
curare sous la peau du train antérieur de l'animal;
vous voyez bientôt cette partie immobile et que l'on
croirait en apparence privée de sensibilité aussi bien
que de mouvement. Cependant, dès que nous pinçons
l'une des pattes antérieures, nous voyons le train pos-
térieur, qui n'a conservé que par des nerfs ses con-
nexions avec le reste de l'animal, nous voyons ces pattes
postérieures s'agiter, l'animal sauter et s'efforcer d'ac-
410 DES POISONS DANS LE SANG.
complir des mouvements de fuite. ïl y a là un acte
réflexe dont l'existence implique l'intégrité aussi bien
des nerfs sensitifs du segment antérieur que des nerfs
moteurs du segment postérieur. Nous avons donc pu
avec le curare établir la distinction aussi délicate que
possible des nerfs moteurs et des nerfs sensitifs.
Mais nous pouvons faire bien plus encore ; nous
pouvons, soit en employant des doses différentes de ce
poison, soit en suivant attentivement les périodes suc-
cessives d'un empoisonnement complet, distinguer les
nerfs moteurs entre eux; nous pouvons produire un
degré d'empoisonnement dans lequel les nerfs volon-
taires seuls sont atteints; à un degré plus élevé, nous
paralyserons de plus les nerfs qui président aux mouve-
ments réflexes involontaires de la respiration ; mais toute
une série de nerfs moteurs aura encore conservé ses
fonctions, comme nous pourrons nous en assurer en
prolongeant la vie de l'animal par la respiration artifi-
cielle. Ces nerfs sont les vaso-moteurs. Parmi les vaso-
moteurs, les uns président à la dilatation, les autres au
resserrement des vaisseaux. Eh bien ! c'est encore le
curare qui nous permettra d'isoler chacun de ces ordres
de nerfs vasculaires, car nous le verrons paralyser, c'est-
à-dire supprimer les uns, avant d'entraver eu rien la
fonction des autres.
11 est évident que la vivisection à l'aide de l'instru-
ment tranchant serait impuissante à réaliser avec une
telle précision des distinctions aussi nettes, des délimi-
tations physiologiques aussi délicates. Ajoutons encore
que l'action du curare se porte non-seulement sur les
riRARK. 411
vaso-moteurs proprement dits, mais que ce poison
agit encore sur les nerfs de l'organe central de la
circulation, sur les pneumogastriques et sur les nerfs du
cœur.
Tout ici est une question de dose : il en est, dans celte
étude, de la dose de poison comme du degré de tempé-
rature employé par les chimistes dans les distillations
successives des substances complexes pour isoler divers
corps volatiles confusément inclus dans un même mé-
lange : à telle température, la distillation donne un
tel produit; à une température plus élevée, tel autre
produit.
Vous savez que l'excitation du pneumogastrique a
pour effet d'arrêter les mouvements du cœur. Le curare,
qui abolit les fonctions des nerfs centrifuges, agit-il de
même sur le pneumogastrique : les premières expé-
riences tentées dans ce sens ont répondu tantôt par
l'affirmative, tantôt par la négative. C'est qu'en effet
il s'agit surtout de savoir quelle dose de poison a reçue
l'animal. Voici une grenouille faiblement curarisée; son
cœur bat régulièrement. Nous galvanisons les pneumo-
gastriques à leur origine à la moelle allongée ; vous
voyez le cœur s'arrêter : c'est ce que j'avais observé
dès mes premières expériences sur l'action du curare.
Voici d'autre part une seconde grenouille très-fortement
curarisée ; son cœur bat régulièrement. Nous excitons
les pneumogastriques : le cœur continue à battre. En
faul-il conclure que l'expérimentation n'a rien de défini;
que Tun peut observer la conservation de l'action des
pneumogastriques, et l'autre l'abolition de cette action
41^ DES POISONS DANS Ui SANG.
SOUS l'influence cUi curare? Non, certes. 11 en faut con-
clure qu'à faible dose, ainsi que je l'avais fait dans mes
premières expériences, le curare n'atteint pas encore
le pneumogastrique; mais qu'à forte dose, ce poison
se fait sentir jusque sur ces nerfs, dont dès lors l'exci-
tation ne produit plus l'arrêt du cœur.
Ainsi c'est en graduant rigoureusement les doses de
poison que nous arriverons à celte forme presque idéale
de vivisections, grâce auxquelles nous pourrons distin-
guer, parmi les nerfs centrifuges et moteurs, des groupes
divers dont les sections nous auraient à peine permis de
soupçonner l'existence.
Grâce au curare, nous distinguons donc aujourd'hui,
dans rintimité des tissus, les nerfs sensitifs des nerfs
moteurs; dans les muscles, nous distinguons les nerfs
vaso-moteurs des nerfs musculaires proprement dits.
Parmi les nerfs vaso-moteurs, nous reconnaissons des
nerfs vaso-moteurs constricteurs, des vaso-moteurs dila-
tateurs. Le curare paralyse successivement tous les
nerfs moteurs en commençant par les nerfs moteurs
volontaires, et en finissant par les nerfs vaso-moteurs.
La vivisection ordinaire, d'ailleurs, vérifie toutes ces
distinctions que le curare établit à son tour d'une façon
plus subtile. J'ai pu arriver dans mon expérience du
grand sympathique à démontrer la propriété des nerfs
vaso-moteurs de constriction, dans mon expérience d(;
la corde du tympan, j'ai démontré la propriété des nerfs
dilatateurs. Mais, ainsi que je l'ai déjà dit, ce ne sont
pas là des exemples isolés de faits particuliers, ce sont
des faits généraux. Dans toutes les parties de l'écono-
ciRARt:. 413
mie, dans tous les organes, dans tous les tissus, il y a
des nerfs constricteurs et des nerfs dilatateurs des vais-
seaux ; j'ai émis celte opinion et je la démontrerai
quand je reprendrai ces expériences dont j'ai donné les
premiers résultats il y a plus de vingt ans.
Tels sont en résumé les résultats des analyses expé-
rimentales que j'ai pu réaliser à l'aide du curare. Les
faits sont faciles à voir et à constater ; leur exactitude n'a
jamais été contestée par aucun expérimentateur, et il
doit toujours en être ainsi, parce que les faits restent
immuables quand ils sont bien observés ; seulement on
peut varier sur les interprétations à leur donner et
discuter sur les explications. C'est ce qui est en effet
arrivé. J'ai déjà examiné ces diverses objections , et
j'y reviendrai, s'il est nécessaire, dans le cours de
nos études de critique expérimentale ; mais quelque
divergence qu'il puisse exister entre les explications,
il n'en reste pas moins prouvé, comme je l'ai établi :
1° Que le curare détruit l'action des nerfs moteurs sur
les muscles et conserve celle des nerfs sensitifs sur la
moelle épinière pour produire des actions réflexes comme
à l'état normal. 2" Que le curare paralyse d'abord les
nerfs de la vie animale, puis les nerfs vaso-moteurs, etc.,
et c'est le seul point qu'il nous importe de bien fixer
aujourd'hui.
Nous avons dit qu'indépendamment des nerfs vaso-
moteurs de deux ordres, nous avons encore à distinguer
les nerfs musculaires proprement dits. J'ai établi ce fait
pour les muscles des membres (1). J'ai établi aussi que
il) Voyez Claude Bernard. Recherches sur les nerfs vaso-moteurs et calo-
rifiques iCompt. rend, de l'Académie des sciences, 1802;.
414 DES POISONS DWS LE S\N(;
pour la glande sous-rnaxilhiire, il y a des nerfs vaso-
constricteurs venant des ganglions sympathiques et des
nerfs vaso-dilatateurs venant de l'axe spinal. C'est un
fait général que je démontrerai pour tous les organes du
corps à l'aide d'expériences encore inédites; mais y a-t-il
dans les glandes salivaires, outre les deux ordres de
nerfs vaso-moteurs, un nerf glandulaire ou sécréteur
proprement dit? On pourrait croire qu'il en est ainsi.
Heidenhain a injecté sur un chien une dose d'atropine
suffisante pour paralyser tout à fait les filets du nerf
sécréteur. L'excitation de la corde du tympan n'aurait
plus déterminé alors la moindre sécrétion ; il y avait
cependant alors une accélération du courant sanguin
veineux qui ne différait pas essentiellement de celle qu'on
observait avant l'empoisonnement par l'atropine.
Ce fait fournirait la preuve la plus concluante que la
sécrétion produite par l'excitation de la corde du tympan
est entièrement indépendante des modifications qui ont
lieu dans la circulation de la glande, et que, par suite,
des fibres nerveuses seraient affectées d'une manière
distincte à la sécrétion et à la circulation de cet organe .
Ces faits ont trop d'importance pour que nous les admet-
tions sans contrôle. Mais avant même de répéter sous
vos yeux ces expériences délicates, je tenais à vous citer
ces travaux comme un nouvel exemple de tout le parti
qu'une expérimentation délicate est appelée à tirer de
l'usage des poisons. Aux considérations générales pré-
cédentes j'ajouterai encore une simple remarque, c'est
que l'action du curare n'est au fond elle-même qu'une
action physiologique. Les nerfs meurent par le curare
ACIDE CYANHYDRIQUE. 415
comme ils meurent naturellemeul par simple soustrac-
tion du sang à leur extrémité périphérique.
A la suite du curare, je désire vous entretenir, d'une
manière incidente, d'un autre poison qui peut faire
létonnement des physiologistes, non-seulement par
l'énergie de son action, mais aussi par la diversité que
cette action offre chez des animaux différents.
Nous aurons, à ce sujet, à écarter des croyances à
une action merveilleuse, inexplicable, auxquelles pour-
rait amener au premier abord la constatation de ces
effets rapides et singuliers : je veux parler de l'acide
prussique ou acide cyanhydrique.
Ce poison est le plus violent, le plus dangereux que
le physiologiste ait à manier : il suffit de déposer une
goutte d'acide cyanhydrique anhydre sur la membrane
conjonctive d'un chev;il, pour voir en quelques secondes
l'animal tomber comme foudroyé. Il suffît de faire une
inspiration un peu vive sur un flacon contenant cj
poison, pour en sentir aussitôt les terribles effets. Au-
trefois j'ai failli être empoisonné pour avoir respiré trop
énergiquement sur un verre qui contenait un cyanure
dans lequel on avait ajouté un acide. Les pharmaciens
et les chimistes ont parfois été victimes de ce poison
manié avec trop peu de précaution. Scheele serait mort,
dit-on, pour avoir respiré accidentellement de l'acide
cyanhydrique (1). L'acide cyanhydrique que nous allons
employer aujourd'hui n'est pas tout à fait aussi dange-
(Ij Voyez A. N. Gendrin, Snte sur l'empoisonnement (le sp}it malades par
Vacille liydrocijanujue, el remarques sur les préparations cjaniques iJourn.
(jénér. de méd. et de pharm., 1828, chap. m, p. Mu).
416 DES POISONS DANS LE SANG.
reux : c'est une solution aqueuse qui ne contient que
ip" de substance toxique; néanmoins vous allez être
témoins de ses effets foudroyants sur certains animaux.
Voici un oiseau (verdier) dans le bec duquel nous
laissons tomber une seule goutte de cet acide prussique :
l'animal tombe, quelques convulsions se produisent; il
est mort.
Voici une grenouille sous la peau de laquelle nous
injectons un demi-centimètre cube du même acide prusf
sique, c'est-à-dire au moins 40 fois plus de poison que
ce qui nous a suffi pour foudroyer un oiseau. Cepen-
dant la grenouille continue à se mouvoir, elle saute;
elle reprend sa pose naturelle; au bout de cinq minutes,
elle paraît aussi vivante qu'il y a un instant. Dans
quelques heures elle sera encore dans le même état.
Que devons-nous dire en présence de deux résultats
si différents en apparence? Penserons-nous qu'avec les
animaux les effets des poisons sont complètement dis-
semblables, et en conclurons-nous (ce qui, à mon sens,
serait une hérésie physiologique) que d'une action obser-
vée sur une grenouille nous ne pouvons rien conclure à
ce qui pourra arriver sur un animal à sang chaud? Nous
joindrons-nous enfin à ceux qui condamnent la physio-
logie expérimentale et lui refusent toute portée dans la
médecine, parce que, disent-ils, nous expérimentons
sur des animaux, et qu'il n'est pas légitime de conclure
des animaux à l'homme?
Non, messieurs; nous analyserons plus exactement les
phénomènes, et alors, sous une différence apparente,
nous constaterons une similitude complète d'action ;
ACIDE CyANIIYDRIQUE. 4J7
mais les mécanismes ne sont pas atteints de même I i
grenouille, surtout pendant l'hiver, présente, lorsque
a respn-ation ou la circulation sont interrompues , ar
1 extu'pation du cœur, par exemple, pendant lonotemps
encore les apparences de la vie, non-seulemenrp^r la
conservation des propriétés de ses tissus, mais aussi par
la conservation des mouvements harmoniques de sa
sensibilité, de sa volonté. Un oiseau ou un mammifère
au contraire, meurent dès que la respiration ou la cir'
culation s'est arrêtée, et c'est certainement sur l'un de
ces deux appareils essentiels que l'acide prussique porte
son action, comme nous le dirons bientôt.
La rapidité foudroyante avec laquelle Tacide cyan-
hjTlrique agit sur les animaux à sang chaud est assez
difGcile à comprendre. Nous savons, par les expériences
dont vous avez été témoins dans les leçons précédentes
combien sont rapides les phénomènes de transport mais
celte rapidité semble encore insuffisante pour expliquer
les effets foudroyants du poison. A une éi^oque où les
hypothèses ingénieuses tenaient, en phvsiologie, plus de
place que les expériences, nous voyions ces eff-els expli-
qués par un reflux du sang veineux, comme si un cou-
rant en retour était capable de revenir vers les éléments
anatomiques plus rapidement que le torrent sano-uin
suivant sa direction normale. « J'ai enfin découvert
disait P. Bérard (1), en parlant des animaux foudrovés
par une goutte d'acide prussique portée sur la conjonc-
tive, j'ai enfin découvert l'explication de ce phénomène
(1) p. Bérard, Cours de physiologie. Paris, 1819, t. Jf, p. coj.
CL. BERNARD. — Phjsiol. opér. ' ,,_
418 DES POISONS DANS LE SANG.
nouveau. Le saug de la conjonctive ne revient qu'en
très-petite partie par la veine faciale; il entre à plein
canal, par la veine ophthalmique, dans le sinus caver-
neux. Admettez le plus petit mouvement de reflux et le
sang chargé de principes délétères va pénétrer les
parties les plus importantes du centre nerveux. » 11
sufBt, pour juger l'hypothèse, de montrer l'extension
exagérée et inadmissible que lui donne son auteur. « Ce
reflux, continue plus loin P. Bérard, que je vous ai
montré borné aux veines aff'érentes aux sinus inférieurs
du crâne, se fait certainement sur une plus grande
échelle. De l'acide prussique anhydre est instillé dans la
veine jugulaire d'un animal. Il est tué comme s'il eût
été frappé d'un boulet de canon. Reconnaissez le reflux
du sang chargé de poison, ou renoncez à la théorie de
l'empoisonnement. Une goutte d'acide prussique con-
centrée est mise sur la langue d'un chien ; il fait rapi-
dement trois inspirations et tombe mort. C'est dans les
veines jugulaires que l'absorption a d'abord porté une
partie du poison, et tout s'est passé ensuite comme
dans les cas précédents. »
Nous devons avouer que, dans l'état actuel de nos
connaissances, la rapidité de cette action a quelque
chose d'embarrassant. Sans doute le poison agit d'une
manière complexe : il fait sentir ses effets sur le bulbe,
comme du reste sur tout l'axe gris de la moelle ; c'est
ce que tendent à démontrer les nombreuses recherches
de Preyer (1). Peut-être l'acide cyanhydrique agit-il
(1; Voyez W. Preyer, Dii Blausdure, phijsiologiscli. Untersuch. Bijnii, I87(i,
II* part., 11. 14").
ACIDE CYANHYDRIQUE. 4^9
sur les centres réflexes par l'intermédiaire direct des
nerfs sensitifs; j'examinerai d'une manière particulière
cette question. 3Iais il est des expériences montrant qu'en
même temps il agit sur le sang, sur le globule rou-e
et cette action serait jusqu'à un certain point à com-
parer à celle de l'oxyde de carbone. C'est ce que mon-
trerait l'analyse spectrale : l'hémoglobine formerait
avec l'acide prussique une combinaison cristallisant
sous la même forme que l'hémoglobine oxygénée et
dont le spectre serait tout à fait semblable àœlui que
donne cette dernière. Cette combinaison est modifiée
par les agents réducteurs. Nous devons dire que nous
n'avons pas réussi à vériûer ces résultats publiés par
quelques auteurs. Dans tous les cas, cette action de
l'acide prussique sur le sang ne nous paraîtrait pas
de nature à expliquer la mort dans le cas où l'animal
est foudroyé par une goutte d'acide anhydre placée sur
la conjonctive.
Nous n'insisterons pas sur ces différentes questions
qui demandent de nouvelles recherches : toujours est-il
que l'acide prussique est toxique pour tous les êtres de
1 échelle organique ; il tue même les végétaux : la sen-
sitive perd son irritabilité par son contact. Parmi les
animaux, ce sont ceux à sang chaud qui en ressentent le
plus vivement les atteintes. Chez eux, la mort est
instantanée. Lorsqu'on fait respirer l'acide anhydre ou
qu'on le dépose sur la conjonctive ou dans la bouche
après quatre ou six secondes l'animal fait quelques
inspirations larges et profondes, pousse des cris vio-
lents, se roidit et meurt. La circulation et la respiration
4^0 DES POISONS DANS LE SANG.
s'arrêtent, la sonsib.lité parait être atteinte et le. ani-
maux périssent comme s'ils étaient tués par 1 excès de la
doulenr, (l«i épuiserait la sensibilité et arrèteraU dans
le bulhe les facultés respiratoires ou circulatoires et
cela d'autant plus énergique.nent que l'animal est plus
sensible. . .
Nous pouvons prouver notre proposition ou notie
hypothèse par une expérience très-curieuse.
Nous chloroformisons un animal (chien ou lapin), et
lorsque l'anesthésie est complète, si l'on fait respirer ou
si l'on injecte sous la peau, ou même dans les veines,
de l'acide prussique en quantité suffisante pour tuer
l'animal, il en ressent beaucoup moins les effets appa»
rents tant qu'il est sous l'influence de l'anesthésie com-
plète- car si l'anesthésie est incomplète, il éprouvera,
à des degrés divers, les effets toxiques qui ne sont
pas neutrahsés d'une façon absolue. Quant a 1 action
intérieure du poison, ses effets sont masqués au moins
dans leur manifestation extérieure relativement a la
sensibilité et à la douleur; si le poison a le temps de
s'évaporer, alors l'animal peut n'en ressentir aucune-
ment les effets. L'animal anesthésié à sang chaud est
alors devenu plus ou moins semblable à l'animal a sang
froid Toutefois nous avons vu l'acide prussique anhydre
déposé sur la conjonctive chez un animal anesthésié pro-
duire la mort rapidement, tandis que l'action du poison
était bien moins énergique ou nulle quand l'acide était
déposé sous la peau du dos, par exemple.
Ainsi ce n'est pas en étudiant l'effet général des poi-
sons que nous pourrons acquérir des notions exactes sur
ACIDE CYANHYDRIQUE. 4^2
leur mode d'action; que le poison tue ou ne tue pas.
l'animal, qu'il le laisse survivre quelques secondes ou
quelques heures, ce sont là des faits pour ainsi dire
accessoires. Cette proposition pourrait paraître au moins
singulière; elle est cependant exacte, car c'est seule-
ment en pénétrant plus avant que nous pourrons com-
prendre ces anomalies suivant certains animaux, et les
expliquer et nous en rendre maîtres.
Permettez- moi de vous citer encore un exemple de
ces diversités d'effets de mêmes lésions chez les animaux
différents. Si l'on coupe, par exemple, le nerf moteur de
la face des deux côtés, chez un chien ou chez un lapin,
ranimai a la face paralysée, mais il n'en résulte rien de
fâcheux pour sa vie. Si au contraire on pratique la même
opération chez le cheval, il meurt très-rapidement après
la section des deux nerfs. Pourquoi cette différence?
Parce que les naseaux membraneux du cheval, étant
paralysés, ne peuvent plus laisser passer l'air, et que le
cheval, ne pouvant respirer que par les narines et non
par la bouche, asphyxie après cette opération. Cepen-
dant il serait absurde de dire que la section du facial
produit des effets différents. C'est toujours une paralysie
et pas autre chose. Seulement chez le cheval l'appareil
respiratoire présente une disposition spéciale qui donne
à celte section un résultat différent et bien plus grave.
Mais dès que l'on comprend le mécanisme de ce phéno-
mène, on peut y remédier en mettant des tubes rigides
dans les naseaux de l'animal, et alors la suffocation n'a
plus lieu, et le cheval survit comme le chien elle lapin
à la section des deux nerfs faciaux.
4^2 DES POISONS DANS LE SANG.
Ainsi la simple observation empirique ne nous
apprend rien ou nous trompe, si nous ne cherchons pas
à pénélrer plus avant. Il faut chercher sur quel tissu,
sur quel organe a agi le toxique, et l'on verra que
dans tous les cas, chez tous les animaux, cette action
élémentaire est la même, qu'elle diffère seulemen t, quant
à ses effets sur l'organisme général, selon quelques
circonstances accidentelles ou selon que l'élément ou
l'organe atteint arrête, par sa suppression même, l'har-
monie du jeu général de la vie de l'être animé.
A propos de l'action spéciale du poison sur les élé-
ments ou les organes, je dois vous mettre en garde
contre des tendances qui frapperaient le plus souvent
de stérilité nos recherches pour déterminer le lieu où le
poison a porté ses effets mortels. On s'imagine à priori
que, dans le mécanisme organique qui constitue la vie
de l'animal, il doit y avoir, toutes les fois que la mort
arrive par l'effet d'un poison ou de toute autre cause, il
doit y avoir une lésion matérielle visil)le, une désorga-
nisation tangible; on cherche avec ardeur, permettez-
moi l'expression, le rouage cassé. Telle est la tendance
actuelle des études d'anatomie pathologique; mais cette
science porte trop souvent à faux, même dans les cas où
elle constate des lésions. Dans un grand nombre de cas,
les lésions tangibles observées ne sont que des lésions
concomitantes dans lesquelles on ne peut qu'artiGciel-
lement placer le mécanisme de la mort.
En effet, les causes de la mort ne laissent le plus sou-
vent aucune trace anatomique, puisque nous pouvons,
par des artifices expérimentaux, faire revenir à la vie
ACIDE CYANIIYDRIQUE. 4';23
un animal qui vient de succomber cà l'empoisonne-
ment. Pour le curare, par exemple, il est bien évident
que par l'action mortelle de ce poison il n'y a rien eu
d'anatomiquement détruit. Quand nous tuons un animal
par la section du bulbe au contraire, l'autopsie nous
révèle ensuite nettement le traumatisme subi par la
partie supérieure de la moelle ; mais aussi il nous est
impossible, du moment que le bulbe est sectionné, de
sauver la vie de l'animal et de faire disparaître la lésion
que nous avons produite. Au contraire, lorsqu'un ani-
mal succombe à l'action d'un poison, du moment que
nous pouvons, au plus fort de cette action, le mettre en
état, comme vous l'avez vu à plusieurs reprises pour le
curare, de survivre à cette action et d'éliminer le poi-
son, il est évident qu'il n'y a pas eu de lésion anato-
mique, car du moment qu'une lésion de ce genre existe,
elle est irréparable. Il n'y a eu qu'un arrêt de fonction :
c'est ainsi que, par exemple, nous pouvons arrêter un
mécanisme d'horlogerie en arrêtant le balancier, sans
rien léser dans la série des ressorts et des engrenages;
mais si nous brisons une pièce quelconque, par le fait
même de la destruction de cette partie, le mouvement
est définitivement arrêté dans toute la machine sans que
nous puissions la remettre en jeu.
Je n'insiste pas sur ces idées que j'ai développées
déjà bien souvent devant vous en vous parlant de l'in-
suffisance de l'anatomie pathologique pour expliquer les
maladies, et je vous répéterai ici un mot que je vous ai
déjà dit : que l'anatomie n'est, par rapport aux phéno-
mènes de la vie, que ce que serait la géographie par
424 DES POISO>S DANS LE SANG.
rapport à l'histoire. En effet, nos connaissances anato-
niiqiies ne sont que de la topographie appliquée à l'his-
toire des fonctions ou des maladies, ou en d'autres
termes, si l'anatomie localise le phénomène, elle est
insuffisante à l'expliquer.
Ces considérations me sont suggérées par l'étude
même de l'action de l'acide prussique. Sous l'influence
des idées anatomo-pathologiques, on a voulu trouver des
lésions anatomiques pom^ tous les empoisonnements ; on
en a même décrit pour celui qui nous arrête en ce mo-
ment : on aurait trouvé les cellules des centres nerveux
dilacérées, et par cela même incapables de remplir
désormais leurs fonctions. Mais ce sont là de pures vues
de l'esprit , on plutôt encore les résultats des méthodes
défectueuses mises en usage pour étudier les éléments
anatomiques des centres nerveux, et vous savez (com-
bien celte étude microscopique est délicate. Mais une
recherche attentive et faite avec les précautions voulues
ne devra révéler aucune lésion visible dans les cellules
nerveuses d'un animal venant de succomber à Tempoi-
sonnement par l'acide cyanhydrique, puisque nous pou-
vons, si nous voulons, ramener l'animal à la vie. Aussi
la médecine légale, qui a tant d'intérêt à révéler la
cause et le mécanisme de la mort, n'a-t-elle, dans les
cas de ce genre, d'autre moyen de parvenir à son but
que de retrouver le poison lui-même, et non la lésion
anatomique.
En réalité, beaucoup d'empoisonnements n'ont pas
d'anatomie pathologique. L'acide prussique est dans ce
cas; car, nous le répétons, nous avons pu faire fréquem-
ACIDE CYANHYDRIQUE. 425
ment revenir à la vie des chiens qui avaient été empoi-
sonnés par l'acide prussique, dont la respiration était
arrêtée, lîon par une lésion analomique réelle, mais par
une sorte d'inertie survenue dans le jeu du mécanisme.
Nous nous sonmies servis pour cela d'un courant élec-
trique que nous faisions passer de la bouche à l'anus.
Sous cette influence, les battements du cœur se réveil-
laient, les mouvements respiratoires finissaient par se
rétablir, et l'animal, revenu, ne présentait plus rien de
son élat antérieur; il mangeait et était dans un éiat
paifait de sanlé. Nous avons fait revenir trois fois, de
celte manière, un gros chien qui avait été empoisonné
par des doses considérables d'acide prussique. Donc,
chez ce chien, on ne pouvait pas admettre des éléments
brisés ou des lésions anatomiques profondes; sans cela
il ne serait pas revenu.
Toutefois nous ajouterons qu'il faut avoir affaire
à des animaux vigoureux, car des animaux aifid-
blis n'offrent pas les mômes ressources. En effet, j'ai
prouvé autrefois que toutes les douleurs, même légères,
retentissent sur le cœur et ont pour premier effet de
l'arrêter. Il y a donc toujours en réalité tendance à la
production d'une syncope. Seulement cet arrêt du cœur
chez un animal vigoureux est aussitôt suivi de la reprise
et de la continuation des battements du cœur, et la cir-
culation n'en souffre pas sensiblement ; mais si l'animal
est affaibli, l'arrêt du cœur peut être définitif et pro-
duire une syncope mortelle. C'est ainsi que Chossal pro-
duisait la mort subite en pinçant la palte chez des tour-
terelles très-affaiblies par l'abstinence. Dernièrement,
426 DES POISONS DANS LE SANG.
M. Tarchanoff a montré que chez des grenouilles dont
le mésentère avait été irrité au contact de l'air on pro-
duisait cet arrêt du cœur en excitant très-légèrement
la surface du mésentère enflammé et devenu plus
sensible.
C'est dans ce même ordre d'idées qu'il faut examiner
la question si importante des contre-poisons. Lorsque
l'on voit deux agents toxiques neutraliser, en apparence,
leurs effets, si l'on suppose que ces effets ont pour cause
une lésion anatomique, on est forcément amené à pen-
ser que, par le fait même de l'administration simul-
tanée des deux agents, les lésions analomiques ne se
sont pas produites, les deux agents s'étant neutralisés
dans le milieu intérieur, absolument comme une base
neutralise un acide. Cette manière de voir est partagée
par plus d'un médecin; mais ce n'est pas ainsi que se
passent les choses dans la plupart des cas. Nous n'ad-
mettons pas cette prétendue neutralisation, cet anta-
gonisme des poisons, parce qu'aucun fait expérimental
ne nous l'a démontré. Tout ce que nous avons vu nous
a fait penser que les poisons ne se neutralisent pas, que
chacun produit son effet propre, et que ces effets se
superposent. Il peut résulter de cette superposition d'ef-
fets des conditions nouvelles pour l'organisme, condi-
tions qui lui permettront d'éliminer les poisons, et, par
suite, de survivre à l'intoxication.
En effet, nous ne connaissons jusqu'à présent qu'une
manière de neutraliser un poison, c'est de le chasser de
l'organisme. Vous l'avez vu pour le curare. 11 en est de
même pour la strychnine. On a beaucoup insisté, à l'ap-
CURARE ET STRYCHNINE. 427
pui de la théorie de la neulralisalion des poisons les uns
par les autres, sur ce fait : que le curare peut empêcher
la mort des animaux empoisonnés par la strychnine. Si
nous examinons exactement les faits, c'est-à-dire les
propriétés de chacun des poisons, nous voyons que le
curare, en produisant un degré plus ou moins prononcé
de paralysie des muscles dans lesquels la strychnine,
par son action médullaire, tendrait à faire éclater des
convulsions, permet à l'organisme de gagner du temps,
et, par suite, à l'éhmination de la strychnine de se pro-
duire avant qu'elle ait pu amener la mort. En outre,
le curare, en activant la circulation, favorise à un haut
degré cette élimination.
Puisque dans ce cas, sous l'intluence du curare, l'ani-
mal revient d'un empoisonnement strychnique auquel
il aurait succombé dans toute autre circonstance, il est
bien évident que la strychnine n'a rien détruit, n'a rien
brisé dans la structure des éléments anatomiques sur
lesquels elle fait sentir son action. Nous en revenons
donc à ce fait d'une double importance, à savoir, que les
poisons, et par leurs actions isolées, et par leurs actions
combinées, nous présentent des moyens de vivisection
infiniment plus délicats que ceux réalisés par les instru-
ments tranchants et par les autres moyens de destruc-
tion, puisque, avec les premiers seulement, nous pouvons
tour à tour, à notre gré, supprimer et faire réappa-
raître les fonctions des organes et des éléments que
nous devons étudier.
A ce propos, j'ajouterai encore quelques mots relative-
ment à l'action comparée du curare et de la strychnine.
458 DES POISONS DANS LE SANG.
Le curare agit sur le nerf moteur en atteignant sa
périphérie, et il l'épuisé de façon à faire mourir le nerf,
selon sa mort naturelle, du centre à la périphérie. Le nerf
sensitif reste au contraire parfaitement intact, comme
je vous l'ai montré dans une expérience aujourd'hui clas-
sique. Cette action du curare surle nerf moteur, et non sur
le nerf sensitif, iious montre, comme je vous l'ai déjà dit,
que ces deux nerfs sont distincts, puisqu'un poison arrête
les fonctions de l'un et pas celles de l'autre. Mais, pour
nous rendre compte de cette action du curare, qui tou-
che le nerf par la périphérie et le rend inactif à son
centre, nous sommes porté à admettre que les fonctions
du nerf moteur sont le résuliat de vibrations dont le
centre vibratoire est à la périphérie et qui s'étend, dans
Tétat fonctionnel, du n)uscle à la inoelie épinière. Ces
vibrations, ayant leur centre ou leur point de départ
dans l'extrémité nerveuse musculaire (plaque motrice?),
s'éteignent graduellement quand le curare touche cette
extrémité, en commençant tout naturellement à dispa-
raître dans les points les plus éloignés de leur centre
d'irradiation, c'est-à-dire dans la moelle épinière. C'est
ce qui a lieu en effet : quoique le curare rende le nerf
d'abord inactif à son extrémité centrale, il n'agit |)as
pour cela sur la moelle épinière.
La strychnine, au contraire, agit essentiellement sur
la moelle épinière, ainsi que tout le monde le sait de-
puis Magendie. Cette action du poison excite des con-
vulsions et épuise rapidement les propriétés de réaction
réflexe des nerfs de sensibilité et de mouvement. Le
aerf moteur peut être épuisé; mais alors il est atteint
CURARE ET STRYCHNINE. 429
par l'action de la moelle épinière sur lui, et, chose re-
marquable, j'ai trouvé qu'on peut, dans certains cas,
faire revenir les propriétés du nerf en le séparant de la
moelle épinière.
Ainsi, vous le voyez, l'action de la strychnine est
toute différente de celle du curare, et elle pourra aussi
nous servir d'instrument d'investigation dans l'étude du
système nerveux.
Je borne là, messieurs, les considérations que j'avais
à vous donner sur cette question des poisons considérés
comme instrumenis d'investigation physiologique; c'est
un des sujets les plus intéressants pour la physiologie et
pour la médecine. Il y a vingt ans, j'ai fait ici mes cours
sur les substances toxiques et médicamenteuses, dans les-
quels j'ai développé les mêmes idées que je vous expose
encore aujourd'hui. Je crois que ces principes ont ou-
vert une voie féconde ; mais je n'ai pas eu la prétention
d'avoir fermé le sujet et arrêté la science sur ce point.
J'ai l'intention de revenir plus tard sur ce sujet, et je
reprendrai ces mêmes études avec l'expérience que
m'auront donnée des recherches encore inédites, ainsi
que les travaux d'autres expérimentateurs.
DIX-NEUVIÈME LEÇON
Sommaire : De la respiration artificielle comme moyen d'analyse physiolo-
gique. — Effets mécaniques de l'insufflation pulmonaire. — De l'apnée
produite par la respiration artificielle. — De l'oxyde de carbone comme
moyen d'analyse physiologique. — Recherche du mode d'élimination de
l'oxvde de carbone. — >'ouvelles expériences.
Messieurs,
Parmi les moyens qui nous permettent de réaliser ce
que nous pouvons appeler une sorte de dissection des
phénomènes physiologiques, je dois attirer particulière-
ment votre attention sur un moyen que nous employons
très-souvent, et dont un laboratoire bien installé doit
avoir les appareils prêts à entrer en jeu au premier
besoin : je veux parler de la respiration artificielle .
Vous savez que lorsque nous disons qu'un animal
est mort, cela signifie le plus souvent que cet animal
se trouve dans un état de rupture d'équilibre entre ses
diverses fonctions, tel que, cet état persistant, la vie
s'éteindra successivement dans les divers éléments ana-
tomiques : l'animal ne reviendra plus à la vie, si Ton
n'aide pas artificiellement au rétablissement de l'équi-
libre; mais la mort n'est pas tout de suite absolue et
complète. Tel animal dont la respiration est arrêtée
présente en apparence tous les symptômes de la mort,
RESPIRATION ARTIFICIELLE. 431
et cependant ses éléments de tissus vivent encore, et il
suffira de ramener les échanges gazeux, supprimés par
la cessation de la respiration, pour que cette vie latente
se manifeste par ses phénomènes extérieurs. C'est ainsi
qu'il faut comprendre l'expression de rappeler à la vie,
de ranimer un animal mort en apparence, et qui de fait
ne recouvrerait pas spontanément l'équilibre physiolo-
gique rompu; c'est ainsi que de tout temps on s'est
efforcé de rappeler à la vie les individus noyés ou as-
phyxiés. Mais, pour que ces moyens puissent réussir, il faut
avant tout que les dernières actions réflexes ne soient
pas éteintes; sans cela, le retour à la vie serait im-
possible.
Or, de tous les moyens dont se sert le médecin dans
les circonstances indiquées, aussi bien que le physiolo-
giste dans les circonstances nouvelles créées par l'expé-
rimentation, de tous les moyens employés pour rappeler
les animaux à la vie, le plus précieux et le plus employé
est sans contredit la respiration artificielle. Vous nous
l'avez vu appliquer sur les animaux curarisés, et nous
avons pu ainsi mettre ces animaux dans des conditions
où s'est effectuée l'élimination du poison, de sorte que
nous les avons vus revenir à la vie. Nous avons pu alors
établir que les animaux curarisés sont tués non par le
curare, mais par l'asphyxie : le poison n'est pas l'agent
immédiat de la mort; en supprimant le jeu de tous les
muscles, et par suite celui des muscles de la respiration,
il arrête l'une des fonctions les plus indispensables, et
l'asphyxie devient la cause immédiate delà cessation de
la vie. Mais que l'on s'oppose à l'asphyxie, que la respi-
432 DES GAZ DANS LE SANG.
ration artificielle soit pratiquée aussi longtemps que
l'animal ne peut lui- môme dilater et resserrer son
Ihorax, et vous verrez la vie se continuer, pour repren-
dre bientôt toute son intégrité et toutes ses apparences
extérieures par le retour de la respiration spontanée.
Dans ce cas, le curare n'aura donc pas tué l'animal, et
si l'on a afïïiire à des animaux inférieurs, dont la respi-
ration se fait à l'air par toute la surface du corps, le
curare ne les tue pas non plus.
Il est une infinité de cas identiques avec l'exemple
que je viens de vous citer, et dans lesquels la respira-
tion artificielle nous est très-précieuse en nous permet-
tant de distinguer la subordination de certains phéno-
mènes, d'étudier isolément certaines propriétés de tissus
ou d'organes, de faire, en un mot, l'analyse physiolo-
gique. Ce retour à la vie des animaux empoisonnés, par
la respiration artificielle, prouve, ainsi que je vous l'ai
déjà fait remarquer, que les lésions produites n'étaient
que passagères et fugaces, que par conséquent l'anatomie
pathologique, quoique perfectionnée par le microscope,
est bien loin de saisir dans les tissus les causes immé-
diates de la mort.
Dans les Leçons préliminaires (ci-dessus, page 254)
sur les appareils qui constituent l'arsenal du labora-
toire, je vous ai donné la description détaillée des
appareils employés pour pratiquer la respiration arti-
ficielle ; je vous en rappellerai donc simplement le
principe général.
La respiration artificielle peut se pratiquer de plusieurs
manières : sur des noyés, en l'absence de toute instru-
RESPIRATIOX ARTIFICIELLE. 433
mentation spéciale, on a pu la pratiquer simplement de
bouche cà bouche; l'air ainsi insufflé dans le thorax con-
tient encore assez d'oxygène pour suffire à un commen-
cement d'hématose. Je n'ai pas besoin d'insister sur
l'imperfection de ce procédé primitif.
En physiologie, nous disons pénétrer i'air par le
mécanisme d'un soufflet, plus ou moins modifié, qui
aspire l'air extérieur, puis le chasse dans le poumon
de Janimal (voy. ci-dessus les fig. 63 et 64, p. 225 et
227). Le mécanisme de cette respiration artificielle est
précisément l'inverse de ce qui se passe dans la res-
piration naturelle; les conditions de pression sont inter-
verties : dans la phase de pénétration, l'air, au lieu
d'être aspiré par le jeu de la cage thoracique, vient, en
vertu de la tension propre qui lui est communiquée par
le soufîlet, dilater activement le poumon et le thorax.
Quant à l^expiration, elle se fait toujours par la réac-
tion élastique du thorax et du poumon, qui reviennent
a leurs dimensions premières et expulsent l'air introduit.
Il serait certainement préférable de réaliser une res-
piration artificielle dont les conditions mécaniques se
rapprocheraient davantage de ce qui se passe normale-
ment. Par des pressions exercées méthodiquement et
à intervalles égaux sur le thorax, ou a bien essavé de
simuler le jeu normal de la respiration, de même que
par le soulèvement des bras. Mais les résultats ainsi ob-
tenus sont insuffisants et neproduiraient,surloutau point
de vue de nos expériences de longue durée, qu'une
aération imparfaite du poumon. On a également essayé
de reproduire les mouvements inspiratoires par la gal-
tr.. BERNARD. — Physiol. opér. o,.
434 RI^S GAZ DANS LE SANG.
vanisation des nerfs, et notamment du nerf phré-
niq.ie- mais ici encore nous ne saurions nous conlenter
de ce moven, lors(iuc nous avons à reproduu^e sur
un animai; non pas quelques inspirations, mais le jeu
complet du thorax pendant douze ou même vmgt-quatre
heures. . p • i,
Nous devons donc accepter la respiration artificielle
par insufflation, quoiqu'elle renverse certaines condi-
tions mécaniques très-imporlanles au point de vue des
pressions alternatives supportées par les organes et les
liquides du thorax. 11 nous suffira de savoir faire exacte-
ment, dans nos expériences, la part de ces conditions
nouvelles. Et nous allons d'abord examiner, au point de
vue de la vie de l'animal, quels sont les dangers que
présente la respiration artificielle ainsi pratiquée.
Ces dangers sont des résultats purement mécaniques
de conditions nouvelles introduites dans le jeu du
poumon. Ainsi on adès longtemps remarqué qu'en cher-
chant à conserver la vie d'un homme ou d'un animal
par la respiration artificielle, on n'était arrivé trop sou-
vent à d'autre résultat qu'à produire plus rapidement
la mort. Il y a donc là certains accidents à prévenir,
certaines conditions à observer.
Fn effet, une insufflation trop brusque et trop vio-
lence peut amener une rupture des vésicules pulmo-
naires, et par suite un emphysème interstitiel. Tous les
animaux ne sont pas également exposés à ces déchirures,
et les conditions d'âge ne sont pas sans importance.
Plus l'animal est jeune, plus l'accident est facile. Chez
le lapin, le poumon est plus friable que chez le chien :
RESPIRATION ARTIFICIELLE. 435
rien n'est plus délicat, à ce point de vue, qu'un jeune
lapin ; un chien âgé est au contraire l'animal chez lequel
l'insufflation peut être le plus hardiment pratiquée.
Ces considérations ne s'appliquent pas seulement à la
simple question de l'étendue et de l'énergie que l'on
pourra donner à la respiration artificielle dans nos ma-
nœuvres de laboratoire ; elles nous permettent de nous
rendre compte d'une question qui a longtemps divisé les
expérimentateurs, et dont la solution n'a été retardée
que parce qu'on ne s'était pas attaché à bien déterminer
les susceptibilités particulières que peuvent présenter les
animaux précisément au point de vue de la friabihté. de
la vulnérabilité de leur tissu pulmonaire. Vous savez que
les animaux, chien ou lapin, succombent fatalement
a la section bilatérale des pneumogastriques : dans ces
conditions, on trouve toujours, à l'autopsie des jeunes
lapins, une hépatisation considérable du tissu pulmo-
naire; il en est de même si l'on a expérimenté sur de
jeunes chiens.
Cette lésion pulmonaire est-elle la cause de la mort?
Oui, sans doute, pour ces animaux en particulier; mais
il n'est pas permis cependant de conclure que l'hépa-
tisation pulmonaire soit le mécanisme général de la
mort après section des nerfs vagues. Les jeunes ani-
maux soumis à cette opération ont les poumons d'une
friabilité telle, que les circonstances mécaniques nou-
velles et les accidents amenés par la section nerveuse
ont bientôt produit des désordres pulmonaires mortels;
mais ce sont là des conditions spéciales. Chez les ani-
maux âgés, et surtout chez les vieux chiens, ces désor-
436 DES GAZ DANS LE SANG.
dres sont bien plus lents à se produire, et chez ces ani-
maux ayant subi la section des pneumogastriques, avant
que ces désordres aient atteint une intensité mortelle, la
mort se produit, môme parfois sans aucune lésion pul-
monaire, par un mécanisme que j'ai étudié autrefois
et dont les éléments sont du reste complexes.
Indépendamment des accidents mécaniques que peut
produire la respiration artificielle, on peut observer des
phénomènes singuliers qui se rattachent au fait de
l'introduction d'une quantité relativement considérable
d'oxygène dans le sang. La respiration artificielle, fai-
sant pénétrer l'air avec plus de force dans le poumon,
dépasse pour ainsi dire les besoins de l'hématose nor-
male : l'échange gazeux devient très-considérable entre
le sang et l'air des alvéoles, surtout si cet air est rapi-
dement renouvelé; le sang se trouve par suite bientôt
très-riche en oxygène et très-pauvre en acide carbo-
nique. C'est alors que se produit le phénomène singu-
lier désigné sous le nom &' apnée, ou sensation du besoin
de respirer.
Il arrive en effet que, sur des animaux intacts, c'est-
à-dire normaux et respirant spontanément, si l'on pra-
tique la respiration artificielle, après avoir vu les mou-
vements normaux et les mouvements artificiels de la
respiration se mêler et se contrarier pendant un certain
temps, on assiste en définitive à une cessation complète
des mouvements spontanés. Dans !a respiration artifi-
cielle pratiquée chez un animal curarisé, nous avons
observé quelquefois ce phénomène; mais nous n'avons
pas pu l'observer chez des chiens empoisonnés par
f
RESPIRATION ARTIFICIELLE : APNÉE. 437
l'oxyde de carbone ou par la strychnine; nous n'avons
pas vu les convulsions cesser d'une manière constante.
Pour expliquer ce singulier phénomène d'apnée, on
admet que le centre nerveux qui préside aux mouve
ments respiratoires, placé dans le bulbe, entre en action,
soit d'une manière réflexe, par les impressions que lui
apportent les nerfs sensitifs, soit d'une manière directe,
par des excitations qui portent immédiatement sur lui.
C'est le sang qui, selon son contenu de gaz (oxygène et
acide carbonique), produit sur le centre respiratoire
cette excitation directe. Mais les discussions les plus
complexes se sont élevées, et les expériences en appa-
rence les plus contradictoires ont été mises eu avant,
lorsqu'il s'est agi de déterminer exactement les condi-
tions qui donnent au sang ses propriétés excitantes sur
le centre bulbaire.
S'il arrive, dit-on, une grande quantité d'oxygène
dans le sang, la respiration se ralentit : un animal auquel
on fait une respiration artiflcielle active (plus de seize à
vingt fois par minute, ce qui est le chiffre normal des
mouvements respiratoires chez le chien), soit avec de
l'air, soit, mieux encore, avec de l'oxygène, suspend
bientôt toute tentative de respiration spontanée {apnée).
D'autre part, si l'on fait respirer à un chien un air
fortement chargé d'acide carbonique, il se manifeste
des mouvements respiratoires violents; le centre respi-
ratoire bulbaire est fortement excité : il y a dyspnée.
Il semble donc, d'après ces premières données, que
l'acide carbonique du sang est, par le fait de son con-
tact avec les cellules du centre respiratoire, l'agent
438 DES GAZ DANS LE SANG.
mêniede leur excitation. Mais dans le fait de la respi-
ration d'un air ordinaire fortement char2;é d'acide car-
bonique, il y a deux éléments à distinguer : 1" excès
d'acide carbonique; 2" diminution relative et toujours
croissante d'oxygène. Est-ce à l'excès d'acide carbonique
ou au manque d'oxygène qu'est due, dans la dyspnée,
l'excitation des centres respiratoires? La solution de
cette question, si elle est possible, nous permettrait, en
invoquant le mécanisme inverse, de nous expliquer le
phénomène inverse, c'est-à-dire l'apnée, qui peut résul-
ter de la respiration artificielle.
Les premières expériences faites dans ce sens sont
celles de M. Wilh. MuUer. Ce physiologiste a observé
qu'un chien peut respirer une atmosphère très-chargée
d'acide carbonique sans présenter de dyspnée, pourvu
que cette atmosphère soit en même temps plus riche en
oxygène que l'air ordinaire. Cela n'est pas absolu, car
j'ai vu, il y a longtemps, qu'un animal succombe dans
une atmosphère composée à parties égales d'oxygène et
d'acide carbonique. Ce serait donc moins la présence de
l'acide carbonique que l'absence ou l'insuffisance d'oxy-
gène qui produit la dyspnée. Quant à l'état contraire,
l'apnée, il serait produit, conclut le même physiologiste,
non par l'absence d'acide carbonique, mais par l'excès
d'oxygène. L'acide carbonique et l'oxygène devraient
jouer dans le sang des rôles bien différents. D'après des
expériences que je n'ai point encore publiées et qui ne
peuvent trouver place ici, je pense que l'oxygène serait
au contraire un gaz excitateur fonctionnel des organes,
tandis que l'acide carbonique est un excitateur de la
RESPIRATION ARTIFICIELLE : APNÉE. 439
nutrition organique. Quoi qu'il en soit, il fallait, pour
éclaircir celte question complexe, étudier séparé-
ment l'intluence de l'absence d'oxygène, d'une part,
et, d'autre part, l'influence de l'absence de l'acide
carbonique.
C'est ce qu'a essayé de faire Rosenlhal; nous verrons
s'il y a réussi, et si ces deux éléments du problème peu-
vent en effet être ainsi expérimentalement isolés, ou
s'ils ne sont pas, par la nature même des choses, liés
l'un à I autre, comme corrélatifs d'un seul et même phé-
nomène chimique.
Rosenlhal fit respirer des chiens dans de l'hydrogène
pur [Arch. de Reichertet de Bois-Reymond^ années 1864
et 1865), et observa que, dans ces circonstances, la mort,
qui arrive fatalement si l'expérience est continuée, est
précédée, non des symptômes d'apnée, mais bien de ceux
de dyspnée. Donc, disait-il, la dyspnée est produite parle
manque d'oxygène; l'apnée est inversement la consé-
quence d'une suroxygénation du sang. L'acide carbo-
nique ne serait, en aucune manière, fadeur dans les
symptômes d'apnée et de dyspnée. En effet, Rosenlhal
pensait avoir réalisé par la respiration artificielle dans
l'hydrogène des circonstances telles que le sang ne con-
tenait pas d'oxygène, en même temps que l'acide car-
bonique, vu l'aération du poumon par l'hydrogène, pou-
vait être rejeté au dehors.
C'est précisément dans cette dernière partie de son
raisonnement que Rosenlhal paraît s'être laissé induire
en erreur. Est-il vrai qu'il se soit mis à l'abri de toute
accumulation d'acide carbonique dans le sang en aérant
440 DES GAZ DANS LE SANG.
le poumon avec un gaz neulre, tel que l'hydrogène ou
l'azote? Non, et en voici la raison.
On sait, en effet, que l'élimination de l'acide carbo-
nique (lu sang n'est pas un simple phénomène de dif-
fusion gazeuse au niveau du poumon : il y a là une action
chimique qui chasse activement l'acide carbonique; et
l'on sait aujourd'hui que l'oxygène, au moment oii il se
combine avec l'hémoglobine, agit en môme temps pour
amener ce dégagement de l'acide carbonique. Or, quand
on met un animal à respirer dans l'hydrogène, cet ani-
mal continue, pendant les premiers instants de Fexpé-
rience, à former de l'acide carbonique avec l'oxygène
que contenait son sang; cet acide carbonique reste en
grande partie dans le sang, parce qu'il n'est pas éliminé
comme dans la respiration à l'air libre ; parce que, répé-
tons-nous, la respiration d'hydrogène ne chasse pas
l'acide carbonique au même degré que la respiration
d'air (Thiry, Travaux de la Société médico-allemande
de Paris ^ 1865).
Aujourd'hui, les physiologistes allemands (Wundt,
Hermann, etc.) adoptent une opinion mixte : ils admet-
tent, avec Dohmen (Dohmen, Arbeiten des Bonner
physioL Instituts^ 1865), que le manque d'O et l'excès
de CO' sont à la fois excitants du centre respiratoire;
que l'apnée produite par la respiration artificielle tient
à la lois au manque de CO' et à l'excès d'O; mais ils
attribuent cependant plus d'importance au manque de
CO-, l'oxygène agissant surtout en favorisant l'élimina-
tion de CO". Vous voyez que la solution de cette ques-
tion est plus complexe qu'on ne saurait le croire au
r
RESPIRATION ARTIFICIELLE. 441
premier abord. En alleudant que de nouvelles expé-
riences nous permettent de mieux préciser les éléments
du problème, j'ai voulu vous faire entrevoir par cet
exposé combien sont étendues les études physiologiques
auxquelles peut donner naissance la seule question de la
respiration artiûcielle.
Que serait-ce si, étendant ce domaine, nous exami-
nions les cas dans lesquels l'introduction d'oxygène dans
le sang est augmentée très au delà des limites phy-
siologiques? Vous connaissez tous les expériences de
M. P. Bert à ce sujet : vous savez que Toxygène, ce
pnbidum vitœ, devient un poison général de tout orga-
nisme, de toute cellule vivante, lorsqu'il est en contact
avec elle sous une très-forte pression; de sorte que l'on
peut dire qu'il faut de l'oxygène, mais qu'il n'en faut
pas un excès, pour entretenir les phénomènes de la vie.
Enfin, pour terminer la question des accidents que
peut produire la respiration artificielle, je dois vous
indiquer certains troubles qu'elle apporte dans le fonc-
tionnement des organes, et les réactions pathologiques
auxquelles elle peut donner lieu.
La respiration artiûcielle, quelque précaution que l'on
mette à la pratiquer, est forcément brutale et soumet
l'arbre aérien à une violence inusitée; aussi voit-on
presque toujours des troubles pulmonaires se produire
chez les animaux qui y ont été soumis et qui ont sur-
vécu. Je ne fais pas allusion ici aux ruptures alvéolaires
cl à l'emphysème qui se produisent mécaniquement;
mais aux réactions morbides qui, telles que la bronchite
ou certaines formes de pneumonie, se montrent peu de
442 DES GAZ DANS LE SANG.
temps après que l'animal, le chien par exemple, a subi
une respiration pulmonaire d'une certaine durée.
Ce fait a été noté des premiers expérimentateurs qui
ont prati(pié la respiration artificielle. Vous savez que
l'Anglais Brodie, étudiant l'action de divers poisons, fut
le premier qui fit revivre un animal curarisé en lui
faisant l'insufflation pulmonaire. L'animal (c'était une
ânesse) qui survécut à cette mémorable expérience fut
conservé et devint un objet de curiosité; parmi les faits
qui frappèrent ses visiteurs, nous trouvons notée une
affection pulmonaire, pneumonie ou bronchite, qui,
pendant plus d'un an, mit l'animal en danger de mort.
Les lapins sont si sensibles à ces lésions puhnonaires,
qu'il est rare de voir un de ces animaux survivre à une
insufflation artificielle longtemps continuée; s'ils ne
succombent pas rapidement aux ruptures pulmonaires
et à l'emphysème dont je vous ai signalé la fréquence
chez eux, ils meurent quelques jours plus tard de
catarrhe, d'inflammation aiguë des voies respiratoires.
Du reste, ce n'est pas seulement sur le poumon que
la respiration artificielle exerce cette action perturba-
trice. Vous savez combien l'aspiration pulmonaire est
utile à la circulation veineuse, et notamment à la circu-
lation veineuse du foie; aussi, à la suite de la respira-
tion artificielle, qui remplace l'aspiration thoracique par
un reflux ou tout au moins par une stase dans les veines
sus-hépatiques, trouve-t-on tous les signes de conges-
tion du côté du foie et du système de la veine porte.
Quand, chez un chien soumis à la respiration arti-
ficielle, on découvre la veine jugulaire externe à la
OXYDE Dt CARBONE. 443
partie inférieure du cou, à son entrée dans la poitrine,
on voit à chaque insufflation d'air (ce qui répond à l'in-
spiration) un reflux considérable avoir lieu dans la veine,
et, si Ton vient à l'ouvrir, un jet de sang est lancé au
dehors. C'est qu'en effet la dilatation du poumon par
compression de l'air agit en sens inverse de la dilatation
du poumon par dépression de l'air. Ce reflux du sang
veineux se manifeste aussi dans les veines rachidiennes
et cérébrales, et peut amener certainement des modifi-
cations dans la circulation des centres nerveux.
Nous vous avons parlé, dans les leçons précédentes,
des agents toxiques comme moyen d'étude et d'investi-
gation physiologique. A propos de la respiration, je
désire vous dire quelques mots d'un agent très-intéres-
sant, en ce qu'il peut nous faire pénétrer plus profondé-
ment dans l'étude des propriétés respiratoires du glo-
bule sanguin : je veux parler de l'oxyde de carbone.
L'empoisonnement par l'oxyde de carbone a été
depuis longtemps, de notre part, l'objet de nombreuses
recherches; parmi les lacunes que laisse encore cette
étude, l'une des plus intéressantes et des plus difficiles
à combler est celle du mécanisme par lequel les animaux
incomplètement intoxiqués peuvent revenir à la vie en
éhminant le poison. Nous terminerons cette leçon par
Texposé de quelques recherches que nous avons faites
à ce sujet dans le laboratoire, et, en répétant devant
vous les principales expériences, nous chercherons
à pousser encore un peu plus loin l'analyse physiologique
des propriétés du globule sanguin.
444 DES GAZ DANS LE SANG.
Mais rappelons crabord très-rapidement les faits déjà
établis relativement à l'action de l'oxyde de carbone.
Ce gaz, qni est essentiellement l'agent toxique de la
vapeur de charbon, exerce son action en se portant sur
le globule sanguin; il a pour cet élément anatomique
une afQnité très-grande : nous pouvons dire affinité, car
ils'asrit là d'une véritable combinaison chimique. Vous
savez que V hémoglobine^ qui constitue essentiellement
le globule sanguin au point de vue de la respiration,
c'est-à-dire de la fixation et du transport de l'oxygène,
forme avec ce gaz une combinaison, l'oxyhémoglobine,
ou hémoglobine oxygénée. Mais j'ai démontré que cette
même substance forme une combinaison analogue avec
l'oxyde de carbone, combinaison plus stable, et qui
prend naissance toutes les fois que le sang se trouve en
présence de ce gaz; alors l'oxygène n'est plus fixé, il
est même chassé du globule rouge sur lequel se fixe
l'oxyde de carbone. Tel est le mécanisme si siinple de
l'intoxication, mécanisme qui nous offre un des exem-
ples les mieux définis de l'analyse physiologique pour-
suivie jusque dans les éléments anatomiques; au dernier
terme de cette analyse, nous nous trouvons en présence
d'un simple phénomène chimique : le déplacement par
affinité chimique de l'oxygène par l'oxyde de carbone.
Je dois encore vous rappeler le procédé que l'on
emploie le plus souvent pour constater k présence de
l'oxyde de carbone dans le sang : je veux parler de la
spectroscopie. — Quand on examine au spectroscope
une dissolution de sang artériel, on voit apparaître dans
le spectre deux bandes d'absorption situées a peu près
OXYDE DE CARBONE. 445
aux deux extrémités de la partie jaune du spectre :
c'est là le spectre du sang oxygéné, caractérisé en outre
par ce fait, que si l'on agite cette dissolution sanguine
avec un agent réducteur (sulfhydrate d'ammoniaque), on
voit les deux bandes précédentes disparaître et être
remplacées par une seule bande noire plus large placée
à peu près au milieu de la région jaune. On a ainsi le
spectre du sang réduit. Ainsi la présence de l'oxygène
est caractérisée par l'observation du spectre de l'hé-
moglobine oxygénée, et par la possibilité de substituer
immédiatement à ce spectre celui de l'hémoglobine
réduite.
Or, si l'on examine de même une solution de sang
oxycarboné, on observe, comme précédemment, deux
bandes d'absorption. Ces deux bandes diffèrent à peine
de celles de l'hémoglobine oxygénée, et il serait diffi-
cile, au premier abord, de distinguer si l'on a affaire
au spectre de la combinaison oxygénée ou oxycarbonée ;
mais on est fixé aussitôt que l'on emploie un agent
réducteur. Malgré l'addition de sulfhydrate d'ammo-
niaque, les deux bandes persistent lorsqu'on est en pré-
sence du sang intoxiqué par l'oxyde de carbone : la
combinaison de l'hémoglobine avec l'oxyde de carbone
n'est pas réductible, et présente toujours deux raies au
spectroscope.
Ainsi il ne nous est pas possible, avec les agents
réducteurs ordinaires, de chasser Toxyde de carbone
qui s'est fixé sur le globule sanguin ; même sur le sang
déjà putréfié d'un animal ayant succombé à cette intoxi-
cation, nous retrouvons encore au spectroscope les deux
446 DES GAZ DANS LE SANG.
raies produites par l'oxyde de carbone : la combinaison
de ce gaz avec l'hémoglobine a résisté à la décomposi-
tion du sang.
Nous allons vous rendre témoins d'expériences rela-
tives à cette question.
Voici un chien auquel nous faisons respirer de l'oxyde
de carbone. Vous voyez d'abord se produire de grandes
inspirations, et l'animal ne tarde pas à succomber.
Aussitôt que les mouvements respiratoires ont cessé,
nous prenons de son sang artériel : ce sang est encore
poussé par le cœur, dont les mouvements ne sont pas
tout à fait éteints. Nous en extrayons les gaz par la
pompe à mercure que vous voyez ici, et nous trouvons :
50 centimètres cubes de sang artériel contiennent :
I9",3 de gaz, dont J ^«'o de 0.
L'acide carbonique est à peu près en môme quantité
qu'à l'état normal (30 pour 100) ; mais, vous le voyez,
l'oxygène est en très-faible proportion; il y en a 4,4 pour
100, tandis qu'à l'état normal on en trouve de 20 à 24
pour 100. C'est que l'oxyde de carbone a pris la place
de l'oxygène.
Nous devons cependant nous arrêter sur ce fait ([ue
nous trouvons encore cette légère proportion d'oxygène
dans le sang de cet animal asphyxié. Nous verrons plus
loin que cette proportion peut être encore bien plus
faible. D'après les expériences de Setschenow, on ne
trouve plus trace de ce gaz dans le sang d'un animal
asphyxié par strangulation : ce résultat n'a rien de
OXYDE DE CARBONE. 447
contradictoire; il tient seulement aux conditions nou-
velles créées par la présence de l'oxyde de carbone.
Vous savez en effet que, dans les conditions ordi-
naires, l'oxygène se détruit très-vite dans le sang en
se transformant en acide carbonique : pour peu que
les manœuvres d'exlraction des gaz présentent une
certaine durée, tout l'oxygène du sang peut dispa-
raître. C'est ainsi qu'il faut expliquer les résultats
singuliers obtenus autrefois par Magnus, et qui furent
l'objet des justes critiques de Gay-Lussac. Magnus em-
ployait en effet vingt-quatre heures à laisser tomber
l'écume produite à mesure de l'extraction, et pendant
ce temps presque tout l'oxygène disparaît. Quoique les
expériences de Setschenow aient été faites dans d'autres
conditions de rapidité (1), il est possible que le court
espace de temps consacré à l'extraction des gaz ait suffi
pour amener la destruction des très-faibles quantités
d'oxygène que renfermait encore le sang de l'animal
au moment de la mort. — Mais dans notre expérience
les conditions sont différentes : du moment que l'oxyde
de carbone a imprégné le sang, il y arrête toute espèce
d'oxydation, et la composition gazeuse du liquide reste
assez fixe pour que nous y puissions retrouver par
l'analyse les faibles proportions d'oxygène qui restaient
encore au moment où l'animal a succombé.
Cet exemple vous montre tout le parti que nous pou-
vons tirer de l'oxyde de carbone au point de vue de
l'analyse des gaz du sang. J'ai dès longtemps insisté
(1) Setschenow, Beitriije ;«r Pmuimtolorjie des Blutes [Zeilschr. fur
ration. Medic, 1861^.
448 DES GAZ DANS LE SANG.
sur ces avantages : il me suffit de vous en avoir rendu
témoins par l'expérience précédente ; revenons à notre
sujet.
Je vous ai dit que l'oxyde de carbone restait fixé dans
le sang de l'animal qui a succombé à l'intoxication, et
qu'il pouvait y être retrouvé même après que ce sang
a subi un commencement de putréfaction. Cependant,
quoique ce fait nous montre combien est stable la
combinaison de l'hémoglobine avec l'oxyde de carbone,
nous savons que des animaux incomplètement intoxi-
qués peuvent revenir à la vie : ils se débarrassent donc
de l'oxyde de carbone contenu dans leur sang. C'est ce
que va nous montrer l'expérience.
Nous faisons à un chien la trachéotomie, et le faisons
respirer par un tube dans une cloche pleine d'oxyde de
carbone ; le tube est en rapport avec cette cloche par
un robinet à trois voies qui nous permet de substituer
instantanément à la respiration dans le gaz toxique la
respiration libre dans l'air ou la respiration artificielle.
Après que l'animal a fait un certain nombre d'inspira-
tions dans la cloche, alors qu'il paraît mort, vu la
cessation des mouvements spontanés du thorax, nous
recueillons rapidement 50 centimètres cubes de son sang
artériel, et nous pratiquons aussitôt la respiration artifi-
cielle. Le sang recueilli nous donne (après correction de
température et de pression) :
50 centimètres cubes de sang artériel contiennent :
CO- 11,-2
Gaz total : I7",6 dont { 0 -2,0
(Az+COi.. 1,4
ÉLIMLNATION DE l'oxYDE DE CARBONE. 449
Cependant, après dix minutes de respiration artifi-
cielle, on voit reparaître les mouvements spontanés du
thorax; l'animal est revenu à la vie; nous extrayons de
nouveau de son sang artériel et nous trouvons :
50 centimètres cubes de sang artériel contiennent :
( C0= 9,56
Gaz total: 16-%21 dont ] 0 5,79
( (Az+CO) . . 0,86
Une>xpérience semblable, faite au laboratoire avant
la leçon, nous avait donné des résultats identiques :
1" 50 centimètres cubes de sang artériel, au moment
de l'intoxication, contiennent :
iCO= 20,99
0 0,09
(Az+CO) . . s'.OO
2° 50 centimètres cubes de sang artériel de l'animal
respirant librement depuis quelque temps :
( CO' 4,09
Gaz total fia-^^e dont ] 0 6,05
( (Az+CO) . . l',19
^ Ainsi le sang de l'animal est redevenu capable de fixer
l'oxygène : la combinaison oxygénée s'est substituée à la
combinaison oxycarbonée.
Remarquons en passant un fait intéressant : en com-
parant les chiffres de l'acide carbonique contenu dans
le sang de l'animal lorsqu'il est sous le coup de l'intoxi-
cation et lorsqu'il revient à la vie, c'est-à-dire lorsqu'il
est en train d'éliminer l'oxyde de carbone, vous voyez
que dans ce dernier cas la proportion d'acide carbonique
CL. BERNARD. — Physiol. Opér. cg
450 DES GAZ DANS LE SANG.
diminue ; il est donc impossible d'admettre que l'oxyde
de carbone s'élimine en se transformant en acide carbo-
nique, ainsi qu'on l'avait pensé et que l'avait formulé
d'abord M. Chenot, dans une théorie purement chi-
mique. Nous trouvons dans les analyses que je viens de
vous donner un nouvel argument contre cette opinion,
argument à ajouter à ceux que j'avais déjà tirés de
l'étude comparative de la température chez l'animal
qui succombe à l'intoxication. Si l'oxyde de carbone
disparaissait en s'oxydant, en se transformant en acide
carbonique, il y aurait à ce moment production d'une
quantité relativement énorme de chaleur; or, dans ces
circonstances, on ne voit pas augmenter la température
de l'animal; sans doute elle remonte un peu au-dessus
de ce qu'elle était au moment où l'animal allait suc-
comber à l'asphyxie, mais elle atteint à peine le degré
normal et ne s'élève jamais au-dessus.
Aujourd'hui nous devons examiner si l'oxyde de car-
bone est éliminé en nature ou s'il est transformé en
d'autres produits. Quelques analogies semblent plaider
en faveur de la première manière de voir; mais nous
voudrions des faits positifs et des expériences probantes;
c'est dans ce but que nous avons institué les recherches
suivantes :
Pour éviter l'objection que l'oxyde de carbone éh-
miné par le poumon provient du gaz inspiré préala-
blement, il faut absolument faire pénétrer l'oxyde de
carbone par une autre voie.
Expérience. — Nous prenons à un chien normal
250 grammes de sang, qu'on agite aussitôt avec de
ÉLIMINATION DE l'oXVDE DE CARBONE. 451
l'oxyde de carbone. On filtre ce sang à travers de la
flanelle et on injecte alors dans une veine de l'animal
ce sang saturé de gaz toxique, et en même temps on
recueille les produits de l'expiration. Pour constater
la présence de l'oxyde de carbone dans ces produits,
nous nous servons du réactif le plus sensible que nous
possédions à cet effet, c'est-à-dire du sang lui-même;
nous faisons en un mot barboter dans du sang le gaz
aspiré par l'animal en expérience. Vous savez en effet
que l'organisme vivant, c'est-à-dire le sang, est notre
meilleur moyen de constater des traces de gaz oxvde
de carbone, et, lorsque nous faisions des recherches sur
les gaz que dégagent les poêles de fonte ou de fer, alors
que les réactifs chimiques demeuraient impuissants à
nous révéler la présence du gaz toxique, nous nous ser-
vions du lapin comme du réactif le plus sensible, car,
en examinant au spectroscope quelques gouttes de sans
extrait en piquant l'oreille de cet animal, nous pou-
vions aussitôt constater si le milieu dans lequel il était
placé renfermait de l'oxyde de carbone. — Or, dans
l'expérience actuelle, nous n'avons pas constaté la pré-
sence d'oxyde de carbone dans le sang où avaient bar-
boté les produits de l'expiration du chien mis en
expérience. Bien plus, ayant cherché si le spectroscope
révélait l'agent toxique dans le sang de l'animal lui-
même, nous n'avons également obtenu que des résultats
négatifs.
Pensant que ces résultats pouvaient tenir à ce que la
proportion du sang intoxiqué au sang normal auquel
nous l'avions mêlé par l'injection intraveineuse était
452 DES GAZ DANS LE SANG.
trop faible, nous avons alors cherché jusqu'à quelle
limite on peut constater la présence de l'oxyde de car-
bone dans un mélange de ce genre. Quelques essais
faits dans ce sens nous ont montré qu'on peut, in vitro,
caractériser au spectroscope le mélange de 1 de sang
intoxiqué pour ^ de sang normal. Serait-ce donc à
dire que 250 grammes ne représentent pas le tiers de
la masse totale du sang d'un chien de taille moyenne?
Cette conclusion est vraisemblable; mais il est probable
aussi que par le fait de Timbibitiou au milieu des tissus
nous nous trouvons dans des conditions de mélange
bien différentes de celles que nous réalisons in vitro.
Nous avons encore injecté de l'oxyde de carbone à
l'état de gaz dans le sang, sans le retrouver non plus ni
dans le sang ni dans les gaz expirés. Nous l'avons
insufflé sous la peau chez le lapin ; le spectroscope
montrait l'oxyde de carbone dans le sang, mais jamais
dans les gaz expirés.
En présence de ces expériences, nous nous deman-
dions par quelle voie l'oxyde de carbone pouvait être
éliminé. Ne pouvant le saisir dans les gaz expirés, nous
avions interrogé les autres voies d'excrétion, et nous
avions cru un moment que l'intestin pourrait nous repré-
senter cette voie de sortie. Je tiens à vous relater toutes
ces hésitations expérimentales, afin de vous faire com-
prendre combien doit être rigoureuse la critique des
conditions opératoires dans lesquelles sont faites les
recherches. Sur un chien revenant à la vie après intoxi-
cation oxycarbonique, nous avions trouvé les intestins
distendus par une grande quantité de gaz au milieu
ÉLIMINATION DE L OXYDE DE CARBONE. 453
desquels la présence de l'oxyde carbonique était facile
il constater. Mais, avant de conclure à une élimination
par la surface intestinale, nous nous sommes demandé
s'il n'y avait pas quelque cause d'erreur, et en exami-
nant les conditions expérimentales il nous a été facile
de retrouver l'origine de cet oxyde de carbone contenu
dans le tube digestif. L'animal avait respiré l'oxyde de
carbone non par une canule introduite dans la trachée,
mais par une muselière enveloppant tout le museau ; de
sorte qu'en même temps qu'il inspirait le gaz il avait
pu en déglutir une certaine quantité. — L'expérience
fut répétée sur un animal trachéotomisé, et cette fois,
lorsqu'il élimina le gaz toxique, nous ne pûmes en
trouver dans le tube digestif.
Nous en revenions donc à notre point de départ,
c'esl-à-dire que la manière et la voie par laquelle s'éli-
mine l'oxyde de carbone nous échappait complètement;
mais mieux valait cette constatation de notre ignorance,
qu'une solution erronée qui nous donnerait une satis-
faction vaine en arrêtant nos recherches.
En continuant les tentatives dans cette voie, nous
avons réalisé une série d'expériences dont nous allons
répéter les principales devant vous, et qui, tout en ne
nous donnant pas encore la clef du phénomène, nous
ont permis de comprendre les résultats en apparence
négatifs donnés par les recherches dont je viens de vous
rendre compte.
Vous vous rappelez qu'en injectant dans les veines
d'un chien du sang saturé d'oxyde de carbone, nous
n'avons pu, aussitôt après, constater la présence de ce gaz
454 DES GAZ DANS LE SANG.
dans le sang général de l'animal. — D'autre part, pour
varier les formes de cette expérience, nous avons in-
jecté lentement du gaz oxyde de carbone dans la veine
crurale d'un chien ; nous en avons injecté 140 centi-
mètres cubes, assez lentement pour qu'il pût se combiner
avec le sang au contact duquel il arrivait. Et cependant,
en examinant aussitôt le sang général de l'animal, c'est
encore en vain que nous avons cherché les réactions
spectroscopiques caractéristiques de la présence de ce
gaz dans le sang,
Ainsi, nous arrivions à ces résultats singulièrement
contradictoires: i° Lorsqu'un animal est complètement
intoxiqué par l'oxyde de carbone, ce gaz demeure si bien
fixésurThémoglobine du sang qu'il y demeure malgré la
décomposition et la putréfaction du sang; 2° si l'intoxica-
tion est incomplète, l'animal élimine le gaz toxique, et
si l'on se contente d'injecter dans les vaisseaux de l'ani-
mal une quantité relativement faible d'oxyde de carbone,
soit pur, soit combiné avec du sang, il est impossible de
retrouver l'agent toxique dans le sang général, même
aussitôt après l'injection.
Ces deux ordres de faits, en apparence si contradic-
toires, pourraient devenir compréhensibles par l'hypo-
thèse brutale, pour ainsi dire empirique : le sang in-
toxiqué se trouve désintoxiqué par le contact du sang
normal.
Ainsi, voici deux capsules: l'une contient du sang
normal pris sur un chien ; l'autre, du sang pris sur ce
même animal, quelques instants plus tard, au moment
où il venait de succomber à une intoxication complète
ÉLIMINATION DE l'oXYDE DE CARBONE. 455
par l'oxyde de carbone. Ce dernier sang resterait dans
cette capsule jusqu'à putréfaction, qu'alors encore le
spectroscope nous permettrait d'y constater la présence
de l'oxyde de carbone. Or, si nous mêlons ces deux sangs
par parties égales, et que nous examinions aussitôt le
mélange au spectroscope, nous voyons que les caractères
spectroscopiques de l'oxyde de carbone ont disparu :
même m vitro^ le sang normal a-t-il donc agi sur le sang
oxycarboné pour le désintoxiquer ?
Ce fait nous expliquerait donc tous nos insuccès pré-
cédents dans certains cas de recherche de l'oxyde de
carbone. Quand nous injections dans les veines d'un
chien du sang oxycarboné, ce sang était porté par la
circulation au contact du sang normal, et alors se pro-
duisait l'action dont je viens de vous rendre témoins.
Lorsque nous injections lentement de l'oxyde de carbone
dans la veine crurale, le sang qui recevait immédiate-
ment ce gaz était saturé d'agent toxique, mais arrivait
bientôt au contact du sang normal et se trouvait alors,
comme dans le cas précédent, également ramené à
l'état normal.
Il est facile de conclure de là qu'il est impossible
d'être empoisonné par l'oxyde de carbone tant que ce
gaz n'est pas introduit au contact du sang au niveau de
la surface pulmonaire, car nulle part ailleurs il n'arri-
vera assez rapidement et n'agira sur une assez grande
masse de sang pour que le phénomène de désintoxica-
tion, dont nous venons d'être témoins, ne puisse pas se
produire.
Nous comprendrions, toujours parla même hypothèse,
456 DES GAZ DANS LE SANG.
comment peut revenir à la vie un animal qui vient de
succomber, en apparence, à l'intoxication par l'oxyde
de carbone. Le système veineux de cet animal contient
encore dans ses plexus et ses nombreux réseaux des
réserves de sang qui n'est pas venu au niveau du pou-
mon au contact du gaz toxique. Si ce sang, encore
normal, arrive au contact du sang intoxiqué, et s'il est
en quantité suffisante, il produira par sa présence l'action
que nous avons expérimentalement réalisée in vitro.
Mais, si la respiration de gaz toxique a été prolongée au
point qu'aucune partie du sang n'ait pu échapper au
contact de l'oxyde de carbone, alors la mort sera bien
définitive, et, en eff"et, chez les animaux complètement
tués par ce gaz, nous avons analysé le sang veineux et
nous avons trouvé qu'il ne contenait que des traces
d'oxygène. Enfin, nous comprendrions aussi, de cette
manière, toute l'importance de la transfusion chez les
animaux ou chez l'homme, pour chercher à rappeler à
la vie après intoxication parles vapeurs de charbon. En
transfusant du sang normal, non-seulement on donne-
rait au sujet un élément qui lui manquait, les globules
du sang, mais, par la présence de ces globules normaux,
on permet à ceux qui étaient fonctionnellement suppri-
més par la présence de l'oxyde de carbone, on leur
permet de se débarrasser de ce gaz et de revenir eux-
mêmes à l'état normal.
Ainsi, notre hypothèse, si elle est démontrée par
l'expérience, nous explique pourquoi quelques-unes de
nos précédentes expériences avaient été et devaient èlre
en apparence négatives. Elle deviendrait en même
ÉLIMINATION DE l'oXYDE DE CARBONE. 457
temps le point de départ de toute une série nouvelle
d'investigations.
Cette hypothèse, qui doit ouvrir la voie à nos recher-
ches, c'est que, dans un mélange de sang normal et de
sang oxycarboné, il pourrait y avoir de l'oxygène cédé
parle premier au second, en quantité suffisante pour
transformer l'oxyde de carbone en acide carbonique.
Voyons si l'expérience confirmera cette hypothèse.
Nous prenons sur un chien normal une certaine
quantité de sang, dont un échantillon est soumis à l'ana-
lyse des gaz et nous donne :
1° Sang A, 50 centimètres cubes contiennent :
/ CO' 17,5
Gaz total : 29",00 dont | 0 10,-2
( Az 1,2
L'animal est alors empoisonné par l'oxyde de car-
bone. On fait une nouvelle prise de sang, dont un échan-
tillon analysé nous donne :
2° Sang B, 50 centimètres cubes contiennent :
( CO- 11,2
Gaz total : 16",00 dont | 0 3,8
( Az 1,3
Alors nous mélangeons par parties égales les deux
sang (A et B).
L'opération se fait dans une seringue avec toutes les
précautions nécessaires pour se placer parfaitement à
l'abri du contact de l'air. Nous examinons un peu de
ce mélange au spectroscope et nous n'y trouvons plus
trace d'oxyde de carbone. Nous analysons alors le con-
tenu gazeux de ce sang et nous trouvons :
458 DES GAZ DAXS LE SANG.
S" 50 centimètres cubes de sang, mélange à parties
égales (A + Bj, contiennent :
/ CO- 15,1
Gaz total : 23",-2 dont I 0 6,6
' (CO+Azj.. 1,0
Or, si nous rapportons ces chiffres au volume total du
mélange, c'est-à-dire à 100 cent, cubes, nous trouvons
pour l'acide carbonique 30,2, ce qui est à peu près la
somme (17 + il) des quantités d'acide carbonique con-
tenues dans chacun des deux éléments (sangÂetsangB)
du mélange; et pour l'oxygène 13,2, ce qui est également
a peu près la somme des quantités d'oxygène déjà con-
statées dans chacun des sangs considéré isolément.
Vous voyez donc qu'il nous est difficile de dire ce qui
s'est passé dans l'espace clos où les deux sangs se sont
trouvés en présence : l'oxyde de carbone n'a bientôt plus
été constatable par ses caractères spectroscopiques ;
cependant il ne s'est pas oxydé, car, dans ce cas, nous
devrions trouver dans le mélange une augmentation
d'acide carbonique et une diminution d'oxygène. Or,
l'analyse des gaz du mélange ne nous a rien donné de
semblable (voy. du reste ci-dessus, p. 449-450).
Le sang oxycarboné aurait donc été simplement
masqué par le sang normal ; mais il faudra voir si ce
mélange, où le spectroscope n'indique plus la présence
de l'oxyde de carbone, absorbe de l'oxygène comme un
mélange de sang normal et de sang oxycarboné, ou bien
s'il se comporterait comme du sang devenu physiolo-
gique dans sa masse totale. Ce sont là des caractères
physiologiques qui ont plus de valeur que le caractère
ÉLIMINATION DE l' OXYDE DE CARBONE. 459
spectroscopique, qui, au fond, n'est qu'un caractère
empirique.
Nous arrivons donc sans cesse, dans ce problème de
l'étude de l'élimination de l'oxyde de carbone, nous
arrivons à nous heurter contre une inconnue dont la
découverte domine toute cette question ; mais du moins
nos résultats négatifs nous montrent que certaines hypo-
thèses ne sont plus soutenables, et que d'autres direc-
tions doivent être suivies pour arriver à l'explication
de ce phénomène.
N'oublions pas que Toxyde de carbone disparaît et
s'élimine chez l'animal intoxiqué. Rappelons que nous
avons constaté autrefois que l'oxyde de carbone dispa-
raît in vitro dans le sang quand on y fait passer un
courant d'air à une température voisine de celle du
corps. Quand on expose du sang oxycarboné étendu
d'eau, en couche mince, au contact de l'air, l'oxyde
de carbone disparaît aussi , et, chose singulière, avec
une rapidité beaucoup plus grande, comme si l'eau
intervenait d'une manière active dans le phénomène.
La présence de l'air et de l'eau serait donc nécessaire
pour produire la disparition de l'oxyde de carbone, car
il subsiste dans les profondeurs de l'organisme et des
i§sus chez l'animal mort, tandis que, nous le savons, il
disparaît rapidement chez un animal vivant, où le sang
circule. Mais, dans ces divers cas, après sa disparition,
que devient l'oxyde de carbone? Tel est le problème
que nous avons toujours à poursuivre.
C'est dans les voies qui noussontindiquéespar lesexpé-
riences précédentes que nous nous engagerons désormais.
VLNGTIÈME LEÇON
Sommaire : Système circulatoire. — Du sang étudié en lui-même au point
de vue de ses conditions physiques (température) et chimiques (glycémie
normale). — Topographie calorifique du système sanguin. — Coup d'œil
historique. — Critique expérimentale. — Appareils de M. d'Arsonval. —
Aiguilles thermo-électriques. — Dispositions et construction des sondes;
sondes eng aînées ; sondes nues (de d'Arsonval). — Aiguilles thermo-
électriques. — Graduation de ces appareils. — Résultats des expériences.
— Appareil de d'Arsonval à température constante. — Derniers perfection-
nements de l'appareil pour le dosage du sucre dans le sang.
Messieurs,
Après vous avoir donné la description anatomique du
système circulatoire, aprèsavoir (aitrétude de ce système
au point de vue de l'absorption-, et les expériences qui se
rapportent à l'emploi des poisons en physiologie, nous
allons nous occuper aujourd'hui de l'étude du liquide
sanguin lui-même. Nous commencerons par étudier sa
température, ou, plus exactement, nous déterminerons
la topographie calorifique du système sanguin.
Quelques mots touchant l'historique de la question
vous feront mieux comprendre l'importance capitale
de cette étude au point de vue de la chaleur déve-
loppée par les êtres vivants.
Lavoisier est le créateur de la théorie actu elle de la
chaleur animale. C'est grâce à ses impérissables travaux
que celte question, qui avait donné lieu jusque-là à tant
dq discussions stériles, a pu quitter le domaine de l'hy-
TEMPÉRATURE DU SANG. 461
pothèse et de la controverse pour entrer dans la voie
plus calme et plus probante de l'expérience.
La théorie de Lavoisier est restée inébranlable dans
ses principes ; mais la science moderne a dû modifier
beaucoup de détails, et, entre autres, rejeter la locali-
sation qu'on a fait découler des travaux de l'illustre
chimiste.
Voyant que dans le poumon il entrait de l'oxygène
et qu'il en ressortait de l'eau et de l'acide carbonique,
Lavoisier conclut que la respiration n'était qu'une com-
bustion et que la chaleur animale était engendrée par
les actes chimiques qu'entraînait cette combustion.
C'est cette idée de génie que le temps n'a fait que con-
sacrer, qui appartient à Lavoisier.
Cette idée étant donnée, on en tira tout naturelle-
ment la conclusion que le sang qui 'sortait du poumon
devait être plus chaud que le sang qui y entrait.
Le poumon était ainsi accepté comme étant le foyer
calorifique, et par conséquent le sang artériel devait
nécessairement offrir un excès de température sur le
sang veineux.
Cette conclusion paraissait si légitime qu'on ne se
donna pas la peine de la vérifier expérimentalement.
La théorie de Lavoisier eut bientôt à se défendre
contre une objection des plus graves; le physiologiste
Magnus (de Berlin) reconnut que le sang artériel con-
tient plus d'oxygène que le sang veineux et que ce
dernier, au contraire, est beaucoup plus riche en acide
carbonique. En un mot, le sang veineux est plus brûlé
que le sang artériel, ce qui ne pourrait avoir lieu d'après
46*2 DU SANG.
Ja théorie qui veut que la combustion s'opère clans le
pouniou. Si au contraire cette combustion s'opère dans
les tissus, on comprend que le sang veineux soit plus
brûlé que le sang artériel, mais alors aussi il doit être
plus chaud.
La question de la localisation du foyer calorifique
pouvait être tranchée par cette simple expérience :
quel est celui des deux sangs artériel ou veineux qui est
le plus chaud?
Eh bien, rien de plus difficile que de trancher cette
question. Après plus d'un demi-siècle d'expériences, les
physiologistes n'ont pu se mettre d'accord. J'ai exposé
dans mes leçons sur la chaleur animale l'histoire et la
critique de toutes ces expériences. Je me bornerai à dire
qu'on a pu soutenir toutes les opinions. Les uns ont dit
que le sang artériel était plus chaud que le sang veineux;
les autres, au contraire, et je suis de ceux-là, ont trouvé
le sang veineux plus chaud que le sang artériel. Enfin,
une troisième catégorie d'expérimentateurs, qui ne
croient pas à la fixité des phénomènes dDnt l'orga-
nisme vivant est le siège, ont soutenu que le sang artériel
était tantôt plus chaud, tantôt plus froid que le sang
veineux.
Quant à moi, je vous ai déjà à plusieurs reprises, dans
les leçons précédentes, indiqué ce que je pense des
expériences contradictoires. J'ai toujours cherché à
prouver que les phénomènes de la vie ont leur déter-
minisme tout aussi rigoureux que ceux dont les corps
inorganiques sont le siège. Les contradictions que l'on
trouve parmi les physiologistes ne sont pas dans la
TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 463
nature particulière des phénomènes qu'ils observent,
mais bien dans l'imperfection des procédés qu'ils em-
ploient ou dans l'application défectueuse des méthodes
d'investigation. Eu un mot, il ne peut pas y avoir de
résultats contradictoires dans les expériences bien faites ;
c'est ce que j'espère vous démontrer dans celte étude.
Le physiologiste, appelant à sou aide les sciences
physico-chimiques, doit nécessairement connaître ces
sciences. Il doit poursuivre deux objets distincts ;
1" L'exactitude physico-chimique;
^'' L'exactitude physiologique, qui consiste dans la
détermination précise des conditions physiologiques où
se trouve l'animal au moment de l'expérience, et dans
la description minutieuse des procédés opératoires em-
ployés.
Ces deux conditions sont absolument nécessaires pour
une bonne expérience. Nous verrons que c'est presque
toujours pour avoir méconnu l'importance de ce pré-
cepte que les expérimentateurs les plus habiles sont
tombés dans Terreur.
INSTRUMENTATION.
Pour les recherches dont je vais vous parler, j'ai
chargé mon chef de laboratoire, M. le docteur d'Ar-.
son val, de réaliser l'exactitude physico-chimique. Les
instruments qu'il a perfectionnés ou imaginés dans ce
but ont été longuement étudiés. Leur fonctionnement
a paru irréprochable aux physiciens éininents, mes
confrères de l'Académie, qui ont bien voulu assister
à nos expériences.
404 DU SANG.
J'ai depuis longtemps, dans ces recherches, aban-
donné le thermomètre dont je m'étais servi dans mes
premières expériences avec Walferdin, pour adopter les
aiguilles thermo-électriques, qui sont aujourd'hui d'un
usage courant en physiologie. Je vous rappelle que la
méthode thermo-électrique a été imaginée et appliquée
à la physiologie pour la première fois par M. Becquerel,
qui en fit usage dans ses recherches avec Breschet sur
la chaleur animale, en 1837 (1).
Je crois inutile de vous donner la théorie physique
bien connue des instruments thermo-électriques; je me
bornerai à indiquer les changements qu'ils doivent subir
lorsqu'on les introduit dans les recherches physiologi-
ques. Ces appareils doivent être modifiés, eu égard au
peu de durée des phénomènes thermiques qu'ils doi-
vent rendre apparents et à la nature des parties orga-
niques dans lesquelles on doit les constater. Ces modifi-
cations porteront sur le galvanomètre, sur les soudures
et, enfin, sur le milieu dans lequel on a avantage à
placer l'une d'elles dans des cas déterminés.
Galvanomètre. — Le galvanomètre doit être à fil
gros et court. Il doit présenter fort peu de résistance, vu
la faible tension des courants thermo-électriques. Le
système asiatique qui constitue les aiguilles doit être le
plus léger possible, la sensibilité et surtout la rapidité
des indications dépendant en grande partie de la masse
à mouvoir. Ce système porte un miroir plan très-léger.
M. d'Arsonval recommande, pour ne pas le déformer,
(1) Becquerel et Breschet, Chaleur animale {Archive du Muséum. Paris,
1840).
TOPOGRAPUIE CALORIFIQUE. 465
(le le coller non avec de la colle, mais simplement avec
un peu de caoutchouc fondu a la flamme. Ce corps reste
toujours pâteux et dèprimable et n'exerce pas de trac-
lion tendant à déformer le miroir. Une petite boulette
de cire à modeler remplirait le même office. En un
mot, la meilleure forme à donner au galvanomètre
serait la forme Thomson, pour avoir à la fois légèreté
et rapidité dans les indications. Un cylindre de cuivre
offrant une ouverture garnie d'un verre plan recouvre
l'appareil et permet de voir le miroir pour faire les
lectures.
L'instrument est installé comme d'habitude sur un
l)!oc solide ou contre un mur qui le soustrait aux trépi-
dations.
Lecture. — Pour ne pas influencer l'appareil par son
voisinage, l'opérateur fait les lectures à distance, par la
méthode dite de PogfjendorjJ.
En face du miroir, à la même hauteur que lui, et à
une distance que l'on peut faire varier, se trouve une
lunette (11, fig. iOO) placée sur un pied bien stable
dont on peut faire varier la hauteur. Le pied, dit à'ate-
lie]\ dont se servent les photographes est celui que
nous avons adopté. La lunette porte en dessous une
rèsfle divisée dont les deux moitiés sont de couleurs
différentes. Les divisions de cette règle, réfléchies par
le miroir du Gfalvanomèlre, reviennent à la luilclte où
un fil vertical (réticule) permet le pointage exact d'une
division.
Comme la vitesse angulaire de l'image est double de
celle du miroir, on peut considérer le rayon lumineux
Cl.. i!E:t.\.v;iD. — Piiysiol. ujiùr. 30
466 nu SANG.
renvoyé par celui-ci comme représentant une aiguille
sans poids dont le rayon serait le double de la distance
qui sépare le miroir de la règle. On peut donc, par cette
précieuse méthode, augmenter presque indéfiniment la
sensibilité de l'appareil.
Barreau directeur. — Pour éviter l'influence des
variations d'intensité du magnétisme terrestre, il con-
vient d'avoir un système d'aiguilles aussi asiatique que
possible. On dirige le système par un barreau aimanté
placé en dessus, qui constitue delasorteun méridien ma-
gnétique artificiel absolument fixe. La ligne polaire de
cet aimant étant invariable, le système des aiguilles el,
par suite, le miroir restent donc invariablement dans la
même position tant qu'il ne passe pas de courant par l'ap-
pareil ou que le courant qui le traverse reste constant.
Ce barreau (8, fig. 100) mobile autour d'un axe verti-
cal, comme pivot, permet de diriger le miroir du côté
de la lunette pour prendre un zéro relatif, ce qui est
utile dans bon nombre de circonstances. De plus, en le
faisant mouvoir verticalement le long de cet axe, c'est-
k-dire en l'éloignant ou en le rapprochant du système
asiatique, on fait varier l'influence directrice et, par
suite, la sensibilité de l'appareil.
Ainsi disposé, l'appareil est aussi sensible qu'on le
désire, et l'aiguille se trouve ramenée rapidement
à sa position d'équilibre. Cet emploi du barreau ai-
manté est un point essentiel dans l'appareil qu'on peut
en quelque sorte maîtriser dans sa sensibilité et garantir
des influences perturbatrices extérieures.
Connexions du galvanomètre avec les soudures thermo-
TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 467
électriques. — Deux gros fils de cuivre recouverts de
gutta-percha partent des bornes du galvanomètre; l'un
va s'attacher directement à une des bornes qui por-
tent les sondes thermo-électriques et qu'on place au
voisinage de la table d'opération. Le second fil passe
auparavant par une manette interruptrice à un seul
contact (voy. en 4, fig. 100) qui se trouve sous la
lunette , à portée de la main de l'observateur, lequel
peut ainsi, sans cesser de regarder, rompre ou rétablir
le circuit.
Nous avons renoncé au commutateur dont nous avions
d'abord fait usage, et qui peut être utile néanmoins dans
certains cas : i" parce que parla multiplicité de ses con-
tacts, cetappareilpeutproduire des courants, et 2" parce
qu'il faut prendre garde de ne pas, par distraction, ren-
verser la direction du courant dans les interruptions
successives que l'on produit. Avec la manette à simple
contact, l'interruption est tout automatique, etl'on sup-
prime les causes d'erreur dépendant de l'inattention de
l'observateur.
C'est aux deux bornes (1 his et 2 Us, fig. 100),
voisines de la table d'expérience, qu'arrivent enfin les
conducteurs, et après lesquelles on attache également
les fils portant les soudures thermo-électriques. Ces
bornes doivent être protégées par un écran contre tout
rayonnement extérieur.
Afin d'éviter les lâtonnements, on peint en rouge la
borne qui correspond à la sonde artérielle et à la partie
rouge de la règle, et en bleu, celle qui doit correspondre
au système veineux. Les choses sont alors arrangées
468
DU SAMJ.
FiG m. - Installalion cl.s expérience, thcrmo-élcclrique*.
1, 2. sondes ihcrmo-eleclriques dans les vaisseaux cruraux; l-J'^TTlur *j'
a:;ouplo; 1 bis. 2 bis. bornes de la Uble où se rendent les fils des sondc-^. 1 Ur. .J.
TOPOGRAPHIlî CALORIFIQUE. 469
de telle sorte que, lorsque la déviation a lieu dans la
moitié rouge de réchelle, c'est le sang artériel qui est
le plus chaud. C'est au contraire le sang veineux (\m
offre un excès de température si la partie bleue de
l'échelle se présente sous le réticule de la lunette. On
y arrive une fois pour toutes expérimentalement, en
chauffant une des soudures et en regaidant le sens de
la déviation.
Sondes thermo-électnqves. — Les modifications les
plus importantes ont porté surtout sur les sondes thermo-
électriques qui doivent être introduites dans les tissus
vivants. M. d'Arsonval les a modifiées complètement de
façon à supprimer toute cause d'erreur et à être assuré
que la déviation du galvanomètre ne peut provenir que
de la variation de température d'une des deux soudures
thermo-élect riques .
Nous avons deux espèces de sondes thermo-électri-
ques, les unes nues, les autres engaînées (fig. 101).
Sondes enyaînées. — Les sondes engaînées sont com-
posées de deux fils métalliques (maillechortfer) recou-
verts de soie et soudés par leur extrémité qui est seule à
nu. Ces deux fils sont introduits dans une sonde en
gomme élastique semblable à celle dont se servent les
chirurgiens pour le cathétérisme des voies urinaires.
Nous avons fait construire, par M. Aubry, des sondes
spéciales qui sont fermées au bout et présentent une
bornes du çalvanoniètro ; 2 ter, manclle de l'inlcrrupleur ; 4, iiilerrciptcur ; 5, cago
du galvanomèlrc ; 6, aiguilles asiatiques ; 7, verre plan ; 8, iarreau directeur; l), tigo
qui les supporte; 10, til de cocon suspi'nsonr; 10 bis, miroir plan ; \\, hineltc du
viseur; \i, éclicllc divisée ; U, gouttière ; C, Cliienservant à l'expérience. Le courant
partant de 1 va à 1 bis, puis à 1 1er, traverse lo. galvanomètre, revient à 2 ter, où ou
peut l'interrompre en levant la manette dans la position pointilléc, va ;i la borne 2 bis,
puis à la sonde 2, et revient au point de départ par le til de jonction 3.
470
DU SAN'G.
I
lli
\ \\
'X^ ^
FiG. 101. — Sondos lliLTmo-dloctiiques de d'Arsoiival.
S, soudure thcrmo-t-lcclrique ; C, tube luctallique ; D, enveloppe de gomme.
TOPOGRAl'lIlt: CALORIFIQUE. -471
longueur de 60 centimètres sur un diamètre de 3 milli-
mètres. De plus, nous avons fait graduer ces sondes
extérieurement en centimètres, afin de déterminer la
profondeur à laquelle on a pénétré dans les vaisseaux et
de pouvoir vérifier, à l'autopsie de l'animal, le point
précis où l'on a fait l'observation thermo-électrique. Il
estbon,enengaînant les fils, de ne pas pousser la soudure
jusqu'au fond de la sonde; il vaut mieux laisser quelques
millimètres d'intervalle, on ne s'expose pas ainsi à
percer la sonde lorsqu'on pousse les fils.
Les deux fils maillechorl-fer doivent ensuite être
accouplés à un système tout semblable, dont l'ensemble
constitue un thermomètre différentiel. Nous avons ap-
porté dans cet accouplement un perfectionnement des
plus importants. Au lieu de nous servir de bornes pour
opérer cette jonction, comme nous le faisions autrefois,
nous avons supprimé tout intermédiaire. Le fil de fer est
unique et passe sans discontinuité d'une soudure à
Tautre; les fils de maillechort sont assez longs pour aller
s'attacher directement aux bornes que porte la table
d'expérience. Par cet artifice tout est homogène dans la
partie du système que l'operateur doit tenir entre les
mains, sauf les soudures qui sont plongées dans le
milieu qu'on veut explorer. Ou est donc bien sûr, en
évitant tout raccord intermédiaire, que les oscillations du
galvanomètre sont dues exclusivement aux influences
qui s'exercent sur les soudures thermo-électriques, les
seules que l'on veuille étudier.
L'expérience a prouvé que l'enveloppe de gomme
conduit très-bien la chaleur, et que quatre à cinq se-
472 DU SANG.
coudes suffisent pour que les soudures s'équilibrent avec
le milieu où elles sont plongées.
Nous conseillons aux physiologistes d'avoir sous la
main une bobine de lil de maillechorl recouvert de soie
et une seconde de fil de fer. On achète également une
colleclion de bougies de différentes grosseurs, et rien de
plus facile alors que de confectionner soi-même une
paire de sondes thermo-électriques ayant la grosseur
voulue.
Sondes nues. — M. d'Arsonval a inventé un très-
ingénieux système de sondes thermo-électriques qui peu-
vent rendre les plus grands services : ce sont les sondes
nues à soudure cylindrique dont il me reste à vous
parler.
Ces sondes peuvent être beaucoup plus fines que les
précédentes. Celles que nous avions employées jusqu'à
ce jour se composaient de deux fils accolés l'un à l'autre
et recouverts d'un vernis empêchant tout contact entre
les métaux composant la soudure et les liquides orga-
niques. Il était presque impossible d'obtenir cet isole-
ment indispensable pour éviter les courants hydro-élec-
triques, parce que le vernis s'écaillait toujours, et alors
au lieu d'une soudure thermo- électrique on n'avait
plus qu'une véritable pile hydro-électrique exposant à
des erreurs sans fin. La difficulté a été tournée très-sim-
plement dans les soudures concentriques.
L'auteur a remplacé l'un des fils par un tube métal-
lique très-fin dans l'axe duquel s'engage le second fil
qui vient se souder à l'extrémité fermée du tube. C'est
en général le fil de fer qui est remplacé par le tube;
TOPOGRAPHIE CAI.ORIFIOLE.
478
mais on peut faire l'inverse et mettre le maillechorl en
dehors. Nous devons à l'obligeance de M. Sainte-Claire
Deville d'avoir pu faire des sondes avec des tubes de
platine qui fonctionnent parfaitement et sont inalté-
rables. Par cet artifice, il n'y a à l'extérieur qu'un seul
métal, ce qui met à l'abri des courants hydro-électriques.
Pour plus de sûreté, on peut d'ailleurs engaîner la sonde,
dont la température ne doit pas varier, ou la recouvrir
avec de la glu marine, qui constitue le meilleur et le
plus adhérent des vernis. On peut faire varier la lon-
gueur et le diamètre des sondes nues. Elles doivent
d'ailleurs être accouplées comme les sondes engaînées.
Nous avons adopté exclusivement ce système pour
faire les aiguilles piquantes [^\g.\0^)
destinées k pénétrer dans les tissus.
On peut armer leur extrémité d'un
hameçon, comme l'a fait M. Béclard.
mais il n'y a toujours qu'un mêlai
(C, fig. 102) à l'extérieur.
M. Gaiffe construit des aiguilles do
cette espèce, qui sont d'une finesse
excessive.
Graduation des sondes et des ai-
guilles. — L'évaluation de la sensibi-
lité de l'appareil, c'est-à-dire du rap-
port qui existe entre les divisions de
la règle du galvanomètre et le degré
du thermomètre centigrade, s'obtient
expérimentalement, et dépend à titre égal des condi-
tions qui suivei.t :
FiG. 102. — Ai-iillcs.
474 DU SANG.
1° Sensibilité des soudures. Les soudures maillechort-
fer sont les plus actives;
2" Éloiguement plus ou moins grand de l'aimant
directeur;
S" Distance de la rès^le divisée au miroir;
4° Enfin, de la torsion du fil qui supporte le système
astatique. Celte condition intervient lorsqu'on prend
un zéro relatif, les deux soudures étant à des tempéra-
tures différentes; aussi le courant qui tend à ramener
les aiguilles à leur position de repos diminue la torsion
et détermine la plus forte déviation, le courant inverse
ayant à lutter contre la torsion qu'il augmente.
Détermination du zéro. — Après avoir plongé les
deux soudures dans un vase plein d'eau ou mieux de
mercure, on ferme le circuit et on fait coïncider le réti-
cule de la lunette (en la déplaçant) avec le zéro de la
règle divisée, vu par réfiexiondans le miroir. Cette pré-
caution est essentielle, les deux soudures n'étant presque
jamais de la même force et donnant toujours une dévia-
tion, môme lorsqu'elles sont h la même température.
On annuité cette cause d'erreur en prenant le zéro, le
circuit étant fermé.
Ecaluation du rapport de la déviation fjalvanomé-
trique avec la température, — Le zéro une fois déter-
miné, on prend la température du milieu où sont plon-
gées les aiguilles avec un thermomètre donnant le
vingtième de degré. Puis on échaufiTe avec la main
une autre éprouvette pleine de liquide, jusqu'à ce que
le même thermomètre marque 3 ou 4 dixièmes de degré
en plus. On plonge alors une des aiguilles dans ce
TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 475
milieu, l'autre restant dans la première éprouvette,
c'est-à-dire à 3 ou 4 dixièmes de degré au-dessous. Alors
une forte déviation se produit, et il suffît de diviser la
différence réelle de température au thermomètre parle
nombre des divisions de la règle pour avoir le rapport
T
cherché R=:|T^, T étant la température différentielle
des deux soudures, et D" le nombre des divisions de
l'échelle. Soit la différence entre les deux soudures égale
à 0°,5, et la déviation correspondante à 200 divisions de
la règle. Le rapport cherché sera 0,5 : 200 = 1/400'-;
chaque division de la lègle vaut donc un quatre-cen-
tième de degré centigrade. Nous pouvons aller au delà
et jusqu'à 1 millième de degré, en ayant toujours une
égale confiance dans les résultats obtenus.
Telle est sommairement la disposition de l'appareil
thermo-électrique dont nous nous servons pour nos
recherches physiologiques. Nous compléterons ce qui
manque à la description de cet appareil, en donnant les
procédés de vivisection qu'il convient d'employer pour
le mettre en usage sur l'animal vivant. Toutefois, nous
ajouterons encore quelques indications pratiques.
Nous dirons d'une manière générale qu'il faut faire
rapidement les observations thermo-électriques pour
obtenir des résultats aussi près de l'état normal que pos-
sible, et dégagés des oscillations incessantes que pré-
sentent les phénomènes calorifiques sous des influences
diverses.
Quand on fait la lecture de la déviation galvanomé-
trique, il importe donc que les oscillations de l'aiguille
476 DU SANG.
ne soient pas de trop longue durée. On peut atteindre ce
but en rapprochant l'aiguille très-près du plateau de
cuivre rouge, au-dessus duquel elle oscille, ou bien en
se bornant à prendre seulement l'arc d'impulsion de
l'aiguille. Cette lenteur dans le retour nu repos de
l'aiguille du galvanomètre n'a pas d'ailleurs de grands
inconvénients lorsque, ce qui est le cas le plus général,
nous faisons des observations comparatives et simul-
tanées, pour avoir seulement les différences de tenipé-
rature des vaisseaux ou des organes.
Mais il n'en serait pas de même si nous voulions avoir
la température absolue d'une partie du corps, en pre-
nant un point fixe au dehors. Il n'est nécessaire d'agir
ainsi que dans des cas spéciaux, que nous indique-
rons ailleurs en décrivant l'appareil à température
constante du docteur d'Arsonval, qu'il convient d'em-
ployer. Nous ajouterons seulement que, si l'on désire
avoir la température absolue du sang, en même temps
que la température différentielle de deux vaisseaux,
par exemple, il suffira de plonger un thermomètre dans
Tun d'eux immédiatement avant ou après le moment où
l'on fait les observations thermo-électriques. Rien n'est
plus facile alors que de rapprocher les nombres diffé-
rentiels thermo-électriques de la valeur thermométrique
qu'on a observée directement.
PROCÉDÉS OPÉRATOIRES.
Quant à la méthode de vivisection propre aux éludes
sur la température du sang, il importe avant tout de
TOPOGRAPIlli: CVLORIFIQUK. 477
fixer un procédé opératoire régulier, qui permette
de prendre la température du sang dans les diverses
parties du système sanguin sur un animal vivant, non
mutilé, et dont la circulation reste aussi normale que
possible. Sans cela, toutes les observations sont néces-
sairement entachées de toutes les causes d'erreur que
peuvent y introduire les troubles divers de la fonction
circulatoire.
Mes aides ou moi avons fait une centaine d'expé-
riences toutes concordantes, et que nous avons réunies
dans les tableaux graphiques que je ferai passer sous
vos yeux.
Je ne vous fatiguerai pas de leurs détails. Je me
contenterai de faire devant vous l'expérience type qui
résulte de tous ces essais.
Le procédé opératoire que je vais vous montrer ne
doit pas seulement être établi dans de bonnes conditions
anatomiques et physiologiques; il doit en outre être
conçu de manière à nous donner par ses résultats une
démonstration complète et décisive au sujet de la ques-
tion de savoir quel est celui des deux sangs, artériel et
veineux, qui l'emporte en température sur l'autre.
C'est pourquoi je dois ajouter que le nouveau procédé
opératoire est institué de telle façon que tous les résul-
tats énoncés dans mes anciennes recherches sur la cha-
leur animale se trouvent réunis et concentrés en une
seule expérience, si facile à exécuter qu'aucune cause
d'erreur sérieuse ne peut plus s'y rencontrer. Je donne
donc cette expérience nouvelle comme une expérience
type, résumant et résolvant à elle seule toute la ques-
478 DU SANG.
lion de la topographie calorifique des sangs artériel et
veineux.
Voici en quoi elle consiste.
L'animal étant étendu sur le dos dans la gouttière
convenablement disposée, je pratique le cathétérisme
simultané (voy. ci-dessus, p. 283) de Taorle et de la
veine cave dans toute leur étendue jusqu'au cœur,
à l'aide de nos longues sondes thermo-électriques
décrites ci-dessus.
On peut pénétrer dans le système circulatoire de deux
manières : soit d'avant en arrière par les vaisseaux du
cou (fig. 282), soit d'arrière en avant, par les vaisseaux
de la cuisse (voy. p. 283 et fig. 94).
Pénétration par les vaisseaux de la cuisse. — Dans
ce premier cas (fig. iOO, p. 468), la veine et l'arlère
crurales étant mises à nu, on introduit les sondes dans
leur intérieur, la communication avec le galvanomètre
étant interrompue durant cette opération. On pousse les
sondes jusqu'à la bifurcation de l'aorte abdominale et
de la veine cave inférieure; à ce moment on rétablit
la communication galvanométrique, et Ton observe un
excès de température d'environ 1/2 degré en faveur du
sang artériel. Donc, première conclusion :
1" A son entrée dans le bassin^ le sang artériel est plus
chaud que le sang veineux.
Laissant la sonde veineuse en place, on promène la
sonde artérielle tout le long de l'aorte, jusqu'au niveau
du cœur, sans avoir d'oscillations sensibles dans le
galvanomètre et sans qu'il survienne de différences
notables dans les résultats déjà observés. Donc :
TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 479
2° La température du sang artériel reste semiblemenl
constante dam toute retendue de f aorte.
Il eu est tout autrement pour le sang de la veine cave
inférieure, ce que l'on constate de la façon suivante.
Laissant en place la sonde artérielle dans un point quel-
conque de l'aorte, mais où cependant le vaisseau soit
assez large pour que la sonde baigne bien dans le sang,
ou fait varier la position de la soude veineuse en l'en-
fonçant graduellement dans la veine cave. On voit alors
le sang de la veine s'échauffer de plus en plus à mesure
qu'on monte vers le cœur. Lorsqu'on arrive au niveau
des veines rénales, la température des deux sondes est
a peu près la même. Ainsi :
3" Au niveau de r embouchure des veines rénales, la
température du sang veineux est sensiblement égale à celle
du sang artériel.
En continuant à pousser la sonde veineuse, on arrive
au-dessus des veines sus-hépatiques. Là, la température
du sang de la veine cave dépasse d'environ 1/2 degré la
température du sang de l'artère :
4" Au-dessus du diaphragme, la température du sang
veineux est supérieure d'environ i/2 degré à celle du sang
de r artère.
Ce qui indique que depuis le bassin jusqu'au dia-
phragme, la température du sang de la veine cave s'est
accrue d'environ 1 desjré.
Cet excès de température en faveur du sang veineux
persiste jusqu'à l'entrée dans l'oreille droite du cœur. En
continuant à pousser la sonde, on peut lui faire fran-
chir le cœur et porter la soudure thermo-électrique
480 DU SANG.
dans la veine cave supérieure. Aussitôt le phénomène
se renverse, et le sang veineux redevient plus froid que
le sang artériel.
5° Le sang de la veine cave supérieure est plus froid
que le sang artériel.
On reproduit cetle expérience autant de fois qu'on
le veut, soit sur le même animal, soit sur des animaux
différents, en obtenant toujours les mômes résultats.
Les tableaux que nous vous faisons passer, et qui ne
contiennent pas moins de cent expériences vous le pi'ou-
vent. Cela démontre en môme temps que les sangs vei-
neux des organes abdominaux, foie, reins, intestins, en
se déversant dans la veine cave inférieure, réchauiTent
le sang veineux de la périphéiie avant son entrée dans
le cœur, et lui donnent dans ce point une température
supérieure à celle du sang artériel.
Un des grands avantages de cette métbode, surtout
lorsqu'il s'agit de constater sur un animal vivant, dont
tous les actes sont si mobiles, de faibles variations de
température, c'est de pouvoir constater simultanément
à la même seconde, entre les sangs artériel et veineux,
des différences de lempéiature qui nous donnent en
réalité des relations absolues, parce qu'elles ont été
observées dans des conditions d'identité les plus rigou-
reuses.
Lorsqu'on veut obtenir les lempératures absolues,
il suffit d'introduire un thermomètre à la place d'une
des sondes, si l'on ne veut pas faire usage de l'appareil
donnant un point fixe.
On obtient une contre-épreuve et une confirmation
TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 481
complète des résultats ci-dessus énoncés en pratiquant
l'expérience en sens inverse, c'est-à-dire en pénétrant
par les vaisseaux du cou.
Dans ce second procédé on introduit une des sondes
par Vartère carotide droite, et l'autre dans la veine cave
supérieure, par la veine jugulaire externe droite. En
poussant les sondes, on constate, mais d'une manière
inverse, les mêmes résultats qu'au moyen du cathété-
risrae par les vaisseaux cruraux. Ce cathétérisme simul-
tané de l'aorte et de la veine cave, tel que nous l'avons
décrit, résout à lui seul tout le problème de la topogra-
phie calorifique du système sanguin. Il i.'ous montre :
1° Que le sang artériel offre une température sensible-
ment constante durant tout son parcours dans l aorte et
les grosses branches artérielles;
•2° Que le sang veineux, à la périphérie du corps, se
refroidit et présente une température constamment infé-
rieure à celle du sang artériel;
3" Que le sang veineux périphérique qui s est refroidi
en circulant dans les veines superficielles du corps, se
réchauffe et compense au delà sa déperdition de chaleur
dès quil reçoit le sang des organes splanchniques abdo-
minaux, profondément situés et protégés contre tout
refroidissement extérieur.
4° Enfin cette expérience, en nous démontrant, sans
qu'il soit besoin de recourir à aucune autre épreuve
plus compliquée, que la masse du sang artériel est plus
froide à sa sortie du cœur gauche (que la masse du sang
veineux à son entrée dans le cœur droit, nous prouve
clairement qu'en circulant dans le poumon, le sang
CL. BERNARD. - Plijsiol. opér. 31
482 DL" SANG.
ne se réchauffe pas, comme le croyait Lavoisier, mais
quil s'y refroidit au contraire, ainsi que cela a lieu quand
il circule au contact de l'air à la surface du corps.
Ces résultats soiil absolument conslants, et nous pou-
vons les représenter par le tracé graphique (fig. 103),
qui les rend saisissables au premier coup d'oeil.
La température de l'aorte étant fixe peut servir
d'abscisse, tandis que les températures de la veine cave
servent d'ordonnées.
^^r-ici
Fig. 103. — Ompliiiiuo
Kl G. lOi. — Schéma.
P,C 103 - ko. aorte; S S. surface à l'air; a. rein; b. foie; CD, cœnr droit;
c"g. cœur gauche; P, poumon. - Toute la partie au-dessus de l'aorte est plus chaude
qu'elle; celle au-dessous, plus froide.
Le schéma (fig. 104) traduit en degrés ces dilTéreuce*.
Un dessin schématique (tig. 104) peut traduire le
graphique en le rapportant topographiquement aux
divers territoires du système sanguin. La légende qui
accompagne ces deux figures leur sert d'explication.
En résumé, nous arrivons à conclure, d'après ce qui
précède, que la question si longtemps controversée de
TOrOGUAPHlE CALORIFIQUE. 483
la température du sang avant et après le poumon est
aujourd'hui résolue. Il reste expérimentalement dé-
montré que le poumon n'est pas le foyer de la chaleur
animale; mais existe-til d'autres foyers? et dirons-nous,
parce que nous avons trouvé le sang veineux plus
•chaud que le sang artériel au sortir des reins, des
intestins et du foie, dirons-nous que ce sont là les vrais
foyers de la chaleur animale? Évidemment non. Il se
fait de la chaleur en réalité dans tous les organes;
seulement l«,'s organes abdominaux sont mieux protégés
que les autres contre la déperdition de la chaleur. De
«ette inégalité des parties protondes et des parties super-
ticielles du corps, l'ésulle une sorte de compensation
harmonique (le la chaleur qui est réglée par l'influence
du système nerveux.
En définitive, il faut renoncer aujourd'hui à l'idée
émise par Lavuisierd" une localisation dans lepoumonou
ailleurs d'un foyer quelconque de chaleur. La chaleur
animale ne saurait pas plus se localiser que la nutrition,
dont elle est une consécjuence directe. Tous lesorganes,
tous les tissus, tous les éléments se nourrissent, fonc-
tionnent et engendrent de la chaleur.
C'est ce que nous allons vous montrer d'abord pour
le tissu musculaire.
Depuis longtemps déjà on sait que le travail muscu-
laire développe de la chaleur. Becquerel et Breschet
l'ont démontré sur Ihomme lui-même, dès 1835. De-
puis, un nombre considérable d'expérimentateurs ont
mis le fait hors de doute. C'est donc un fait acquis à la
.science, et l'expérience que nous allons faire devant
484
DU SANG.
VOUS ne fait que réaliser des conditions de simplicité
et de facilité pour cette démonstration.
On prépare un train postérieur de grenouille à la ma-
nière de Gai van i (voy. ci-dessus, fig. 99, p. 405) , et on
sépare les deux cuisses sur la ligne médiane en laissant
intacts, de chaque côlé, les nerfs qui s'y rendent. On
a ainsi deux pattes qui sont exactement dans les mêmes
conditions de température. La circulation étant sup-
primée, on n'a pas à redouter que des effets vaso-
moteurs viennent troubler Texpérience, comme lors-
qu'on agit sur un animal dont la circulation n'est pas
interrompue.
Fig. 105. — Expérience sur la conlrartion musculaire avec les aiguilli'S
ihermo-clectriques.
Vov. la fii^urc 102 ci-dessus, p. i'i, pour les détails de la. construction de ces aiguille-^
à soudure centrale {C, tube externe en fer; S, sa soudure avec le tube interne en
;utchouc). — On voit ici ces sondes (a, a) introduites dans deux trains postérieurs
et I') de grenouilles, dont l'un (1) est mis en contraction par l'excitation électrique
cac
(l et I') de grenouill
(appliiiuée en il)
On plante alors {fig. 105) dans chaque cuisse un
TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 485
aiguille thermo-électrique à soudure cylindrique, et on
électrise une des pattes par l'intermédiaire du nerf. Les
muscles entrent en contraction, et aussitôt on voit le
galvanomètre indiquer un échauffeuient qui peut aller
à un demi-degré et plus.
Pour avoir la contre-épreuve, on électrise la seconde
patte, et vous voyez alors que la déviation change de
sens.
Enfin, pour montrer que la déviation n'est pas due
à une dérivation du courant produisant l'excitation, nous
avons attendu que les muscles eussent perdu leur exci-
tabilité, et alors on a beau électriser, le galvanomètre
n'indique rien, quelle que soit l'intensité du courant.
• Il reste donc bien démontré que la chaleur produite
est le résultat de la contraction musculaire.
Je vous ai parlé déjà de l'appareil à température fixe
de M. d'Arsonval. Je vais vous donner la description
sommaire de l'étuve qui a servi à nos recherches et
dont les dimensions ont été réduites pour cet usage.
Cette étuve se compose de deux vases cylindro-
coniques concentriques limitant deux cavités : l'une
centrale qui est l'enceinte qu'on veut maintenir con-
stante, l'autre annulaire que l'on remplit par la douille
et qui constitue le matelas liquide soumis à l'action du
foyer. Ce matelas d'eau distribue régulièrement la cha-
leur autour de l'enceinte et l'empêche de subir de
brusques variations de température; il mérite donc bien
le nom de volant de chaleur que lui a donné M. Schlœ-
sing.
M. d'Arsonval a eu l'idée d'utiliser les varifitions de
486 DU SANG.
volume fie cette masse énorme de liquide pour régler
le passage du gaz allant au brûleur. C'est là ce qui con-
stitue l'originalité de ses appareils en même temps que
leur exquise sensibiliti'.
Pour cela, la paroi externe de l'étuve porte une tubu-
lure latérale qui, communiquant avec l'espace annu-
laire (2, fig. i06), se trouve fermée à l'extérieur par
Fil.. 106. — Appareil de d'Arsotival pour obicnir une knipiraliire constante.
une membrane verticale de c.ioutcbouc; cette mem-
brane con.slitue, une fois la douille du baut (3, fig. i06)
DOSAGE DU SUCRE. 487
bouchée, la seule portion de paroi qui puisse traduire
à l'extérieur les variations de volume du matelas d'eau
en les totalisant. Or le gaz qui doit aller au brûleur est
amené par un tube (4, tig. 106) qui débouche norma-
lement au centre de celte membrane et à une faible
distance de sa surface externe dans l'intérieur d'une
boîte métallique, d'où il ressort par un autre orifice
(5, fig. 106) qui le conduit au brûleur. Tube et mem-
brane constituent de la sorte un robinet très-sensible
dont le degré d'ouverture est sous la dépendance des
variations de volume du matelas d'eau, et qui ne laisse
aller au brûleur que la quantité de gaz strictement
nécessaire pour compenser les causes de refroidisse-
ment.
Dans cette combinaison, le combustible chauffe direc-
tement le régulateur qui à son tour réagit directement
sur le combustible; ainsi se trouve justifiée l'épithète
appliquée à ces régulateurs qui, de la sorte, ne peuvent
être paresseux à régler.
L'étude de la température du sang se rapporte aux
conditions physiques de ce milieu intérieur ; parmi les
conditions chimiques, une des plus importantes et des
plus délicates à étudier est celle de sa teneur en sucre
(état glycémiqué). Cette question a été de notre part,
depuis nombre d'années, l'objet de recherches spéciales,
publiées dans un volume consacré tout entier à ce
sujet. C'est pourquoi, renvoyant à ces leçons antérieures,
nous vous donnerons seulement ici les derniers perfec-
tionnements que nous avons apportés, avec mon prépa-
rateur, aux procédés de dosage du sucre dans le sang :
488 DU SANG.
nous avons à indiquer les détails de l' instrumentation
et ceux du manuel opératoire.
Insimmmtation. — Cette opération exige les objets
suivants:
1° Six capsules de porcelaine de 20 grammes avec
leur tare ;
2° Un support avec une lampe à alcool pour la
cuisson ;
3° Une petite balance Roberval ;
4° Une petite presse de forme spéciale pour presser le
caillot ;
5° Une burette divisée de forme spéciale qui repré-
sente la figure ci-jointe ;
6" Du sulfate de soude ordinaire en petits cristaux,
un flacon de liqueur bleue et un flacon de potasse
caustique en pastilles.
Maimel opératoire. — On pèse préalablement 20 gr.
de sulfate de soude dans chacune des capsules ;
cela fait, on prend le sang dont on veut doser le
sucre, soit au moyen d'une seringue, soit directement
par une saignée au vaisseau, et on pèse 20 grammes
que l'on mélange exactement aux 20 grammes de sul-
fate de soude.
On porte alors la capsule sur le petit support, et on
fait cuire le mélange. On connaît que l'opération est
terminée lorsque la mousse qui surmonte le caillot est
parfaitement blanche et que ce dernier ne présente plus
de points rougeàtres.
On retire alors du feu et on rétablit sur la balance le
poids primitif, en ajoutant de l'eau pour compenser la
L./iosr/^r
FiG. 107. — Ballon et burclte pour le dosage du sucre,
l.burellc; 3, son orifice inférieur fermé par uuc pince à pression; 2, ballon chauffé
par le bec de gaz (6) et dans lequel s'opère la réaction; 4, tube pour le dégagement
de la vapeur, et dont l'ajutage en caoutchouc est pincé ensuite par une pince à pres-
sion pour empêcher la rentrée de l'air.
490 DU SANG.
perte due à l'évaporation et à la vaporisation. Le tout
est jeté dans la petite presse dont on tourne lentement
lavis. Le liquide passe au-dessus du plateau compresseur,
et on le verse sur un filtre qui surmonte la burette.
Pendant que le liquide filtre, on verse dans le petit
ballon (2, fig. 107) qui est au-dessous de la burette
(1-3, fig. 107) 1 centimètre cube de la liqueur bleue;
on ajoute 10 à 12 pastilles de potasse et environ 20 gr.
d'eau distillée. On purge ensuite la burette, dont on
serre la pince inférieure pour empêcher tout écoulement.
On met sur le ballon le bouchon de caoutchouc qui
donne passage au tube qui termine la burette et à un
second tube coudé ayant un caoutchouc muni d'une
pince à pression continue (4, fig. 107).
C'est ce tube qui sert de dégagement pour la vapeur
lorsqu'on chauffe le liquide du ballon après avoir retiré
la pince. Si on cesse de chauffer, on empêche la ren-
trée de l'air en pinçant le caoutchouc.
On porte le liquide à l'ébullition à l'aide d'une lampe
à alcool ou d'un bec de gaz ; on laisse alors tomber le
liquide contenu dans la burette, d'abord rapidement,
puis goutte à goutte. On voit alors le liquide bleu du
ballon se décolorer de plus en plus et devenir parfaite-
ment limpide, ce que l'on reconnaît surtout en obser-
vant les bulles de vapeur qui se dégagent. Le dosage
est alors terminé, et on lit sur la burette la quantité
du liquide écoulé, soit ii centimètres cubes.
La formule
DOSAGE PU SLCllE. 491
fait connaître en c/rammes le poids de sucre contenu
dans 1 kilogramme du sang qu'on vient d'ana-
lyser. Si, par exemple, il a fallu 4 centimètres cubes
de liquide pour la décoloration, ce qui est la moyenne,
la formule donne 2 grammes de sucre pour 1000 de
sang, etc. (i).
(I) Pour le détail et l'explication de cette formule, voyez les Leçons sur
le diabète et la glijcogénése. Paris, 1877, p. 203.
OIATRIEME PARTIE
PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL DIGESTIF
TIXGT ET UNIÈME LEÇON
Sommaire : Physiologie opératoire de l'appareil digestif. — Historique de la
question. — Actes mécaniques et actes chimiques de la digestion. —
Digestions artificielles in vitro. — Liquides digestifs. — Fistules pour se
])rocurcr les liquides digestifs, et notamment le suc gastrique. — Tentatives
de de Graaf.
Étude de la salive. — Salive mixte. — II y a trois csi»èces de salives bien
distinctes. — Expériences sur les carnivores et les herbivores.
Messieurs,
Pour comprendre la portée des expériences propres
à nous fixer sur la physiologie de Tappareil digestif, il
est indispensable de jeter un rapide coup d'œil sur
l'histoire de celte question.
L'étude vraiment expérimentale de la digestion est
de date relativement récente : les anciens se contentaient
à ce sujet, pour toute explication, de comparaisons plus
ou moins heureuses avec des phénomènes vulgairement
connus: ainsi, la digestion était pour Hippocrale une
coction; pour Galien, un<è fermentation comme celle du
vin dans la cuve; plus tard van Helmont reproduisait
ACTES MÉCANIQUES ET CHIMIQUES. 493
cette comparaison; pour lui, la dif^eslioii était une fer-
mentation analogue à celle de la pâte du pain; de même
que la ménagère, après avoir pétri le pain, garde un peu
de pâte pour l'utiliser comme levain dans une prochaine
opération de pétrissage, de même, disait van lîelmont,
le tube intestinal ne se vide jamais complètement, et le
résidu qu'il conserve après chaque digestion devient le
levain qui servira à la digestion suivante.
Les premières recherches expérimentales sur la di-
gestion datent de la fin du xvii^ siècle, alors que l'Aca-
démie de Florence retentit d'une célèbre et longue
controverse entre Borelli et Valisnieri (i). Le premier
ne voulait voir dans la digestion qu'un acte purement
mécanique, un travail d'attrition par lequel les substances
ingérées étaient finement divisées et comme pulvérisées;
et Borelli invoquait, à l'appui de cette opinion, les faits
qu'il avait observés relativement à l'estomac (jabot) des
oiseaux ; on sait que ce réservoir à parois musculaires
très-épaisses peut exercer sur son contenu une pression
telle qu'il brise les corps les plus résistants. Identifiant
l'estomac de l'homme au jabot de l'oiseau, Borelli était
amené à attribuer aux parois de ce viscère une force
énorme, évaluée à plus de mille livres, et dont la mise
en jeu constituait, disait-il, l'essence même des phéno-
mènes digestifs. — Valisnieri, au contraire, ayant eu
occasion d'ouvrir un estomac d'autruche, y avait trouvé
un liquide paraissant agir sur les corps qui y étaient
plongés; ce hquide, disait-il, est l'agent actif de la
(1) Aecademia del Ciinenlo. — Lag^ji di nalurali eiperieme fulle nelTAc-
cademia del Cimento. I6G7.
494 APPAREIL DIGESTIF.
digestion ; c'est une espèce d'eau forte qui dissout les
matières alimentaires.
Ces deux opinions opposées, résultant bien plus d'ob-
servations que d'expériences régulièrement instituées,
furent le point de départ des recherches expérimen-
tales entreprises par Réaumur en 1752. Pour résoudre
le problème posé parBorelliet Valisnieri, Réaumur fait
avaler a des oiseaux des matières alimentaires renfer-
mées dans des tubes creux et percés à jour, de telle
sorte que ces substances, soustraites à l'action mécani-
que des parois de l'estomac, fussent cependant soumises
encore à l'action du liquide stomacal. Les premiers
tubes (verre, fer-blanc, etc.) mis en usage furent broyés,
plies, aplatis par l'action des parois du jabot, et Réau-
mur ne parvint à opposer à cet effort mécaniiiue une
résistance suffisante qu'en employant des tubes deplomb
assez épais pour n'être point aplatis par un poids de
484 livres : telle était, en effet, la force développée par
les parois contractiles du jabot des dindons, canards et
coqs mis en expériences. Ces tubes de plomb, remplis
des graines dont ces oiseaux se nourrissent, et bouchés
seulement d'un grillage permettant la pénétration des
sucs stomacaux, ces tubes, après un long séjour dans
l'estomac, renfermaient encore ces graines parfaitement
intactes, si celles-ci n'avaient pas été préalablement
broyées; s'ils avaient été remplis de viande, celle-ci
éiait retrouvée corrompue mais non digérée. Réau-
mur fut donc amené tout d'abord à considérer la diges-
tion, chez les gallinacés, comme une pure et simple
trituration. Mais, répétant ces expériences sur des
ACTES MÉCANIQUES ET CHIMIQUES. 495
oiseaux de proie (faucon, buse, etc.), il observa cette
fois qu'ici la digestion consiste essentiellement en une
dissolution, sans acte mécani({ue important, et qu'il en
est de même, chez tous les animaux à estomac mem-
braneux, pour la digestion de la viande.
Pour se procurer le liquide, agent de celte dissolu-
tion, Réaumur fit avaler à ces oiseaux des éponges
retenues par un fil; retirant ces éponges au bout d'un
oertain temps, il en exprimait le liquide dans un verre
et recherchait l'action de ce liquide sur la viande. Telles
sont les premières t.jntatives de digestions artificielles
in vitro ; Réaumur ne poussa pas très-loin ces dernières
investigations et n'en obtint pas des résultats très-dé-
cisifs; mais il n'en doit pas moins être considéré comme
l'inventeur des digestions artificielles.
Les expériences de Réaumur furent reprises en 1777
par Spallanzoni, qu'on cite généralement comme ayant
le premier fait entrer l'étude de la digestion dans la voie
expérimentale, quoique cette gloire appartienne en
réalité à Réaumur, ainsi que nous Tavons dit.
Spallanzani se refusant à croire que la digestion
chez les gallinacés ne fut qu'un simple acte d'altrition
mécanique, recommença les exj3ériences de Réaumur sur
ces oiseaux; et, en laissant séjourner plus longtemps dans
leur estomac les tubes remplis de graines, il observa que
ces graines pouvaient être digérées par le suc de l'esto-
mac sans subir l'action mécanique des parois viscérales.
Il conclut donc en disant que la digestion se compose
d'actes mécaniques et d'actes de dissolution chimique;
(pie ces deux ordres d'actes existent également chez tous
496 APPAREIL DIGESTIF.
les oiseaux, mais peuvent, selon les espèces, être plus ou
moins intenses; les actes mécaniques, presque nuls chez
les oiseaux de proie, acquièrent une grande importance
chez les galhnacés ; mais on ne saurait les considérer
comme constituant uniquement la digestion; ils sont
nécessaires et presque indispensables pour la trituration
des graines, et cette trituration n'est qu'un acte prépa-
ratoire; un sac de blé moulu n'est pas du blé digéré,
mais mieux préparé à subir l'action des liquides digestifs.
De plus, Spallanzoni étendit ses expériences à un plus
grand nombre d'animaux : il opéra sur des gallinacés,
des corbeaux, des hérons, des poissons, des serpents,
des chats, des chiens. Il constata que dans l'estomac
d'un animal qu'on vient de sacrifier, les actes chimiques
de la digestion se continuent encore après la mort, et
que l'estomac finit par se digérer lui-même, c'est-à-dire
que les liquides digestifs qu'il renferme en attaquent et
en ramollissent les parois, si le cadavre est maintenu à
une température égale à celle de l'animal vivant. Cette
digestion artificielle, en dehors de tout acte vital, Spal-
lanzoni la réalisa, comme Réaumur, rn vitro^ avec les
liquides extraits de l'estomac d'un animal.
Dès ce moment, l'étude expérimentale avait tranché
la question théoriquement débattue par Borelli et
Valisnieri: la digestion ne pouvait plus être considérée
que comme une dissolution des aliments par le liquide
de l'estomac, par le suc gasirique.
Mais il restait à connaître ce suc gastrique et à déter-
miner sa nature et son mode d'action. Les opinions
étaient on ne peut plus contradictoires à ce sujet.
ACTES MÉCANIQUES ET CHIMIQUES. 497
Chaussier et Dumas, de Montpellier, regardaient le suc
gastrique comme de composition très-variable, tantôt
alcalin, tantôt acide, selon les aliments ingérés. A côté
de ces opinions entièrement hypothétiques, quelques ré-
sultats expérimentaux avaient conduit à des conceptions
tout aussi erronées, faute d'une critique expérimentale
rigoureuse : c'est ainsi que Montègre niait l'existence du
suc gastrique comme liquide particulier; ce qu'on pre-
nait, disait-il, 'pour du suc gastrique, n'était, pour Ini,
que de la salive arrivée dans l'estomac et devenue acide.
Il faisait, pour le démontrer, l'expérience suivante : il
mâchait un morceau de pain, puis le déposait sur une
assiette ; cette bouillie était d'abord alcaline, puis, au
bout de quelque temps, elle devenait acide. A celte
époque (1813), cette expérience était en effet assez em-
barrassante pour les partisans de l'existence d'un su43
gastrique propre ; nous n'avons pas aujourd'hui besoin
de la réfuter.
Ces quelques exemples suffisent pour montrer com-
bien les physiologistes étaient peu fixés sur la nature et
sur les propriétés du suc gastrique. C'est alors (1823)
que l'Académie eut l'heureuse initiative de proposer la
dif/estion comme question de prix. Tiedemanu etGmelin
en Allemagne, Leuret et Lassaigne en France, répon-
dirent à cet appel par des travaux d'un égal mérite, et
l'Académie partagea le prix entre eux. Le travail de
Tiedemann etGmelin nous intéresse plus particulièremen t
par le grand nombre d'expériences entreprises par ces
auteurs, et desquelles résultèrent et la démonstration
absolue de l'existence du suc gastrique et l'étude de la
CL. BERNARD. — Plivsiol. upér. 'M
498 APPAREIL DIGESTIF.
transformation de la fécule en glycose. Ainsi la théorie
de la digestion entrait dans une nouvelle phase ; il était
reconnu enlîn, du moins pour certaines substances,
qu'il n'y a pas simplement dissolution, mais bien trans-
formation chimique.
En même temps, les observations que W. Beaumont
fit sur un chasseur canadien dont l'estomac était resté
ouvert àla suite d'une blessure par arme à feu, cesobser-
vations venaient confirmer l'existence du suc gastrique
et nous éclairer sur sasécrétion, sur son action. Par cette
large fistule, qui mettait au jour la surface muqueuse de
l'estomac, W. Beaumont put voir le suc gastrique, sous
l'influence de la présence des aliments, suinter en gout-
telettes et ruisseler sur la surface muqueuse, comme la
sueur suinte et ruisselle sur la peau ; l'origine du suc
gastrique était donc évidente, et il n'y avait plus à tenir
compte de l'expérience de Montègre.
Un nouveau et important progrès fut accompli en
1834 par Éberle, qui s'occupa surtout des digestions
artificielles, c'est-à-dire des digestions effectuées in vitro
avec les sucs digestifs empruntés à un animal, et de la
fabrication de liquides digestifs artificiels. Éberle montra
en effet qu'en faisant macérer un morceau des parois
stomacales on obtient un liquide qui jouit des mêmes
propriétés que le suc gastrique : le principe actif est donc
formé par le tissu de la muqueuse stomacale, et il peut
en être entraîné par macération. Aujourd'hui nous ap-
pliquons ce procédé de préparation de liquides digestifs
artificiels à toutes les glandes annexées au tube digestii,
et nous pouvons ainsi obtenir chimiquement purs les
SÉCRÉTIONS DIGESTIVES. 499
principes actifs de la salive, du suc gastrique, du suc
pancréatique; c'était donc un progrès notable que
réalisait Éberle eu montrant la possibilité de semblables
opérations.
D'autre part, le fait de W. Beaumont et de son Cana-
dien devait naturellement faire penser à réaliser artifi-
ciellement chez les animaux des fistules donnant un
accès plus ou moins libre dans la cavité stomacale. Blon-
dlot, de Nancy, en 184'^, fit des expériences dans ce
sens avec un plein succès, et depuis celte époque les
fistules gastriques chez les chiens sont devenues unt*
opération classique en physiologie expérimentale.
C'est vers cette époque que nous entreprîmes sur la
digestion une série de recherches, publiées ultérieure-
ment dans les Leçons du Collège de France; les procédés
opératoires que nous avons mis en usage, que nous
avons perfectionnés depuis, et parmi lesquels nous
choisirons les expériences types, seront décrits dans les
chapitres suivants.
Mais nous devons d'abord indiquer dans quel esprit
nous ferons ce choix, et quels sont, parmi les appareils
de la digestion, ceux dont l'étude a le plus d'importance
au point de vue de la physiologie en général. Ces appa-
reils se divisent naturellement en deux classes: 1" Les
uns sont des appareils mécaniques, destinés à la pré-
hension, la division, la trituration des aliments et à leur
cheminement dans le tube digestif. Ces appareils sont
très-variables selon l'espèce animale considérée, selon
que l'animal est herbivore ou Carnivore, en un mot
selon les variétés infinie des propriétés physiques des
500 APPAREIL DIGESTIF.
aliments. — 2° Les autres sont des appareils chimiques
destinés à dissoudre et à modifier (transformer) les sub-
stances alimentaires. Or, quelles que soient leurs variétés
de consistance, de forme, de propriétés physiques en un
mot, ces substances sont toujours les mêmes au point
de vue chimique, que l'animal soit herbivore ou Carni-
vore; aussi les appareils chimiques sont-ils les mêmes
pour tous les animaux, ou du moins trouvons-nous les
mêmes glandes annexées à l'appareil, les mêmes liquides
versés dans le tube digestif, chez l'homme, chez le chien,
chez le lapin, chez les ruminants; à part des différences
anatomiques qui rendent souvent difficile d'établir l'ho-
mologie des organes sécréteurs, on peut dire que ces
liquides sont les mêmes jusque chez les insectes.
C'est] en vue de ces actes chimiques, actes les plus
généraux et les plus essentiels, que nous nous efforce-
rons d'établir les procédés opératoires les plus propres
à nous permettre d'isoler les liquides digestifs et d'en
étudier l'action sur les substances alimentaires.
Nous commencerons donc celte nouvelle série de nos
études de technique expérimentales par l'examen suc-
cessif.des liquides du tube digestif, à savoir, de la salive,
de la bile, du suc gastrique et de toutes les sécrétions
du tube intestinal. Pour se rendre un compte exact de
leurs propriétés, il est indispensable de les obtenir tous
à l'étal de pureté parfaite; nous nous efforcerons donc,
par-dessus tout, de décrire, avec le soin le plus scru-
puleux, les procédés opératoires qui nous permettent
d'atteindre ce résultat.
ÉTUDE DE LA SALIVE. 501
La salive est, de tous ces liquides, celui que nous nous
proposons d'examiner d'abord. A première vue, rien ne
paraît plus facile que d'en obtenir de grandes quan-
tités par simple expiation. Mais la salive obtenue par
ce moyen est un liquide complexe, provenant d'un
grand nombre de sources diiférentes. Aussi , pour
prendre une connaissance complète de ses propriétés et
de ses origines, faut-il examiner successivement chacune
des glandes salivaires.
De Graaf, qui, de tous les physiologistes du dix-
septième siècle, paraît avoir pratiqué le plus grand
nombre de vivisections, a publié un ouvrage, renfermant
plusieurs planches (1), dans lequel il rapporte les
expériences entreprises par lui pour obtenir du suc pan-
créatique. Sur l'une de ces planches représentant un
chien en expérience, on voit un tube introduit dans le
canal de Sténou et en rapport avec un petit réservoir
en verre. Il semble d'après cela que cet auteur avait
cherché à obtenir de la salive parotidienne pure, bien
que cette expérience ne soit pas mentionnée dans le
texte.
En 1784, H. de Lachenay, professeur à l'École vété-
rinaire de Paris (actuellement l'École d'Alfort), décou-
vrit le conduit parotidien chez le cheval et l'ouvrit
pour recueillir le hquide sécrété par la glande. Il éta-
blit facilement toutes ses propriétés, et trouva qu'elles
différaient entièrement de celles du liquide complexe
qui s'échappe de la bouche de l'animal. Depuis cette
(1) Voy. ci-dessus, p. 59, le Frontispice du livre de Régnier ile Graal'
(fig. 1).
502 APPPAREIL DIGESTIF.
époque, on a observé dans la pratique plusieurs cas qui
ont permis aux médecins de recueillir la salive paro-
tidienne pure chez l'homme. Or, on a admis universel-
lement qu'il existait deux variétés de salive : l'une pro-
duite par la parotide, et qu'on supposait être la salive
pure; l'autre, constituée par le liquide complexe obtenu
par l'expuilion. Cette distinction a été reconnue par Tie-
demann et Gmelin, et l'on a cru longtemps que toutes
les autres glandes salivaires sécrétaient un liquide iden-
tique à celui de la parotide. Ce n'est qu'en 1847 que
je pus, par des expériences directes, me convaincre que
la sécrétion de la glande sous-maxillaire était totale-
ment différente ; depuis cette époque, des expériences
variées ont mis en lumière les différentes propriétés de
chaque espèce de salive. Nous avons actuellement
recours, à propos de chaque glande, à un procédé
opératoire spécial, dans le but de recueillir les produits
de sa sécrétion.
Quant à la salive complexe, dont les caractères ont
également la plus haute importance pour le physiolo-
giste, on l'obtient facilement par expuition. Mais il faut
que l'observateur se soit soumis au jeûne depuis un cer-
tain temps. Magendieet Rayer en ont recueilli de grandes
quantités chez le cheval, en faisant mâcher à l'animal
du sou préalablement plongé dans l'eau bouillante
afin de le débarrasser de toutes ses parties solubles.
La sahve humaine a été, bien entendu, le principal
objet de nos recherches ; nous avons examiné ensuite
celle du chien, du cheval, du mouton, du bœuf, du
lapin et de presque tous les animaux domestiques.
ÉTUDE DE LA SALIVE. 503
Nous nous contenterons de faire devant vous l'expé-
rience sur un Carnivore et sur un herbivore, afin de
vous convaincre de l'énorme différence qui existe entre
les salives des diverses espèces. Mais nous ne nous bor-
nerons pas à étudier les propriétés chimiques de ce
liquide, et nous déroulerons complètement devant vous
toute l'histoire expérimentale de sa sécrétion. Quels
sont les agents qui provoquent sa production? Quelles
sont les substances éliminées par les glandes salivaires?
Quelles sont celles qu'elles absorbent par leur surface
interne? Telles sont quelques-unes des questions que
nous avons l'intention de traiter.
YINGT-DEUXIÊME LEÇON
Sommaire : Propriétés de la salive parotidienne. — Comment il faut s'y
prendre pour introduire des tubes dans le conduit parotidien. — Disposi-
tion anatomique des parties chez le cheval et le chien. — Propriétés des
salives ainsi obtenues. — Elles diffèrent avec les diverses espèces et quel-
quefois chez divers individus de la même espèce. — Explication de cette
contradiction apparente. — Caractère intermittent de la sécrétion. — Des
différentes manières de l'exciter. — L'afrmilc élective des glandes sali-
vaires démontrée par différentes expériences. — Toutes les substances
peuvent passer dans la salive lorsqu'elles ont été introduites en suffisante
quantité dans le sang. — Du pouvoir absorbant de la surface interne des
glandes. — Sa disparition pendant le cours de la sécrétion.
Messieurs,
Ainsi que nous l'avons dit dans la dernière leçon, les
glandes salivaires sont le premier objet sur lequel nous
allons attirer votre attention en commençant la partie
expérimentale de ce cours relative à l'appareil digestif.
La salive est sécrétée par trois glandes principales,
dont les fonctions réclament une étude spéciale dans
chaque cas particulier. Chacune d'elles, en effet, a son
usage propre et, lorsque son action vient à être inter-
rompue, elle ne peut être suppléée par les autres.
Comme pour chaque glande une opération chirur-
gicale spéciale est nécessaire à l'effet d'obtenir à l'état
de pureté parfaite le liquide qu'elle produit, il est selon
moi indispensable que je vous expose les notions anato-
FISTULES SALIVA IRES. 505
miques précises, qui vous permettront de répéter vous-
mêmes l'expérieuce.
Chez le cheval, la glande parotide est située en partie
au-dessous, en partie en avant de l'oreille externe
(voy. fig. 108 : les contours de la glande sont indiqués
par une ligne poinlillée). Les nombreux conduits qui
émanent de ses lobules s'anastomosent successivement
entre eux, de manière à constituer un tronc considé-
rable, lequel, après s'être dirigé pendant un certain
temps en bas, se relève de nouveau vers la bouche et
Fig. 108. — Cannl excréteur do la parotide cliez le cheval ; fr,ijet de ce canal ;
ses rapports avec les nerfs et vaisseaux faciaux.
pénètre dans la cavité buccale au niveau de la deuxième
molaire. Il décrit ainsi une courbe (fig. 108) dont la
concavité ombrasse la branche montante de la mâchoire
inférieure. Lorsqu'on ouvre ce tronc, il faut avoir bien
soin d'éviter les vaisseaux et nerf faciaux qui le croisent.
506
APPAREIL DIGESTIF.
Pour ne pas léser ces organes importants, il faut se
guider pendant l'opération sur le
bord antérieur du masséter. Faites
O
6
O
l'incision le long de son tiers infé-
rieur, et vous arriverez immédia-
tement sur le conduit parotidien,
précisément au point oii il change
de direction pour se porter vers la
bouche (fig. i08). On peut impu-
nément le diviser en ce point,
pour y introduire un petit tube.
Celui dont nous allons nous servir
ici est en argent et renferme un
stylet (fig. 109), qui sert à le net-
toyer lorsqu'il vient à s'obstruer,
et qui rend son introduction plus
facile. Le conduit excréteur est
ensuite lié sur le tube, immédia-
tement au-dessus du point où il
a été introduit.
Nous pratiquons ici l'expérience
sur un animal vivant. Vous voyez
qu'il ne s'échappe pas une seule
sjoutte de salive au moment où le
tube est introduit dans le canal de
Slénon .
Le même procédé est applicable
à la plupart des herbivores. Chez le lapin cependant
les parties sont disposées tout différemment ; mais
le canal de Sténon présente les mêmes rapports que
Fig. 109. — Sondes avec sly-
let central (mandrin) pour
les fistules salivaires.
Ces sondes (A, B, C) sont de
divers calibres, pour servir
aux divers animaux (chien,
cheval, etc.) et aux diverses
glandes ; les petits cercles
a, 6, c représentent la coupe
(le calibre) de ces glandes
ou canules.
FISTULES SALIVÀIRES. 507
chez le chien. Il faut donc opérer comme chez ce
dernier.
Le canal parotidien du chien traverse les fibres mus-
culaires du masséter et, suivant un trajet direct, vient
FiG. HO. — Canal parotidien du chien ; ses rapports avec l'artère faciale
et lo nerf facial.
s'ouvrir dans la bouche au niveau de la deuxième
molaire. Pour faire la même opération que tout à
l'heure, il faut sentir le bord inférieur de l'arcade zygo-
matique et le suivre de son extrémité postérieure à son
extrémité antérieure. On découvrira ainsi une petite
dépression qui correspond au point où le conduit pénètre
dans la bouche. Faites une incision transversale en ce
point, et vous le trouverez facilement; mais auparavant
il faut disséquer avec soin les vaisseaux et nerf faciaux
qui passent en avant, et les écarter ensuite avec une
sonde courbe. Le conduit apparaît immédiatement
au-dessous : il ne reste plus qu'à l'ouvrir et à y plonger
un tube.
508 APPAREIL DIGESTIF.
Nous pratiquons ici l'expérience sur un chien de
moyenne taille. Au moment oii le conduit est ouvert,
l'animal pousse quelques cris plaintifs. Cela prouve que
le conduit paroticlien est quelquefois doué de sensibilité,
bien que le contraire ait lieu le plus souvent.
Vous voyez, Messieurs, qu'il ne sort pas en ce moment
une seule goutte de salive du tube; c'est qu'en effet ce
liquide n'est généralement sécrété que pendant la mas-
tication et la déglutition, ou bien sous l'impression d'une
vive douleur ou d'une saveur énergique. Vous savez
parfaitement que certaines influences morales peuvent
aussi exciter cette sécrétion; le fait est bien établi pour
l'homme et peut être également vérifié chez les ani-
maux inférieurs. Le cheval sur lequel je viens d'opérer
devant vous n'a pas mangé depuis plusieurs heures.
La simple vue des aliments va provoquer immédiate-
ment une abondante sécrétion. Nous faisons apporter
une botte de foin : l'animal témoigne une grande exci-
tation, et un jet de salive s'écoule du tube.
Les acides toutefois sont, de tous les agents, les plus
puissants à exciter les glandes salivaires. Berzelius avait
déjà remarqué, il y a quelques années, que les sécrétions
alcalines étaient excitées par les substances acides, et
vice versa; or, la salive étant une sécrétion alcaline
peut être produite par l'action des acides sur les nerfs
gustatifs, taudis que les alcalins demeurent relativement
sans action sur elle.
Nous pratiquons l'expérience sur un chien, dans le
conduit parotidien duquel on a préalablement introduit
un tube. Ou verse quelques gouttes de vinaigre dans la
FISTLLES SALIVAIRES. 509
bouche de l'animal, et l'on voit aussitôt la salive s'écouler
goutte à goutte par le tube. On remplace ensuite le
vinaigre par une solution alcaline, et l'on n'obtient
aucun résultat appréciable.
Examinons maintenant la salive que nous avons
recueillie chez ces deux animaux. Chez le chien, comme
vous le voyez, c'est un liquide limpide, incolore, d'une
réaction fortement alcaline.
Mais il n'en est pas toujours ainsi. Nous trouvons, en
effet, dans le grand ouvrage de Tiedemann et Gmelin,
sur les liquides digestifs, qu'après avoir divisé le conduit
parotidien d'un chien et avoir plongé son extrémité
dans un petit flacon de verre, ils ont recueilli dix
grammes d'un liquide visqueux, ressemblant beaucoup à
première vue à l'albumine. Telles seraient, suivant ces
observateurs, les propriétés caractéristiques de la sécré-
tion parotidienne. Leur conclusion , vous le voyez,
diffère absolument de celle à laquelle nous venons d'ar-
river, et si vous répétiez l'expérience sur dix ou douze
animaux, vous auriez probablement une ou deux fois
le même résultat.
Comment expliquer cette contradiction apparente?
La raison en est dans une disposition anatomique spé-
ciale. Il arrive quelquefois qu'avant de s'ouvrir dans la
bouche, le canal de Sténon reçoit l'anastomose des
canaux excréteurs de deux ou trois petites glandes mu-
cipares {a!, fig. 111), qui mélangent ainsi leur propre
sécrétion au liquide parotidien. Rien n'est plus facile
à démontrer que cela. Il suffit , chez les animaux
qui présentent cette conformation, d'ouvrir le canal
510 APPAREIL DIGESTIF.
au-dessus du point où il est rejoint par ces conduits
accessoires, et vous obtiendrez la sécrétion normale
et pure de la glande, telle que nous venons de vous la
P'iG. 111. — Glande parotidicnno (a, a) du chion, cl glandes Hiucip;ires {a', a")
qui s'abouchent parfois dans le canal parotidicn (6, b).
montrer. Cette disposition anatomique, qui est excep-
tionnelle chez le chien, est au contraire normale chez
l'homme.
Notre salive parotidienne , au moment qu'elle se
déverse dans la bouche, jouit donc toujours d'un cer-
tain degré de viscosité. De tous les animaux, c'est le
chien qui, sous ce rapport, se rapproche le plus de
notre propre organisation.
Quant à la salive recueillie chez le cheval, vous voyez
qu'elle offre au contraire une apparence visqueuse;
comme celle du chien, elle a une réaction fortement
alcaline; mais la chaleur et l'acide nitrique en préci-
pitent une substance albumineuse, laquelle paraît spé-
ciale à la race chevaline, bien que sa composition chi-
mique n'ait pas encore été exactement reconnue.
i
FISTULES SALIVAIRES. 5i']
Examinons maintenant quelques-uns des caractères
les plus importants de la sécrétion en elle-même, en
dehors de la nature du liquide sécrété.
Lorsqu'on a introduit un tube dans le conduit paro-
tidien sur un animal vivant (fig. 112 et 113) , on
constate facilement que la salive ne s'écoule que par
j,..
Fig. 112. — Fistule parolidienne chez le cheval, avec canule et petit sac
pour recueillir la .salive.
a, canal de Sténon dans lequel est engagé le tube e ; 6, branche du nerf facial ; c, artère
faciale; f, g, h, détails du robinet et de l'ajutage du petit sac qui reçoit la salive du
tube e.
intervalles. Chez le cheval, qui en émet des quantités
prodigieuses pendant la mastication, la sécrétion cesse
brusquement de temps
à autre , et cela alors
même que la mastica-
tion continue. La raison
de ce singulier phéno-
mène est longtemps de-
meurée incertaine: nous ^'
savons maintenant que l'icl 13. -Fistu:eparotidienne chez le chien.
, - 1 A (Lettres comme dans la figure 112.)
la glande placée du cote
de la bouche où a lieu la mastication suffit presque
5i2 APPAREIL DIGESTIF.
entièrement à l'insalivalion des aliments; quand donc,
ainsi que cela a été pratiqué sur l'animal que vous avez
sous les yeux, on a placé un tube dans les deux con-
duits, il est clair que, pendant la mastication, les deux
parotides entrent alternativement en action ; pendant
que l'une sécrète, l'autre est au repos. Le cheval sur
lequel nous avons opéré est en train en ce moment de
satisfaire sa faim; et vous voyez que la salive, bien
qu'abondante, ne s'écoule que d'un seul côté à la fois.
A l'état normal, la composition chimique de la salive,
pour une même glande, demeure invariablement la
même : elle peut cependant renfermer accidentellement
des substances étrangères, Nous saisissons avec empres-
sement cette occasion de vous montrer, dans tout son
jour, l'action élective des glandes : la sécrétion que nous
étudions en ce moment offre un exemple remarquable
de cette singulière propriété. Parmi les difîérentes
substances introduites dans le sang, nous en trouvons
qui passent presque instantanément dans la salive;
l'iode et ses divers composés jouissent de cette propriété.
D'autres substances n'y pénètrent qu'avec la plus grande
difTiculté : les sels de fer appartiennent pour la plupart
à cette dernière classe. Une expérience directe va vous
permettre d'en juger par vous-mêmes. Nous ouvrons la
veine crurale d'un chien et nous introduisons dans le
vaisseau l'extrémité d'une petite seringue. Par cette
seringue, nous injectons une certaine quantité (cinq
centimètres cubes) d'une solution au centième de prus-
siate jaune de potasse, en môme temps qu'une quan-
tité égale d'une solution semblable d'iodure de po-
GLANDES SALIVAIRES. 513
tassium; cette dernière substance apparaît presque
instantanément dans la salive de l'animal, alors qu'aucun
des réactifs habituels ne décèle la plus petite trace de
ferrocyanure. Dans l'urine au contraire, nous allons le
trouver en quantité considérable; ce qui démontre sur-
abondamment la pénétration de cette substance dans
l'économie, bien que les glandes salivaires se refusent à
l'éliminer.
Il est nécessaire, avant d'employer les réactifs habi-
tuels, de neutraliser, par l'addition de quelques gouttes
d'acide acétique, la réaction alcaline normale de la
salive; autrement, les résultats pourraient être em-
pêchés.
Vous voyez donc, messieurs, que l'iode et ses com-
posés passent rapidement dans la salive, tandis que les
principaux sels de fer ne s'y retrouvent pas dans les
circonstances ordinaires. Nous possédons pourtant divers
moyens de triompher, pour ainsi dire, de cette résistance
des glandes salivaires. Tout d'abord, si nous combinons
une de ces substances réfractaires avec une autre qui
jouit de la propriété de passer dans la salive, la diffi-
culté est vaincue : l'iodure de fer, par exemple, se
retrouve rapidement dans la sahve à cause de l'iode
qu'il renferme.
En second lieu, si nous avons recours à une injection
directe, les glandes salivaires pourront être, pour ainsi
dire, forcées d'éliminer la substance étrangère. Nous
pouvons, par exemple, introduire de grandes quantités
de prussiate de potasse dans les veines d'un animal,
sans que les réactifs les plus sensibles nous montrent
et. BERNARD. — Phvsiol. opér. 33
514 APPAREIL DIGESTIF.
le moindre vestige de sa présence dans la salive. Mais
si, au moyen d'une injection dans la carotide primitive,
nous créons une sorte de plétliore locale dans l'atmos-
phère des glandes salivaires, nous parvenons au résultat
désiré, ce qui, dans d'autres circonstances, ne serait
jamais arrivé.
Il reste donc établi que ce qu'on a appelé Yaffinité
des glandes pour certains corps exprime seulement la
facilité plus grande avec laquelle ces corps pénètrent
dans le liquide sécrété. Toutes les substances peuvent
passer par les sécrétions, à la condition qu'elles aient été
introduites en quantité suffisante dans le sang qui four-
nit les éléments de ces diverses sécrétions.
L'affinité des glandes salivaires en particulier est
toutefois le point de départ d'un grand nombre de phé-
nomènes singuliers. Si l'on administre, par exemple, de
l'iodure de potassium à un chien, on en retrouvera des
traces dans la salive pendant des semaines entières.
L'iode se meut ici en effet comme dans un cercle :
il passe dans la salive en vertu de l'affinité élective
des glandes; mais l'animal, continuant à avaler sa
salive imprégnée qu'elle est de ce corps, en absorbe
de nouvelles quantités. Cela pourrait durer indéfini-
ment; mais qu'on purge fortement l'animal, et alors
l'iode sera évacué en bloc par l'intestin et disparaîtra
de la salive.
Il nous reste maintenant à faire l'expérience inverse.
La surface interne des glandes est douée d'un pouvoir
absorbant considérable, à la condition que les substances
injectées dans leur cavité appartiennent à une classe de
GLANDES SALIVAIRES. 515
corps pour lesquels elles ont une certaine affinité élec-
tive. Mais quand la sécrétion est en pleine activité,
l'absorption est presque entièrement suspendue. Si, par
exemple, ainsi que nous vous l'avons déjà dit, on injecte
une forte solution de strychnine dans le canal parotidien
d'un chien, l'animal est empoisonné presque instanta-
nément quand la glande est au repos : mais si la sécré-
tion a été préalablement mise en jeu, le chien résiste
pendant assez longtemps.
Pour vous convaincre de la rapidité avec laquelle
l'absorption a lieu dans les glandes, nous allons injecter
dans le conduit parotidien du cheval qui vient de nous
servir dans l'expérience précédente, une solution au
centième d'iodure de potassium. Nous pratiquerons la
ligature du conduit au-dessus de la canule, et nous
découvrirons presque immédiatement l'iode dans la sé-
crétion de la parotide du côté opposé. Cela prouve
qu'après avoir traversé toute l'étendue du système cir-
culatoire, la substance injectée a été éliminée de nou-
veau par les glandes dans un espace de temps incroya-
blement court.
Nous venons de foire cette injection; nous recueillons
une série d'échantillons de salive de la glande opposée :
vous voyez que la réaction de l'iode apparaît bien nette-
ment quelques secondes après l'injection.
Vous voyez cependant que, bien que rapide, l'élimi-
nation n'a pas été absolument instantanée. Cela tient à
ce que chez le cheval la circulation est particulièrement
lente. En injectant du prussiate de potasse dans la veine
jugulaire, et en examinant du sang tiré d'un autre point,
516 APPAREIL DIGESTIF.
Hering a démontré que chez cet animal le sang n'ac-
complit'pas son circuit complet en moins de vingt-cinq
secondes. Cela nous rend suffisamment compte de la
lenteur relative de l'élimination. Chez le chien, les résul-
tats s'obtiendraient beaucoup plus rapidement.
Il nous reste maintenant à examiner la part qui revient
au système nerveux dans le mécanisme de la sécrétion
parotidienne : tel sera le principal objet de notre pro-
chaine leçon de physiologie opératoire.
VLXGT-TROISIÈME LECOX
Sommaire : Influence du système nerveux sur la sécrétion parotidienne. —
Les glandes sont pour\-ues de trois ordres distincts de nerfs : moteurs,
sensitifs et ganglionnaires. — Différence entre les glandes sous-maxillafrc
et parotide, au point de vue de l'influence ganglionnaire. — De la galva-
nisation du grand sympathique pendant la mastication. — Ses résultats.
— L'innervation des glandes parotides a évidemment sa source dans les
nerfs moteurs. — Influence de la septième paire sur la sécrétion paroti-
dienne. — Résultats de la section du nerf facial : 1'^ au-dessous du trou
stylo-mastoïdien ; 2° dans l'intérieur du rocher. — On a supposé que c'é-
tait du petit pétreux qu'émanait le nerf moteur de la parotide. — Décou-
verte de ce nerf. — Description de l'expérience par laquelle on est arrivé
à ce résultat. — Le nerf moteur de la parotide est une branche de lauri-
culo-temporal. — 11 accompagne la maxillaire interne. — 11 semble èlre le
congénère de la corde du tympan. — Différence entre l'action du système
ganglionnaire sur les glandes et celle qu'exercent les nerfs moteurs. —
Explication des raisons pour lesquelles le grand sympathique n'exerce
aucune action sur les parotides.
Messieurs,
Les principales questions qui se rattachent à l'histoire
de la sécrétion parotidienne ayant été, au point de vue
opératoire, à peu près entièrement discutées dans nos
précédentes leçons, il nous reste maintenant à recher-
cher la part qui revient au système nerveux dans cet
acte physiologique.
Cest un fait bien connu que toutes les glandes dépen-
dent du système nerveux pour l'accomplissement de leurs
fonctions, et que Tinipulsion émanée des grands centres
nerveux est, dans tous les cas, le premier facteur de la
518 APPAREIL DIGESTIF.
sécrétion. Sans faire allusion pour le moment à d'autres
sécrétions, n'avez-vous pas eu sous les yeux une démon-
stration expérimentale de ce grand principe, du moins
en ce qui louche les glandes salivaires? N'avons-nous
pas vu les impressions variées produites sur les organes
du goût, l'action des acides, et même la simple excita-
tion résultant de l'aspect des aliments, provoquer in-
stantanément l'apparition d'un flot abondant de salive?
Vous avez assisté déjà plus d'une fois à ces expériences:
aussi, considérant le fait comme pleinement établi,
allons-nous essayer de l'expliquer.
Toutes les glandes sont invariablement pourvues de
trois ordres distincts de nerfs: moteurs, sensitifs et gan-
glionnaires. Or, il est impossible de supposer que la
sécrétion puisse ôlre le résultat de l'action des nerfs
sensitifs ; c'est donc dans les deux autres classes de
nerfs qu'il nous faut chercher Tinterprétation de son
mécanisme.
Dans les glandes sous-maxillaires, le système ganglion-
naire exerce une influence indéniable sur la sécrétion
salivaire. En ce qui concerne la parotide, c'est l'inverse
qui paraît avoir lieu. Lorsqu'on galvanise ou qu'on
excite, par un moyen quelconque, les ramifications du
sympathique qui s'étendent à celte dernière glande, loin
d'être augmentée, la sécrétion est presque constamment
diminuée. Afin de vous en convaincre, nous allons pra-
tiquer devant vous une expérience toute nouvelle ; vous
serez dès lors à même de juger par vous-mêmes. Après
avoir coupé le sympathique, nous galvaniserons le bout
qui reste en rapport avec la glande, et cela pendant que
INNERVATION DE LA PAROTIDE. 519
l'animal sera en train de mâcher des alimenls. Vous
verrez alors que, loin de communiquer une nouvelle im-
pulsion à l'action physiologique de la glande, l'excitation
du système ganglionnaire vient au contraire l'entraver.
Voici un cheval chez lequel on a ouvert des deux côtés
le canal de Sténon pour y placer un tube. Je coupe le
sympathique d'un seul côté seulement. Une botte de
foin est alors placée devant l'animal qui se met à man-
ger avec une grande avidité. L'écoulement salivaire
paraît être parfaitement égal des deux côtés.
Vous voyez que la glande qui vient d'être soustraite
à l'influence du système ganglionnaire continue à rem-
plir ses fonctions avec une régularité parfaite. Galvani-
sons maintenant le bout périphérique du nerf divisé,
sans interrompre la mastication de l'animal.
Je pratique l'expérience au moyen d'un fort appa-
reil galvanique. On voit l'écoulement de la salive dimi-
nuer légèrement; il est môme complètement suspendu
pendant un moment, au début de l'expérience. Du
côté opposé, la quantité de salive produite paraît avoir
légèrement augmenté.
Vous voyez donc que l'influence du système gan-
glionnaire, loin d'augmenter la sécrétion parotidienne,
agit au contraire en opposition directe avec elle. Il n'y
a d'ailleurs pas à s'étonner de cela : vous savez, en effet,
que l'excitation du sympathique produit la contraction
des artères, et par suite diminue l'afflux du sang vers
les tissus.
C'est donc aux nerfs moteurs qu'est exclusivement
dévolu le pouvoir de stimuler l'action de ces glandes
520 APPAREIL DIGESTIF.
Mais de quelle branche nerveuse spéciale la parotide
est-elle dépendante ? Pour la glande sous-maxillaire,
nous savons que c'est la corde du tympan qui remplit
le rôle en question : l'analogie nous porte à admettre
l'existence de quelque branche semblable en rapport
avec la parotide. Mais jusqu'ici aucun physiologiste
n'avait pu déterminer le nerf régulateur de cet appareil
glandulaire, ni agir directement sur lui par l'élec-
tricité.
Après une longue et laborieuse série d'expériences,
nous avons eu la satisfaction de découvrir le nerf
moteur des glandes parotides, et bientôt nous répéte-
rons devant vous l'expérience décisive.
Le nerf facial, autant qu'on peut s'en rapporter aux
analogies, semblerait être la source naturelle de la
branche motrice en relation avec la sécrétion paroti-
dienne : les anatomistes ont décrit, vous le savez, un
grand nombre de ramifications de ce tronc nerveux,
dont quelques-unes ne font que traverser la glande,
tandis que les autres viennent s'épuiser dans son inté-
rieur. Nous avons été conduits, d'après cela, à supposer
que le pouvoir excitateur de cette sécrétion glandulaire
appartenait à quelques-unes des divisions de ce nerf.
Cependant, il y a deux ans, après avoir sectionné le
nerf facial immédiatement après sa sortie du trou stylo-
mastoïdien, nous n'avons constaté aucune modification
dans les propriétés de la glande : chez les animaux sur
lesquels nous avions opéré, en plaçant un tube dans le
canal de Sténon, l'application de vinaigre sur la langue
était constamment suivie de l'apparition d'un jet de
INNERVATION DE LA PAROTIDE. 521
salive. Il devenait dès lors évident que, si l'influence
nerveuse qui préside à cette sécrétion provenait réelle-
ment de la septième paire, la branche particulière
à laquelle était dévolue cette fonction spéciale devait se
séparer du tronc commun avant sa sortie du canal de
Fallope.
Partant de ce point de vue, nous pratiquâmes la
section du nerf facial dans l'intérieur même du rocher,
en nous rapprochant autant que possible de son origine
cén'brale : bien entendu, le nerf auditif était intéressé
en même temps. Après cette opération, la glande de-
meurait toujours entièrement paralysée. Aussi fûmes-
nous conduits naturellement à supposer que la branche
motrice de la parotide devait se détacher de la septième
paire pendant son passage dans le canal de Fallope.
Mais tous les efforts que nous fîmes pour isoler cette
brauche restèrent absolument infructueux.
Un grand nombre de ramifications se détachent du
nerf facial avant son passage à travers le trou stylo-
mastoïdien. Trois d'entre elles seulement pourraient
paraître, à première vue, exercer une influence sur la
sécrétion salivaire. Ce sont: le grand nerf pétreiix, qui
vase jeter dans le ganglion de Meckel ; le petit pétreux,
qui aboutit au ganglion otique ; enfin, la corde du
tympan, qui s'anastomose avec la cinquième paire. Cette
dernière branche, vous le savez, préside aux fonctions
de la glande sous-maxillaire ; par suite, elle n'a aucun
rapport avec la sécrétion parotidienne. Nous avons été
ainsi logiquement conduits à supposer que l'un des deux
nerfs pétreux était la branche motrice de la parotide.
522 APPAREIL DIGESTIF.
Nous pratiquâmes la section du plus volumineux de ces
nerfs : la sécrétion ne fut nullement modiûée. Nous
fûmes dès lors amenés à penser que la fonction physio-
logique spéciale qui faisait l'objet de nos recherches était
dévolue au petit pétreux. L'analogie confirmait entiè-
rement notre hypothèse : en effet, nous savons qu'un
ganglion spécial est affecté à la sécrétion sous-maxil-
laire; pourquoi n'y aurait-il pas un ganglion semblable
attaché à la sécrétion parolidienne? Et si le petit pé-
treux était en réalité la voie par laquelle l'influence
nerveuse est transmise à la parotide, le ganglion otique
remplirait vis-à-vis de celle-ci les fonctions que sou
congénère remplit vis-à-vis de la sous-maxillaire. Mais
le physiologiste doit se défier des analogies ; les imper-
fections de nos théories font que l'observation directe
est le seul guide qui puisse nous diriger sûrement dans
la pratique.
L'exiguïté du nerf qui préside, ainsi que vous le
savez, aux fonctions de la glande sous-maxillaire, nous
autorise à supposer que, pour la parotide, le nerf mo-
teur est également de petite dimension. C'est ce qui
nous a déterminé, quelque laborieuse et ingrate que
cette tâche puisse paraître, à disséquer la parotide sur
un animal vivant, en ayant soin de ne pas intéresser
les gros vaisseaux qui rattachent cette glande à l'éco-
nomie. En effet, tant que ces vaisseaux restent intacts,
les fonctions de la glande ne sont pas troublées. Dans
le cours de cette opération, nous sectionnions séparé-
ment toutes les ramifications nerveuses que nous met-
tions à découvert, afin de déterminer si les fonctions de
INNERVATIOX DE LA PAROTIDE. 523
la glande étaient modifiées d'une façon ou d'une autre
par cette mutilation ; après la section de chaque petit
rameau nerveux, nous versions quelques gouttes de
vinaigre dans la bouche de l'animal, de manière à pro-
voquer l'écoulement de la salive, ainsi que cela a tou-
jours lieu à l'état normal par cet agent.
Nos premières expériences n'ayant pas été heureuses,
nous modifiâmes notre procédé opératoire. Nous avions
d'abord disséqué la glande en avant ; nous résolûmes
maintenant de l'attaquer par derrière. De cette manière
on met plus facilement les nerfs à découvert. Cette
dernière tentative fut enfin couronnée de succès : l'o-
pération avait duré cinq heures.
Nous commençâmes par faire une incision derrière
l'oreille externe. Après que les téguments eurent été
disséqués, nous découvrîmes immédiatement le nerf
facial, à sa sortie du trou stylo-mastoïdien. Attirant
ensuite la glande en avant, nous pûmes diviser séparé-
ment toutes les ramifications du nerf et les soumettre
ensuite au courant électrique. Les résultats ayant tou-
jours été négatifs, nous arrivâmes à la fin, après avoir
sectionné toutes les branches du facial, sur un rameau
de la cinquième paire, qui n'était autre que le nerf
auriculo-temporal superficiel. Plusieurs de ses branches
furent coupées sans qu'il en résultât aucun effet sur la
sécrétion. L'animal accusait seulement une vive souf-
france, ce qui s'explique aisément par le caractère émi-
nemment sensitif de ce nerf. Enfin, au moment où
nous allions terminer l'expérience, ayant à lier une
petite artère, nous comprimâmes en môme temps un
524 APPAREIL DIGESTIF.
mince filet nerveux, et nous nous aperçûmes que la
sécrétion glandulaire s'était momentanément suspendue.
Nous coupâmes alors ce petit filet, et la glande fut im-
médiatement frappée de paralysie : les acides versés
dans la bouche de l'animal ne provoquaient plus d'écou-
lement salivaire. Au contraire, la galvanisation du bout
périphérique du nerf divisé amenait instantanément
une sécrétion abondante.
Nous avions donc enfin découvert le nerf moteur de
la parotide. Ce nerf, qui provient du nerf maxillaire
inférieur, paraît constitué par quatre ou cinq ramus-
cules parallèles, mais bien distincts. Ses dimensions sont
insignifiantes. Il se détache de l'auriculo-temporal, et
peut être facilement mis en évidence par la dissection.
Il est eu rapport intime avec l'artère maxillaire interne,
dout il suit exactement le trajet, mais en sens inverse
du cours du sang. La disposition anatomique précise
de ce petit nerf sera l'objet de nos recherches ulté-
rieures.
Vous voyez, messieurs, qu'il existe une importante
différence entre les glandes sous-maxillaires et paro-
tides, en ce qui concerne l'influence du système nerveux
ganglionnaire. Dans le premier cas, l'action du grand
sympathique favorise l'action physiologique ; elle l'en-
trave dans le second. Ou plutôt, pour définir avec plus
de précision les phénomènes auxquels nous faisons allu-
sion, le grand sympathique, lorsqu'il est excité, diminue
légèrement la sécrétion des glandes sous-maxillaires,
mais en augmentant sa viscosité. En ce qui touche la
parotide, le seul résultat de cette excitation consiste en
INNERVATION DE LA PAROTIDE. 555
une diminution notable de la sécrétion dont la nature
reste exactement la même. On sait, au contraire, que la
galvanisation de la corde du tympan produit une sécré-
tion aqueuse abondante. L'action du nerf moteur de la
parotide étant entièrement semblable, nous pouvons en
conclure que ces deux branches nerveuses appartien-
nent à la même classe de nerfs spéciaux, et exercent
une influence directe sur les sécrétions normales des
glandes salivaires. Il semble, d'après cela, que chaque
glande est pourvue de deux ordres distincts de nerfs :
les premiers ont pour propriété de stimuler la sécrétion
proprement dite, c'est-à-dire la production d'une sub-
stance particulière à la glande; aux seconds appartient le
pouvoir de faire transsuder les principes aqueux con-
tenus dans le sang. En etfet, l'eau renfermée dans les
différentes sécrétions dérive, ainsi que nous l'avons
démontré ailleurs, entièrement du sang. Si l'on excite
l'action d'une glande, et que l'on analyse le sang des
veines correspondantes, on trouvera qu'il contient moins
d'eau que le sang artériel : la différence représente exac-
tement la quantité d'eau renfermée dans la sécrétion
elle-même.
Si donc le grand sympathique ne communique pas
de propriétés spéciales à la salive parotidienne, nous
sommes en droit d'en conclure que la nature n'a pas
destiné la parotide à produire une substance caracté-
ristique, et que l'unique fonction de cette glande est de
soustraire au sang une certaine quantité d'eau.
Il nous reste maintenant à examiner les résultats de
notre récente découverte, aussi bien dans leurs rapports
526 APPAREIL DIGESTIF.
directs avec la sécrétion salivaire, que dans leurs con-
nexions avec les sécrétions en général. Tel sera, mes-
sieurs, le sujet de notre prochaine leçon sur la physio-
logie opératoire.
VINGT-QUATRIÈME LEÇOxX
Sommaire : Expériences nouvelles démontrant que le nerf moteur de la
parotide est fourni par le facial au nerf auriculo-teniporal superficiel. —
Son trajet et sa distribution. — Résultats importants de la découverte de
ce nerf. — Différence de coloration du siing veineux de la parotide à l'état
de repos et à l'état d'activité. — La sécrétion salivaire peut être provo-
quée par la piqûre de certains centres nerveux. — Inducnce du trijumeau.
— Influence des poisons. — Comparaison entre le nerf moteur de la paro-
tide et celui de la sous-maxillaire. — Cette dernière est infiniment plus
sensible à l'action des agents extérieurs que la parotide. — Estimation de
cette différence par l'appareil de Du Bois-Reymond. — Moyens divers de
modifier, d'augmenter ou de diminuer à volonté ccttî sensibilité relative.
— La section du grand sympathique augmente la sensibilité de la glande
du côté correspondant. — Exemples de phénomènes analogues qui se
passent en d'autres points du corps. — Inflnmmation de la conjonctive
consécutive à une opération analogue. — Le grand sympathique fait
contracter les vaisseaux, tandis que les nerfs moteurs de la sécrétion les
dilatent. — Démonstration expérimentale de la sensibilité relative des
glandes et des effets de la section du sympathique.
Messieurs,
Nous avons poursuivi la série des expériences que nous
avions commencées sur le nerf moteur de la parotide.
Nous n'avons pas rencontré trop de difficultés dans nos
observations nouvelles: cela tient à ce que notre pre-
mière expérience nous avait déjà fait connaître que le
nerf dont il s'agit est une branche de l'auriculo-tem-
poral. Or, vous savez très-bien que cette dernière divi-
sion de la cinquième paire présente des anastomoses
innombrables avec les rameaux du facial. Il est dès lors
évident que, loin de contredire les résultats de nos expé-
riences sur la section du facial dans l'intérieur du
5^8 APPAREIL DIGESTIF,
crâne, nos dernières recherches ne tendent qu'à les con-
firmer. Le nerf qui anime la parotide et qui préside à
sa sécrétion doit, par suite, n'être autre chose qu'une
des branches anastomotiques entre le facial et le nerf
auriculo-temporal superficiel. Au niveau du condyle
de la mâchoire, ce nerf fournit une petite branche qui
suit le trajet de la maxillaire interne, en sens inverse du
cours du sang, elle pénèlre enfin dans la glande parotide
oîi elle se répand en abondantes ramifications. C'est à
ce petit plexus que nous devons attribuer le pouvoir
moteur de la glande. Si nous voulons arrêter la sécré-
tion, c'est lui que nous devons extirper complètement
par la dissection. Ce résultat, nous lavons obtenu sur
deux nouveaux chiens.
La découverte des propriétés de ce faisceau nerveux
offre beaucoup d'intérêt à différents points de vue. Rap-
pelez-vous les opinions qui avaient cours encore tout
récemment au sujet de la parotide : on la considérait
comme absolument passive dans l'acte de l'insalivation;
tous les physiologistes la regardaient comme une sorte
d'épongé qui se trouvait comprimée par les mouvements
de mastication de Tanimal. C'est à ces mouvements
donc qu'était attribué l'écoulement salivaire. Il est bien
vrai que la glande devient active pendant la trituration
des substances alimentaires, et jusqu'à présent on n'a-
vait découvert aucun filament nerveux dont l'excitation
directe parût stimuler la sécrétion. Les conclusions
que l'on déduisait de là paraissaient dès lors tout à fait
légitimes. Aujourd'hui une telle opinion n'est plus
admissible.
IXXERV.VTIOX DE LA PAROTIDE. 529
Pendant la galvanisation de ce nerf, de ce filament
qui n'a plus d'action du moment qu'il est coupé, vous
n'observez aucune douleur, aucun mouvement. Les
mâchoires sont immobiles. Ce n'est donc pas à la mas-
tication qu'il convient d'attribuer le jet de salive qui
apparaît après la galvanisation. C'est là un point impor-
tant acquis aujourd'hui à la science.
La glande parotide ne joue pas un rôle absolument
passif dans l'insalivation des aliments.
Mais cette découverte peut être utilisée à un point de
vue plus général dans l'étude de la circulation des
glandes. Le mécanisme de la sécrétion était autrefois
expliqué par une hypothèse fondée sur des données pure-
ment mécaniques. On pensait que la tension du sang
dans les vaisseaux des glandes déterminait à travers leurs
parois une transsudation qui avait pour effet de verser
dans les acini un produit particulier pour chacun des
organes sécréteurs. Ludwig a clairement démontré
combien cette hypothèse était inadmissible ; il a prouvé
qu'on pouvait soumettre les glandes à une pression beau-
coup plus considérable que celle qui résulte de la circu-
lation du sang, sansentraver le moins du monde l'activité
de leur sécrétion. Pour cela il adapte un manomètre au
conduit excréteur de la glande sous-maxillaire ; il lie
ensuite ce conduit de manière à empêcher complètement
l'issue des produits de sécrétion. Cela fait, il excite, au
moyen de la galvanisation, le nerf moteur de la glande,
c'est-à-dire la corde du tympan. En opérant de cette
manière, on obtient, par l'accumulation de la salive, une
pression de trente ou même quarante centimètres. Cette
CL. BERNARD. — Phvsiol. opér. 34
530 APPAREIL DIGESTIF.
pression agit évidemment en sens inverse de celle du
sang; malgré cela, la sécrétion continue sans interrup-
tion. La sécrétion des glandes n'est donc pas due à une
cause purement mécanique : cela est démontré par
l'étude rationnelle de la circulation dans les petits vais-
seaux qui communiquent et correspondent avec les or-
ganes de sécrétion.
Tant que la glande est à l'état de repos, son sang vei-
neux est noir; mais à peine commence-t-elle à entrer
en activité, que le sang devient rouge, semblable à celui
des artères ; et si l'on coupe alors la veine, le sang sort
par saccades, comme si l'on venait de couper une artère.
Il semble dès lors, à première vue, que la circulation de
la glande est accélérée et que la sécrétion est le résultat
de cette nouvelle modification.
Mais de telles conditions ne sauraient suffire, à elles
seules , à déterminer le phénomène physiologique ;
il faut encore que l'action nerveuse entre en jeu.
Lorsque nous excitons la sécrétion au moyen des sen-
sations produites par les substances sapides, il devient
très-difficile de faire la part du rôle de la circulation
dans l'intérieur de la glande et la part des phéno-
mènes qui se passent dans les parties voisines. L'ani-
mal exécute des mouvements de déglutition, remue
ses mâchoires et fait affluer ainsi le sang de tous côtés
vers les vaisseaux de la glande. Rien de semblable n'a
lieu lorsque nous avons recours à la galvanisation di-
recte du nerf moteur sécrétoire. L'animal n'éprouve pas
alors la moindre sensation ; il reste immobile, et la circu-
lation s'effectue avec la régularité la plus parfaite. C'est
INNERVATION DE LA PAROTIDE. 53]
alors que l'observateur se trouve placé dans des condi-
tions excellentes pour l'étudier. Nous avons déjà adopté
pour la glande sous-maxillaire, un procédé propre à
élucider ce point de la science; mais il nous a été jus-
qu'ici impossible de répéter l'expérience sur la parotide
et c'est principalement en vue de cet objet que nous
avons entrepris la recherche du filet moteur de cette
dernière glande.
En effet, si l'on arrivait à pouvoir comparer, loupe et
scalpel en rnain, les sécrétions de deux glandes diffé-
rentes, telles que la parotide et la sous-maxillaire; si
l'on pouvait saisir d'un seul regard les différences et'le^
analogies qui existent entre elles, on aurait fait un pas
immense vers la découverte de l'essence même de cette
importante fonction physiologique.
L'étude des propriétés du filet nerveux qui nous
occupe, est pleine d'intérêt sous d'autres rapports. Nous
savons, par exemple, qu'en injeclant dans le torrent
circulatoire certaines substances, on détermine une
puissante excitation de la sécrétion salivaire. C'est une
question que nous nous proposons d'examiner, dans le
but principal de nous rendre compte de l'action ner-
veuse qui entre ici enjeu.
J'ai démontré autrefois, dans le cours de mes recher-
ches sur la production du diabète par la lésion de cer-
taines parties de l'encéphale, qu'une salivation abon-
dante survenait chez les animaux lorsqu'on piquait
certains points limités. La blessure qui détermine ces
accidents doit être faite sur le plancher du quatrième
ventricule. Si l'instrument tranchant dévie à droite ou
532 APPAREIL DIGESTIF.
à gauche, au lieu de porter directement sur la ligne
médiane, on observe une diminution de l'écoulement
salivaire de la glande dujnême côté ; mais quand la
piqûre siège exactement sur la ligne médiane, l'écou-
lement est le même pour les deux glandes.
Nous avons aussi remarqué que la glande sous-
maxillaire fournit plus de salive que la parotide. A
quoi faut-il attribuer cette différence? On pique le plan-
cher du quatrième ventricule, mais la salivation ne se
produit que lorsque la pointe de l'instrument tran-
chant, dirigée en avant, vient intéresser les parties voi-
sines de l'origine de la cinquième paire. Il semblerait,
d'après cela, qu'une blessure intéressant directement
le centre nerveux, qui préside aux fonctions salivaires,
doit immédiatement provoquer la sécrétion à laquelle il
est attaché. En fait, nous savons que c'est par l'inter-
médiaire de la cinquième paire que se produisent la
plupart des actions réflexes qui exercent sur les glandes
salivaires une influence si considérable. On peut dire
que c'est à ce nerf que vient aboutir la plus grande
partie des impressions gustatives, qui sont la source
ordinaire de Técoulement salivaire.
Nous avons souvent rejeté une expérience qui vient
confirmer la vérité de ce que nous venons d'exposer.
Coupez le nerf lingual et galvanisez son extrémité péri-
phérique : vous n'obtiendrez aucun résultat. Donnez du
vinaigre à l'animal en expérience : vous ne noterez
encore aucun effet, puisque vous avez divisé le nerf
chargé de transmettre l'impression. Mais si vous galva-
nisez l'autre bout du nerf, en agissant ainsi directe-
SÉCRÉTION SALIVAIRE. 533
ment sur le centre nerveux, vous produisez une sécré-
tion semblable à celle que l'on observe dans les
circonstances ordinaires. Si, au lieu d'agir sur le cen-
tre nerveux par la galvanisation du lingual, vous irritez
directement ce centre lui-même, vous déterminerez
alors un diabète salivaire, si je puis m'exprimer ainsi.
En outre, il existe certains poisons qui agissent direc-
tement snr les glandes salivaires. Le curare, par exem
pie, qui, ainsi que vous le savez, amène rapidement la
mort en déterminant des phénomènes de paralysie géné-
ralisée, provoque en même temps un écoulement abon-
dant de salive. Ce phénomène peut s'expliquer par le
relâchement complet que cette substance détermine
dans la totalité du tissu glandulaire.
On pourrait objecter à cela que l'asphyxie, qui est la
conséquence de l'administration de ce poison, suffit à
expliquer le phénomène dont nous nous occupons. Afin
de trancher définitivement la question, j'ai injecté du
curare dans l'une des artérioles qui s'anastomosent avec
l'artère de la glande, en ayant soin en même temps
d'ouvrir toutes les veines. J'ai ainsi empoisonné les acini
de la glande, sans empoisonner l'animal. Or, j'ai obtenu
un écoulement de salive qu'il était impossible d'attri-
buer à une autre cause qu'à l'action locale du curare.
Le curare agit donc sur les glandes salivaires comme
sur les autres glandes de l'économie. Nous savons main-
tenant que cet agent toxique exerce spécialement son
influence sur les extrémités des nerfs moteurs. Comment
cette action peut-elle retentir sur les corps glandulaires
eux-mêmes? C'est là une question difficile que nous
534 APPAREIL DIGESTIF.
essayerons de résoudre plus tard. Acluellement, nous
avons simplement voulu vous montrer qu'il existe un
centre nerveux qui préside à la fonction salivaire. Vous
avez vu qu'on peut déterminer chez les animaux une
salivation permanente par des moyens artificiels. Il en
résulte qu'il existe un nerf spécial chargé de présider à
l'action de chacune des glandes. La découverte que
nous avons faite récemment complète la série des
preuves sur lesquelles repose cette doctrine générale.
Les filets moteurs de la glande parotide ont leur
origine, ainsi que vous le savez déjà, dans une branche
du nerf auriculo-temporal. Ce que nous désirions sur-
tout vérifier, c'est si la section de ce dernier tronc
amenait une suspension complète de la sécrétion de la
glande. Or, c'est ce qui a heu en effet. De même
qu'après la section du facial dans l'intérieur du crâne,
tous les stimulants mis en contact avec la muqueuse
buccale sont impuissants à provoquer la sécrétion paro-
tidienne, de même, quand le nerf auriculo-temporal a
été divisé, le vinaigre, les substances sapides et tous les
autres excitants de cette sécrétion , demeurent sans
aucun effet sur les animaux en expérience. Le vinaigre
donne bien naissance à des impressions gustatives,
suivies par un mouvement des mâchoires, mais aucune
sécrétion n'a lieu. Si l'on voit apparaître à peine une
ou deux gouttes à l'extrémité du tube, c'est qu'elles
étaient restées dans le conduit excréteur à la suite d'une
galvanisation antérieure du bout périphérique du nerf.
C'est là une cause d'erreur contre laquelle le physiolo-
giste doit se tenir en garde.
INNIÎRVATION DES GLANDES SALIVAIRES. 535
Après avoir isolé avec soin le nerf sur un animal
vivant, nous l'avons divisé dans le but de constater les
effets de la galvanisation de son bout périphérique. Les
résultats que nous avons obtenus ainsi sont frappants;
on voit survenir une sécrétion abondante, et le sang
veineux devient d'un rouge vif, phénomène que l'on
observe invariablement quand les glandes sont à l'état
d'activité, et que nous retrouverons en étudiant l'his-
toire de la sécrétion sous-maxillaire. Les nerfs qui pré-
sident à cette dernière sécrétion possèdent un degré de
sensibilité beaucoup plus grand que les filets moteurs
de la parotide. L'action d'un courant électrique donné
exerce une influence beaucoup plus considérable sur la
corde du tympan que sur son congénère. Il est facile
de démontrer celte différence remarquable au moyen
de l'appareil de DuBois-Reymond, qui permet de me-
surer l'intensité des courants galvaniques. En fait, pour
produire des effets égaux sur les deux glandes, il faut
agir sur le nerf de la parotide avec un courant dont la
force est représentée par dix-sept divisions de l'instru-
ment, tandis que la force du courant nécessaire pour
agir sur la corde du tympan serait représentée par
vingt-sept divisions. La différence est ainsi bien mar-
quée.
On obtient des résultats tout à fait analogues en
versant de l'eau vinaigrée sur la langue d'un animal,
après avoir placé des tubes dans les deux conduits excré-
teurs. On voit alors la sécrétion sous-maxillaire com-
mencer sous une influence qui ne produit pasle moindre
effet sur la parotide. Il ne faudrait pas cependant
536 APPAREIL DIGESTIF.
supposer que la corde du tympan est douée, si je puis
m'exprimer ainsi, d'une affinité élective pour le fluide
électrique. Non, tous les excitants possèdent, à un égal
degré, le pouvoir d'impressionner davantage ce nerf
que son congénère. Un phénomène analogue s'observe
dans les différents groupes musculaires qui servent à la
locomotion. Et vous savez qu'en règle générale, en ce
qui concerne l'influence des agents extérieurs, les
organes diffèrent considérablement les uns des autres.
L'action des agents thérapeutiques et des poisons nous
en donne chaque jour de nouvelles preuves.
Mais nous sommes en possession d'une série de
moyens propres à modifier, augmenter ou diminuer à
volonté cette sensibilité relative. Si, par exemple, après
avoir divisé le grand sympathique d'un seul côté, nous
galvanisons la corde du tympan, nous constaterons que
la glande soustraite à l'influence nerveuse du grand
sympathique devient beaucoup plus sensible à l'action
du fluide galvanique que celle du côté opposé. A l'appui
de ces expériences, nous pourrions nous reporter à un
grand nombre de faits bien connus qui prouvent com-
bien la sensibilité est accrue par la section du sympa-
thique, comme le démontre l'élévation de la tempéra-
ture dans les organes qui ont été soumis à ce genre de
mutilation. Si vous divisez, d'un côté, les filets sympa-
thiques qui vont se distribuer au globe oculaire, vous
constaterez bientôt une notable hyperesthésie de la con-
jonctive correspondante. Pourquoi donc serions-nous
surpris de l'antagonisme qui existe entre le grand sym-
pathique et les nerfs moteurs qui président à lasécrétion ?
INNERVATION DES GLANDES SALIVAIRES 537
Ne savons-nous pas que le sympathique fait contracter
les vaisseaux, tandis que les nerfs attachés à la sécrétion
ont précisément un effet contraire? Tel est le cas de la
glande parotide.
Les effets qui résultent de la section du grand sympa-
thique ne contredisent en aucune manière ce que nous
vous avons dit de la sensibilité des deux glandes paro-
tide et sous-n)axillaire. Nous allons vous en donner la
preuve expérimentale. Voici un chien : ainsi que vous
le voyez, nous avons placé un tube dans le canal de
Sténon et un autre dans le canal de ^Yharton ; nous
avons isolé le nerf moteur de la parotide, et aussi la
corde du tympan qui préside à la sécrétion sous-maxil-
laire. Après avoir divisé ces deux nerfs, nous allons main-
tenant procéder à la galvanisation de leurs bouts péri-
phériques. Comme l'appareil que nous employons nous
permet de comparer les différents degrés de la force
employée dans chaque expérience, il ne nous sera pas
difficile de nous rendre compte de la somme relative de
sensibilité qui appartient aux deux glandes.
Nous pratiquons l'expérience dans les conditions sus-
indiquées. Vous voyez qu'on emploie d'abord un cou-
rant très-faible : presque immédiatement un écoule-
ment salivaire a lieu par le tube fixé au canal de
Wharton, tandis que la parotide n'est, à aucun degré,
influencée. Ce n'est qu'après avoir graduellement et
considérablement accru la force du courant, que l'on voit
quelques gouttes sortir du tube fixé au canal de Sténon.
Nous allons maintenant, messieurs, vous montrer les
effets de la section du grand sympathique.
538 APPAREIL DIGESTIF.
Après avoir divisé ce nerf sur le même animal, nous
galvaniserons de nouveau la corde du tympan. Un cou-
rant beaucoup plus faible que ceux employés dans les
expériences précédentes détermine presque instantané-
ment un écoulement de salive.
Nous en arrivons donc encore à la conclusion précé-
demment formulée, mais cette fois par la méthode expé-
rimentale. Cette conclusion la voici:
Il existe deux classes de nerfs destinés aux glandes.
Les uns viennent du grand sympathique, qui préside à
la contraction de leurs vaisseaux et diminue leurs sécré-
tions. Les autres tirent leur origine des principales
branches motrices qui se ramifîen t dans leur voisinage
immédiat; ils sont destinés à dilater les vaisseaux, et pro-
duisent un écoulement abondant d'un liquide aqueux
plus ou moins chargé des matériaux ordinaires qui ca-
ractérisent les sécrétions dans chaque cas particulier.
VINGT-CINQUIÈME LEÇON
Sommaire : La disposition anatomique des glandes sous-maxillaires est abso-
lument la même chez le chien que chez l'homme. — Canal de Wharton.
— Il est complètement indépendant de celui de la sublinguale — La
glande sous-maxillaire est pourvue de deux ordres de nerfs : les uns
dérivent du système ganglionnaire; les autres, du nerf facial, par l'inter-
médiaire de la corde du tympan. — De l'influence du nerf lingual sur la
sécrétion sous-maxillaire. — Elle appartient à la classe des actions réflexes.
— Preuve expérimentale de cette hypothèse. — Effets de la galvanisation
de la corde du tympan.
Disposition anatomique de la glande sublinguale. — Chez l'homme et chez
la plupart des animaux, ce n'est pas une glande en grappe. — Chez le
chien cependant, elle ne présente qu'un seul conduit excréteur. — Les
expériences relatives à cette glande ne peuvent être faites que sur le
chien. — Propriétés spéciales de la salive sublinguale. — Elle n'appa-
raît que lentement, lorsqu'on excite la glande. — Elle sert surtout à la
déglutition. — La corde du tympan est le nerf moteur de la glande sub-
linguale.
Messieurs,
Ayant terminé dans notre dernière leçon l'histoire de
la sécrétion parotidienne, nous allons maintenant exa-
miner successivement les propriétés physiologiques des
deux autres principales glandes qui concourent à la pro-
duction de la salive. Car, ainsi que nous l'avons déjàfait
remarquer, chacun de ces petits organes sécréteurs a
ses fonctions spéciales à remplir, et il ne peut être sup-
pléé par aucun de ses congénères.
La glande sous-maxillaire, dont les propriétés vont
d'abord fixer aujourd'hui notre attention, offre chez le
540 APPAREIL DIGESTIF.
chien une disposition anatomique presque entièrement
semblable à celle qui existe dans l'espèce humaine.
Dans les deux cas, elle est représentée par une grosse
glande en grappe pourvue dun conduit excréteur dis-
tinct assez gros pour permettre l'introduction d'un tube
dans les recherches expérimentales. Ce conduit a reçu le
nom de canal de Wharton. 11 n'y en a qu'un de chaque
côté.
Autrefois les anatomistes affirmaient à tort que la
glande sublinguale se déversait dans le conduit excré-
teur de la glande sous-maxillaire. Cette assertion est en
opposition complète avec les faits. Chacune des deux
glandes est pourvue d'un conduit spécial; et les deux
conduits restent parfaitement distincts l'un de l'autre
pendant tout leur parcours, bien que leurs orifices buc-
caux soient assez rapprochés l'un de l'autre pour s'ou-
vrir sous la même papille.
On a dit aussi que, dans l'espèce humaine, il existait
une communication directe entre les glandes sublin-
guale et sous-maxillaire ; on supposait que quelques-uns
des conduits de Rivinus allaient se jeter dans le canal de
Wharton. L'existence réelle d'une semblable disposition
est encore à démontrer.
La glande sous-maxillaire reçoit du sang de deux
sources : son artère principale (,</), après avoir atteint le
hile de laglande, pénètre dans son intérieur, tandis que
l'artère la plus petite se distribue seulement à sa partie
postérieure (/, fig. 114).
Deux ordres de nerfs différents président à ses fonc-
tions physiologiques. C'est d'abord le sympathique qui
GLANDE SOUS-MAXlLLAlRE. 54^
fournit plusieurs rameaux au plexus sous-maxillaire.
FlG. m. — Glandes sous-maxillairc et sublinguale,
a, glande sous-maxillairc; c, c, son canal excréteur (canal de Wliarton) ; i, h, g ra-
meaux artériels qui se rendent à celle glande; b. glande sublinguale ; 'd.'d 'son
canal excréteur. '
i, i, nerf lingual; 2, 2, rameaux (suite de la corde du tympan) que ce nerf fournit
à la glande sous-maxillaire.
Vient ensuite une petite branche qui se sépare du nerf
542 APPAREIL DIGESTIF.
lingual (1, 1, fig. 114), dans le voisinage immédiat de
la glande, pour aller se jeter ("2, 2, fig. 114) dans le
plexus ci-dessus mentionné, d'où partent les nerfs
glandulaires. Ce dernier nerf, par quelques-unes de ses
fibres est^ sans aucun doute, en connexion avec la
branche d'où il paraît tirer son origine. Mais la plus
grande partie de ce petit filet provient d'une division
du facial qui s'unit au nerf lingual sans s'anastomoser
réellement avec lui : car, après l'avoir accompagné
pendant un court trajet, elle s'en sépare presque entiè-
rement, et va rejoindre le plexus sous-maxillaire. Ce
nerf moteur s'appelle la corde du tympan. Tl se détache
du facial à quelques millimètres au-dessus du trou
stylo-mastoïdien, se dirige en haut, pénètre dans l'oreille
moyenne, et chemine pendant un court trajet dans l'é-
paisseur même de la jmembrane du tympan, entre l'en-
clume et le marteau. 11 descend alors vers la scissure de
Glaser, et sort du rocher près de l'épine du sphénoïde.
C'est après avoir décrit cette courbe qu'il se réunit au
facial pour suivre ensuite la marche que nous avons
déjà décrite.
Comment pouvons-nous supposer que la glande soit
influencée par ce filet nerveux ? Nous sommes ici en pré-
sence d'une de ces réactions des fibres sensitives sur les
fibres motrices que l'on décrit généralement sous le nom
à\ictio?is réflexes. Les impressions gustatives sont trans-
mises au centre nerveux par le lingual, et c'est alors
que le facial agit sur la glande sous-maxillaire. La réa-
lité de cette hypothèse peut être aisément démontrée
par une expérience directe. Coupez le lingual : aussitôt
GLANDE SOUS-MAXILLAIRE. 543
toutes les sensations sapides disparaissent ; on peut alors
verser du vinaigre dans la bouche de l'animal sans
provoquer l'issue d'une seule goutte de salive. Mais si
vous galvanisez le bout central du nerf divisé, une sé-
crétion abondante se produit à l'instant. Si, d'autre
part, vous sectionnez le facial, toute action réflexe est
immédiatement supprimée. Mais, comme vous allez le
voir, si l'on soumet au courant galvanique le bout péri-
phérique du nerf moteur de la glande, un abondant
écoulement de salive apparaît aussitôt.
Mais, pour pratiquer ces différentes expériences, il
est indispensable de mettre à découvert la région qui
renferme les organes sur lesquels on est appelé néces-
sairement à opérer.
Voici le modiis operandi qui permettra au physiolo-
giste de réaliser toutes les conditions désirables : Faites
une incision le long du côté interne du bord inférieur
du maxillaire. Écartez le digastrique, ou mieux encore
coupez ce muscle, et détachez sa moitié postérieure
de ses insertions. Alors vous apercevrez presque tous
les organes intéressés dans l'expérience. Il faut avoir
bien soin, dans cette opération, de ne pas léser les
organes importants immédiatement sous-jacents aux
muscles. Après avoir écarté les lèvres de la plaie, on
découvre une cavité qui renferme la glande sous-maxil-
laire. On énuclée la glande au moyen d'une érigne, de
manière à découvrir sa face interne ou profonde, au
centre de laquelle est situé le hile : c'est par ce hile que
pénètre l'artère principale, la corde du tympan, ou nerf
moteur, et plusieurs rameaux du système ganglionnaire.
544
APPAREIL DIGESTIF.
La paroi interne de la cavité elle-même contient la ca-
rotide externe, les artères linguale et faciale, et le nerf
hypoglosse. En avant, la paroi inférieure de la cavité est
constituée par les mylo- hyoïdiens que l'on divise à leur
FiG. 115. — Incision pratiquée pour découvrir le canal excréteur de la glande
sous-maxillaire (chez le chien).
a, muscle digastrique sectionné et écarté ; 6, muscle m\io-hyo*dien coupé et écarté ;
c, e, canal de ^Vharton; d, canal excréteur de la sublinguale; 1, nerf lingual.
tour perpendiculairement et qu'on soulève ensuite avec
des érignes {b, fig. 115 et il 6). On voit alors les
conduits excréteurs des dandes sous-maxillaire et sub-
linguale croisés par le nerf lingual. En suivant en
arrière le trajet de ce dernier, on voit la corde] du
INNERVATION DE LA SOUS-MAXILLAIRE.
545
tympan (2, fîg. 116) se détacher de lui et former, par
son anastomose avec les rameaux sympathiques, le
plexus gangliforme ,
d'oîi émergent les
nerfs qui pénètrent
dans la substance pro-
pre de la glande.
L'opération que je
viens de décrire a été
pratiquée à l'avance
sur le chien que
l'on vient d'apporter.
Nous allons mainte-
nant ouvrir le canal
de Wharton, placer
un tube dans sa cavité
et exciter la sécrétion
au moyen du vinai-
gre. Vous verrez tout
de suite que la glande
sous-maxillaire est
douée d'une sensibi-
lité beaucoup plus
grande que la paro-
tide, fait que nous avons déjà essayé de démontrer
dans notre dernière leçon.
Vous voyez que l'expérience est pratiquée avec un
plein succès. Plusieurs gouttes de liquide s'échappent
immédiatement du tube et sont recueillies dans un
verre.
CL. BERNARD. — Phjsiol opér. 35
FiG, 116. — Analomie de la région des glandes
sous-maxillaire et sublinguale.
a, a , muscle digastrique ; b, b, mylo-hyoïdien ;
C, c", glande sublinguale ; d, son canal excré-
teur ; e, canal excréteur de la sous-maxillaire
if • (l)i li nerf lingual; 2, rameau nerveux
(suite de la corde du tympan; pour les glandes
salivaires.
546 APPAREIL DIGESTIF.
Vous voyez, messieurs, que la salive sous-maxillaire
est épaisse et visqueuse. Ces propriétés varient consi-
dérablemenl suivant les individus. 11 est tout à fait
impossible de prédire à l'avance le degré de viscosité
de ce liquide chez un sujet donné. Mais, par T intermé-
diaire du système nerveux, ces propriétés peuvent être
au2;mentées ou diminuées à volonté. Nous allons main-
tenant couper la corde du tympan après sa séparation
du lingual, et appliquer un courant galvanique à son
bout périphérique. La salive ainsi obtenue est, vous le
voyez, moins visqueuse que celle qui a été le résultat
des impressions guslatives.
Il nous reste maintenant une autre expérience à
faire. Nous allons galvaniser le grand sympathique. La
corde du tympan étant entièrement paralysée par l'opé-
ration précédente, la salive que nous obtiendrons sera
évidemment produite sous l'influence exclusive du sys-
tème ganglionnaire. Cette expérience prouve que le
sympathique, abandonné à lui-même, est capable d'agir
sur la glande. Combien, sous ce rapport, la sous-
maxillaire diffère-t-elle de la parotide !
Vous voyez ici l'expérience : Le liquide est plus
visqueux que tout à l'heure; mais sa quantité paraît
insignifiante, en comparaison de la quantité produite
par l'excitation du nerf moteur.
Ces expériences ont dû vous convaincre, messieurs,
que la glande sous-maxillaire est pourvue d'un double
appareil nerveux , et que deux ordres distincts de nerfs
président à ses fonctions physiologiques. Les nerfs
émanés du facial augmentent l'abondance et diminuent
INNERVATION DE LA SOUS-MAXILLAIRE. 547
la viscosité de sa sécrétion ; les nerfs ganglionnaires
agissent précisément dans le sens contraire. Ces résul-
tats vous les connaissez déjà dans une certaine mesure,
après la longue étude que nous avons consacrée au
nerf moteur de la parotide.
L'influence exercée par le système ganglionnaire sur
la glande sous-maxillaire explique l'action produite sur
elle par différentes causes d'excitation qui portent sur
des points éloignés du canal alimentaire. C'est ainsi que
l'introduction directe des aliments dans l'estomac déter-
mine généralement un écoulement de salive sous-maxil-
laire. Ou peut constater facilement ce fait chez les ani-
maux porteurs d'une fistule gastrique.
Nous allons appeler maintenant votre attention sur
les propriétés physiologiques de l'appareil sublingual,
afin de vous donner une idée aussi complète que pos-
sible de la sécrétion salivaire.
Dans l'espèce humaine, la glande sublinguale n'est pas
une glande en une seule grappe. Complètement diffé-
rente, sous ce rapport, de ses congénères, elle n'a pas de
canal excréteur de dimension suffisante pour permettre
rintroduction d'un tube. Ses produits se déversent dans
la cavité buccale par six ou sept petits orifices, qui cor-
respondent à autant de portions distinctes de la glande.
La même disposition anatomique règne chez la plupart
des animaux qui servent habituellement à nos expé-
riences. Il paraît donc impossible, au premier abord,
de recueillir le liquide sécrété par ce petit appareil, en
quantité suffisante pour déterminer ses propriétés
physico-chimiques et le rôle qu'il est appelé à jouer
548 APPARlilL DLGESTIF.
dans la mastication. Heureusement pour la physiologie
expérimentale, le chien (fîg. 115 et 116) possède une
glande sublinguale volumineuse et conglomérée, pour-
vue d'un seul canal excréteur dans lequel on peut
facilement passer des tubes. Aussi est-ce sur cet animal
que nous avons pratiqué toutes nos expériences rela-
tives au sujet qui nous occupe aujourd'hui. Le chien
que nous plaçons en ce moment sous vos yeux vient de
subir l'opération préliminaire. Une canule a été intro-
duite dans le canal sublingual, et de son orifice on voit
s'écouler lentement un liquide visqueux et demi-trans-
parent. La difOculté avec laquelle il s'écoule témoigne
suffisamment de ses propriétés adhésives. 11 est, sous
ce rapport, très-différent de la salive aqueuse de la
parotide. La sécrétion sous-maxiilaire paraît établir,
au point de vue chimique, une transition entre les deux
autres. Toutefois, il n'existe pas d'analyse satisfaisante
de la salive sublinguale : tout ce que nous savons, c'est
qu'elle contient une proportion énorme de matière
lubrifiante.
La quantité de cette salive est faible; et elle est
lente à se former, lorsqu'on excite la sécrétion. C'est
ainsi que lorsqu'on verse du vinaigre dans la bouche
d'un animal, après avoir préalablement placé des
tubes dans les conduits excréteurs des trois glandes
salivaires , on voit la salive sous- maxillaire couler
immédiatement ; la sécrétion parotidienne apparaît
bientôt après; la salive sublinguale se montre la der-
nière. On pourrait en conclure que la glande sous-
maxillaire est en rapport avec le sens du goût, la
INNERVATION DE LA. SUBLINGUALE. 549
parotide avec la mastication, et la sublinguale avec la
déglutition. Les observations cliniqueschez l'homme ten-
dent à confirmer ces déductions tirées de la physiologie.
Comme pour la glande sous-maxillaire, les nerfs qui
président à la sécrétion sublinguale proviennent de cette
branche particulière du facial qui est connue sous le
nom de corde du tympan et qui, après sa séparation du
lingual, pourrait être justement appelée n^y/ /y???/;^'-
nico~ lingual. Du moment, en effet, où elle s'unit au
lingual, elle devient en réalité un nerf mixte, conte-
nant des fibres sensitives aussi bien que des fibres mo-
trices. Les minces filets destinés spécialement à la
glande sublinguale (fig. 114) pourraient peut-être être
considérés comme d'une nature difFérente des autres;
ils sont infiniment moins sensibles à l'excitation gal-
vanique que ceux qui vont se jeter dans le plexus
sous-maxillaire. Mais, d'autre part, on pourrait soutenir
que ce n'est pas dans les nerfs, mais bien dans le tissu
glandulaire lui-même, que gît la cause d'une si notable
différence.
Nous allons maintenant répéter les expériences sur
lesquelles repose notre connaissance de la source de
l'excitant nerveux des deux glandes. Lorsqu'on coupe
la corde du tympan dans l'épaisseur de la membrane
de ce nom (oreille moyenne), la sécrétion sublinguale
est immédiatement paralysée, comme dans le cas de la
glande sous-maxillaire. Le nerf moteur ne provient
donc pas des branches qui réunissent le ganglion
otique au facial. D'autre part, si l'on coupe le nerf
après sa séparation du lingual, et qu'on le galvanise
550 APPAREIL DIGESTIF. SALIVE.
ensuite, un écoulement de salive se produit immédia-
tement parles deux glandes; ce qui prouve bien que
celte branche nerveuse n'emprunte pas ses propriétés
spéciales au lingual. Il y a pourtant encore un desi-
deratum : en effet, le nerf de Jacobson envoie une
anastomose à la corde du tympan, au-dessus du point
où nous allons la sectionner. Pour savoir si la neuvième
paire exerce une influence sur la sécrétion, il faudrait
faire la section tout près de l'origine cérébrale du nerf.
Cette expérience offre de telles difficultés, qu'aucun
physiologiste ne l'a tentée jusqu'ici.
Ces deux expériences sont ici pratiquées sous vos
yeux. \jd nerf est d'abord divisé à sa partie supérieure,
et la sécrétion s'arrête. Il est ensuite galvanisé en dehors
du lingual, et immédiatement la sécrétion réapparaît.
Vous voyez donc, messieurs, que chacune des glandes
salivaires est destinée à un usage spécial et fournit une
sécrétion propre, sous l'influence d'un nerf particulier.
La récente découverte de la branche motrice de la
parotide est le trait final qui complète le tableau.
Nous en avons uni, messieurs, avec l'étude expéri-
mentale de la sécrétion salivaire. 11 conviendrait main-
tenant d'expliquer les usages de ce liquide et le rôle qu'il
joue dans la digestion ; mais nous faisons ici un cours de
physiologie opératoire. Comme cette partie de notre
sujet relative aux propriétés chimiques des liquides,
peut être étudiée sans avoir recours aux vivisections,
nous la passerons sous silence, et aborderons immé-
diatement d'autres portions de l'appareil digestif.
VINGT-SIXIÈME LEÇON
Sommaire : Expériences sur les fonctions de l'œsophage. — Effets de la sec-
tion du pneumogastrique sur cette partie du tube digestif. — Conclusions
erronées que l'on a tirées de ces résultats. — L'opération n'abolit aucune
des sensations en rapport avec le travail de la digestion. — Explications
rationnelles des effets produits par une constriction du cardia. — Facilité
de la démonstration chez les animaux porteurs dune fistule gastrique. —
La constriction disparaît après un court espace de temps. — Expériences
sur le bol alimentaire. — De la quantité de salive qui imprègne les ali-
ments. — Expériences sur la déglutition. — Effets produits par la division
complète du nerf œsophagien.
De l'estomac. — Des fistules gastriques. — Des animaux qui conviennent
à l'opération. — Diverses manières de procéder. ^ Description de la
méthode de M. Blondlot. — Modifications introduites par M. Cl. Bernard.
— Modifications apportées plus récemment par M. Blondlot lui-même. —
Démonstrations expérimentales.
Messieurs,
Après avoir terminé maintenant la série des expé-
riences qui se rapportent à la sécrétion salivaire, nous
allons poursuivre l'étude des fonctions digestives, en
nous plaçant, nous l'avons dit, au point de vue de la
physiologie pratique.
Si, ainsi que cela est notre intention, nous suivons
un ordre strictement anatomique, la première porlion
du tube digestif que nous rencontrons après la bouche,
c'est l'œsophage. Les fonctions de celte partie du canal
alimentaire ne présentent pas un champ très-étendu
aux investigations, et n'ont pas été l'objet d'un grand
552 APPAREIL DIGESTIF.
nombre d'expériences. Nous verrons cependant que
celte question n'est pas absolument siérile.
Les relations anatomiques intimes des pneumogas-
triques avec l'œsophage ont naturellement suggéré
l'idée d'examiner les effets physiologiques que la sec-
tion de ces nerfs pouvait produire sur les fonctions
digestives. On a dit que celte opération abolissait entiè-
rement les sensations de faim et de satiété, de vacuité
et de réplétion de l'estomac.
En fait, les animaux témoignent en général de la
répugnance pour les aliments dans ces circonstances,
et quand ils consentent à prendre de la nourriture, on
voit apparaître presque immédiatement des symptômes
de suffocation. On a soutenu alors qu'étant également
incapables de percevoir les effets du jeûne, et de sentir
que les besoins de la nature étaient satisfaits, leur indif-
férence d'une part, leur voracité de l'autre étaient les
causes réelles des accidents observés. Mais l'expérience,
sous plusieurs rapports, n'a pas été convenablement
contrôlée.
Après avoir pratiqué une fistule stomacale chez un
chien, en vue d'examiner la sécrétion du suc gastrique,
j'ai été amené à sectionner les pneumogastriques, dans
le but de déterminer si l'ingestion des aliments produi-
sait ses effets stimulants ordinaires sur les glandes de
l'estomac, alors que celles-ci sont en partie dépourvues
de l'intluence nerveuse. Après avoir introduit les ali-
ments par la bouche, je fus fortement surpris de ne pas
les voir apparaître dans l'estomac : ils s'accumulaient
au-dessus du cardia, et, après avoir rempli peu à peu
EXPÉRIENCES SUR L OESOPHAGE. 553
la totalité de l'œsophage, ils finissaient par atteindre
l'orifice supérieur du larynx : leur présence à ce niveau
provoquait nécessairement des accès de suffocation.
Ce résultat paraît singulier, à première vue. En effet,
bien qu'à l'état normal les contractions de l'œsophage
contribuent à chasser les aliments vers l'oslomac, com-
ment se fait-il que, lorsque sa tunique musculeuse est
paralysée par la section de ses nerfs moteurs, les contrac-
tions du pharynx ne communiquent pas une impulsion
suffisante à la masse alimentaire, qui tend, par son
propre poids, à descendre dans la cavité gastrique? La
raison, c'est qu'une contraction spasmodique de l'ori-
fice stomacal de l'œsophage s'oppose au passage des
aliments dans la cavité gastrique, et fait équilibre aux
contractions du pharynx. Mais, au bout d'un jour ou
deux, cet état particulier de contracture cesse, et l'ani-
mal est généralement capable de manger au bout de
trente-six heures après l'opération. Il est dès lors évi-
dent que la section des pneumogastriques n'exerce
aucune influence, quelle qu'elle soit, sur les sensations
qui se rapportent à l'état de vacuité ou de plénitude de
l'estomac. Nous allons faire l'expérience devant vous, et
l'animal va présenter les phénomènes que je viens de
vous décrire.
Nous coupons ici les deux pneumogastriques d'un
très-gros lapin à jeun depuis vingt-quatre heures. On
lui présente alors des aliments qu'il avale avec la plus
grande voracité. Des symptômes de suffocation appa-
raissent rapidement. L'animal se remet bientôt et essaye
de nouveau de manger, ce qui amène un autre accès.
554 APPARIîlL DIGESTIF.
A la fin de la leçon, on le lue et on l'ouvre. L'œso-
phage est entièrement rempli d'aliments non digérés,
du cardia au pharynx, tandis que l'estomac ne ren-
ferme que quelques traces du repas précédent. Chez
les rongeurs en effet, même lorsqu'on les a fait jeûner
pendant un certain temps, l'estomac n'est jamais com-
plètement vide.
Ces expériences, messieurs, ne sont pas les seules
que l'on ait tentées sur l'œsophage. On a ouvert ce canal
pour en extraire le bol alimentaire dans l'état où il se
trouve en quittant la cavité buccale. Cette expérience
permet de déterminer la quantité de salive qui imprègne
les aliments pendant la mastication. Cette quantité est
facile à calculer, en donnant à l'animal un aliment sec
que l'on pèse avant et après l'opération. Ainsi, si l'on
donne à un cheval 10 grammes de fourrage que l'on a
eu soin de faire sécher avec soin, la masse extraite de
l'œsophage pèse 100 grammes. Il en résulte que l'animal
ajoute neuf cents parties de salive à cent parties de
matière alimentaire. Cette proportion varie toutefois
avec la nature de l'aliment. Lorsqu'on ouvre les deux
conduits parotidiens, le produit de la sécrétion n'étant
plus déversé dans la bouche, la mastication est plus dif-
ficile et dure beaucoup plus longtemps : la soif est aussi
augmentée. Tous ces résultats sont faciles à expliquer
par la nature des fonctions de ces glandes, que nous
avons étudiées dans la précédente leçon.
Le mécanisme de la déglutition a été également étudié
au moyen d'expériences semblables. Si l'on ouvre l'œso-
phage d'un cheval, et si l'on applique une ligature au-
EXPÉRIENCES SUR L OESOPHAGE. 555
dessous de l'ouverture, on voit les aliments s'échapper
sous forme de petites masses séparées. Si au contraire
on coupe l'œsophage, les aliments ingérés apparaissent
sous la forme d'une masse continue dont les portions
intérieures sont poussées par les portions supérieures.
En d^autres termes, la contraction œsophagienne s'exerce
dans le premier cas, tandis que dans le second l'impul-
sion dérive uniquement du pharynx. La conclusion
naturelle à tirer de là, c'est que les contractions œso-
phagiennes ne peuvent plus se produire quand il n'y a
pUis de points fixes d'insertion aux deux extrémités du
conduit membraneux. En effet, sous tous les autres rap-
ports, les conditions de la seconde expérience sont exac-
tement les mômes que celles de la première, et les nerfs
de l'extrémité supérieure du conduit n'ont pas été inté-
ressés.
Nous allons maintenant commencer une étude des
plus importantes et des plus intéressantes. Les expé-
riences pratiquées dans ces dernières années sur l'es-
tomac doivent être rangées parmi les plus remarquables
qui figurent dans les annales de la science. Leurs résul-
tais ont fait faire un progrès extraordinaire à la phy-
siologie. Le succès qui a, sous ce rapport, couronné les
efforts des observateurs, est dû principalement à l'idée
éminemment ingénieuse de pratiquer des ouvertures
artificielles à l'estomac. C'est ainsi que nous avons pu
constater les propriétés réelles du suc gastrique, et con-
templer de visu la marche naturelle de la digestion
stomacale.
556 appari.il digkstif.
On a produit des fistules gastriques chez un grand
nombre d'animaux appartenant à différentes espèces.
Cependant il en est quelques-uns qui sont tout à fait
impropres à cette opération, et cela pour diverses rai-
sons. Pour pratiquer l'expérience dans les circonstances
les plus favorables, on doit choisir un animal dont
l'estomac est large, facilement dilatable, et en même
temps assez rapproché de la paroi abdominale. C'est
pour cela que l'opération devient tout à fait impossible
chez certains animaux. Le cheval, par exemple, a l'es-
tomac petit et profondément situé, outre que l'organi-
sation particulière de l'espèce chevaline donne relati-
vement peu d'importance aux fonctions de cet organe.
Non-seulement ses dimensions sont insignifiantes, mais
les glandes gastriques n'occupent qu'une très-petite
portion de sa surface, sa partie gauche étant entière-
ment recouverte par des couches épaisses d'un épi-
thélium dur, qui se continue avec celui de l'œsophage.
Il est également difficile, et pour les mêmes causes, de
produire des fistules gastriques chez les oiseaux pourvus
d'un gésier. Mais Texpérience réussit admirablement
chez ceux d'entre eux qui sont munis d'un estomac mus-
culeux, le corbeau, par exemple, et tous les oiseaux de
proie. Il serait inutile de pratiquer l'opération chez le
lapin, dont l'estomac n'est jamais vide, alors même que
cet animal meurt de faim : on ne pourrait jamais obtenir
chez lui du suc gastrique pur, non mélangé. Beaucoup
d'autres animaux domestiques doivent être éliminés
pour des raisons à peu près identiques. Pour que l'opé-
ration s'effectue avec un plein succès, il faut que l'ani-
I
FISTULES GASTRIQUIS. 557
mal choisi offre les plus grandes facilités à la partie
chirurgicale de l'expérience, et qu'il soit doué d'une
sécrétion abondante de suc gastrique pur. Par suite, le
chien est l'animal qui remplit le mieux les conditions
requises : c'est lui que l'on emploie généralement.
C'est à M. Blondlot que revient l'honneur d'avoir
conçu la première idée de cette opération. Voici le
procédé imagmé par cet habile observateur :
L'animal étant couché sur le dos et solidement attaché,
on fait sur la ligne blanche une incision s'étendant
de l'appendice xiphoïde à la symphyse pubienne. On
saisit alors l'estomac avec une pince et on l'attire en
avant. On passe ensuite à travers les paroisde l'estomac
un fil d'argent que l'on enroule autour d'un obturateur
de bois placé en dehors de l'abdomen. Cette première
parliede l'opération une fois terminée, on laisse l'animal
en repos pendant quelques jours. Lorsqu'au bout d'un
temps suffisant les parois stomacales ont contracté des
adhérences avec l'ouverture abdominale, on ouvre la
face antérieure de cet organe avec le bistouri, et l'on y
introduit une canule.
Dans mes propres expériences, j'ai trouvé plus com-
mode de modifier le manuel opératoire de la manière
suivante : On provoque d'abord une dilatation de l'esto-
mac, en laissant l'animal manger copieusement une
heure ou deux avant l'opération. On fait alors une inci-
sion qui comprend à la fois la paroi abdominale et la
face antérieure de l'estomac distendu qui est venu s'ac-
coler à elle. On introduit sur-le-chaaip la canule et, par
quelques points de suture, on réunit la plaie abdominale
558 APPAREIL DIGESTIF.
à l'ouverture gastrique. L'opération réussit presque
toujours, et au bout de deux jours on peut commencer
sans crainte les expériences sur la digestion.
M. Blondlot a publié récemment une modification de
son procédé, qui permet h l'opérateur de se passer de
canule. Il arrive parfois que les lèvres de la plaie s'en-
flamment et que la présence de l'instrument occasionne
une irritation douloureuse qui rend son ablation néces-
saire : si on ne le retire pas, les parties voisines peuvent
se gangrener. Dans mes expériences, je me suis mis à
l'abri de cet inconvénient en me servant d'une canule
double, ce qui me permet d'en substituer une plus petite
à la première, lorsqu'elle est trop grosse.
M. Blondlot a adopté une méthode différente. Après
avoir ouvert l'abdomen, il provoque une inflammation
adbésive qui réunit la face antérieure de l'estomac aux
lèvres de la plaie. Il fait alors avaler à l'animal une
mèche de fil à emballage, dont l'une des extrémités
reste pendante en dehors delà bouche. Avec une pince,
il saisit l'autre extrémité dans la cavité gastrique préa-
lablement ouverte. Il attache alors un obturateur à l'ex-
trémité supérieure; puis, tirant la mèche à travers la
plaie, il fait passer cet obturateur par l'œsophage, jusque
dans l'estomac, dont il ferme complètement l'ouverture.
De cette manière on peut, à volonté, fermer la fistule
en tirant à soi l'obturateur, ou la rouvrir en le repous-
sant en arrière.
Pratiquement, cette méthode paraît offrir des diffi-
cultés considérables.
Nous continuerons donc, de préférence à ce nouveau
FISTULES GASTRIQUES. 559
procédé de M. Blondlot, à nous servir, comme d'ha-
bitude, de la double canule.
Nous allons faire l'expérience sous vos yeux. A notre
prochaine leçon, l'animal sur lequel nous allons opérer
sera sans doute en assez bon état pour nous fournir une
abondante quantité de suc gastrique. Nous examinerons
alors successivement ses intéressantes propriétés, ainsi
(juela digestion stomacale.
L'expérience est pratiquée, vous le voyez, sur un
très-beau et gros lévrier. L'animal, ayant mangé en-
viron une heure auparavant, est naturellement en plein
travail de digestion. A peine l'estomac est-il ouvert qu'on
voit s'échapper de la plaie une grande quantité de suc
gastrique.
VINGT-SEPTIÈME LEÇON
Sommaire : L'opération de la gastrotomie chez le chien ne présente généra-
lement pas d'inconvénients sérieux. — Propriétés particulières du suc gas-
trique. — Sa réaction acide. — Cette propriété se retrouve dans toute
l'échelle animale. — Les glandes en tube de la muqueuse stomacale
sont la source réelle de ce liquide. — Preuves expérimentales de ce fait.
— Expériences de Prévost et Leroyer. — Pvésultats identiques chez les
herbivores. — La portion pylorique de l'estomac concourt seule à cette
sécrétion. — Des modifications de la muqueuse stomacale pendant la diges-
tion. — L'épithélium se détache. — Des différentes substances éliminées
par la sécrétion gastrique : prussiate de potasse, sels de fer, etc. — Dé-
monstration expérimentale. — Difficulté de déterminer le point particulier
où la sécrétion a lieu. — Des diiférenles manières de recueillir le suc
gastrique pour l'analyse. — Comment on réussit le mieux à en séparer les
substances alimentaires mélangées.
Certains liquides sont invariablement mêlés au suc gastrique et il est impos-
sible d'éviter leur présence. — Salive. — Sécrétion propre des glandes
du pharynx. — Tous ces liquides sont alcalins, et, suivant la loi de
Berzelius, ils ont une tendance à neutraliser l'acidité du suc gastrique.
— Influence des alcalins sur la sécrétion gastrique. — La réaction des
liquides intestinaux au delà du pylore est entièrement variable. — Com-
position chimique du suc gastrique. — Influence du système nerveux
sur sa production. — Plexus solaire. — Effets produits sur l'estomac par
la galvanisation des pneumogastriques et du grand sympathique.
Messieurs,
Nous avons décrit dans nos précédentes leçons
les différentes manières d'obtenir le suc gastrique en
grandes quantités. Nous allons maintenant procéder
à l'examen des principales propriétés de cet important
liquide.
L'animal dont nousavonsouvertreslomac dans lalecou
SÉCRÉTION GASTRIQUE. * 561
dernière esfmort rapidement de péritonite à la suite de
l'expérience. Ce résultat fâcheux ne doit pas être attri-
bué à l'opération elle-même, qui la plupart du temps
n'offre pas d'inconvénients sérieux. Il faut plutôt mettre
en cause l'état de santé antérieur de l'animal, et les
prédispositions défavorables que l'on observe trop sou-
vent dans certaines races de chiens au point de vue des
opérations pratiquées sur les organes abdominaux.
L'expérience a au contraire réussi chez l'animal que
nous mettons aujourd'hui sous vos yeux. Comme vous
le voyez, il paraît jouir actuellement de la santé la plus
parfiute, et il nous fournira, au moment voulu, une
<iuantité abondante de suc gastrique. Procédons par
conséquent à l'examen des propriétés caractéristiques
de cette sécrétion.
Bien que sa composition chimique varie légèrement
suivant les différents animaux, le suc gastrique est con-
stamment doué (l'une forte réaction acide. Ce fait a été
établi, vers le commencement du dernier siècle, par les
ingénieuses expériences de Réaumur. Cette propriété
de la sécrétion existe dans toute l'échelle animale. C'est
ce qui a permis aux anatomistes de déterminer souvent
le siège précis de l'estomac dans les cas douteux, la
réaction de toutes les autres parties de l'appareil digestif
*Hant neutre ou même franchement alcaline. L'emploi
d(;s réactifs colorés perniet donc à l'observateur d'indi-
quer avec la plus grande exactitude la portion du tube
intestinal qui correspond à l'estomac de l'animal. Chez
ertainspoissons, par exemple, aucune modification de
forme ou de volume du canal alimentaire ne correspond
c
CL. BERXAiiD. — Physiol. opér.
3G
562 * APPAREIL DIGESTIF.
à la place occupée par l'organe; sans l'emploi des réac-
tifs colorés, il serait absolument impossible de découvrir
sa position.
Mais les cellules glandulaires, qui versent ce puissant
dissolvant dans la cavité gastrique, ne sont pas réunies
en une masse conglomérée; elles sont, au contraire,
disséminées sur une large surface. Autrefois, l'esprit
inventif des anatomistes s'est fortement exercé à décou-
vrir l'organe qui produit le suc gastrique. La rate, entre
autres viscères, avait été investie <le cette propriété.
Aujourd'hui on reconnaît universellement que les petites
glandes en tubes que le microscope découvre dans la
muqueuse stomacale sont en réalité la source unique de
ce liquide. Mais comment démontrer expérimentalement
ce fait ? La sécrétion de ces petits organes ne peut pas,
comme cela a lieu pour les grosses glandes conglomérées,
être recueillie au moyen d'un tube introduit dans le
conduit excréteur. D'autre part, la muqueuse qui les
contient renferme en môme temps un nombre consi-
dérable de petits follicules muqueux dont la structure
et les propriétés difFèrent entièrement des glandes dont
nous nous occupons. Des expériences directes sont
dès lors évidemment nécessaires pour résoudre la ques-
tion. La première solution satisfaisante de cette difflculté
est due à Prévost et Leroyer (de Genève). Ces auteurs
ont prouvé, par les expériences suivantes, que la portion
pylorique de l'estomac jouit seule de la propriété de
sécréter le suc gastrique. On ouvre l'estomac d'un ani-
mal vivant, par une incision pratiquée sur sa face anté-
rieure, après avoir préalablement incisé la paroi abdo-
SÉCRIÎTION GASTRIQUE. 563
minale. On essuie alors la surface interne de cet organe
au moyen d'une fine éponge imbibée d'une solution
alcaline faible, en ayant soin, bien entendu, de ne pas
enlever l'épithélium. On introduit enfin dans la cavité
un morceau de papier bleu de tournesol et l'on referme
la plaie. Quelques heures après, on sacrifie l'animal.
A l'autopsie, on trouve que vers l'extrémité pylorique
de l'organe le papier bleu est devenu rouge, tandis qu'il
a conservé sa coloration dans tous les autres points.
Cela prouve bien que la portion pylorique de l'estomac
où se trouvent les petites glandes en tubes dont nous
avons parlé est bien le siège réel de la sécrétion gastrique.
On peut répéter l'expérience sur des animaux d'es-
pèce différente ; elle donne invariablement les mômes
résultats. Ainsi, chez le cheval, la partie pylorique de
l'estomac, et chez les ruminants, la caillette, sont seules
douées de la propriété de sécréter ce liquide, ainsi que
le démontrent les papiers réactifs. Nous devons admettre
comme une vérité incontestable que le suc gastrique ne
se produit que dans les environs du pylore.
Mais la sécrétion de ces petites glandes est intermit-
tente chez l'homme aussi bien que chez les animaux
inférieurs. Le docteur Beaumont rapporte que chez
son Canadien le suc gastrique n'apparaissait qu'après
l'introduction d'aliments dans l'estomac ; aussitôt que le
travail de la digestion était terminé, il ne se produisait
dans la cavité gastrique aucune sécrétion jusqu'au repas
suivant. De même, lorsqu'on introduit une canule dans
l'estomac d'un chien, on ne voit s'écouler aucune goutte
de liquide, à la condition que l'animal ait été préala-
564 APPAREIL DIGESTIF.
blement soumis au jeûne; mais aussitôt qu'il com-
mence à manger, on voit immédiatement s'échapper
par l'orifice externe du tube une quantité abondante de
suc gastrique. On peut obtenir le même résultat eu se
bornant à montrer les aliments à l'animal, ainsi que
cela a lieu pour les glandes salivaires. Chez le chien
que nous vous présentons aujourd'hui, l'estomac est
actuellement à l'état de repos ; mais la vue des aliments
va stimuler immédiatement l'activité physiologique de
ses éléments glandulaires.
Vous voyez l'expérience pratiquée sous vos yeux.
Un morceau de viande ayant été placé sous les yeux de
l'animal, le suc gastrique s'écoule par le tube avant
qu'il ait commencé à manger.
Vous voyez, messieurs, que, ainsi que cela a lieu
pour les autres glandes, la sécrétion n'est pas continue
dans l'estomac. Pendant l'intervalle qui sépare un
repas du suivant, la tunique muqueuse est recouverte
d'une couche épaisse d'épithélium grisâtre, et sa réac-
tion -est alcaline. Mais aussitôt que le travail de la
digestion commence, celte muqueuse se gonfle, se con-
gestionne, devient rouge; l'épithélium se détache par
lamelles, et le suc gastrique apparaît à la surface interne
de l'estomac, comme la sueur à la surface de la peau.
Il est probable que les choses se passent de même dans
toutes les glandes à l'état de repos. La salive, par
exemple, lorsqu'elle commence à s'écouler, contient
d'abord une proportion considérable d'éléments épithé-
liaux; mais bientôt le liquide devient transparent et ne
renferme plus que quelques cellules épithéliales.
SÉCRlïTION GASTRIQUE. 565
Il existe une différence remarquable entre le suc
gastrique et les sécrétions que nous avons déjà étudiées,
sous le rapport des subslances éliminées de l'économie
par les diverses glandes après leur introduction dans les
vaisseaux. Nous vous avons montré, par exemple, que
le prussiate de potasse et les sels de fer en général ne
passaient pas par la sécrétion salivaire. Le contraire
a lieu avec le suc gastrique. Si l'on injecte du prussiate
de potasse dans les veines d'un animal, et si Von intro-
duit en même temps un sel de fer dans l'estomac, la
muqueuse prend bientôt une coloration bleu foncée
dans sa portion pylorique, pendant que la digestion
a lieu. Les deux substances ayant été amenées en con-
tact au niveau des orifices des glandes tubuleuses qui
sécrètent le liquide digestif, il s'est formé du bleu de
Prusse en ce point. Le môme résultat peut être obtenu,
mais avec beaucoup plus de difficulté, en renversant
l'expérience, c'est-à-dire en injectant des sels de fer
dans les veines et en faisant prendre le prussiate de
potasse parla bouche. Enfin, si l'on injecte séparément
ces deux ordres de substances dans les vaisseaux, on
observe encore les mêmes effets : la réaction n'a pas lieu
tant qu'elles sont encore contenues dans le sang; mais
elle se produit immédiatement lorsqu'elles ont été mises
en liberté par les voies d'élimination.
En pratiquant l'expérience dont je viens de vous
parler, je m'étais bercé de l'espoir de découvrir le siège
précis de la sécrétion gastrique. En introduisant les
deux substances dans la circulation en des points éloi-
gnés l'un de l'autre, je m'attendais à trouver le bleu de
566 APPAREIL DIGESTIF.
Prusse, qui résulte de leur combinaison, dans les glandes
mômes qui les séparent du sang. Mais, sous ce rapport,
mes prévisions n'ont pas été réalisées. En effet, en
examinant au microscope la membrane muqueuse où
la réaction avait eu lieu, j'ai trouvé que le ferrocyanure
de fer s'était déposé à sa surface, et non pas dans la
cavité des tubes sécréteurs.
Nous venons de dire que la sécrétion est intermittente,
et cela chez tous les animaux. Mais comment prouver
ce fait pour les lapins et autres rongeurs, dont l'estomac
n'est jamais vide? L'examen de l'urine nous permet,
par une méthode indirecte, d'arriver à cette conclusion.
Chez tous les herbivores, en effet, ce liquide oftre pen-
dant la digestion une réaction alcaline, et devient acide
aussitôt que celle-ci est terminée. Chez les carni-
vores, c'est l'inverse qui a lieu. Cette différence résulte
uniquement du genre d'alimentation. En effet, les chiens
nourris exclusivement de pommes de terre et autres
substances amylacées, acquièrent, sous ce rapport, les
propriétés des herbivores; leur urine devient acide pen-
dant que les organes digestifs sont à l'état de repos, et
alcalines aussitôt qu'ils entrent en activité. Par contre,
chez les lapins nourris exclusivement de viande, l'urine
devient entièrement semblable à celle des carnivores.
Or, si nous examinons l'un de ces animaux nourri
comme d'habitude avec des légumes, nous trouvons
qu'après une abstinence de longue durée (vingt-quatre
heures par exemple), l'urine devient complètement
acide. Noussommes dès lors en droit de supposer que la
digestion a été suspendue pendant un certain temps,
SÉCRÉTION GASTRIQUE. 567
bien que la muqueuse stomacale soit restée perpétuelle-
ment en contact avec des aliments non digérés. Dans
certaines maladies pourtant, les conditions naturelles de
la sécrétion gastrique sont troublées et l'on voit le liquide
sVcouler sans interruption.
Nous vous avons dit dans une autre leçon que l'es-
tomac élimine souvent certaines substances qui, pour
diverses raisons, ne passent plus par leurs voies habi-
tuelles. Prévost et Dumas ont reconnu il y a long-
temps que, lorsqu'on enlève les deux reins d'un chien,
il s'écoule plusieurs jours avant qu'on puisse décou-
vrir la présence de l'urée dans le sang au moyen des
réactifs chimiques. Cette substance peut donc s'élimi-
ner par des voies autres que ses voies ordinaires. Ces
auteurs n'avaient pas essayé de donner une explica-
tion de ce fait, quand je découvris des preuves indubi-
tables de la présence de l'urée et des sels d'ammoniaque
dans le suc gastrique de chiens à qui on avait récemment
enlevé les deux reins. C'est donc par cette sécrétion que
l'élimination se fait pendant un certain temps. L'appétit
de l'animal ne diminue pas, ses digestions ne sont pas
troublées, mais lorsque l'estomac ne peut plus remplir
ce nouvel office, alors les substances toxiques passent
dans le sang et les symptômes de l'urémie apparaissent
à la fin.
Après avoir examiné les principales propriétés du suc
gastrique et essayé d'indiquerle siège précis de l'appareil
glandulaire qui préside à sa sécrétion, il nous reste à
décrire les procédés les plus convenables qu'il faut em-
ployer pour l'obtenir à l'état de pureté parfaite et, si
568 APPAREIL DIGESTIF.
cela est possible, pour le recueillir par des moyens arli-
ficiels. Vous avez sans doute remarqué que, lorsqu'on
veut se procurer de grandes quantités de suc gastrique,
il devient nécessaire d'introduire des aliments dans
l'estomac afin de réveiller son activité endormie. Les
objections que l'on peut formuler contre un tel procédé
sont faciles à prévoir. Les substances étrangères sont
naturellement tenues en dissolution dans le liquide ainsi
obtenu, et sa composition réelle n'est pas révélée par
l'analyse cbimique. Pour obvier à cet inconvénient, il
faut recueillir le suc gastrique au moment même oi!i la
digestion commence. Les substances introduites dans
l'estomac, une fois qu'elles ont été mises en contact avec
le liquide sécrété par sa face interne, se désagrègent peu
à peu, se divisent en petits fragments, et sont rapide-
ment dissoutes. Mais pendant les premiers moments,
alors que ce travail n'est pas encorecommencé, le liquide
obtenu peut être considéré comme relativement pur et
sans mélange.
C'est, en outre, un fait bien connu que les parois elles-
mêmes de l'estomac, protégées qu elles sont par les
couches épithéliales qui les recouvrent, ne sont pas
exposées à être attaquées pendant la digestion.
Ce sont les tripes que nous employons habituelle-
ment pour stimuler le travail digestif; cet aliment,
comme vous le savez, est constitué parla surface interne
des intestins des ruminants; il est peut-être par là même
apte à résister à l'action du suc gastrique pendant un
temps beaucoup plus long ([ue les autres substances
animales. Naturellement il faut filtrer le liquide ainsi
SÉCRÉTION GASTRIOUE. 569
obtenu, afin de le dL'barrasser des Iraginenls à demi
digérés qu'il peut contenir.
Il n'est pas difficile d'obtenir le suc gastrique à
volonté, en fermant l'orifice externe du tube introduit
dans l'estomac au moyen d'un petit bouclion que Tani-
uial ne peut pas enlever avec ses dents. 11 est plus com-
mode toutefois d'adapter à l'appareil une petite poche
de caoutchouc, dans laquelle le liquide se déverse rapide-
ment quand la sécrélion commence. Il faut éviter aussi
d'enlever de l'estomac une trop grande quantité de suc
gastrique, afin de ne pas troubler le travail de la
digestion.
Mais, lorsqu'on essaye de recueillir à l'état de pureté
la sécrétion gastrique, on se trouve en présence d'une
autre difficulté. Lorsque, comme cela a lieu d'ordinaire,
les aliments sont introduits par la bouche, la salive est
le premier liquide qui vient les imprégner. Une autre
sécrétion, relativement insignifianie chez les carnivores,
mais plus abondante chez les ruminants, vient se mé-
langer au bol alimentaire avant qu'il ait atteint la cavité
stomacale; nous voulons parler de la sécrétion pharyn-
gienne que l'on recueille facilement chez le cheval, en
divisant l'œsophage vers la partie moyenne du cou et
en adaptant un tube de verre à son bout supérieur.
Pendant la mastication, ce liquide se produit en grande
abondance, et l'on peut en recueillir plusieurs litres. 11
provient des glandes situées ;i la partie supérieure du
pharynx; par sa composition chimique, il diffère de la
salive, mais il s'en rapproche par sa réaction alcaline.
Il est dès lors évident qu'au moment de la digestion,
570 APPAREIL DIGESTIF.
à l'état de santé, le suc gastrique se trouve mélangé
avec deux autres liquides, qui offrent tous deux une
réaction alcaline. Mais la puissante acidité de la sécrétion
gastrique l'emporte complètement sur les propriétés
contraires des deux autres, car jamais elle ne perd cette
acidité : dans certaines maladies elle peut être arrêtée
ou diminuée, mais ces propriétés chimiques demeurent
invariablement les mêmes. Gela s'accorde parfaitement,
comme vous le voyez, avec cette loi de Berzelius: que
dans les différentes parties d'un appareil donné on ren-
contre alternativement des sécrétions acides et alca-
lines, qui réagissent les unes sur les autres et s'excitent
mutuellement. En fait, on sait très-bien que le suc gas-
trique s'écoule en plus grande abondance quand on
introduit des alcalins dans l'estomac ; les acides au con-
traire entravent sa formation. L'addition de sels alcalins
aux différents aliments est dès lors favorable à la diges-
tion. Telle est peut-être l'une des raisons qui expliquent
l'usage étendu du sel ordinaire chez toutes les nations.
Vous savez aussi que certaines espèces animales dévo-
rent avec avidité le sel, chaque fois qu'elles peuvent en
rencontrer, et se réunissent par bandes dans les endroits
où il est déposé à la surface du sol.
Mais, en vertu du même principe, nous trouvons que
la bile et le suc pancréatique, étant doués d'une forte
réaction alcaline, neutralisent l'acidité du suc gastrique,
en sorte qu'au delà du pylore la réaction intestinale est
généralement neutre; chez les carnivores toutefois elle
reste acide dans la plupart des cas.
La composition chimique |du suc gastrique n'a pas
SÉCRÉTION GASTRIQUE. 571
été encore complètement définie, et les auteurs ne sont
pas d'accord sur ce point. Il renferme une grande pro-
portion d'eau (995 parties pour 1000; l'acide lactique
et une substance organique, la pepsine, dont la nature
est encore imparfaitement connue, paraissent être les
principes actifsqui lui donnent sespropriétés particulière?.
Examinons maintenant le rôle du système nerveux
dans sa formation.
Lorsque, dans nos précédentes leçons, nous appe-
lions votre attention sur la sécrétion salivaire, nous vous
disions que ce phénomène physiologique devait être
rangé parmi les actions réflexes, que le système nerveux
était, par suite, essentiellement intéressé dans la forma-
tion de la salive, et que chaque glande devait évidem-
ment être pourvue de nerfs sensitifs et de nerfs moteurs
attachés spécialement à la sécrétion. Pour chacune des
glandes, nous avons indiqué quels étaient ces nerfs. En
second lieu, nous avons découvert que le grand sympa-
thique avait une action opposée à celle des branches
motrices et faisait obstacle à la libre action de la glande.
Nous avons démontré enfin que la période d'activité de
€es organes sécréteurs se révélait invariablement par
un état de turgescence du tissu glandulaire, par une
accélération de la circulation, et par la coloration rouge
du sang des veines qui présentent en même temps des
pulsations artérielles.
Pendant la digestion, les mêmes phénomènes accom-
pagnent la sécrétion des glandes gastriques. La mu-
queuse se tuméfie et prend une couleur rouge vif ; et,
comme pour les glandes salivaires, Tinfluence nerveuse
57"2 APPARlilL DIGKSTIF.
se rattache intimement à la formation du suc gastrique.
Il se produit évidemment une action réflexe, puisque
quelques gouttes d'une solution alcaline provoquent
immédiatement la sécrétion. Essayons donc de déter-
miner quels sont les nerfs auxquels est dévolue la pro-
priété de réveiller l'activité endormie de ces petits
organes.
Le plexus solaire est la source d'où proviennent tous
les filets nerveux qui aboutissent à l'estomac; et ce
plexus est formé par le pneumogastrique et le grand
sympathique. Ce sont donc ces deux î^ert's qui sont les
conducteurs de l'influence nerveuse qui agit dans le tra-
vail de la digestion. Les branches émanées du plexus
solaire se distribuent, bien entendu, à la tunique mus-
culeuse de l'estomac, aussi bien qu'aux cellules sécré-
tantes, mais les contractions qui se passent dans cet
organe pendant la digestion ne peuvent pas être séparées
de la sécrétion elle-même : ces deux actes physiologiques
se relient inséparablement l'un à l'autre, comme la
sécrétion parolidienne se relie à la mastication. Ces
deux derniers phénomènes , vous le savez , ont lieu
sous l'influence des branches motrices de la cinquième
paire, et aucun physiologiste ne voudrait les séparer
l'un de l'autre, en ce qui touche du moins l'influence
nerveuse. Nous ne chercherons donc pas à affirmer que
la contraction des fibres musculaires agit sur les glandes
par compression : la sécrétion gastrique est, en elle-
même, un processus totalement distinct et indépendant.
Nous aurons recours à notre stimulant ordinaire,
l'électricité, pour déterminer l'influence exercée sur
SÉCKTlTION GASTRIQUE. 573
l'eslomac par les deux nerfs qui sont en rapport avec
lui. Nous prenons deux chiens porteurs de fistules gas-
triques, et qui ont élé tenus à la diète pendant un cer-
tain temps. Chez celui dont on galvanise les pneumo-
gastriques, le suc gastrique s'écoule en abondance,
tandis que chez l'autre la muqueuse reste parfaitement
sèche.
On peut donc dire, sans crainte de se tromper, que
c'est aux pneumogastriques que l'estomac est redevable
de son pouvoir sécréteur; et le courant galvanique,
appliqué à la sécrétion gastrique, paraît être le procédé
le plus convenable pour l'obtenir à l'état de pureté,
non mélangé à la salive et aux autres substances étran-
gères.
Le grand sympathique, comme on pouvait le pré-
voir facilement, continue à jouer le môme rôle qu'au-
paravant. Si on l'excite, il arrête la sécrétion, ou la
rend moins abondante quand le travail digestif est dans
toute sa plénitude. On peut aisément prouver ce fait
in^ galvanisant les nerfs qui partent des ganglions semi-
lunaires.
En résumé donc, nous trouvons dans l'estomac deux
ordres de nerfs, comme dans toutes les autres glandes :
des nerfs moteurs qui accélèrent la sécrétion, et des
nerfs organiques qui l'entravent. Nous insistons à des-
sein sur la reproduction constante de ce fait ; notre
intention est aussi de vous démontrer ))ius tard son
importance en ce qui touche les propriétés les plus
intimes du svslè.ne nerveux.
VINGT-HUITIÈME LEÇON
Sommaire : Du suc pancréatique. — Dispositions anatomiqucs des con-
duits pancréatiques chez l'homme. — Situation de leurs orifices externes.
— La bifidité de l'appareil excréteur est un vestige de l'état fœtal. —
Dispositions anatomiques de ces parties dans les différentes espèces ani-
males. — Différents procédés opératoires. — L'organe décrit par Aselli
comme un pancréas chez le chien n'est qu'une agglomération de gan-
glions lymphatiques. — Glandes de Brunner. — Nature précise de leur
sécrétion. — Propriétés de la sécrétion pancréatique. — Expériencos
relatives à ce sujet.
Des substances éliminées par la glande pancréatique. — Analogie qui existe
sous ce rapport entre les glandes pancréatiques et salivaires. — Influence
du système nerveux sur le pancréas. — Expériences variées sur la sécré-
tion pancréatique.
Messieurs,
Nous avons examiné successivement dans nos précé-
dentes leçons les principales méthodes auxquelles on a
recours pour se procurer les produits de certaines glandes
qui jouent le rôle principal dans les fonctions digestives.
Nous vous avons montré comment on recueille la salive,
le suc gastrique et la sécrétion pharyngée à l'état de
pureté parfaite. Nous arrivons maintenant à la portion
inférieure du canal alimentaire, où nous allons pour-
suivre nos recherches sur celte branche de la physio-
logie.
Immédiatement au-dessous du pylore, plusieurs
liquides importants sont versés dans le duodénum par
diverses glandes, dont les unes sont situées en dehors de
SÉCRÉTIONS INTESTINALES. 575
l'intestin, tandis que les autres sont comprises dans ses
parois mên)es. Nous voulons parler de la bile, du suc
pancréatique, et du liquide sécrété par les glandes de
Brunner. Nous appellerons aujourd'hui votre attention
sur la sécrétion pancréatique.
Les divers procédés au moyen desquels on recueille
les liquides intestinaux, bien que fondes sur un ensemble
de principes généraux, doivent être modifiés dans une
certaine mesure suivant les glandes auxquelles on a
affaire. Ainsi que vous le savez, il existe de grandes
différences entre ces organes. Le pancréas, par exemple,
est loin de ressembler à l'appareil salivaire, auquel on
l'a pourtant fréquemment assimilé. Au point de vue de
la structure, la comparaison est juste; mais, sous le
rapport des propriétés physiologiques, cette compa-
raison est absolument erronée. Et bien que le contraste
soit assez sensible à l'élat sain, les effets des maladies
le mettent encore plus en lumière. En effet, les désor-
dres locaux sont presque les seuls qui puissent troubler
la sécrétion salivaire, laquelle demeure intacte dans le
cours des autres affections. 11 est donc relativement
facile d'obtenir ce liquide en grandes quantités, sans^
modifier ses propriétés normales : la légère inflamma-
tion qui résulte parfois de l'expérience est, à ce point
de vue, absolument insignifiante. Bien différente est la
susceptibilité de la glande pancréatique : les perturba-
lions générales de l'économie exercent sur ses fonctions
une influence puissante, et la moindre trace d'inflam-
mation modifie immédiatement les propriétés du liquide
qu'elle sécrète. Si donc une péritonite survient à la
576 APPAREIL DIGESTIF.
suite de l'opéi-alion, l'expérience ne peut être continuée
avec espoir de succès; aucune confiance ne doit être
ajoutée aux résultats obtenus, puisqu'on n'a plus à sa
disposition une sécrétion normale. Si Ton ne prend pas
les soins les plus minutieux pour éviter celte fâcheuse
complication, qui est trop souvent la conséquence des
opérations pratiquées sur les viscères abdominaux, il
sera impossible de se rendre rationnellement compte
des propriété delà sécrétion pancréatique.
La nécessité absolue d'établir des règles définies pour
l'accomplissement de cette opération délicate est évi-
dente. Nous ne pouvons pas, en effet, accepter les résul-
tats obtenus par les différents observateurs, à moins que
les conditions de l'expérience n'aient été identiquement
les mêmes dans chaque cas. Examinons donc la dis-
position anatomique des conduits pancréatiques chez
l'homme et chez les animaux inférieurs. Ce premier pas
une fois fait, nous essayerons d'exposer le plus claire-
ment possible les principes qui doivent nous diriger.
Dans l'espèce humaine, le pancréas est pourvu de
deux canaux excréteurs : le premier se jette dans le
canal cholédoque; le second va s'ouvrir séparément
dans le duodénum. Voici l'estomac d'un criminel, qui a
été conservé dans l'alcool : cet organe ayant appartenu
à un sujet sain, nous devons supposer qu'il offre une
disposition normale. Si nous introduisons deux petits
stylets d'argent dans les conduits pancréatiques, vous
les verrez apparaître h. la surface interne de l'intestin,
et il vous sera facile de constater leur direction. Leurs
<3xtiémités, comme vous le voyez, pénètrent dans le duo-
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 577
dénuiii, immédiatement au-dessous de la portion pylo-
rique : l'un des conduits est pourvu d'un orilice parti-
culier, tandis que l'autre se jette dans le canal biliaire.
Dans cette préparation, les deux conduits ont un égal
diamètre; mais, dans la majorité des cas, celui qui
s'anastomose avec le canal cholédoque est un peu plus
gros que l'autre. 11 existe enfin une anastomose directe
entre les deux conduits : cette anastomose, vous la
voyez nettement dans cette préparation. Il faut noter
cette disposition, puisque, lorsqu'on a lié l'un des canaux
excréteurs, la sécrétion passe par l'autre pour se jeter
dans le tube digestif.
Une disposition semblable existe chez le chien ; chez
cet animal, le pancréas est également muni de deux
conduits, dont l'un s'ouvre dans le duodénum, immé-
diatement au-dessus du canal cholédoque, tandis que
l'autre va rejoindre le canal biliaire : comme chez
l'homme, il existe une communication directe entre les
deux conduits. Un petit tubercule placé à la surface
interne de l'intestin indique le siège de l'orifice prin-
cipal commun au canal pancréatique et au canal bihaire;
immédiatement au-dessus existe un second tubercule
qui correspond à l'orifice du canal pancréatique acces-
soire ou indépendant. Voici l'estomac et le duodénum
d'un chien, sur lequel on peut contrôler cette disposi-
tion : il nous sera facile de vous démontrer par une
expérience directe l'anastomose des deux conduits. Si
l'on injecte, en effet, un liquide coloré dans l'un des ori-
fices, on le voit passer immédiatement par l'autre, ce qui
établit manifestement l'existence d'une communication.
CL. BERNARD — PllVSiol. Opéf. 37
578 APPAREIL DIGESTIF,
Nous introduisons une fine seringue dans l'orifice
principal et injectons de l'eau avec force; le jet apparaît
immédiatement par l'orifice voisin.
L'existence de cette particularité anatomique chez le
chien a été décrite il y a longtemps par de Graaf ; on
savait même qu'elle existait aussi chez l'homme. Meckel
a étahli que chez le fœtus il y a un double pancréas
auquel correspond un double canal : chez l'adulte, tou-
jours suivant le même auteur, cette bifidité disparaîtrait,
et il ne resterait plus qu'un seul conduit, les deux
glandes étant confondues en une seule. Bien que le
célèbre anatoiniste ait commis une erreur sur ce point,
je crois volontiers à la bifidité du pancréas à l'état
fœtal. J'ai trouvé qu'il en était ainsi dans la race ca-
nine; et l'existence chez le fœtus d'un double appareil
correspondant à un organe unique chez l'animal adulte
n'est pas chose rare. Chez les gallinacées, par exemple,
l'un des ovaires est atrophié quand l'oiseau est arrivé à
son développement complet.
Naturellement c'est le chien que Ton emploie d'habi-
tude dans les expériences sur la sécrétion pancréatique,
et c'est sur le conduit accessoire que l'on opère d'ordi-
naire. Voici la manière de procéder :
On fait sur la paroi abdominale une incision médiane
dans le voisinage du pylore. Un aide écarte les muscles
et l'opérateur saisit le duodénum avec une pince pour
le séparer des parties voisines et l'attirer hors de la
plaie. Le pancréas, dont les connexions intimes avec
cette portion du tube digestif nous sont bien connues,
sort ainsi de la cavité abdominale. On écarte les vais-
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 579
seaux, en prenant les plus grandes précautions pour ne
pasles blesser, et l'on met ainsi à nu une petite partie du
conduit accessoire. En ce point on peut inciser sans
irriter cette glande délicate que le moindre contact
enflammerait. Après avoir passé un fil dans le conduit,
on l'ouvre et l'on y lixe un tube d'argent au moyen d'une
ligature; il est souvent nécessaire d'attacher le tube en
deux points différents afin de l'empêcher de s'échap-
per. Le duodénum et le pancréas sont alors soigneuse-
ment replacés dans la cavité abdominale; seule, l'extré-
mité de la canule sort encore par la plaie. Cette canule
doit avoir de quatre à cinq pouces de long et être
pourvue d'un stylet qui l'empêche de se boucher.
La sécrétion pancréatique n'a pas été examinée seu-
lement dans l'espèce canine; ses propriétés ont été
étudiées aussi chez d'autres animaux.
Chez le chat, la disposition des canaux est tellement
irrégulière, qu'elle défie toute description ; la plupart
du temps il y en a plusieurs. Chez !e lapin, leur situation
est éminemment favorable à l'expérimentation : ils
s'étalent, en effet, en éventail sur le mésentère, avant
de pénétrer dans le duodénum ; rien de plus facile dès
lors que de les ouvrir et d'y placer un tube. La prépa-
ration anatomique que nous plaçons ici sous vos yeux
met en lumière cette disposition.
Chez le bœuf, le pancréas est également pourvu d'un
grand nombre de conduits excréteurs; la plus grande
partie de ceux-ci s'anastomosent avec l'appareil biliaire:
les uns se jettent dans le canal cholédoque, les autres
arrivent dans la vésicule biliaire elle-même. Assez sou-
580 AlTARIilL DIGESTIF.
vent, les conduits biliaires sont en rapport avec de petites
glandes pancréatiques qui déversent dans leur cavité le
produit de leur sécrétion. Toutefois, il existe toujours
au moins un conduit indépendant, qui s'ouvre séparé-
ment dans le duodénum; c'est sur lui que l'on opère;
mais, même après avoir lié la plupart des canaux acces-
soires, il est impossible de recueillir la totalité du liquide
sécrété parle pancréas: une grande quantité de celui-ci
passe directement dans la vésicule biliaire. Voici le
duodénum d'un bœuf avec les portions voisines de
l'estomac; vous voyez dans cette préparation les con-
duits pancréatiques s'anastomoser largement avec les
différentes ramifications du canal biliaire.
Le procédé que nous venons de décrire pour recueillir
le suc pancréatique diffère totalement de celui que de
Graaf avait adopté. Dans ses recherches sur ce sujet, il
avait l'habitude de faire une large incision sur les parois
abdominales, de manière à amener l'issue de toute la
masse intestinale; après avoir séparé le pancréas des
parties voisines, il introduisait un tube dans le conduit
principal; mais les résultats de celte opération quelque
peu brutale semblent avoir vicié la sécrétion de la
glande, caria description qu'en donne de Graaf est loin
de concorder avec les notions actuellement acquises
sur ce point.
D'autres observateurs ouvraient le duodénum pour
se procurer du suc pancréatique. Mais Tiedemann et
Gmeliu avaient déjà recours à l'opération que nous
venons de décrire, et ils ont pu obtenir ainsi une grande
quantité de liquide pancréatique sans léser Tintestin.
\
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 581
Les avantages qu'il y a à éviter cette blessure inutile
sont trop évidents pour avoir besoin d'explication.
Dans tous les cas, l'opération doit être pratiquée pen-
dant que l'animal est en pleine digestion. C'est à ce seul
moment, en effet, que la sécrétion a lieu à l'état sain.
Les nerfs du 'pancréas étant imparfaitement connus,
nous sommes hors d'étal de les soumettre au courant
électrique dans le but de stimuler l'activité de la glande.
D'autre part, il est de la plus haute importance d'ob-
tenir d'un seul coup une certaine quantité de cette sé-
crétion; car, si quelques heures se sont écoulées après
l'opération sans qu'on ait pu en recueillir, une inflam-
mation aiguë peut se produire, et l'on n'a plus à sa
disposition qu'une sécrétion viciée, au lieu du produit
normal de k glande. Dans la plupart des cas cepen-
dant, l'opération a pleinement réussi, les accidents ne
se sont pas produits, et l'animal a fourni une sécrétion
normale abondante pendant plusieurs jours.
Le fait anatomique qui permet à la bile de se mélanger
au suc pancréatique au moment même oîi il arrive dans
le duodénum, ce fait enlève toute valeur aux résultats
obtenus par les observateurs qui n'ont pas adopté dans
leurs expériences les précautions requises pour obvier à
cet inconvénient.
Nous vous avons dit que chez la plupart des ani-
maux le pancréas est double à l'état embryonnaire, et
que les deux parties de la glande se réunissent après la
naissance. L'existence d'un double canal pancréatique
chez l'homme et jes animaux supérieurs est sans doute
un vestige de cet état primitif. Nous avons reconnu, en
582 APPAREIL DIGESTIF.
effet, l'existence d'un double pancréas chez le fœtus du
chien et chez l'embryon de plusieurs autres animaux.
Chez les oiseaux, le pancréas est habituellement double;
le pigeon possède deux glandes pancréatiques situées
de chaque côté du mésentère, dans la courbure du
duodénum; une disposition semblable existe chez la
buse et en général chez les oiseaux de proie, ainsi que
chez plusieurs animaux domestiques. Chez les reptiles,
il y a aussi deux glandes pourvues chacune d'un canal
excréteur distinct. Chez l'homme et chez les animaux
supérieurs, les deux portions du pancréas étant réunies,
les deux conduits s'anastomosent ordinairement, excepté
dans quelques cas isolés.
Il nous reste maintenant à examiner si, ainsi que
divers auteurs l'ont supposé, il existe, indépendamment
de la glande principale, certains organes accessoires
destinés à la même fonction. En d'autres mots, y a-t-il
un pancréas Secondaire? Aselli résout la question par
l'affirmative, mais l'organe qu'il a pris pour une glande
n'est en réalitéqu^une simple agglomération de ganglions
lymphatiques abdominaux , agglomération qui existe
constamment chez le chien et quelques autres animaux,
mais qu'on ne retrouve pas chez Thomme. Le micro-
scope a démontré surabondamment que ce corps ne
présentait pas une structure glandulaire.
On a supposé que les petites glandes disséminées dans
la tunique muqueuse duduodénumjouissaient des mêmes
propriétés que l'appareil pancréatique: telle était l'opi-
nion de Brunner, qui leur a donné son nom.Danscecas,
comme cela est arrivé pour l'appareil salivaire, l'ana-
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 583
logie de structure a créé des notions fausses chez les
analomistes; car, en réalité, la sécrétion de ces petits
organes est essentiellement différente du suc pancréa-
tique. Pour justifier son assertion, Brunner avaitrecours
à l'expérience suivante : 11 essayait de détruire le pnn-
créas, dans l'espoir de provoquer un accroissement de
volume consécutif des glandes duodénales; car c'est un
fait bien connu que, toutes les fois qu'il existe des glandes
doubles, l'extirpation de l'une donne naissance à une
hypertrophie correspondante do l'autre. Qu'on enlève
un rein, l'autre devient plus gros: il en est de même
pour les testicules. Brunner supposait donc qu'après
la destruction du pancréas les glandes accessoires aug-
menteraient de volume; mais il n'a jamais réussi, dans
ses expériences, à extirper la totalité du pancréas; rien
n'est plus difficile, en effet, que d'enlever chez un animal
vivant cette portion de la glande qui siège en arrière de
l'estomac, dans le voisinage immédiat du tronc cœliaque
dont la moindre blessure provoque à l'instant même
une héinorrhagie mortelle. Brunner lui-même, en fai-
sant l'autopsie des animaux chez lesquels l'opération
avait été pratiquée, a pu se convaincre qu'il n'avait
détruit qu'une petite portion de la glande, celle quisiége
immédiatement derrière le tube intestinal.
Le problème n'a donc pas été résolu par cet obser-
vateur, qui n'a jamais pu réaliser les conditions néces-
saires de l'expérience; toutefois, une méthode diffé-
rente a permis à la physiologie moderne de constater
la différence essentielle de ces deux ordres de glandes.
Enlevez un fragment de la muqueuse duodénale, et
584 APPAREIL DIGESTIF.
faites-la macérer pendant un certain temps dans l'eau
tiède, vous obtiendrez ainsi un liquide épais, visqueux,
demi-opaque, qui ressemble tout à fait à de l'eau
imprégnée de salive. Au contraire, le liquide obtenu
par la macération du tissu pancréatique produit un
liquide totalement différent. On peut donc affirmer,
à coup sûr, que, loin de ressembler à l'appareil pan-
créatique, les petites glandes de Brunner jouent un
rôle entièrement distinct dans le travail de la diges-
tion.
Examinons maintenant les propriétés pbysico-chimi-
ques de la sécrétion pancréatique. Le lapin que nous
vous présentons ici a subi l'opération décrite précédem-
ment : le tube introduit dans l'ouverture fistuleusenous
fournit une quantité abondante de ce liquide ; car, ainsi
que je vous l'ai déjà fait remarquer, le lapin appartenant
à cette classe d'animaux dont l'estomac n'est jamais
vide, les interruptions qui se produisent chez lui dans
le travail digestif diminuent à peine l'écoulement de la
sécrétion, contrairement à ce qui a lieu dans les autres
espèces. En outre, chez les herbivores on peut recueillir
une quantité de suc pancréatique beaucoup plus consi-
dérable que chez les carnivores. Ces derniers ne pren-
nent généralement qu'un seul repas dans les vingt-quatre
heures, tandis (^ue les premiers ne font que manger
toute la journée. Chez les chiens, par exemple, ce n'est
que par intervalles que nous pouvons nous procurer de
ce liquide, et cela immédiatement après le repas quoti-
dien de l'animal.
Le suc pancréatique que je vijns de retirer du con-
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUK. 585
duit excréteur de ce lapin esl limpide, visqueux, inco-
lore, et s'écoule, comme vous le voyez, en grosses
gouttes ; il n'a pas d'odeur particulière, et son goût est
légèrement salé; avec les réactifs ordinaires, il donne
une réaction fortement alcaline. La chaleur et les
acides le coagulent rapidement : si l'on présente le tube
qui le contient à la flamme d'une lampe à esprit-de-vin,
il se prend au bout de quelques secondes en une masse
solide. Si l'on y verse quelques gouttes d'acide nitrique,
on obtient le même résultat. La sécrétion pancréatique
présente donc, comme vous le voyez, tous les caractères
d'un liquide albumineux, et la présence d'une matière
albuminoïde est probablement la cause de sa viscosité.
Lorsqu'on expérimente sur le pancréas, il est néces-
saire de se souvenir d'un précepte qui s'applique égale-
ment aux opérations analogues que l'on pratique sur les
autres glandes. Quand cet organe est à l'état de repos,
les conduits restent remplis par le produit de la sécré-
tion; car les liquides visqueux, ne s'écoulant qu'avec
une grande difficulté, sont plus disposés que les autres
à demeurer stationnaires, quand la vis a tergo a cessé
d'agir, alors que les fonctions de la glande sont momen-
tanément suspendues. Si donc vous exercez une com-
pression sur le conduit, vous ferez sortir par le tube le
liquide resté jusque-là immobile, sans que pour cela il
se produise aucun acte sécrétoire. C'est ainsi (|ue le
physiologiste peut «Mre souvent amené à des erreurs con-
sidérables, s'il n'a pas pris soin de vider les conduits
avant de commencer une expérience. Supposez, par
exemple, que l'on cherche à savoir si la section de cer-
58G APPAUEIL DIGESTIF.
tains nerfs, qui aboutissent à la glande, amène une
cessation immédiate de sa fonction, ou si l'excitation
galvanique appliquée à une branche donnée provoque de
nouveau l'acte physiologique : ce simple fait que les
conduits sont pleins, peut tromper entièrement l'obser-
vateur : la galvanisation du nerf, ou une pression acci-
dentelle exercée sur la glande, peuvent faire sortir un
peu de liquide du tube, résultat que l'on attribuerait
probablement à une sécrétion récente, alors qu'on aurait
simplement affaire à un liquide déjà présent dans les
voies excrétoires avant le commencement de l'opéra-
tion.
Dans ses expériences sur le suc pancréatique, de
Graaf trouvait habituellement à ce liquide une réaction
acide : mais la méthode employée par cet observateur
étant, comme je l'ai déjà dit, très-imparfaite, le liquide
qu'il obtenait ne jouissait probablement pas de ses pro-
priétés normales. Il est toutefois surprenant que Tiede-
mann et Gmelin qui le recueillaient par le même pro-
cédé que moi-même, l'aient aussi trouvé acide dans la
majorité des cas. Vous voyez pourtant bien que nous
avons eu une réaction franchement alcaline avec le
liquide de l'animal ici présent ; et jamais je ne Tai
trouvée acide dans aucune de mes expériences. Il est
vraiment difficile d'expliquer l'erreur commise par ces
éminents physiologistes, erreur qui, selon moi, doit
avoir été le résultat d'un accident opératoire.
Il est intéressant de déterminer quelles sont les sub-
stances qui apparaissent dans la sécrétion pancréatique
après avoir été injectées dans les veines, et quelles sont,
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 587
au contraire, celles qui ne passent pas par cette sécré-
tion. En règle générale, toutes les substances qui passent
par le pancréas sont également éliminées par les glandes
salivaires : de même celles qui ne sont pas acceptées par
le premier de ces appareils sont également rejetées par
le second. Ainsi, le chlorate de potasse, l'iode et ses com-
posés passent également par les deux ordres de glandes.
Au contraire, leprussiale de fer, qui s'élimine par les
reins, n'apparaît ni dans la salive ni dans le suc pan-
créatique. Mais bien que, sous ce rapport, les sécrétions
salivaire et pancréatique se ressemblent, elles diffèrent
grandement l'une de l'autre à d'autres points de vue
importants. Ainsi, la salive ne s'écoule que par intermit-
tences, pour ainsi dire : elle apparaît quand les mâchoires
sont mises en mouvement, et disparaît avec la mastica-
tion; la sécrétion pancréatique, au contraire, coule sans
interruption pendant tout le travail de la digestion. Une
autre particularité qui le distingue de la sécrétion sali-
vaire, c'est le changement que subissent ses propriétés
au moment même de sa production : pendant le premier
temps de la digestion, elle est constituée par un liquide
manifestement visqueux et collant ; mais à mesure que
le travail digestif avance, son caractère change : elle
devient aqueuse et plus abondante, en même temps
qu'elle est proportionnellement moins coagulable. Ce
phénomène singulier est constant : il a été noté pour
d'autres sécrétions, pour les glandes manmiaires par
exemple. En effet, les premières gouttes de lait que tire
l'enfant renferment une proportion beaucoup plus grande
de matériaux solides que les gouttes qui suivent, bien
588 APPAREIL DIGESTIF.
que le liquide produit augmente sensiblement en
quantité.
Le pancréas étant doué d'une très-grande sensibilité,
le choix des animaux auxquels on doit recourir pour se
procurer son produit de sécrétion n'est pas indifférent.
Il faut les prendre dans les espèces qui supportent
le mieux la douleur et résistent le mieux à ce genre
d'opérations. En d'autres termes, un chien de berger
est préférable à un chien d'arrêt, à un lévrier et à tous
les chiens qui appartiennent à des races plus délicates.
Chez ces derniers, l'opération amène dans l'économie
des perturbations telles que ladigestion est soudainement
arrêtée, et que, par suite, la sécrétion pancréatique est
également suspendue; ou bien, si elle continue, elle
n'est plus normale et n'offre plus les caractères que nous
venons de décrire. Lorsque, au contraire, l'opération a
été pratiquée sur un animal plus vigoureux, nous voyons
que, tant que l'estomac reste vide, aucune sécrétion
n'apparaît et que le pancréas est à l'état de repos absolu.
Mais, à peine la digestion commence-t-elle que l'on voit
le liquide commencer à couler goutte à goutte par l'ori-
fice du tube introduit dans le canal pancréatique. Il est
d'abord épais et visqueux; mais à mesure que le tra-
\iii\ de la digestion avance, il devient plus abondant et
plus aqueux.
Nous allons répéter l'expérience devant vous, mes-
sieurs. Vous pourrez contrôler par vous-mêmes tous les
faits sur lesquels nous avons appelé votre attention.
L'animal qui va subir l'opération vient de manger.
C'est un gros chien de berger sur lequel nous pratiquons
SÉCRÉTION PANCRÉATIOUli. 589
l'opéralion suivant la méthode décrite plus haut. Le
duodénum et le pancréas ayant été attirés en dehors par
la plaie, nous trouvons ce dernier organe extraordinai-
rement rouge et vasciilarisé, ce qui prouve que l'activité
de la glande coïncide avec le travail de la digestion.
Après avoir isolé le conduit avec une grande précaution,
on l'ouvre avec une paire de ciseaux fins. On introduit
immédiatement un tube d'argent que l'on fixe par une
ligature ; les parois abdominales sont alors soigneusement
réunies par des sutures et, pour recueillir le produit de
la sécrétion, on adapte, à l'extrémité du tube, un petit
réservoir de caoutchouc. A ce moment quelques gouttes
de suc pancréatique s'échappent de l'orifice.
Nous examinerons dans notre prochaine réunion
le liquide fourni par cet animal. Ayant ainsi à notre
disposition une grande quantité de suc pancréatique,
il nous sera facile de démontrer ses principales pro-
priétés.
VINGT-NEUVIÈME LEÇON
Sommaire : Difficultés de conserver longtemps les fistules pancréatiques
en pleine activité. — Nécessité d'opérer simultanément sur un grand
nombre d'animaux lorsqu'on a besoin de grandes quantités de suc pan-
créatique. — Propriétés présumées de ce liquide chez l'homme. — Expé-
riences faites sur le pancréas des condamnés à mort. — Faits cliniques
qui viennent à l'appui des résultats obtenus par ce moyen. — Propriété
fondamentale de la sécrétion pancréatique. — Émulsion des matières
grasses. — Aucun autre liquide de l'économie n'est doué de la même
propriété. — Les sécrétions alcalines exercent sur les substances grasses
une action particulière différente de celle du suc pancréatique. — La
nature des fonctions du pancréas se déduit naturellement de ces faits. —
Elîets de la ligature des conduits pancréatiques chez les animaux exclu-
sivement nourris de substances grasses. — Résultats analogues observés
dans les cas de cancer du pancréas. — Influence du système nerveux
sur la sécrétion pancréatique.
Des connexions de l'appareil biliaire avec les conduits pancréatiques. —
De sa disposition anatomique chez les différents animaux. — Diverses
manières de recueillir la bile. — On la retire habituellement de la
vésicule biliaire. — Objections à l'emploi des anesthésiques. — La bile
est sécrétée pendant les intervalles de la digestion. — Cela est prouvé par
les expériences sur les limaçons. — Fistules biliaires. — On les pratique
Généralement dans le but d'empêcher la sécrétion de passer dans le duo-
dénum. — Importance de cette sécrétion dans le travail de la digestion.
Opinion de Haller. — Expériences de Schwann, Çlondlot, Tiedemann et
Gmelin. — M. Blondlot croit que la bile est un produit excrémeutitiel.
— Expériences propres de M. Cl. Bernard sur ce point. — Le procédé
opératoire qu'il a adopté permet de suspendre et de rétablir alterna-
tivement le passage de la bile dans l'intestin. — Difficulté d'arriver à
une conclusion positive par de semblables expériences.
Messieurs,
Nous vous avons montré dans notre dernière réunion
la manière de recueillir le suc pancréatique et le pro-
cédé opératoire qu'il convient de suivre dans ce but.
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 591
Le chien sur lequel l'expérience a été pratiquée est
encore vivant, et la plaie de l'abdomen est, comme
vous le voyez, presque complètement cicatrisée. Mal-
heureusement, le canal pancréatique ayant été coupé
par la ligature destinée à fixer au tube un réservoir de
caoutchouc, nous n'avons pu, par suite de cet acci-
dent, recueillir autant de liquide que nous aurions
voulu; mais nous eu avons suffisamment poiir toutes
nos expériences pratiques. Nous pourrions même répé-
ter l'opération plusieurs fois de suite chez le même
chien, sans inconvénient sérieux, puisque l'animal, lors-
qu'il est bien choisi, souffre rarement beaucoup, mal-
gré la nature délicate des organes blessés. Le péritoine
du chien est loin d'être aussi sensible que celui de
l'homme, ou même que celui du cheval; aussi, chez
ce dernier, est-il presque impossible d'établir une fistule
pancréatique sans encourir un grand danger d'é-
chouer. Les ouvertures permanentes de cette nature
ne persistent pas longtemps, même chez le chien,
à cause de la rapidité de la cicatrisation. ïl en résulte
que l'opération doit être répétée plusieurs fois sur le
même animal, ou bien que l'on doit employer plusieurs
animaux à la fois, si l'on veut recueillir la sécrétion en
grande quantité.
On rencontre parfois chez l'homme des fistules spon-
tanées du canal pancréatique, mais elles sont rares.
J'ai moi-même observé deux cas dans lesquels on sup-
posait que cette lésion s'était produite. Chez l'un des
malades, on avait remarqué que, lorsque les organes
digestifs étaient à l'état de repos, aucun liquide nes'é-
592 APPAREIL DIGESTIF.
chappait par l'orifice fistuleux ; mais quand l'estomac
entrait en activité à la suite de l'ingestion des aliments,
une sécrétion abondante s'écoulait par l'ouverture, et
cela en quantité telle que le malade était obligé de se
garnir constamment avec une serviette. En examinant
ce liquide, j'ai trouvé qu'il était franchement alcalin ;
mais, en dehors de cette propriété, il ne ressemblait
nullement au suc pancréatique, ni à aucune autre sécré-
tion normale de l'économie.
Le suc pancréatique de l'homme est-il identique à
celui des animaux? Je suis disposé à répondre à cette
question par l'affirmative; si des différences ont été
observées, je penche, comme dans le cas précédent, à
soupçonner fortement qu'elles sont imputables à l'état
pathologique de la glande chez les hommes porteurs
d'un orifice fistuleux. En effet, en faisant macérer
dans l'eau tiède le pancréas de condamnés à mort, on
obtient un liquide entièrement semblable au suc pan-
créatique de l'espèce canine. A l'état normal donc, la
sécrétion chez l'homme et le chien ne diffère sous aucun
rapport; et cela ne doit pas nous étonner, puisqu'il en
est absolument de même du suc gastrique.
Voici une abondante quantité de suc pancréatique
recueilli chez le chien sur lequel nous avons opéré il y
a quelques jours. Vous voyez qu'il donne une réaction
alcaline des plus nettes, propriété qu'on retrouve con-
stamment dans ce liquide à l'état sain. Un autre de ses
caractères est de subir rapidement des altérations chi-
miques, et cela peut-être plus vite qu'aucune autre
sécrétion de l'économie. Au milieu des modifications
suc PANCRÉATIQUE. 593
dont il est le siège, il y a certaines particularités qui mé-
ritent d'attirer notre attention. Lorsqu'il se refroidit, on
voit bientôt se produire un précipité ; la composition
chimique de ce dernier n'est pas parfaitement connue;
suivant M. Robin, il est formé de laclate de chaux. 11 est
constitué en effet par de petits cristaux prismatiques.
Dans le tube que je tiens en ce moment, ils sont parfaite-
ment visibles à l'œil nu, sous l'apparence de petites gra-
nulations blanchâtres. Une autre modification importante
de la sécrétion pancréatique peu de temps après son
extraction est la diminution de sa coapfulabilité sous
l'influence de la chaleur. Lorsqu'elle vient d'être re-
cueillie par la fistule, elle se prend en une masse solide
après avoir été exposée quelques instants à la flamme
d'une lampe à alcool ; mais lorsqu'elle a séjourné un
certain temps en dehors de l'économie, cette propriété
diminue rapidement.
Mais la propriété fondamentale et caractéristique du
suc pancréatique, celle qui le distingue de toutes les
autres sécrétions, consiste dans la faculté de former une
émulsion avec les substances grasses et les huiles. Si
nous ajoutons un peu d'huile au suc pancréatique con-
tenu dans ce tube, vous voyez se produire sur-le-champ
une émulsion blanche qui persistera pendant un temps
considérable. Cette singulière propriété est particulière
au suc pancréatique et n'existe ni dans la salive, ni dans
le suc gastrique, ni dans la bile. Il est vrai toutefois que
les sécrétions alcalines (la salive et la bile, par exemple)
produisent des effets analogues en saponifiant partielle-
ment les matières grasses avec lesquelles elles sont mises
CL. BERNAKD. — Phjsiol. Opéf. ;j^
594 APPAREIL DIGESTIF.
en contact. Mais, dans le liquide pancréatique, cette
propriété 'existe indépendamment de sa nature alcaline ;
l'émulsion produite est d'une nature différente, et n'est
pas le simple résultat d'une combinaison chimique. Ce
fait nous permet de nous rendre compte des principaux
usages du pancréas dans l'économie. Il sert surtout à la
digestion des graisses, lesquelles ne peuvent pénétrer
dans les vaisseaux absorbants qu'à l'état d'émulsion.
Lorsqu'on lie les conduits pancréatiques chez un chien
et qu'on le nourrit ensuite de matières grasses, on re-
trouve ces matières non-digérées dans les excréments.
Les observations cliniques confirment sous ce rapport
les résultats des recherches expérimentales ; chez les
malades atteints de cancer du pancréas, on retrouve
souvent une matière huileuse dans les selles : c'est pro-
bablement le résidu des matières grasses qu'ils n'ont
pas pu assimiler.
Nous connaissons maintenant complètement les prin-
cipales propriétés de la sécrétion pancréatique; il nous
reste à examiner ses rapports avec le système nerveux.
A ce point de vue, elle diffère essentiellement des autres
sécrétions que nous avons étudiées jusqu'ici. Les remar-
quables effets de l'innervation sur la production de la
salive et du suc gastrique vous ont été exposés tout au
long; mais l'influence du système nerveux sur l'appa-
reil pancréatique parait être d'un ordre totalement diffé-
rent. Lorsqu'on agit sur les nerfs de cet organe, qu'on
les excite par le courant galvanique ou qu'on les para-
lyse par une section transversale, le résultat est abso-
lument le même : la sécrétion devient abondante et
SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 595
ininterrompue, et une diarrhée proluse est la cons«?-
quence de l'opération. L'extirpation des ganglions semi-
lunaires produit des effets semblables : dans ces condi-
tions le liquide pancréatique n'a plus ses propriétés
physiologiques normales. Il existe une différence fonda-
mentale entre les glandes salivaires et le pancréas: dans
ces deux ordres d'organes, la section du sympathique
accélère la circulation; mais dans l'appareil salivaire la
sécrétion est loin d'être modifiée de la même manière.
Lorsque le pancréas, dont les fonctions sont intermit-
tentes à l'état sain, est ainsi amené à fournir une sécré-
tion continue, le produit qu'il déverse n'est plus un
liquide normal : c'est une matière aqueuse, qui ne pos-
sède aucune des propriétés caractéristiques du suc pan-
créatique. Nous trouvons dans ce fait expérimental une
confirmation des idées générales que nous avons expri-
mées ailleurs sur le mécanisme des sécrétions. Nous ad-
mettons que tous les organes sécréteurs produisent une
substance spéciale et caractéristique, qui est emportée
par un courant intermittent. Il est donc de toute néces-
sité que la glande jouisse de certains intervalles de
. repos, pendant lesquels se forme ce composé particulier;
quand le moment de la sécrétion arrive, il se fait un
afflux sanguin abondant qui emporte le produit spécial
de la glande, par une sorte d'exsudation profuse. Mais
quand la sécrétion est rendue continue, tout à coup,
la substance caractéristique ne se forme plus dans la
glande, et le véhicule aqueux s'échappe seul de l'appa-
reil sécrétoire.
Vous voyez, messieurs, que le grand objet de toutes
596 APPAREIL DIGESTIF.
les opérations que nous avons pratiquées devant vous
a été d'examiner en dehors de l'économie les diverses
sécrétions qui concourent au travail de la digestion.
C'est à Réaumur et à Spallanzani que revient l'honneur
de cette nouvelle méthode d'investigation : c'est par eux
qu'elle a été inaugurée pour la première fois, et aujour-
d'hui nous avons à notre disposition des procédés opé-
ratoires au moyen desquels nous pouvons nous procurer
presque toutes les sécrétions qui se rapportent à la
digestion. C'est ainsi que nous sommes en état, non-seu-
lement d'examiner avec soin et de constater avec certi-
tude les propriétés de chacune d'entre elles, mais encore
de les imiter et de préparer artificiellement les liquides
digestifs. Dans une certaine mesure, ces sécrétions peu-
vent être obtenues en dehors des manœuvres opératoires
que nous avons décrites et pratiquées devant vous, en
faisant simplement macérer les organes dans l'eau ; mais
jamais on ne les a en aussi grande quantité et à un état
de pureté aussi parfait que lorsqu'on emploie la mé-
thode ordinaire.
L'histoire expérimentale de la sécrétion pancréatique,
étant ici terminée, un autre liquide, non moins intéres-
sant, appelle maintenant notre attention : nous voulons
parler de la sécrétion biliaire. Les connexions intimes
qui existent entre l'appareil excréteur du foie et celui
du pancréas, les nombreuses anastomoses qui unissent
leurs conduits et permettent à leurs sécrétions de se mé-
langer largement l'une à l'autre, enfin la nature distincte
de leurs fonctions font de cette étude le complément
I
SI-CRÉTION BlLlAIRli. 597
indispensable de celle que nous avons récemment ter-
minée. Tel est le motif qui nous amène à finir celte
dernière leçon par cet important sujet.
La bile se déverse dans le tube intestinal par un seul
orifice, dont la situation est constamment la môme : il
est placé au-dessous du pylore. Chez aucun animal elle
ne passe en un autre point, contrairement à ce qui a
lieu pour le suc pancréatique : cette disposition anato-
mique persiste dans toute l'échelle des êtres vivants.
Voici l'estomac et le duodénum d'un lapin : vous
pouvez juger par cette préparation combien est consi-
dérable la distance qui sépare chez cet animal l'orifice
biliaire de l'orifice pancréatique. Toutefois, il n'en est
pas toujours ainsi ; car, dans beaucoup d'autres espèces,
le canal cholédoque est uni à l'appareil pancréatique
par un grand nombre d'anastomoses. Chez les animaux
dépourvus de pancréas (la carpe, par exemple), Weber
suppose que les deux organes se confondent en un seul
appareil; beaucoup d'autres poissons otfrent une sem-
blable disposition.
Il est beaucoup plus facile de se procurer la bile en
grandes quantités qu'aucune autre sécrétion intestinale.
Le foie étant l'un de ces organes que la nature a pourvus
dun réservoir, la méthode lapluscommode pour recueillir
sa sécrétion consiste à ouvrir la vésicule biliaire immé-
diatement après la mort. Ou peut ainsi étudier à l'aise
ses propriétés physiques et chimiques. Toutefois, chez
certains animaux, la vésicule biliaire fait défaut: elle
manque chez le cheval, alors que chez le bœuf elle
atteint des proportions prodigieuses. Les raisons de
598 APPAREIL DIGESTIF.
cette différence ne nous sont pas connues ; mais les
animaux privés de vésicule biliaire ont des conduits
excréteurs extrêmement lâches, ce qui permet à la bile
de les distendre et de s'accumuler dans leur cavité.
Pour opérer sur les animaux vivants, on pourrait
songer aux anesthésiques ; mais le liquide obtenu de
cette manière n'a pas ses propriétés normales. Comme
vous le savez, toutes les sécrétions ont lieu sous l'in-
fluence de certaines excitations physiologiques : la salive
s'écoule pendant la mastication, le suc pancréatique
pendant la digestion. Les causes qui agissent sur la
sécrétion biliaire sont inconnues jusqu'ici; cette sécré-
tion a lieu pendant l'intervalle des digestions : chez les
animaux pourvus d'une vésicule biliaire, le liquide
s'accumule dans cette poche pendant le jeûne et en
sort aussitôt que les aliments arrivent dans l'estomac ;
dans d'autres espèces, il distend simplement les canaux
biliaires. Lors donc qu'on veut en recueillir de grandes
quantités, il faut que l'animal n'ait [)as mangé depuis
un certain temps.
Aussitôt que la digestion commence, la bile s'échappe
de son réservoir et tombe dans le duodénum ; mais il ne
s'en forme plus dans le foie, qui commence alors à exer-
cer une autre fonction, à savoir la production du sucre
de raisin. Il est facile de contrôler ce fait chez les ani-
maux inférieurs. J'ai découvert chez le limaçon l'exis-
tence de ces deux sécrétions diff'érentes, qui ont lieu
alternativement. Le sucre se forme pendant la diges-
tion ; la bile, au contraire, est produite pendant l'absti-
nence et coule dans l'estomac. Quand les aliments
SÉCRl'TION BILIAIRE. 599
arrivent dans ce dernier, ils y rencontrent la bile qui
s'y est accumulée à l'avance, et la digestion commence.
Mais la sécrétion biliaire est alors suspendue, en sortt^/
que l'animal, lorsqu'il ne mange pas, prépare pour
ainsi dire une provision de ce liquide pour son prochain
repas.
Les opérations pratiquées dans le but de recueillir la
bile chez les animaux vivants ont eu, la plupart du
temps, pour objet de l'empêcher de suivre son cours
naturel; car pour étudier ses propriétés particulières,
il est en général beaucoup plus commode de prendre la
vésicule bihaire d'animaux récemment tués. Les phy-
siologistes ont donc essayé de s'opposer au passage de
la bile dans le duodénum, afin de déterminer si elle
joue un rôle dans le travail de la digestion. En effet,
plusieurs auteurs croient que ce liquide n'est qu'une
matière excrémentitielle sans aucun rapport avec l'as-
similation des aliments. M. Blondiot, en particulier,
s'est fait remarquer parmi les partisans de cette opi-
nion par la publication d'une série d'articles ayant pour
titre : « De l'inutilité de la bile dans la dioeslion. »
Haller, au contraire, en raison des dispositions anato-
miques que nous venons de décrire, avait été amené à
admettre que la bile jouait réellement un rôle important
dans cette fonction : il croit qu'il est impossible qu'un
liquide excrémentitiel puisse être versé dans les portions
supérieures du tube intestinal. Mais de tels arguments
n'ont pas de valeur réelle en physiologie, et en cas de
doute il faut recourir aux vivisections. Schwann et
Blondiot ont entrepris simultanément des expériences
600 APPAREIL DIGESTIF.
intéressantes sur ce sujet. Sch^vann opère simplement
sur la vésicule biliaire elle-même; or vous savez que le
conduit commun est indépendant de celui qui émerge du
réservoir biliaire : il s'anastomose avec ce dernier de
manière à permettre le passage du liquide ([u'il porte
dans la vésicule, ou à laisser la bile contenue dans
celle-ci pénétrer, à un moment donné, dans le duo-
dénum; il continue donc néanmoins à charrier vers
l'intestin la sécrétion biliaire qui vient directement
du foie, alors que le réservoir glandulaire a été
perforé.
C'est pourquoi Tiedemann et Gmelin liaient le con-
duit commun immédiatement au-dessus de son oriûce
externe, afin de s'opposer au passage de la bile dans le
duodénum; mais cette opération produit des désordres
pathologiques : les conduits biliaires se distendent, la
sécrétion s'accumule dans les canaux qui la renferment,
et l'animal est atteint tout d'abord d'ictère. Puis, au
bout d'un certain temps, la rupture du conduit com-
mun est la conséquence de cette distension inaccou-
tumée; et l'animal succombe rapidement à la péritonite
qui résulte de cet accident. Dans quelques cas, toutefois,
la ligature tombe, la perméabilité est rétablie, et les
fonctions i-eprennent leur cours normal.
Pour éviter cet inconvénient, il faut pratiquer une
ouverture qui permette à la sécrétion de s'échapper,
alors que son cours naturel est interrompu. M. Blondlot
a adopté dans ce but un procédé différent. 11 lie le canal
cholédoque en deux points séparés; la bile, ne pouvant
plus ainsi passer dans le duodénum, s'accumule dans le
SliCRÉTION BILIAIlxli. 601
vésicule biliaire. On provoque alors des adhérences de
celle-ci avec la paroi abdominale, exactement comme
l'on fait lorsqu'on opère les kystes hydaliques par la mé-
thode de Récamier, méthode qui consiste en applica-
tions successives de potasse caustique. On ouvre alors la
vésicule, et l'on entretient Touverlure au moyen d'un
tube qu'on y introduit. Les desiderata de l'expérience
sont ainsi comblés avec succès; et dans ces conditions
la vie peut être prolongée pendant un temps considé-
rable. Cependant les résultats obtenus parles différents
observateurs ne concordent pas toujours.
Le premier effet de l'opération est une atrophie com-
plète de la vésicule biliaire, qui se trouve réduite aux
proportions d'un simple canal excréteur d'où la bile
s'écoule continuellement; mais bientôt ensuite, d'a-
près Schwann, les animaux deviennent excessivement
voraces; ils maigrissent, sont pris d'une diarrhée pro-
fuse et succombent plus ou moins vite. Chez les jeunes
animaux la terminaison fatale se produit dans un espace
de temps plus court que chez les adultes. Dans quelques
cas on a vu les sujets recouvrer entièrement leur santé
antérieure; mais Schwann a reconnu que ce résultat
était invariablement dû au rétablissement de la per-
méabilité des conduits et au passage consécutif de la bile
dans le duodénum.
Les résultats des expériences de M. Blondlot sont
diamétralement opposés à ceux que je viens de décrire.
[1 dit que, chez un grand nombre de chiens sur lesquels
l'opération avait été pratiquée, la santé avait continué à
se maintenir parfaite, bien que les canaux ne se fussent
00^ APPAREIL DIGESTIF.
pas rétablis. 11 attribue la mort des animaux de
Schwann à ce qu'ils léchaient leur plaie et avalaient
ainsi la bile qui s'en écoulait : habitude qui produit
rapidement de fatals effets. Il évite donc ce danger en
muselant l'animal, ce qui l'empêche effectivement de
lécher sa blessure.
D'autres observateurs, et moi-même entre autres,
ont obtenu des résultats qui s'accordent avec ceux de
Schwann ; mais il est certain, quoi qu'il en soit, que la
mort n'est pas une conséquence immédiate des fistules
biliaires, et n'a lieu qu'après un laps de temps considé-
rable. Voici un chien sur lequel l'opération a été prati-
quée. La plaie est aujourd'hui guérie (bien entendu il
reste un orifice fîstuleux) : vous voyez que sa santé ne
paraît pas avoir souffert de l'expérience.
La méthode adoptée par Schwann et Blondlot offre
un inconvénient frès-sérieux : nous voulons parler de
l'interruption définitive du passage de la bile dans l'in-
testin, sans qu'il y ait possibilité de rétablir l'ordre na-
turel des choses. Dans mes propres expériences, j'ai
trouvé plus avantageux d'introduire une canule dans le
canal cholédoque lui-même. Après avoir provoqué les
adhérences d'après la manière usuelle, on incise le canal
et l'on introduit dans la plaie un gros tube, ouvert aux
deux extrémités et pourvu également d'une ouverture
latérale. Lorsqu'on veut laisser passer, comme d'habi-
tude, la bile dans le duodénum, on bouche l'orifice
«xterne, et la bile coule dans l'intestin par l'ouverture
latérale. Si. au contraire, on veut empêcher cet écoule-
ment, on introduit dans le tube un autre tube plus petit,
SÉCRliTIOX BILIAIRE. 008
qui le remplit assez exactement pour fermer l'orifice
latéral; la bile sort alors entièrement de l'économie, et
pas une seule goutte n'arrive à l'appareil digestif. Cette
méthode offre toutefois un inconvénient sérieux: le tube
s'échappe fréquemmentdu canal quand l'animal se remue
et s'agite après l'opération. Aussi avons-nous adopté le
procédé suivant : nous plongeons le tube dans la vésicule
elle-même, après avoir préalablement lié le conduit com-
mun ; nous ouvrons alors le duodénum et nous y plaçons
une canule : les deux fistules sont mises en communi-
cation l'une avec l'autre par un tube de caoutchouc.
En somme, toutes ces expériences ne peuvent pas
nous permettre de décider si la bile est réellement une
excrétion ou une sécrétion; les résultats ne sont pas
assez importants pour que nous puissions formuler sur
ce point un jugement, comme nous l'avons fait pour les
autres glandes. Mais l'une des principales différences
qui distinguent les sécrétions des excrétions, c'est la for-
mation, dans le produit glandulaire, de substances par-
ticulières qui n'existent pas dans le sang. Cette propriété
de créer de nouveaux composés chimiques appartient
exclusivement aux organes de sécrétion. Or, à ce point
de vue, la bile appartient évidemment à la classe des
sécrétions : les substances nombreuses qu'elle renferme
n'existent pas dans le torrent circulatoire.
L'influence du système nerveux sur la sécrétion
biliaire est peu connue jusqu'ici; mais l'apparition de
l'ictère à la suite des émotions morales vives semble
donner une preuve irrécusable du pouvoir exercé par
les nerfs sur le foie comme sur les autres glandes.
604 APPAREIL DIGESTIF.
Le plan de ce cours, messieurs, n'imjilique pas une
étude complète des propriétés physiologiques des liquides
digestifs. Notre but a été de vous montrer les différents
procédés opératoires qui permettent au physiologiste de
les recueillir. Nous avons maintenant terminé l'histoire
de ces diverses substances, au point de vue expérimental
du moins; car la sécrétion des glandes de l'intestin
n'est pas facile à obtenir et ne donne lieu qu'à peu d'o-
pérations sur le sujet vivant. Dans la prochaine session,
nous reprendrons ce cours, et, comme d'habitude, nous
pratiquerons toutes nos expériences devant vous. L'ap-
pareil digestif ayant été étudié entièrement, nous appel-
lerons votre attention sur les principales propriétés de
la moelle épinière et du système nerveux en général.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
Préface, par M. Mathias Duval v
Introduction xi
PREMIÈRE PARTIE
LA PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET LES VIVISECTIONS EN GÉNÉRAL
PREMIÈRE LEÇON
Sommaire : Nécessité d'établir une technique opératoire en physiologie. —
Plan de ces Leçons. — De la phijsiologie et de ses rapports avec la méde-
cine.— De l'expérimentation en physiologie. — Difficultés des expériences.
— De l'empirisme. — Des sciences pures et des sciences appliquées.
La médecine est une science appliquée. — Des progrès de la physiologie.
— De son caractère scientifique 1
DEUXIÈME LEÇON
.Sommaire : De la méthode expérimentale. — Observation et expérience. —
L'expérience est une observation provoquée. — Il n'y a pas de distinction
absolue entre l'observation et l'expérience. — Induction et déduction. —
Complexité des phénomènes à étudier chez les êtres vivants. — De l'usage
lies hypothèses en physiologie expérimentale. — État d'esprit nécessaire
à l'institution de bonnes expériences 23
TROISIÈME LEÇON
Sommaire : Qu'est-ce qu'un fait? — Distinction du fait et dn jugement
auquel il donne lieu. — Exemples empruntés à l'histoire de la physiologie
pour montrer la différence du fait cl de son interprétation. — Nécessité
d'instituer une critique expérimentale. — Du déterminisme. — De la mé-
thode numérique. — Perfectionnements des procédés d'observation. —
Méthode graphique. — Des conditions ou causes des phénomènes 40
QUATRIÈME LEÇON
Sommaire : La nosologie aux temps anciens. — Union actuelle de la médecine
et de la physiologie expérimciilale. — Celte union intime est déjà indi-
606 TABLE DES MATIÈRES.
quée dans le frontispice du livre de Régnier de Graaf. — Des emprunts
que la physiologie doit faire à la physique et à la cliitnie. — Des labora-
toires de physiologie expérimentale. — Histoire des laboratoires. — Des
vivisections. — Histoire des vivisections. — Choi.x des animaux sur les-
quels portent les vivisections. — Les résultats des vivisections pratiquées
sur les animaux sont applicables à la physiologie de l'homme. — Dans
quelles limites peuvent se faire ces applications. — Réfutation des attaques
dont les vivisections ont été l'objet 56
CINQUIÈME LEÇON
Sommaire : Nécessité des expériences de contrôle. — Détermination du
rôle des vivisections en physiologie expérimentale. — Des inductions
anatomiques. — Comment on localise les phénomènes de la vie. — Com-
ment on les explique. — Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des actes
physico-chimiques. — Impulsion donnée à la physiologie générale par
les découvertes de Lavoisier. — De l'emploi des poisons pour porter
l'analyse expérimentale jusque sur les éléments anatomiques. — De la vie.
— Théories anciennes sur la vie. — La vie réside dans les éléments
anatomiques. — La vie totale de l'individu est la somme des vies partielles
des éléments de tissus. — Objet de la physiologie expérimentale "H
DEUXIÈME PARTIE
PRÉHENSION ET CONTENTION DES ANIMAUX.
INSTRUMENTS , APPAREILS ET OPÉRATIONS D'UN USAGE GÉNÉRAL
DANS LES VIVISECTIONS.
SIXIÈME LEÇON
Sommaire : Opérations préliminaires à toutes les vivisections. — Choix dp>
animaux destinés aux vivisections. — Préhension des animaux. — Chiens :
manière de les saisir (pince à collier, nœuds coulants, etc.); manière de
les museler. — Chats : manière de les saisir (emploi du chloroforme»;
manière de les museler. — Lapins et autres animaux de petite taille. —
Oiseaux 102
SEPTIÈME LEÇON
Sommaire : De la contention des animaux. — Contention mécanique et con-
tention physiologique. — Appareils de contention mécanique employés par
Vésale, par Régnier de Graaf. — Ligature des membres. — Diverses tables
à vivisection. — Gouttières diverses de Schwann, de Pirogoff, de Blondlot.
— Table à vivisection de Cl. Bernard. — Figures montrant la disposition
de divers animaux sur cette table. — Transformation de cette table en
TABLE DES MATIÈRES. 607
diverses formes de gouttières. — Installations des animaux sur ces gout-
tières (figures). — Nouvelle gouttière brisée de Cl. Bernard. — Dispositions
des animaux sur la gouttière brisée. — Détails sur les mors employés pour
le chien. — Contention du lapin. — Appareil de Czermak. — Préhension
et contention des grands animaux : cheval (morilles, bricole, entravons, etc.) ;
6œ«/" (travail) : 113^
HUITIÈME LEÇON
Sommaire : Contention physiologique des animaux. — Emploi des alcaloïdes
de l'opium. — Comment il faut tenir compte, dans l'interprétation des
expériences, des effets propres aux agents de contention. — Emploi de
l'éther et du chloroforme. — Du chloral. — Muselières pour l'aneslhésie
du chien. — Éthérisation du lapin, du chat. — Bocal pour l'éthérisation
des animaux de petite taille. — .\nesthésie par l'eau chaude. — Combi-
naison du chloroforme et de la morphine. — Emploi du curare. — Avantages
de l'emploi du curare. — Anesthésic par compression du cerveau. — Appré-
ciation générale des moyens de contention 149
NEUVIÈME LEÇON
Sommaire : Appareils et instruments d'un usage général dans les vivisec-
tions. — Scalpels, pinces, crochets, scies. — Appareils pour les injections.
— Seringues à vis. — Perce-plèvre de Magendie. — Canules diverses. . 182
DIXIÈME LEÇON
Sommaire : Opérations d'un usage général dans les vivisections. — Des itici-
sio)is (maniement du scalpel, des ciseaux, etc.). — Des sutures. — Manuel
opératoire des injections. — Injections hypodermiques. — Injections sous-
cutanées de gaz. — Quelques considérations générales sur les résultats
obtenus par les injections sous-cutanées I9S
ONZIÈME LEÇON
Sommaire : Des autopsies en physiologie expérimentale. — Procédés pour
sacrifier les animaux (injections veineuses d'air, d'acide prussique, section
du bulbe). — Emploi de la respiration artificielle. — Appareils pour la
respiration artificielle. — Appareils divers que l'expérimentateur doit tou-
jours avoir tout préparés sous la main. — Balance, microscope, pompe
à mercure, appareils enregistreurs. — Appareils électriques 220
608 TABLE DES M\TIÈi{ES.
TROISIÈME PARTIE
PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL CIRCULATOIRE SANGUIN
ET LYMPHATIQUE. — SYSTÈME CAPILLAIRE, — ABSORPTION DES
POISONS COMME MOYENS D'ANALYSE PHYSIOLOGIQUE.
DOUZIÈME LEÇON
Sommaire : Physiologie opératoire de Yappareil île la circulation. — Topo-
graphie générale du système vasculairc sanguin et lymphatique. — Dispo-
sition des gros vaisseaux chez le chien, chez le lapin. — Divers modes
d'origine des branches de la crosse de l'aorte. — Système lymphatique. —
Analomic topographique des vaisseaux du cou et du pli de l'aine chez le
chien et le lapin. — Manuel opératoire général des vivisections portant
sur ces vaisseaux. — îlanuel opératoire des injections à pratiquer sur ces
vaisseaux. — Injections intra-artérielles et intra-vcineuses. — Importance
de l'étude des sangs veineux. — Cathétérismc du cœur et des gros vais-
seaux. — Classification des phénomènes de la vie en phénomènes phy-
siques, phénomènes chimiques et phénomènes dits physiologiques. —
Valeur de celte dernière catégorie. — Problèmes que se posent la physiologie
et la pathologie générales. — Importance de l'étude du sang <à ce point
de vue 241
TREIZIÈME LEÇON
Sommaire : ÉtuJe expérimentale de l'appareil circulatoire. — Anatomie et
physiologie. — Les analogies anatomiques ne peuvent suppléer à l'expéri-
mentation physiologique. — Revue historique des faits et des théories
relatives à la circulation. — Nouvelles lumières apportées par la chimie
moderne. — Les phénomènes ciiimiques, comme les phénomènes méca-
niques de l'organisme, doivent être étudiés directement par l'expérimen-
tation, et non déduits par analogie des faits semblables empruntés à la
mécanique pure. — En chimie, comme en mécanique, les procédés de
l'organisme lui sont particuliers 291
QUATORZIÈME LEÇON
Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil cfrculatoirc. — Un appareil
circulatoire n'est qu'un appareil de perfectionnement. — Apparition de cet
appareil chez l'embryon. — Sa forme chez les animaux supérieurs. —
Différentes parties dont il se compose chez les animaux supérieurs. —
Importance des vaisseaux capillaires. — Diverses expériences pour montrer
que tous les phénomènes essentiels de la nutrition se passent au niveau des
capillaires.
Étude du système capillaire. — System:" lacunaire des animaux inférieurs. —
\
TABLE DES MATIÈRES. f)OU
Spliiiiclers prélacunaircs de quelques articulés; leur analogie avec l'en-
semble formé par les parois musculaires des artcrioles des animaux supé-
rieurs. — Capillaires sanguins et capillaires lymphatiques. — Développe-
ment et disposition des réseaux capillaires; ils sont indépendants du reste
de l'appareil circulatoire, aussi bien au point de vue de leur genèse qu'au
point de vue de leurs fonctions 303
QUINZIÈME LEÇON
Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Importance
des expériences faites sur le système capillaire. — Les capillaires sont par
excellence les agents de Vabsorplion. — Absorption par les surfaces externes
et internes. — Des injections locales à effets locaux. — Expériences prou-
vant qu'on peut produire à part l'effet local et l'effet général. — Différentes
phases à considérer dans l'absorption.
Capillaires sanguins et lymphatiques. — Idées anciennes sur les voies de
l'absorption. — Découverte des vaisseaux lymphatiques. — Expériences
de Magendie. — Expériences nouvelles. — Les veines sont les organes
les plus essentiels de l'absorption 323
SEIZIÈME LEÇON
Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil de la circulation. — Du sys-
tème capillaire. — Rapports des vaisseaux lymphatiques avec les capillaires
sanguins. — Nerfs vaso-moteurs. — Par les capillaires sanguins, les
agents toxiques portent leur action sur les éléments des tissus.
De l'absorption : absorption interne; absorption externe. — Des divers actes
de l'absorption : elle comprend trois phases. — Nouvelles expériences pour
déterminer la durée relative de chacune de ces trois phases. — Expériences
sur l'absorption des gaz. — Expériences sur l'absorption du curare., . 344
DIX-SEPTIÈME LEÇON
Sommaire : Expériences sur l'appareil de la circulation. — De l'origine des
veines. — Circulation dite dérivative.
Cœurs périphériques veineux et lymphatiques. — Influence du système
nerveux et des poisons sur ces cœurs. — Exsudation de la lymphe. —
Induence du curare sur ce phénomène. — Diapédèse des globules blancs.
Des diverses espèces de sang. — Des diverses espèces de sang veineux. —
Importance de leur étude comparée 374
DIX-HUITIÈME LEÇON
Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil de la circulation et du sang.
— Études physiologiques au moyen de substances introduites dans le
sang. — Les poisons utilisés comme moyens de vivisection. — Résumé de
l'histoire du curare.— Expériences sur la grenouille. — Résultats acquis
CL. BERNARD. — Phy»iol. opér. 3'J
610 TABLE DES MATIÈRES.
par l'expcrimcutatioii avec le ciuarc. — De l'acide prussique ou cyan-
liydiique. — Théories curieuses sur l'action rapide de ce poison. — De la
mort sans lésions anatomiques. — ■ De l'anatomie pathologique 398
DIX-NEUVIÈME LEÇON
Sommaire : De la respiration artificielle comme moyen d'analyse physiolo-
gique. — Effets mécaniques de l'insufflation pulmonaire. — De l'apnée
produite par la respiration artificielle. — De l'oxyde de carbone comme
moyen d'analyse physiologique. — Recherche du mode d'élimination de
l'oxyde de carbone. — Nouvelles expériences 430
VINGTIÈME LEÇON
Sommaire : Système circulatoire. — Du sang étudié en lui-même au point
de vue de ses conditions physiques (température) et chimiques (glycémie
normale). — Topographie calorifique du système sanguin. — Coup d'œil
historique. — Critique expérimentale. — Appareils de M. d'Arsonval. —
Aiguilles thermo-électriques. — Dispositions et construction dos sondes ;
sondes eng aînées ; sondes nues (de d'Arsonval). — Aiguilles tlicrmo-
électriques. — Graduation de ces appareils. — Résultats des expériences.
— Appareil de d'Arsonval à température constante. — Derniers perfection-
nements de l'appareil pour le dosage du sucre dans le sang... • . . . . 460
QUATRIÈME PARTIE
PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL DIGESTIF
VINGT ET UNIÈME LEÇON
Sommaire : Physiologie opératoire de f appareil digestif. — Historique de la
question. — Actes mécaniques et actes chimiques de la digestion. —
Digestions artificielles in vitro. — Liquides digestifs. — Fistules pour se
procurer les liquides digestifs, et notamment le suc gastrique. — Tentatives
de de Graaf.
Étude de la salive. — Salive mixte. — H y a trois espèces de salives bien
distinctes. — Expériences sur les carnivores et les herbivores 492
VINGT-DEUXIÈME LEÇON
Sommaire : Propriétés de la salive parotidienne. — Comment il faut s'y
prendre pour introduire des tubes dans le conduit parotidien. — Disposi-
tion anatomique des parties chez le cheval et le chien. — Propriétés des
salives ainsi obtenues. — Elles diffèrent avec les diverses espèces et quel-
quefois chez divers individus de la même espèce. — Explication de cette
contradiction apparente. — Caractère intermittent de la sécrétion. — Des
différentes manières de l'e.xciter. — L'affinité élective des glandes sali
TABLE DES MATIÈRES. 61 i
vaires démontrée par différentes expériences. — Toutes les substances
peuvent passer dans la salive lorsqu'elles ont été introduites en suflisantc
quantité dans le sang. — Du pouvoir absorbant de la surface interne des
glandes. — Sa disparition pendant le cours de la sécrétion 504
VINGT-TROISIÈME LEÇON
So.MM.\iKE : Influence du système nerveux sur la sécrétion parotidienne. —
Les glandes sont pourvues de trois ordres distincts de nerfs : moteurs,
scnsitifs et ganglionnaires. — Différence entre les glandes sous-maxillaire
et parotide, au point de vue de l'influence ganglionnaire. — De la galva-
nisation du grand sympathique pendant la mastication. — Ses résultats.
— L'innervation des glandes parotides a évidemment sa source dans les
nerfs moteurs. — Influence de la septième paire sur la sécrétion paroti-
dienne. — Résultats de la section du nerf facial : 1° au-dessous du trou
stylo-mastoïdien ; 2" dans l'intérieur du rocher. — On a supposé que c'é-
tait du petit pétreux qu'émanait le nerf moteur de la parotide. — Décou-
verte de ce nerf. — Description de l'expérience par laquelle on est arrivé
à ce résultat. — Le nerf moteur de la parotide est une branche de l'auri-
culo-temporal. — 11 accompagne la maxillaire interne. — Il semble être le
congénère de la corde du tympan. — Différence entre l'action du système
ganglionnaire sur les glandes et celle qu'exercent les nerfs moteurs. —
Explication des raisons pour lesquelles le grand sympathique n'exerce
aucune action sur les parotides 517
VINGT-QUATRIÈME LEÇON
Sommaire : Expériences nouvelles démontrant que le nerf moteur de la
parotide est fourni par le facial au nerf auriculo-temporal superficiel. —
Son trajet et sa distribution. — Résultats importants de la découverte de
ce nerf. — Différence de coloration du sang veineux de la parotide à l'état
de repos et à l'état d'activité. — La sécrétion salivaire peut être provo-
quée par la piqûre de certains centres nerveux. — Influence du trijumeau.
— Influence des poisons. — Comparaison entre le nerf moteur de la paro-
tide et celui de la sous-maxillaire. — Cette dernière est infiniment plus
sensible à l'action des agents extérieurs que la parotide. — Estimation de
cette différence par l'appareil de Du Bois-Reymond. — Moyens divers de
modifier, d'augmenter ou de diminuer à volonté cette sensibilité relative.
— La section du grand sympathique augmente Irx sensibilité de la glande
du côté correspondant. — Exemples de phénomènes analogues qui se
passent en d'autres points du corps. — Inflammation de la conjonctive
consécutive à une opération analogue. — Le grand sympathique fait
contracter les vaisseaux, tandis que les nerfs moteurs de la sécrétion les
dilatent. — Démonstration expérimentale de la sensibilité relative des
glandes et des effet-; de la section du sympathique 527
612 TAIJLU: DliS MATIÈRES,
VINGT-CINQUIÈME LEÇON
Sommaire : La disposition anatomiquc des glandes sous-maxillaires est abso-
lument la même chez le chien que chez l'homme. — Canal de Wliarlon.
— 11 est complètement indépendant de celui de la sublinguale — La
glande sous-maxillaire est pourvue de deux ordres de nerfs : les uns
dérivent du système ganglionnaire; les autres, du nerf facial, par l'inter-
médiaire de la corde du tympan. — De l'influence du nerf lingual sur la
sécrétion sous-maxillaire. — Elle appartient à la classe des actions réflexes.
— Preuve expérimentale de cette hypothèse. — Effets de la galvanisation
de la corde du tympan.
Disposition anatomique de la glande sublinguale. — Cliez l'homme et chez
la plupart des animaux, ce n'est pas une glande en grappe. — Chez le
chien cependant, elle ne présente qu'un seul conduit excréteur. — Les
expériences relatives à cette glande ne peuvent être faites que sur le
chien. — Propriétés spéciales de la salive sublinguale. — Elle n'appa-
raît que lentement, lorsqu'on excite la glande. — Elle sert surtout à la
déglutition. — La corde du tympan est le nerf moteur de la glande sub-
linguale 539
VINGT-SIXIÈME LEÇON
Sommaire : Expériences sur les fonctions de l'œsophage. — Effets de la sec-
lion du pneumogastrique sur cette partie du tube digestf. — Conclusions
erronées que l'on a tirées de ces résultats. - - L'opération n'abolit aucune
des sensations en rapport avec le travail de la digestion. — Explications
rationnelles des effets produits par une constriction du cardia. — Facilité
de la démonstration chez les animaux porteurs d'une fistule gastrique. —
La constriction disparaît après un court espace de temps. — Expériences
sur le bol alimentaire. — De la quantité de salive qui imprègne les aliments.
— Expériences sur la déglutition. — Effets produits par la division comidète
du nerf œsophagien.
De l'estomac. — Des fistules gastriques. — Des animaux qui conviennent
à l'opération. — Diverses manières de procéder. — Description de la mé-
thode de M. Blondlot. — Modifications introduites par M. Claude Bernard.
— Modifications apportées plus récemment par M. Blondlot lui-même. —
Démonstrations expérimentales 551
VINGT-SEPTIÈME LEÇON
Sommaire : L'opération de la gaslrotomie chez le chien ne présente généra-
lement pas d'inconvénients sérieux. — Propriétés particulières du suc gas-
trique. — Sa réaction acide. — Celte propriété se retrouve dans toute
l'échelle animale. — Les glandes en tube de la muqueuse stomacale son
la source réelle de ce liquide. — Preuves cxpérinienlales de ce fait. —
Expériences de Prévost et Leroyer. — Résultats identiques ciicz les lierbi-
TABLE DES MATIÈRES. 613
vorcs. — La portion pylorique de l'estomac concourt seule à cette sécrétion.
— Des modifications de la muqueuse stomacale pendant la digestion. —
L'épilhélium se détaciie. — Des différentes substances éliminées par la
sécrétion gastrique : prussiate de potasse, sels de fer, etc. — Démonstra-
tion expérimentale. — Difficulté de déterminer le point particulier où la
sécrétion a lieu. — Des différentes manières de recueillir le suc gastrique
pour l'analyse. — Comment on réussit le mieu.x à en séparer les substances
alimentaires mélangées.
Certains liquides sont invariablement mêlés au suc gastrique et il est impos-
sible d'éviter leur présence. — Salive. — Sécrétion propre des glandes
du pharynx. — Tous ces liquides sont alcalins, et, suivant la loi de
Berzelius, ils ont une tendance à neutraliser l'acide du suc gastrique. —
Influence des alcalins sur la sécrétion gastrique. — La réaction des liquides
ntestinaux au delà du pylore est entièrement variable. — Composition
chimique du suc gastrique. — Influence du système nerveux sur sa pro-
duction. — Plexus solaires. — Effets produits sur l'estomac par la galva-
nisation des pneumogastriques et du grand sympathique 560
VINGT-HUITIÈME LEÇON
Sommaire : Du suc pancréatique. — Dispositions anatomiques des con-
duits pancréatiques chez l'homme. — Situation de leurs orifices externes.
— La bifidité de l'appareil excréteur est un vestige de l'état fœtal. —
Dispositions anatomiques de ces parties dans les différentes espèces ani-
males. — Différents procédés opératoires. — L'organe décrit par Aselli
comme un pancréas chez le chien n'est qu'une agglomération de gan-
glions lymphatiques. — Glandes de Brunner. — Nature précise de leur
sécrétion. — Propriétés de la sécrétion pancréatique. — Expériences
relatives à ce sujet.
Des substances éliminées par la glande pancréatique. — Analogie qui existe
sous ce rapport entre les glandes pancréatiques et salivaires. — Influence
du système nerveux sur le pancréas. — Expériences variées sur la sécré-
tion pancréatique 5'4-
VINGT-NEUVIÈME LEÇON
Sommaire : Difficultés de conserver longtemps les fistules pancréatiques
en pleine activité. — Nécessité d'opérer simultanément sur un grand
nombre d'animaux lorsqu'on a besoin de grandes quantités de suc pan-
créatique. — Propriétés présumées de ce liquide chez l'homme. — Expé-
riences faites sur le pancréas des condamnes à mort. — Faits cliniques
qui viennent à l'appui des résultats obtenus par ce moyen. — Propriété
fondamentale de la sécrétion pancréatique. — Émulsion des matières
grasses. — Aucun autre liquide de l'économie n'est doué de la môme
propriété. — Les sécrétions alcalines exercent sur les substances grasses
une action particulière différente de celle du suc pancréatique. — La
614 TABLK DUS MATif-RES.
nature dos fonctions du pancréas se déduit naturellement de ces faits. —
Effets de la ligature des conduits pancréatiques chez les animaux exclu-
sivement nourris de substances grasses. — Résultats analogues observés
dans les cas de cancer du pancréas. — Influence du système nerveux
sur la sécrétion pancréatique.
Des connexions de l'appareil biliaire avec les conduits pancréatiques. —
De sa disposition anatomiquc chez les différents animaux. — Diverses
manières de recueillir la bile. — On la retire habituellement de la
vésicule biliaire. — Objections à l'emploi des anesthésiques. — La bile
est sécrétée pendant les intervalles de la digestion. — Cela est prouvé par
les expériences sur les limaçons. — Fistules biliaires. — On les pratique
généralement dans le but d'empêcher la sécrétion de passer dans le duo-
dénum. — Importance de cette sécrétion dans le travail de la digestion.
— Opinion de Haller. — Expériences de Schwann, Blondlot,Tiedemann et
Gmelin. — M. Blondlot croit que la bile est un produit excrémenlitiel.
— Expériences propres de M. Cl. Bernard sur ce point. — Le procédé
opératoire qu'il a adopté permet de suspendre et de rétablir alterna-
tivement le passage de la bile dans l'intestin. — Difficulté d'arriver à
une conclusion positive par de semblables expériences 590
UN DE L\ TABLE DES MATIERES.
. MFIIIK l)i: t:. MA HT 1 NET. IIUE JIICXOS.
LIBRAIRIE .I.-li. r.AlLLIKRE ET 1-lLS.
(ilT)
LE CORPS HUMAIN
STRUCTURE ET FONCTIOiNS
Formes extérieures, Régions anatomiques , Situation, Rapports et Usages
des Appareils et Organes qui concourent au mécanisme de la vie,
DÉMONTRÉS A L'AIDE DE PLANCHES COLORIÉES, DÉCOUPÉES Eî SUPERPOSÉES
DESSINS D'APRÈS NATURE
Par :É:d.oiiara CUY'EFt
Lauréat de l'École des Beaux-Ar(s,
TEXTE
r»ai* O. A. K.tjmrir'
Doctcih- en médecine, préparateur au laboratoire d'Anthropologie de l'Érule des Hautes Études.
Col ouvrage est complet. Il a été publié en 8 livraisons, [chacune de 3 planches coloriées
avec un texte descriptif et explicatif. Prix de chaque livraison : 7 fr. .50
Iw"ou.vraee conaplot, cartonné. — 60 fr.
PI. I. Du CORPS HUMAIN EN' GÉNÉRAL.
II. Tronc et cavité thoracique (face
antérieure).
III. Tronc (face postérieure).
IV. Tronc (face latérale).
V. Cavité abdominale.
VI. Tête.
1. — Face antérieure.
2. — Face postérieure.
Fig.
Fig.
VII. TÊTE.
Fig.
Fig.
1. — Face latérale.
_ 2. — Base du crâne.
VIII. Coi; (face antéro-externe).
I.\. Membre thoracique.
Fig. 1. — Bras.
Fig. 2. — Ava7it-bras.
X. Membre thoracique (face posté-
rieure).
Fig. 1. — Bras.
Fig. 2. — Arant-bras.
XI. Membre thoracique (face interne;.
Fig. 1. — Bras.
Fig. 2. — Avant-bras.
XH. Membre thoracique (face externe).
Fig. I. — Bras.
Fig. 2. — Avant-bras.
XIII.
Os du carpe (face anté-
rieure).
Os du carpe (face pos-
térieure).
Main (face palmaire).
Main (face dorsale;.
XIV. Membre abdominal (face antérieure),
Fig. 1. — Cuisse.
Fig. 2. — Jambe.
XV. Membre abdominal (face postérieurej.
Fig. 1. — Cuisse.
Fig. 2. — Jambe.
PI.
du tarse (face
du tarse (face
Main.
Fig.
1
Fig.
2.
tig
3.
4.
XVI. Membre abdominal (face interne).
Fig. 1. — Cuisse.
Fig. 2. — Jambe.
XVII. Membre abdominal (face externe).
Fig. I. — Cuisse.
Fig. 2. — Jambe.
XVIir. Pied.
Fig. i. — Os
supérieure).
Fig. 2. - Os
inférieure)
Fig. 3. — Pied (face dorsale).
Fig. 4. — Pf'ef/ (face plantaire).
XIX. Ensemble des vaisseaux et des
nerfs.
XX. Encéphale (face supérieure).
XXI. Encéphale.
Fig. 1. — Face latérale.
Fig. 2. — Cervelet.
XXII. Appareil visuel (face latérale).
XXIII. Appareil visuel; paupières et
voies lacrymales.
XXIV. Appareil .auditif.
Fig. 1. — Oreille externe et
oreille moyenne vues par la
face externe.
Fig. 2. — Oreille externe ,
oreille moyenne et oreille
interne vues par la face an-
térieure.
Fig. 3. — Chaîne des osselets
vue par sa face antérieure.
Fig. 4. — Chaîne des osselets
vue par sa face externe.
Fig. 5. — Coupe du limaçon.
XXV. Appareils de l'olfaction, du goût
ET DE LA voix.
Une Neuvième livraison complémentaire comprend les planches : XXVI. ORGANES géni-
taux DE l'homme. — XXVII. Organes génitaux de la femme.
ENVOI FRANCO CONTRE UN MANDAT SUR LA POSTE.
010 LIBRAIRIE J.-B. RAILLIÈRE ET FILS.
ANATOMIE DES CENTRES NERVEUX
r»ar le aocteixr Gt. HUOUEIVIIV
Professeur à rUiiivcrsité de Zurich.
Traduit de l'allemand par le docteur Th. KELLER ,
Ex-aide d'anatomie à la Faculté de médecine de Strasbourg'.
Annoté par le docteur Mathia.s DUVAL,
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris.
Paris, 1879, in-8 de 368 pages avec 149 figures intercalées dans le texte. — 8 f r
De toutes les branches de la biologie, l'étude du système nerveux est sans contredit
une de celles qui ont été depuis longtemps l'objet du plus grand nombre de recherches.
Dans ces dernières années, la physiologie et la pathologie des centres nerveux, en nous
révélant des faits inattendus, ont rendu plus actives encore les investigations anato-
miques; c'est ainsi que, notamment pour les centres supérieurs, pour les hémisphères
cérébraux, la notion nouvelle des localisations fonclionnelles dans les parties grises,
ou tout au moins dans la substance blanche, nous donne l'idée la plus complète de ce
qu'on csl aujourd'hui en droit de demander à l'anatomie : Une nomenclalure et une
délermination exacte des parties , dans leurs rapports de contiguïté, et, s'il est possible,
dans ceux de continuité.
Cet ouvrage vient combler cette lacune en appelant l'attention sur des faits ri-
goureusement observés qui éclairent l'anatomie des centres nerveux.
PRÉCIS DE TECHNIQUE MICROSCOPIQUE ET IIISTOLOGIQUE
ou introduction pratique a l'anatomie générale
Par le docteur ^latlxias XHJVA.I-.
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, professeur d'Anatomie à l'Ecole des beaux-arls,
Membre de la Société ne biologie.
Avec une Introduction par le professeur Ch. ROBIN.
1 vol. in-18 Jésus avec 43 figures. — 4 fr.
Après quelques pages consacrées à fixer le lecteur sur la portée de l'anatomie géné-
rale et sur la valeur réelle de l'histologie, nous étudions successivement : 1° le microscope
et ses appareils annexes; 2° les procédés de manipulations histologiques.
Un traité technique peut être utilisé de deux manières bien distinctes :
Ou bien celui qui étudie l'histologie, se proposant d'employer sur tel tissu un réactif
qu'il sait propre à cette étude, désire être fixé sur le mode précis selon lequel il doit
procéder (dose, durée de l'action, etc.).
Ou bien le débutant désire se familiariser avec l'emploi des instruments et des réac-
tifs avant de les appliquer à une recherche spéciale : si celte étude doit être faite par
lui d'une manière pratique, et elle ne sera vraiment profitable qu'à cette condition,
nous lui donnerons le conseil de suivre dans cet apprentissage l'ordre suivant, qui
n'est pas exactement celui du livre , les connexions qui résultent de la nature même des
choses nous ayant contraint de placer parfois tout au début l'exposé de moyens de
recherche qui ne doivent préoccuper l'étudiant qu'après qu'il se sera familiarisé avec
des manipulations plus élémentaires. Ainsi le débutant devra d'abord lire tout ce qui
a trait au microscope et à son maniement; il se portera alors aux chapitres qui traitent
de la conservation des préparations, car rien ne sera plus propre à donner de l'attrait
à ses exercices, que le fait d'être à même de pouvoir conserver les préparations, qu'il
apprendra alors seulement à faire en étudiant les chapitres qui traitent des réactifs;
enfin ce ne sera qu'en dernier lieu qu'il devra s'occuper de l'étude des appareils annexes
du microscope, lesquels ïe rapportent, du moins pour quelques-uns, à des recherches
spéciales, comme par exemple les appareils pour la numération des globules du sang.
(Extrait de la Préface de l'Auteur )
ENVOI FRANCO CONTRE UN MANDAT SUR LA POSTE.
t" série. - K" 194. Uécenibre ISÏfel
BULLETIN MENSUEL UES NOUVELLES PUBLICATIONS
DE LA LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE et FILS
19, rue Hautefeuille, près le boulevard St- Germain, à Paris.
LA SCIENCE EXPÉRIMENTALE
Par Claude BER.\.4KU
Membre de l'Institut de France (Académie des sciences),
Professeur de physiologie au Collège de France et au Muséum d'histoire naturelle.
Progrès des sciences physiologiques. — Problèmes de la pliysiologie générale.
La vie, les théories anciennes et la science moderne.
La chaleur animale. — La sensibilité. — Le curare. — Le cœur. — Le cerveau.
Discours de réception à l'Acidémie française.
Discours d'ouverture de la séance publique annuelle des cinq Académies.
Deuxième édition.
Paris, 1878, 1 vol. in-18 jésus de 449 pages, avec 21 ligures. — i fr.
LEÇONS
DE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE
1 volume in-8 de 640 pages, avec 116 figures. — 8 fr,
LEÇONS SUR LES PHENOMENES DE LA VIE
COMMUNS AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX
COURS DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE
Par Claude BERNARD
Paris, 1878, 1 vol. iii-8 de xxu-400 pages, avec 45 fig. intercalées daas le lexle
et 1 planche coloriée. — 7 fr.
Tome II. Paris, 1879, 1 vol. in-8, avec 3 planches et 40 ligures.
BERNARD (Claude). Leçons de pby»«iologic espérimeniale appliquée à la méde-
cine, faites au Collège de France. Paris, 1855-1856, 2 vol. in-8, avec lûO fig. 14 fr.
— I<eçon<4 sur les effets des substances tos^iqncs et médicamenteuses.
Paris, 1857, 1 vol. in-8, avec 32 figures. 7 fr.
— I^eçons sur la pbysiologie et la pathologie du système nerveui. Paris^
1858, 2 vol. in-8^ avec 79 figures. 14 fr.
— I^eçons sur les propriétés physiologiques et les altérations pathologiques des
liquides de l'organisme. Paris, 1859, 2 voL in-8, avec fig. i4 fr.
— Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Paris, 18G5, in-8
de 400 pages, avec figures. 7 fr,
— leçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-8 de 604 p. 7 fr.
— liCçons sur les anestbésiques et sur l'asphyxie. Paris, 1874, 1 voL in-8
de 520 pages, avec figures. 7 fr.
— licçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et sur la fiè\re.
Paris, 1876, 1 voL in-8 de 471 pages, avec figures. 7 fr.
— I.eçons sur le diabète et la glycogenèsc animale. Paris, 1877, 1 vol. in-8
de 576 pages. 7 fr.
— Fr. xMagendie. Paris, 1856, in-8, 36 pages. 1 fr.
— Précis Iconographique de médecine opératoire et d'anatomie chirur-
gicale. Nouveau tirage. Paris, 1873, 1 vol. in-18 Jésus, 495 pages, avec 113 plan-
ches, figures noires. Cartonné. 24 fr.
— Le même, figures coloriées. Cartonné. 48 fr.
ENVOI FRANCO CONTRE UN MANDAT SOR LA POSTE.
618 J.-B. BAILLIÈRE ET FILS, RUE Hadtefeuille, 19.
LA VIE
ÉTUDES ET PROBLÈMES DE IHOLOGIE GÉNÉRALE
Par P. K. CHAtlFFAR»
Profosseur do Pathologie générale à la F:iciillé do médecine, inspecteur géiiéral de l'Université.
Paris, 1878, 1 vol. in-8 de 526 pages. — 7 fi-. 50
LEÇONS SUR LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE
DE LA RESPIRATION
Par Paul BKRT
Professeur de physiologie comparée à la Faculté des sciences.
Paris, 1870, 1 vol. in-8 de 588 pages, avec 150 figures. — 10 h\
TRAITÉ D'ANATOMIE COMPARÉE DES ANIMAUX DOMESTIQUES
Par A. CHAIJTEAU
Directeur de l'Ecole vétérinaire de Lyon.
Troisième édition, revue et augmentée.
Avec la collaboration de S. Arloing, professeur à l'École vétérinaire de Lyon.
Paris, 1879, 1 vol. gr. in-8, avec 400 fig. intercalée dans le texte,
noires et coloriées. — 24 fr.
TRAITÉ DE PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES ANIMAUX
CONSIDÉRÉE DANS SES RAPPORTS AVEC LES SCIENCES NATURELLES
LA MÉDECINE, LA ZOOTECHNIE ET L'ÉCONOMIE RUR\LE
Par Ci. COL,I]l[
Professeur à l'Ecole vétérinaire d'Alfort, membre de l'Académie de médecine.
DEUXIÈME ÉDITION.
Paris, 1871-1873, 2 vol. in-8, avec 206 figures. — 26 fr.
MÉCANISME DE LA PHYSIONOMIE HUMAINE
ou ANALYSE ÉLECTRO-PHYSIOLOGIOUE
DE L'EXPRESSION DES PASSIONS
Par lo docteur G.-.U DIICHE.^HE (de Boulogne)
Deuxième édition.
Paris, 1876, 1 vol. gr. in-8 de xii-264 pages, avec 9 planches photographiées
représentant 144 figures et un frontispice. — 20 fr.
— Le même, édition de luxe. 2" édition. Paris, 1876, 1 vol. gr. in-8 de xii-264 pages,
avec atlas composé de 82 planches photographiées et de 9 planches représentant
144 figures et un frontispice. Ensemble, 2 vol. in-8, cartonnés. 68 fr.
— Le même, grande édition in-folio, dont il ne reste que peu d'exemplaires, formant
84 pages de texte in-folio à 2 colonnes, et 82 planches tirées d'après les clichés
primitifs, dont 74 sur plaques normales, représentant l'ensemble des expériences
électro-physiologiques. 200 fr.
DUCHENNE [de Boulogne] (G.-B.). »e l'élcctrisation localisée et de son application
à la pathologie et à la thérapeutique par courants galvaniques interrompus et continus.
i' édition. Paris, 1872, 1 vol. in-8 de xil-1120 pages, avec 255 fig. et 3 planches
noires et coloriées. 18 fr.
DUCHENNE [de Boulogne] (G.-B.), Pbyslologie dos uiouvements démontrée à
l'aide de l'expérimentation électrique et applicable à l'élude des paralysies et des dé-
formations, Paris, 1867, 1 vol. in-8 de xvi-872 pages, avec 101 fig. 14 fr.
DUCHENNE [de Boulogne] (G.-B.). Anatouiio microscopique du système ner-
veux. Recherches à l'aide de la photo- autographie sur pierre ou sur zinc. Paris,
1868, gr. in-8, 14 pages, avec 4 planches. 3 fr.
DUCHENNE [de Boulogne] (G.-B.). Du pied plat valgns par paralysie du long péro-
nier latéral, et du pied creux valgus par contracture du long péronier latéral. Paris,
1860, in-4, 42 pages. 2 fr.
ENVOI FRANCO CONTRE DN MANDiT SDR LA POSTE.
J.-15. DAILLlÈlili; ET FILS, RUE Hautefeuille, l'J. 61<)
ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRES
ou des cellules animales el vogélales,
du proloplasma el des élénienls normaux et palliologiqucs qui en dérivent.
Par Ch. ROBIIV
- :'aiis, 1873, 1 vol. in-8 de xxxviii-640 pages avec 83 figures. Cartonné ; 16 fr.
TRAITÉ DU MICROSCOPE ET DES INJECTIONS
DE LEUR EMPLOI
De leurs appliraiions à l'analomie humaine cl comparée,
à la pathologie médico-chirurgicale,
à l'histoire naturelle animale et végélale et à l'économie agricole.
Par CH. ROBIAI
Professeur d'iiistolog'ie à la Faculté de médecine de Paris, membre de l'Institut
et de l'Académie de médecine.
Deuxième édition revue et augmentée
1877, 1 vol. in-8 de 1100 pages, avec 336 figures et 3 planches.
Cartonné : 20 fr.
LEÇONS SUR LES HUMEURS NORMALES ET MORBIDES
DU CORPS DE L'HOMME
professées à la Faculté de médecine de Paris
Par GH. ROBIN
Seconde édition, corrigée et augmentée.
Paris, 1874. 1 vol. in-8 de 1008 pages, avec fig. Cartonné : 18 fr.
ROBIN (Ch.). }|léinoire âur le dévelopiieuient eiubryogénique des hirudi^
nées. 1876, in-4, 472 pages avec 19 planches lilhographiées. 20 fr.
— JMénioire sur l'évolution de la notocorde, des cavités des disques interver-
tébraux et de leur contenu gélatineux. In-4 de 212 pages, avec 12 pi. 12 fr.
— Histoire naturelle des végétaux parasites qui croissent sur l'homme et les
animaux vivants. In-8 de 700 pages, avec atlas de 15 pi. en partie coloriées. ,^16 fr.
— Programme du cours d'bistologle professé à la Faculté de médecine de Paris.
Deuxième édition, revue et développée. Paris, 1870, in-8 de xl-416 pages. 6 fr.
— Mémoire sur les objets qui peuvent être conservés en préparations
microscopiques, transparentes et opaques. Paris, 1856, in-8. 2 fr.
— Mémoire contenant la description anatomo-patbologique des diverses
espèces de cataractes capsulaires et lenticulaires. Paris, 1859, in-4 de 62 p. 2 ir.
— Mémoire sur les modiflcations de lu muqueuse utérine pendant et après
la grossesse. Paris, 1861, in- 4 avec 5 planches lithogr. 4 fr. 50
ROBIN (Ch.) et YERDEIL. Traité de chimie anatomique et physiologique,
normale et pathologique, ou des principes immédiats normaux et morbides qui con-
stituent le corps de l'homme et des mammifères. 3 forts volumes in-8, avec atlas de
46 planches en partie coloriées. 36 fr.
BEALË. Ue l'urine, des dépôts nrinaires et des calculs, de leur composition
chimique, de leurs caractères physiologiques et pathologiques et des indications thé-
rapeutiques qu'ils fournissent dans le traitement des maladies, traduit par les docteurs
Auguste OUivieret Georges Bergeron. 1 v. in-18 jésus de 540 p., avec 136 fig. 7 fr.
BOUCHUT. lia Vie et ses attributs, dans leurs rapports avec la philosophie et la
médecine. 2® édition. Paris, 1876, in-18 jésus, 450 pages. 4 fr. 50
BYASSON (Henri). Des matières amylacées et sucrées, leur rôle dans Técono-
mie. Paris, 1873, gr. in-8 de 112 pages. 2 fr. 50
CADIAT (0.). Cristallin, anatomie et développement, usages et régénération, Paris,
1876, in-8 de 80 pages, avec 2 planches. 2 fr. 50
— Ktudc sur l'anatomic normale et les tumeurs du sein chez la
femme. Paris, 1876, in-8 de 60 pages, avec 3 pi. et 20 fig. lilhog. 2 fr. 50
DONNÉ. Cours de mïcroscopie complémentaire des études médicales, anatomie mi-
croscopique et physiologique des fluides de l'économie. In-8 de 550 p. 7 fr. 50
ENVOI FRANCO CONTBE UN MANDAT SUR LA POSTR.
620 J.-B. BAILLIf:i'.E et KILS, rce IIaotefedille, 19.
DONNÉ (A.) et FOUCAULT (L.). .%(Ia!« «lu courte de iuicro»«copie, exécuté d'après
nature au microscope daguerréotype, par le docteur A. Donné et L. Foicallt. 1 vol.
in-folio de 20 planches gravées, avec un texte descriptif. 50 fr.
DUCLOS (F.). E,a Vie. Qu'cs-tu? o'où vicns-(uî Où vasii-tuT In-12 de 204 p. 2 fr.
FLOURENS (P.). Rechercbcs cxpérinicntnles sur les fonctions et les pro-
priétés du système nerveux dans les animaux vertébrés. 2^ édition. Paris, 1841,
in-8 (7 fr. 50). 3 fr.
— Cours de physiologie comparée. De l'ontologie ou étnde des êtres. Paris, 1856.
ln-8 (3 fr. 50). 1 fr. 50
— mémoires d'anatomie et de physiologie comparées, contenant des recher-
ches sur : 1" les lois de la symétrie dans le Règne animal; 2° le mécanisme de la
rumination; 3° le mécanisme de la respiration des Poissons; 4" les rapports des ex-
tr/mités antérieures et postérieures dans l'Honimp, les Quadriipèdes et les Oiseaux.
Paris, 1844, gr. in-4 avec 8 planclies coloriées (18 fr.). 9 fr.
— Théorie expérimentale de la formation des os. Paris^ 1847, in-8, avec
7 planches n. et col. (7 fr. 50). 3 fr. 50
— Anatomie générale de la peau et des membranes muqueuses. 1843, in-4,
104 pages, avec 6 planches coloriées (20 fr.). 6 fr.
— Recherches sur le déve'oppement des os et des dents. 1841, in-4. 146 p.,
avec 12 pi. col. (20 fr.). 10 fr.
HANNOVER (A.). l,a Rétine de l'homme et des vertébrés, mémoire liistologi-
que et physiologique. 1876, in-4, 214 pages avec 6 pi. gravées. 25 fr.
HUXLEY (Th.). Éléments d'anatomie comparée des animaux vertébrés, tra-
duit de l'anglais par M""^ Brunet, revu par l'auteur et précédé d'une préface par
Ch RORIN. Paris, 1875, 1 vol. in-18 Jésus de viii-530 pages, avec 122 figures. 6 fr.
— Les sciences naturelles et les problèmes qu'elles font surgir [Lny
Sermons), édition française publiée avec le concours de l'auteur et accompagnée
d'une préface nouvelle. Paris, 1877. 1 vol. in-18 jésus de 500 pages. 4 fr.
KUSS etDUVAL (Mathias). l'aurs de physiologie, d'après l'enseignement du professeur
Kuss. Troisième édition, 1876. 1 vol. in 18 de vri-624 pages, avec 152 fig. Cart. 7 fr,
LEGROS. Des nerfs vaso-moteurs. Paris, 1873. 1 vol. in-8 de 112 pages. 2 fr. 50
M.\NDL (L.). Anatomie microscopique, par le docteur L. Mandl. Ouvrage complet.
Paris, 1838-1857, 2 volumes in-folio avec 92 planches. 200 fr.
Le tome 1". comprenant I'Histologie. est divisé en deux séries : Tissus et organes, Liquides or-
ganiques, est complet en 26 livraisons, avec 52 planches.
Le tome II, comprenant l'HiSTOGENÈSE, ou Recherches sur le développement, l'accroissement et la
reproduction des éléments microscopiques, des tissus et des liquides organiques dans l'œuf, l'cmlirvon
et les animaux adultes, est complet en 20 livraisons, avec 40 jilanches.
Séparément les livraisons 10 à 26 du tome !*■■.
Prix de chaque livrai on, composée de 5 feuilles de texte et 2 planches. Prix de la livraison. 5 fr.
MEYER (P.). Études bistologiques sur le labyrinthe membraneux et plus spéciale-
ment sur le limaçon chez les reptiles et les oiseaux. 1876, 192 p., avec 5 planches
gravées et coloriées. 10 fr.
MOITESSIER (A.). l,a photographie appliquée aux recherches niierographi-
ques. Paris, 1867, 1 vol. in-18 jésus, 340 pages, avec 30 figures et 3 planches
photographiées. 7 fr.
MULLER. Manuel de physiologie, par J. MuLLEB, traduit de l'allemand sur la der-
nière édition, par A.-J-L. Jourdan, deuxième édition, revue et annotée par E. Littré,
avec 320 figures, et de 4 planches. 2 forts vol. gr. in-8. 20 fr.
P.\TR1GE0N (G.). Recherches sur le nombre des globules rouges et blancs
du sang à l'état physiologique (chez l'adulte) et dans un certain nombre de ma-
ladies chroniques. In-8 de 100 pages, avec 20 pi. de tracés. 4 fr.
ROBIN (Albert). Essai d'urologie clinique; 1« flcvre typhoïde, 1877, in-8,
260 pages. 4 fr.
SCHIFF. De l'inflammation et de la circulation, par le professeur M. SCHIFF,
traduction de l'italien par le docteur R. GuiCHARD DE Choisity, médecin adjoint des
hôpitaux de Marseille. Paris, 1873, in-8 de 96 pages, 3 fr.
— I^a pupille considérée comme esthésiomètre, traduit de l'italien, par
le docteur R. Giiciiard de Ghoisitv. Paris, 1875, in-8 de 34 pages. 1 fr. 25
ENVOI FRANCO CONTRE UN MANDAT SUR LA POSTE.
LIBKAIRIE J.-B. liAILLIÊRE ET FILS 621
ÉTL'DE MÉDICO-LÉGALE SUR LES BLESSURES
COMPRENANT :
LES BLESSURES EN GÉNÉRAL ET LES BLESSURES PAR IMPRUDENCE
l'homicide et les coups INVOLONTAIRES
Par A. TARD! EU
Professeur de médecine lég;ilo à la Faculté de médecine.
1 vol. in-8 de 500 pages. — 6 fr.
L'étude généra'e des blessures n'aurjit, au point de vue de la chirurgie
pratique, ni intérêt ni utilité; mais il n'en est pas de même en ce qui touche
la médecine légale.
Sous les dénominations de coups et blessures, violences et voies de fait,
de meurtre et d'assassinat, la loi pénale a compris toute une série de fuits
extrêmement fréquents qui constituent des délits ou des crimes, à l'occasion
desquels les constatations médicales sont chaque jour réclamées par la justice.
L'auteur a pris pour base de l'étude des coups et blessures l'objet de la
mission de l'expert, défini par les termes mêmes dont se sert le magistrat qui
fait appel à ses lumières en le chargeant :
1° De visiter le blessé et de reconnaître l'élat où il se trouve;
2° De constater l'état des blessures;
3° Leurs causes;
û° Les consé juences qu'elles pourront avoir, ou, en cas de mort, de pro-
céder à l'examen du cadavre, déterminer les causes de la mort, et dire si elle
est la suite des blessures;
5° D'établir les circonstances dans lesquelles les coups ont été portés. A
chacun de ces divers objets se rapportent des questions méd'co-légales nom-
breuses qui sont passées successivement en revue, en même temps que les
grands procès qui ont occupé l'opinion publique et nécessité l'intervention de
la médecine légale.
ÉTUDE
MÉDICO-LÉGALE ET CLINIQUE SUR L'EMPOISONNEMENT
■>ai- Anibroisc TARDIEi:
avec la collaboration
De Z. ROISSIX
I'li:irm.icien eu chef de.riiôpiial luililaire du Gros-Caillou
Professeur agrégé à l'École de mcdcciiic du Val-dc-Gràce
|miir la paiiif ilo l'oxpeilise uicdico-lé«alc relalivc k la ictlicrclic cliimiqnc des \w\m.$
Deuxième édilion, revue el augmentée
1875. In volume in-8 de xx-1236 pages, avec 2 pi. et 54 fig. — Oi fr.
M. Tardicu s'est attaché, après avoir fait connaître les conditions dans
lesquelles s'accomplit d'ordinaire l'empoisonnement, à donner une description
étendue des svmptômes et des lésions, de \i marche et des différentes formes
de chaque genre d'empoisonnement. Passant ensuite en revue les qucst ons
médico-légales que peuvent faire naître les divers cas d'empoisonnement, il a
cherché à fixer les éléments du diagnostic, à faire ressortir les signes tirés des
symptômes et des lésions qui peuvent permettre de distinguer chaque espèce
des maladies spontanées ou des autres empoisonnements avec lesquels on
pourrait le confondre ; il s'est efforcé de déterminer avec précision les doses
auxquelles commence l'action vénéneuse de telle ou telle substance, le temps
que chaque poison met à agir, la durée que peut avoir chaque empoisonne-
ment. Ces données intéressent au même degré le médecin légiste et le mé 'ecin
praticien.
ENVOI FRANCO CONTRE UN MANDAT SUR LA POSTE.
LIBHAIKIE J.-B. BAILLIKKE ET FII.S.
ÉTUDE MÉDICO-LÉGALE
s t U LES
MALADIES PRODUITES ACCIDENTELLEMENT
ou INVOLONTAIREMENT
PAK IMPRUDENCE, NÉGLIGENCE OU TRANSMISSION CONTAGIEUSE
Comprenant :
L'HISTOIRE MÉDICO-LÉGALE DE LA SYPHILIS
DE SES DIVERS MODES DE TRANSMISSION
Par Ambroisie TARDIEU
Professeur de médecine légale à la Faculté de médecine de Paris.
J volume in-8 de 400 pages. — 4 fr.
Ouvrages de M. le professeur Tardieu.
Etude médico-légale sur la folie. Paris, 1872, 1 vol. in-8, XXII-
610 pages, avec 15 fac-siniile d'écriture d'aliénés. 7 fr.
Etiule médico-légale sur les atlentats aux mœurs. 7^ édition. Paris,
iS~8, in-8 de viii-30i pages^ et 5 planches gravées. 5 fr.
Etude médico-légale sur l'arortement, suivi d'une noie sur l'obligalion
de déclarer à l'état civil les fœtus mort -nés et d'observations et derecherclies
pour servir à l'histoire médico-légale des grossesses fausses et simulées.
3« édition. Paris, 1868, in-8, 280 pages. à fr. 50
Étude médico-légale sur l'infanticide. Paris, 1868, in-8, 342 pages,
avec 3 planches coloriées. 6 fr.
Etude médico-légale jiiur la pendaison, la strangulation et la
suffocation. 2* édition. Paris, 1879, in-8, 352 pages, avec planches noires
et coloriées. 5 fr.
Question médico-légale de Tidentité dans ses rapports avec les vices de
conformation des organes sexuels, contenant les souvenirs et impressions
d'un individu dont le sexe avait été méconii. 2^^ édition. Paris, 1874, 1 vol.
in-8 de 176 pages. 3 fr.
Relation médico-légale de l'alfaire Armand (de Montpellier), simulation
de tentative d'homicide (commotion cérébrale et strangulation). Paris, 1864,
in-8 de 80 pages. 2 fr.
Mémoire sur l'empoisonnement par la strychnine, comprenant la
relatalion médico-légale complète de l'affaire Palmer. Paris, 1857, in-8,
104 pages. 2 fr. 50
Empoisonnement par la strychnine, l'arsenic et les sels de cuivre,
observations et recherches nouvelles, en collaboration avec P. Lorain et
Z. RoussiN. 1865, in-8, 23 pages. 1 fr.
.Ylémoire sur l'examen microscopique des taches formées par le mé-
conium et l'enduit foetal, par Ch. Robin et Amb. Tardieu. Paris, 1857, iu-8,
30 pages. 1 fr.
Contribution à l'histoire des monstruosités considérées au point de
vue de la médecine légale, à l'occasion de l'exhibition publique du monstre
pygopage Millie-Christine (en collaboration avec M. Laugier). 1874, in-8,
32 pages, avec 4 figures intercalées dans le texte. 1 fr. 25
.Vlémoire sur la coralline, et sur les dangers que présente l'emploi de
cette substance dans la teinture de certains vêtements, par A. Tardieu et
/. ItoussiN. Paris, 1869, in-8. 1 fr. 25
E.NVOI FRANCO f'ONTnE UN MANDAT SUK LA POSTE.
LIBRAIRIE .l.-B. UAILLIKRE ET FILS. 623
Suite des ouvrages de M. le professeur Tardieu.
Ilictîonnaire d'bygièno publique et de salubrité, ou Répertoire de
toutes les questions relatives à la santé publique^ considérées dans leurs
rapports avec les substances, les épidémies, les professions, les établisse-
ments et institutions d'hygiène et de salubrité, complété par le texte des
lois, décrets, arrêtés, ordonnances et instructions qui s'y rattachent. 2* édi-
tion. Paris, 1862, à forts vol. igr. in-8. 32 fr.
Voieries et cimetières. Paris, 1852, in-8 de 250 pages. 4 fr.
Étude hygiénique sur la profession de mouleur en cuivre, pour
servir à l'histoire des professions exposées aux poussières inorganiques.
1855, in-12. 1 fr.
Rapport fait au conseil municipal de Paris au sujet du projet de
construction du nouvel Hôtel-Dieu. 1866, in-8. 1 fr. 50
AMETTE. Code médical, ou Recueil des lois, décrets et règlements sur
l'étude, l'enseignement et l'exercice de la médecine civile et militaire en
France, par Amédée Amette, secrétaire de la Faculté de médecine de Paris.
3*^ édition, augmentée. Paris, 1859, 1 vol. in-12 de 300 pages. U fr.
BAYAKD (H.). Examen microscopique du sperme dessécbé sur le
linge ou sur les tissus de nature ou de coloration diverses. Paris, 1839,
in-8, fig. ^2 fr.). 1 fr.
— De la nécessité des études pratiques en médecine légale, et
réflexions sur les procès criminels de Peytel et de madame Lafarge. Paris,
18i0, in-8 (1 fr. 50). 50 c.
BOISSEAU lEdm.). Des maladies simulées et des moyens de les
reconnaître, leçons professées au Val-de-Gràce par le docteur Edm. Bois-
seau, professeur agrégé à l'École d'application de médecine militaire (Val,
de-Grâce). Paris, 1870, in-8, 510 pages, avec 15 figures. 7 fr
BRIAND et CH.AUDÉ, Manuel complet de médecine légale, ou résumé
des meilleurs ouvrages publiés jusqu'à ce jour sur cette matière, et des ju-
gements et arrêts les plus récents, par J. Bri.^nd, docteur en médecine de
la Faculté de Paris, et Ernest Chaude, docteur en droit ; et contenant dn
Traité élémentaii-e de chimie légale, par J. Bouis, professeur à l'École de
Pharmacie de Paris. 10= édition. Paris,fl879,2 vol. gr. in-8, avec 3 planches
et 37 figures. 24 fr,
CHAUSSIER. Consultation médico-légale sur un cas d'amputation
de la cuisse. Paris, 1828, in-8. 1 fr. 50
CLAUSADE. Essai de médecine légale considérée comme science. Mont-
pellier, 1838, in-8. 3 fr.
ENGEL. :\ouvcaux éléments de chimie médicale et de chimie biolo-
gique, avec les applications à l'hygiène, à la médecine légale et à la phar-
macie, par R. Engel, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier.
Paris, 1878, 1 vol. in-18 jésus, viii-768 pages, avec 117 figures. 8 fr,
GALISSET et MIGNON. IVouveau traité des vices rédhibitolres, ou
Jurisprudence vétérinaire, contenant la législation et la garantie dans
les ventes et échanges d'animaux domestiques, d'après les principes du Code
Napoléon et la loi modificalrice du 20 mai 1838, la procédure à suivre, lu
description des vices réJhibitoires, le formulaire des expertises, procès-
verbaux et rapports judiciaires, et un précis des législations étrangères, par
Ch. M. Galisset, ancien avocat au conseil d'État et à la Gourde cassation,
et J. Mignon, ex -chef de service à l'École vétérinaire d'Alfort. 3^ édition,
mise au courant de la jurisprudence et augmentée d'un appendice sur les
épizooties et l'exercice de la médecine vétérinaire. Paris, 1864, in-18 jésus
de 542 pages. 6 fr.
GALLARD. De l'avortement au point de vue médico-légal. Paris, 1878,
in-8, 135 pages. 3 fr.
— IVotes et observations de médecine légale et d'hygiène. Paris,
1875, in-8, 128 pages. 3 fr. 50
ENVOI FRANCO CONTRE U.V MANDAT SLR LA l'OSTE.
62i MllUAllUli .l.-H. BaII.LIÈUK et l'Il.S.
GU160URT. :tlanui>l It'ttal tlet* pliarinacienH et «Ict» élèves en plinr-
■iiacie, on recueil des lois, arrêtés, règlements et instructions concernant
l'enseignement, les étdues et l'exercice de la pharmacie. Paris, 1852,
1 vol. in -12 de 230 pages. 2 fr.
HALMAGRAIND. Considérations niédioo-Iéeales sur l'avortcinent, sui-
vies de quelques considérations sur la liberté de l'enseignement médical.
Paris, 1841, in-8. 1 fr. 25
HASSAN. De l'examen du cadavre en médecine légale, par le docteur
Ibrahim Hassan. Paris, 1869, 1 vol. in-8, 360 p.igcs. 5 fr.
HOFFBAUER (J.-C). médecine légale relative aux aliénés, aux souril.s-
muets, ou les lois appliquées aux désordres de l'intelligence; traduit de
l'allemand par Chambeyron, avec des notes par MM. Esquirol et Itard.
Paris, 1827, in-8 (6 fr.). 2 fr. 50
LOIR (J.-N.). De l'état civil des nouveau-nés, au point de vue de l'his-
toire, de l'hygiène et de la loi. Présentation de l'enfant sans déplacement.
Paris, 1865, 1 vol. in-8 de 462 pages. 6 fr.
MARC. Do la folie considérée ilans ses rapports avec les questions
nicdico-judiciaires, par G. C.-H. M.\rc, mé lecin près les tribunaux. Paris,
1840, 2 vol. in-8. 5 fr.
MARGE. Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles
accouchées et des nourrices, et considérations médico légales qui se
rattachent ;\ ce sujet. Paris, 1858, 1 vol. in-8 de 400 pages. 6 fr.
OR FI LA. Rapports sur les moyens de constater la présence de
l'arsenic dans les empoisonnements par ce toxique. Paris, 1841, in-8,
53 pages. 1 fr. 25
PÉNARD (Louis). Do l'intervention du médecin légiste dans les questions
d'attentats aux mœurs. Paris, 1860, in-8 de 140 pages. 2 fr. 50
POILROUX (J.). Manuel de médecine légale criminelle à l'usage des
médecins et des magistrats chargés de poursuivre ou d'instruire les procé-
dures criminelles. 2* édition. Paris 1837, in-8 de 465 pages. 4 fr.
ROUCHER (G.). Sur les empoisonnements par le phosphore, l'arsenic,
l'antimoine elle plomb. Paris, 1876, in-8, 32 pages. 1 fr. 25
SOUBEIRAN ]%'ouvcau dictionnaire des falsiOcations et des altéra-
tions des aliments, des médicaments et de quelques produits employés
dans les arts, l'induslrie et l'économie domestique. Exposé des moyens
scientifiques et pratiques d'en reconnaître le degré de pureté, l'état de con-
servation, de constater les fraudes dont ils sont l'objet; par Léon Soubeiran,
professeur à l'École de pliarmacie de Montpellier. Paris, 1874, 1 vol. in-8
de 640 pages, avec 218 figures. Cartonné. 14 fr.
TOULMOUGHE (A.). Iliouvellcs recherches médico-légales sur les lésions
du crâne et de l'organe qu'il renferme. Paris, 1800, in 8, 22 pages. 75 c.
— IVouvolle étude médico-légale sur les difficultés d'appréciation
de certaines blessure, Paris, in-8, 45 pages. 2 fr.
— Etudes sur l'infanticide et la gros.sesse cachée ou simulée.
Paris, 1861, in-8 de 134 pages. 3 fr.
ÏOURDES (G.). Exposition historitiue et appréciation des secours empruntés
par la médecine légale à l'obstétricie. 1838, ir.-4 de 94 pages. 2 fr. 50
— Des blessures de l'artère mammaire interne sous le point de vue
médico légal. Paris, 1849, in-8 de 41 pages. 1 fr. 25
— De l'enseignement de la médecine légale à la Faculté de médecine
de Strasbourg. Strasbourg, 1802, in-8, 33 pages. 1 fr. 50
— Examen médico-légal d'une présomption de tentative d'homi-
cide. Strasbourg, 1864, in-8, 27 pages. 75 c.
TRÉBUCHET (A.). Jurisprudence de la médecine, de la chirurgie et de
la pharmacie en France. Paris, 1834, in-8 (9 fr.). 3 fr.
NERNOIS (Max.). iJe la main des ouvriers et des artisans au point de
vue de l'hygiène et de la médecine légale. Paris, 1862, in-8, avec 4 plan-
ches chromolithographiées. 3 fr. 50
Le Gérant : H. Baillière.
pauis. _ iiPniMBRiB de m. martirkt. aci aïoNox. t
ENVOI l'nANCO C.ONTKE L\ MANOAT SUR I.A TOSTE.
.,>—\ -.. w
La B-lblÀ,otkè,quQ.
Université d'Ottawa
Echéance
Tfie LlbMa/iy
University of Ottawa
Date Due
■'-l^sr
"^ MAR - 2 1985
i
.s^
\.-
4c
04MAR'iJt>
V m ^ 6 Ml
WÊÊf20MZ
- FEB r
il
■A
- >
tï
^-
V ^ •/
llillllllllllll
a39003 0 1 0 2 5 3^42^^6
\
f
J ^1